Eden - Le Temps ne s'arrรชtera...

By _Noya_saaaan_

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Prรฉambule [ 20 juin 2023 ]
|| Aesthetics ||
Prologue - L'Ange tombรฉ
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’ˆ๐’“๐’‚๐’๐’…๐’Š๐’“
Chapitre I - Le Temps d'apprendre ร  n'รชtre rien
Chapitre II - Le Temps dรฉbute avec la Vie
Chapitre III - L'enfant qui s'รฉpanouissait, 1/3
Chapitre III - L'enfant qui s'รฉpanouissait, 2/3
Chapitre III - L'enfant qui s'รฉpanouissait, 3/3
Chapitre IV - L'enfant qui grandissait
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ๐‘ฐ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’‚๐’Š๐’Ž๐’†๐’“
Chapitre V - Une page se tourne
Chapitre VI - L'homme devenu Ange
Chapitre VII - Il n'est jamais parti
Chapitre VIII - Le vide engloutit tout
Chapitre IX - L'Ange devenu Homme
Chapitre X - S'il avait pu รชtre fort
Chapitre XI - ๐ต๐‘œ๐‘ข๐‘š ๐‘๐‘œ๐‘ข๐‘š faisait son cล“ur, 1/2
Chapitre XI - ๐ต๐‘œ๐‘ข๐‘š ๐‘๐‘œ๐‘ข๐‘š faisait son cล“ur, 2/2
Chapitre XII - J'aimerais รชtre une pรขquerette, 1/2
Chapitre XII - J'aimerais รชtre une pรขquerette, 2/2
Chapitre XIII - Baignรฉs dans une odeur de fumรฉe
Chapitre XIV - Un jour son prince viendra
Chapitre XV - Le Soleil qui ne souriait jamais
Chapitre XVI - Un long cauchemar dans un salon blanc
Chapitre XVII - L'oiseau aux ailes coupรฉes, 1/2
Chapitre XVII - L'oiseau aux ailes coupรฉes, 2/2
Chapitre XVIII - L'espoir est la deuxiรจme mort de l'Homme
Chapitre XIX - Il existait sans vivre
Chapitre XX - Cล“ur et rancล“ur
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ๐‘ฐ๐‘ฐ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’‘๐’‚๐’“๐’…๐’๐’๐’๐’†๐’“
Chapitre XXI - Ensemble, ils contemplaient les รฉtoiles
Chapitre XXII - Ange-Homme
Chapitre XXIII - Cล“ur brรปlรฉ
Chapitre XXIV - Ailes d'encre, peau froide et lรจvres avides
Chapitre XXV - Le droit d'aimer et le devoir de sรฉduire
Chapitre XXVI - Tous les Soleils finissent par s'รฉteindre
Chapitre XXVII - Crissement de fourchette au fond de l'assiette, 1/3
Chapitre XXVII - Crissement de fourchette au fond de l'assiette, 2/3
Chapitre XXVII - Crissement de fourchette au fond de l'assiette, 3/3
Chapitre XXVIII - Cล“ur de femme, 1/2
Chapitre XXVIII - Cล“ur de femme, 2/2
Chapitre XXX - Le Temps ne s'arrรชtera pas
Chapitre XXXI - Mon temps est ร  toi
Chapitre XXXII - Dรฉ-s-espรฉrer
Chapitre XXXIII - Quand valsent les couleurs
Chapitre XXXIV - Petite mort pour un garรงon-fillette
Chapitre XXXV - Laissons vivre les notes
Chapitre XXXVI - Secondes et minutes devinrent annรฉes dรฉmantelรฉes
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ๐‘ฝ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’‘๐’“๐’๐’‡๐’Š๐’•๐’†๐’“
Chapitre XXXVII - Paradis artificiel, 1/3
Chapitre XXXVII - Paradis artificiel, 2/3
Chapitre XXXVII - Paradis artificiel, 3/3
Chapitre XXXVIII - Peau de glace
Chapitre XXXIX - Six pieds au-dessus du Ciel
Chapitre XL - Dans l'ocรฉan, s'abรฎmer, 1/2
Chapitre XL - Dans l'ocรฉan, s'abรฎmer, 2/2
Chapitre XLI - La Mort est une amie qu'il faut apprendre ร  apprรฉcier
Chapitre XLII - Un jour son prince arriva
Chapitre XLIII - La Vie est un jeu dont on sort toujours perdant
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฝ - ๐‘ฌ๐’• ๐’”๐’๐’ ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’”'๐’‚๐’„๐’‰๐’†๐’—๐’‚ ๐’‚๐’—๐’‚๐’๐’• ๐’…'๐’‚๐’—๐’๐’Š๐’“ ๐’‘๐’– ๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’—๐’Š๐’—๐’“๐’†
Chapitre XLIV - Leurs Temps entrelacรฉs
ร‰pilogue - Il tomba, et dans sa chute, sa gloire il prรฉcipita
|| Mot de fin et remerciements ||
Bonus I - Et si le Temps ne s'รฉtait pas arrรชtรฉ... 1/2
Bonus II - Et si le Temps ne s'รฉtait pas arrรชtรฉ... 2/2
Bonus III - Entre mes jambes, je suis un garรงon
Bonus IV - Les Anges portent des couleurs qu'il faut inventer

