Le psychologue m'a épuisé.
Je suis de retour dans ma chambre depuis une bonne vingtaine de minutes. Et en rentrant, j'ai eu la surprise de découvrir mon voisin réveillé. Il m'a paru plutôt en forme. Son sourire s'est affiché sur son visage, ce qui dessine deux petites fossettes fines sur ses joues.
Je n'ai pas énormément parlé pendant le rendez-vous. Je sentais le psy essayer à plusieurs reprises de me faire parler de ce qui n'allait pas.
Mais j'ai refusé...
A quoi bon parler ? Personne ne doit me forcer à parler, si ?
Assis sur mon lit, les jambes allongées sur mes draps, je regarde fixement la télévision en marche. Yann s'est décidé à regarder les informations régionales, sur France 3 Normandie. Voir toutes les petites choses qui se passent dans ma région me désole. J'en ai marre d'être ici. Pourtant, je viens à peine de commencer mon séjour dans ce foutu hôpital...
Je me perds peu à peu dans mes pensées, fatigué de la journée que je passe. Je n'ai presque pas mangé ce midi. Une nouvelle fois, la nourriture me donnait la nausée. Les hôtelières ont un peu grogné lorsqu'elles ont découvert mon plateau encore bien rempli.
Mon voisin a simplement picoré. Nous n'avons pas encore vraiment discuté. Mais je comprends désormais que le comportement que j'ai eu avec lui la veille ne lui a pas plu.
Il faut que tu fasses quelque chose, vieux...
Je sais, mais je ne suis pas doué pour ce genre de choses. Je ne suis pas du tout un grand parleur, loin de là. Je voudrais m'excuser, oui ! Mais je ne sais pas encore comment. Il est quand même mon colocataire ! Et puis, je le trouve quand même assez gentil !
Même s'il te réveille en plein milieu de la nuit pour une arythmie et une sorte de gastro-entérite.
Oui bon ça... ce n'est qu'un faible détail !
*
Je tourne la tête vers lui et prends une grande inspiration. Je le vois toujours en train de regarder ses informations dans une sérénité incroyable. Je me lance sans vraiment savoir ce que je vais dire :
- Yann ?
Il quitte la télévision des yeux et me sourit. Je ne peux pas m'empêcher de souffler un bon coup avant de reprendre :
- Je voulais... Pardon pour hier... dis-je d'une voix un peu tremblante. Je ne voulais pas être méchant avec toi, tu sais ?
Il fronce les sourcils et appuie sur un bouton de la télécommande pour baisser le son. Il se met assis, les jambes dans le vide, bien face à moi.
- Pourquoi t'excuser ? Tu n'as rien fait de mal !
- Si, justement ! Je me suis montré... beaucoup trop froid avec toi, hier. J'étais simplement sur les nerfs... je soupire.
Il ouvre les yeux en grand avant de lâcher un petit cri et de pousser un petit rire. Je ne comprends pas trop sa réaction, j'avoue. Mais je reste humble et le regarde, incrédule.
- Je ne t'en ai pas voulu, Hugo ! Alors oui, il est vrai que tu m'as un peu parlé comme si j'étais ton chien. Mais j'ai tendance à souvent comprendre les sentiments des gens. Tu n'étais pas content d'être avec moi, je l'ai bien compris ! Mais je comprends totalement.
- Je t'avoue que je ne comprends pas du tout ce que tu es en train de me dire... lui dis-je un peu surpris.
Il me sourit et pose ses mains sur ses genoux. Mais rapidement, une question me vient en tête et me brûle le bout de la langue.
- Dis-moi... Avant moi, tu avais quand même quelqu'un avec toi dans cette chambre ? Ou as-tu toujours été seul ici ?
Je peux le voir perdre son sourire d'un seul coup. Son regard se transforme en tristesse. Il commence alors par raconter son histoire :
- Disons que c'était un peu compliqué... Avant de me retrouver seul dans cette chambre, j'ai fait la connaissance avec un autre gars lorsque j'ai été hospitalisé ici. Figure-toi que j'étais comme toi ! J'avais peur et je ne voulais pas parler avec qui que ce soit. Même quand le type essayait de me parler, je ne répondais pas ou je l'envoyais se faire voir. Puis petit à petit, je me suis calmé. J'ai commencé à apprécier sa présence. Mais... soupira-t-il. Il a été opéré mais n'est jamais revenu.
Sa dernière phrase me glace le sang. Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne s'arrête pas dans son histoire :
- Il avait eu un accident plusieurs mois auparavant. Une chute brutale à moto si je ne dis pas de bêtises. Il a été transporté dans différents services avant d'être arrivé ici. Mais il a fini par apprendre qu'il avait une tumeur cardiaque au dernier stade. Il savait qu'il n'allait revenir vivant de cette maladie. Au départ, tout allait bien. Puis son état s'est dégradé d'un seul coup. Les médecins ont tout essayé. Des opérations, des médicaments... Tout ce qui existe dans le monde médical. Je m'entendais vraiment bien avec lui ! Il était à peine plus âgé que nous deux ! Il avait une petite copine, Charlotte, beaucoup trop gentille ! Tout allait réellement pour le mieux ! Puis un soir, le docteur Colzen, un médecin qui le suivait depuis le début, est venu le chercher avec une équipe en pleine nuit. Ses machines ont commencé par faire un bruit monstre dans tout le couloir. Cette nuit-là, je n'ai pas dormi une seule fois. Et lorsque j'ai vu le médecin débarqué le lendemain matin, j'ai compris que je ne le reverrais plus... dit-il avec une voix brisée.
Je peux voir des petites larmes rouler le long de ses joues. Je peux ressentir de la douleur dans ses paroles, sur son expression de visage. Il balaye ses larmes d'un coup avec son avant-bras et renifle.
Je ne peux pas bouger. Je suis tétanisé face à son histoire. Il a vu son colocataire mourir et n'a rien pu faire. Je sens une énorme tristesse m'