Chapitre XXXIX - รŠtre-ange

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By _Noya_saaaan_

Le samedi suivant, les membres de l'équipe se retrouvèrent dans les vestiaires en effervescence. Bourdonnements de voix agitées, derniers rappels, pluie de conseils et d'ordres en tous genres, l'ensemble noyé par la musique projetée par une petite enceinte. Elias réprima une hésitation en dénudant ses avant-bras. Les cicatrices brillaient. Il croisa le regard de Liam posé dessus et, avec un sursaut, il s'empressa de les couvrir. Il était encore trop tôt — il serait toujours trop tôt — pour dévoiler à un autre que le garçon du miroir les accès de faiblesse et de haine qui l'animèrent deux ans auparavant.

La voix de Jay cessa de déblatérer ses recommandations alors qu'il s'apprêtait à aborder le placement des joueurs pour le premier quart-temps. Ses yeux acérés détaillèrent les joueurs un à un.

« Où est Walter ? dit-il en dévisageant Liam, qui haussa les épaules.

— Je ne l'ai pas vu depuis qu'il est parti de l'entraînement, mercredi. J'ai essayé de l'appeler mais il n'a pas décroché. »

Victor, cloitré dans la sécurité éphémère de sa chambre. Victor au corps torturé, à l'esprit brisé, au cœur broyé. Victor avait vu les appels, pelotonné sous ses couvertures, la cigarette entre les lèvres. Il les avait ignorés. Peur, encore, régissait ses actes. Elle avait ordonné de l'isoler. Peur craignait que Karl ne criât, qu'il ne frappât à la porte, que quiconque ne l'entendît à travers le combiné. Elle appréhendait qu'on découvrît les plaies sur le visage. Il était rare que son visage morflât. Son père restait prudent. L'alcool le rendait précautionneux. Mais cette fois, il s'était déchainé sous l'emprise de la sobriété.

Jay claqua la langue en repoussant les cheveux qui tombaient sur son front d'un geste rageur. Son regard balaya de nouveau ses coéquipiers. Méprisant, le regard.

« Personne ne sait s'il compte venir ? » dit-il en se figeant encore sur Liam.

Tous secouèrent la tête. Il fallait dire que le jeune homme aux cheveux verts demeurait discret. Pas un mot, pas un geste, pas une respiration de trop ; il se fondait dans le décor. On ne le remarquait pas davantage sur le terrain. Il se coulait dans le moule sans faire de vague. Il s'enfermait dans ses livres et ses silences. On ne le connaissait pas, Victor. Il ne se laissait pas découvrir.

« Il me le paiera. »

Jay enfila une genouillère avant de reprendre.

« Joe, tu prends sa place. Ailier fort, tu sauras faire ? »

Il n'attendit pas de réponse, saisit gourde et serviette et quitta le vestiaire d'un pas vif. L'heure avançait, les matchs commenceraient bientôt. Yan glissa une paire d'écouteurs dans ses oreilles et sortit à son tour, reclus dans sa bulle de concentration. Les autres joueurs rejoignirent le terrain pour s'échauffer. Un peu en retrait, Elias traînait des pieds dans les couloirs. Le dernier match... Il soupira et interrompit son trajet par un crochet aux toilettes.

« Tu ne comptes toujours pas te suicider, rassure-moi ? »

La voix froide d'Eden hérissa les poils de sa nuque. Il apparaissait dans le miroir, un rictus moqueur sur le visage. Il s'adossait à un mur. Ce jour-là, pourtant, son indolence ne le dérangea pas. Elias se contenta d'un bref sourire et retourna à la bataille contre ses cheveux indomptables.

« Tu n'as pas l'air particulièrement excité par la finale », dit l'ange en approchant, la démarche feutrée.

Son protégé remarqua ses pupilles dilatées. Elles l'étaient en permanence.

« Pas spécialement. Je me fiche de gagner, je crois.

— Vraiment ?

— Je te l'ai déjà dit, non ? Je me fiche d'être le plus fort, j'ai appris à me relever malgré la chute. Ne pas rester à terre, c'est le plus important.

— Tu me l'as dit, oui. Tu as bien de la chance.

— Qu'est-ce que tu veux, Eden ? dit Elias en nouant enfin son chignon.

— Rien.

— Pourquoi es-tu venu ?

— Je... »

Il hésita. Sous sa langue, les mots se défilaient, comme empêtrés dans la colle de ses mensonges et de son arrogance.

« Je voulais savoir comment tu allais. Bon match. »

Il n'ajouta rien. La porte se referma sur son dos. Son odeur de menthe s'éloigna et le jeune homme songea qu'il l'appréciait, finalement, cette odeur. Le souvenir de cette journée sous la pluie, baignée du parfum fuyant, ne suffisait plus à l'en dégoûter. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer l'être à la chevelure corbeau et aux yeux de nuit, sa peau claire et les grains de beauté qui s'y découpaient. Décidément, il s'en délectait. Tant de l'image que de l'effluve.

Le nez satisfait, il se rendit sur le terrain et, moins d'une heure plus tard, le dernier match de la saison débutait. Victor, quant à lui, manquait à l'appel.

Lessivés, les joueurs s'effondrèrent sur le sol. La première mi-temps s'achevait : leurs adversaires les avaient menés sans aucune difficulté. Jay tapotait frénétiquement du pied contre les marches de l'escalier sur lequel il s'était assis.

« Toujours pas de nouvelles de Walter ? »

Réponse négative. Il se redressa. Alors qu'il ouvrait la bouche, Noa déclama une série d'encouragements. Puis elle les invectiva sur le même ton, les incendiant des reproches qui brûlaient les lèvres du capitaine de l'équipe. Nuls, pas foutus de jouer correctement, vous allez perdre si vous continuez comme ça.

« Ressaisissez-vous, les gars ! ajouta-t-elle, les poings sur les hanches. Vous devez gagner, j'ai parié avec Eden ! J'aurais l'air de quoi s'il avait raison ?

— Il a parié qu'on perdrait ? »

La voix de Jay vibra, consternée. Son amie hocha la tête.

« Bande de feignasses, c'est une question de fierté, ce crétin ne peut pas avoir raison. »

Il s'était levé pour les surplomber.

« Ça fait mal, le manque de confiance de ton copain, pas vrai ? dit Liam en ricanant.

— Ce n'est pas mon copain, Tensen, dit son ami en lui jetant un regard sombre. Et ça ne me fait pas mal. »

A ces mots, imperceptible, un sourire effleura les lèvres d'Elias, immobile, à l'écart.

Quelques minutes plus tard, la seconde mi-temps débuta. Et s'acheva après vingt-cinq minute, avec un petit rire narquois d'Eden devant le désespoir incomparable qui lui parvint par vagues. Jusqu'alors allongé dans un carré d'herbe sèche, le nez pointé vers le Ciel morose zébré de nuages, il s'étira. Il secoua ses vêtements pour se débarrasser des brins jaunâtres, ajusta ses vêtements et retourna à l'intérieur pour confirmer ce qu'il savait déjà. L'équipe de Jay avait perdu.

Il tendit sa main gantée vers Noa qui l'écarta d'un tour de poignet. Les plis du front de la jeune femme s'accentuaient avec son froncement de sourcils.

« Allons, Noa, un pari est un pari, dit l'ange, incapable de retenir un élan de condescendance. Ne t'avais-je pas dit que tu échouerais face à moi ?

— Tu aurais pu avoir confiance, au moins.

— Pourquoi ? Un miracle n'est jamais éternel, ma belle. Et c'est diablement fatiguant à maintenir. »

Elle lui tira la langue. Il agita les doigts devant elle et, avec une autre grimace, elle y déposa deux billets. Eden contempla les morceaux de papier. Il les porta sous la lumière et s'efforça de déchiffrer les lettres et numéros qui se succédaient. Absurdes. Il les froissa ; leur fragilité l'étonna. Ils semblaient capables de se déchirer en une fraction de seconde. Une autre question s'insinua dans ses réflexions : à quoi pouvaient bien servir ces feuilles rougeâtres ? Il constatait son ignorance des us et coutumes humains. Il se râcla la gorge. Depuis quand se préoccupait-il de telles choses ? Il secoua la tête, asséna deux tapes sur ses joues pour extirper ces bêtises de son esprit. Tu es un ange, Eden. Etrange, certes. Un être-ange. Mais un ange malgré tout.

« Satisfait ? »

Jay apparut dans son champ de vision. Il fit disparaitre les billets dans sa poche.

« De quoi parles-tu ? dit-il en battant des cils.

— De notre défaite. Tu as parié que je perdrais, non ?

— N'avais-tu pas dit toi-même qu'il aurait fallu un miracle ? Je te l'ai offert pour toute la saison, et les bonnes choses sont à consommer avec modération.

— Tu m'agaces, Juste Eden.

— Je fais cet effet à ceux qui me sont inférieurs. »

Ses commissures s'étirèrent.

« Je pourrai venir, ce soir ? J'ai à te parler. »

Il détailla son interlocuteur au visage contracté. Du coin de l'œil et de l'oreille, il suivait la conversation qu'entretenaient Elias et Yan, un peu plus loin. Trop proches l'un de l'autre.

« Je dois voir quelqu'un avant. Tu m'attendras ? Tu connais le chemin.

— Qui ? dit-il en relevant un sourcil.

— Ma mère. C'est son anniversaire. »

Eden acquiesça et n'ajouta rien. Il sortit du gymnase où l'agitation s'était dissipée. Il perçut le morceau de phrase de Yan, qui expliquait avec énergie désirer entrer dans l'équipe nationale de basketball, comme son frère ainé avant lui. Il resplendissait de fierté. Alors qu'il l'évoquait, son regard s'illuminait, ses pommettes décolorées rougissaient, son sourire s'agrandissait. Ses mains voletaient pour illustrer ses propos, sa voix mêlait la douceur habituelle à l'excitation. Et Elias, face à lui, approuvait et répondait par des onomatopées qu'il parvenait difficilement à placer.

Une expression attendrie traversa le visage de l'Envoyé de Dieu, arrachée par le petit homme au crâne rasé. Lorsqu'il parvint à l'air libre, ses prunelles s'orientèrent vers le Souverain du Paradis, auquel il adressa une rapide prière. Les iris s'incendièrent, le feu s'éteignit, il avait formulé dans le silence un nouveau miracle. Yan réussirait. Il avança sur un chemin bétonné et, à chaque pas qu'il fit, il estompa davantage son apparence. En parvenant au bout des quelques mètres d'asphalte, avant de tourner dans une allée poussiéreuse, il disparut. Il se fondit dans l'invisibilité et la solitude. Sa respiration se tut, son cœur s'arrêta. Ses organes obsolètes ne fonctionnèrent plus, paralysés par la volonté impérieuse d'être ce qu'il n'était plus.

Ange.

Il erra ainsi dans les rues, sous le Soleil qui s'évanouissait à mesure que le jour fuyait. Il ne pensait pas, ne voyait pas, n'entendait pas. Autour de lui, rien n'existait plus. Tout vivait, et ce qui vivait le repoussait. Il sentait au creux de son estomac la chaleur disparaitre. Alors que le poids du paquet s'abattait, il se rappela que trois jours s'étaient écoulés depuis la dernière ingestion d'un comprimé. Les effets se dissipaient. Une voix au fond de sa conscience lui murmura de ne pas réactiver le feu qui réchaufferait son corps. Sa main quitta sa poche et y laissa les comprimés, aussi lourds que le plomb. Fardeau qu'il n'avait pas réclamé, par Ladell imposé.

La nuit tombait, les heures défilaient. Ses yeux s'habituèrent à l'obscurité. L'air autour de lui se rafraichit, refroidit encore sa carcasse que le Baiser n'alimentait pas. Trente-deux degré virgule un. La température idéale pour une créature parfaite.

Enfin, il atteignit l'immeuble de Jay. L'oxygène transgressa les barrières naturelles de son corps et alimentèrent les poumons inutiles. Son cœur s'agita et pompa le sang qui ne coulait pas hors des veines. Redevenu visible, il pénétra le hall, escalada les marches, entra dans l'appartement. Son hôte n'était pas rentré. Aussi s'assit-il dans le canapé, face à la vitre et la nuit étoilée. Il déposa sur sa langue une petite pilule ronde et s'abandonna à la contemplation du noir opaque.

*

Le bruit d'une clé dans la serrure le tira de ses rêveries. Ses yeux hagards papillonnèrent vers le grand homme à la peau tachetée qui déposait ses chaussures dans l'entrée. Il téléphonait à quelqu'un, le boîtier rectangulaire contre l'oreille. Il raccrocha. Il pénétra dans le salon et posa un regard surpris sur Eden, enfoncé dans le canapé. Il était plongé dans le noir, la lumière éteinte, et seul l'éclat de la lune qui perçait les vitres éclairait son visage. Il luisait dans la pièce ; les rayons miroitaient autour de lui. Il paraissait irréel. Le violet opaque des cernes renforçait son aspect fantomatique.

« Tu pouvais utiliser l'électricité, tu sais, dit Jay en actionnant l'interrupteur. Je ne t'aurais pas fait payer les dépenses pour cette fois.

— Ta mère va bien ? dit Eden.

— Oui.

— As-tu des nouvelles de ton frère ?

— Tu te souviens de lui ? Ta mémoire n'est pas si catastrophique. »

Jay envoya son pull sur un fauteuil.

« Tu veux manger un truc ?

— Une pomme, dit l'ange. Tu ne comptes pas répondre ?

— Il va bien. Il est sorti de l'hôpital en juillet dernier. »

Paroles abruptes, comme balayées d'un revers de main. Une once d'amertume paraissait dans sa voix rendue rauque par les cigarettes enchainées depuis des années. Il s'éclipsa dans la cuisine, revint avec le fruit réclamé. Eden s'était levé. Droit et digne, il se tenait immobile au centre du petit salon nimbé de la lumière jaune de l'ampoule au plafond. Autour de lui, les ombres chatoyaient en un envoûtant ballet dont il ne put se détacher. Jay s'approcha, ses mains entourèrent sa taille fine, soulignée par la ceinture du pantalon. Sa beauté froide l'atteignait de plein fouet ; ses entrailles se tortillaient pour échapper à l'irrésistible charme qu'il projetait. Mais on ne résistait pas. Personne, homme, femme, ange ou démon, ne pouvait ignorer sa glaciale splendeur.

L'homme embrassa du regard puis des lèvres celles délicatement rosées devant lui. Eden le repoussa.

« Je ne suis pas venu pour ça », dit-il.

Jay ne dissimula pas une expression étonnée. Il s'éloigna d'un pas et s'assit entre deux coussins. Les jambes croisées, le bras étendu sur le dossier, il l'invita à poursuivre. Le retour de l'insupportable petit seigneur.

« Je veux rompre, dit l'ange d'un timbre neutre.

— On sortait ensemble ? »

Ils se toisèrent, muets. Un « non » discret traversa l'épais silence d'où le bourdonnement d'une mouche ne transparaissait pas.

« C'est ce que je pensais.

— Je souhaite mettre un terme à notre relation, Jay Hargrove. Tu ne satisfais plus mes besoins. »

Un spasme agita le visage bicolore de l'homme. Il se mordilla la lèvre inférieure, sourcils froncés, une ride entre les deux yeux.

« Tu es tellement stupide que tu pourrais te noyer dans un verre d'eau. »

Eden esquissa un rictus.

« Je ne crois pas que mon intelligence ait un lien quelconque avec ma décision. Mais je te remercie de ce rappel. »

— Tu restes dormir ou je te ramène chez toi ?

— Je vais marcher, ça ira. »

Il recula jusqu'à l'entrée et enfila une veste assortie au pantalon qui sublimait les arcs de ses jambes. Il se baissa pour nouer ses lacets. Quand il se redressa, il se trouva nez à nez avec Jay, qui le poussa contre le mur. Son dos heurta le plâtre. Il le fusilla du regard, la mâchoire contractée, le dos, déjà douloureux, désormais criant sa peine. Le tiraillement dans ses omoplates s'intensifiait. Le bras de l'homme appuyait sur son torse, il grimaça mais ne tenta pas de se défaire.

« Tu as d'autres plans pour me remplacer ? dit Jay d'une voix persiflante.

— Rien qui te concerne.

— Pourquoi pars-tu ?

— Je te l'ai déjà dit, tu ne me satisfais plus. Je m'ennuie, avec toi.

— Comment oses-tu...

— Jay, tu me fatigues. »

Brutalité soudaine. Son regard jusque-là amusé se durcit pour ne plus renvoyer qu'un agacement hautain.

« Retourne à tes groupies, mais n'attends plus rien de moi.

— Tu es celui qui a commencé cette relation...

— Et je suis celui qui y met fin. »

Il se défit sans douceur de la rétention de son interlocuteur, ouvrit la porte et la claqua. Jay contempla le battant sombre, incapable d'amorcer un mouvement. Le claquement retentissait dans chaque recoin de son esprit, il hurlait à ses tympans. Déjà, l'ange devenu souvenir s'imposait au centre de ses pensées. Mais de la beauté qui l'avait séduit ne restaient que deux prunelles indifférentes et un sourire dédaigneux.

Son poing vrilla à travers l'air et s'écrasa contre le mur où Eden s'était tenu. La lancinante douleur qui irradia lui arracha un grognement. Il n'accorda aucun égard aux débris de plâtre tombés sur le parquet, ni aux gouttelettes de sang sur sa main et sur la peinture. Il ne voyait que le rouge de sa rage. Il tourbillonnait, le rouge, le narguait. Il lui souriait avec hauteur. Rouge Eden. Il asséna un coup de pied au sac qui trainait là, abandonné la veille, quand il était rentré de la salle de sport. Toute la frustration accumulée depuis la matinée, la défaite, les branleurs de son équipe, sa mère, son frère — ce petit con qui refusait de lui parler — explosait.

Il comptait sur le délicieux corps d'Eden pour rehausser son moral. Au lieu de ça, l'arrogant anéantissait ses espoirs d'une nuit meilleure que sa journée. En allumant une cigarette, il chercha un contact dans son téléphone. Le prénom de Soo-yun, l'une de ses nombreuses ex-petites amies, se présenta. Il l'avait quittée le lendemain de Noël. Lorsqu'elle décrocha, il songea qu'elle avait intérêt à accepter de venir ; il n'aurait pas la patience d'éplucher la liste de noms en tous genres auxquels il n'associait plus le moindre visage.

Suis-je très satisfaite du jeu de mot dont fait l'objet le titre de ce chapitre ? Absolument.

Que pensez-vous de la conversation entre Jay et Eden ? 

Et qu'advient-il d'Elias, dans tout ça ?

En tout cas, sachez que j'adore le prochain chapitre — et j'ose espérer qu'il vous plaira autant qu'à moi.

Prochain chapitre : « Chapitre XXX — Le Temps ne s'arrêtera pas »

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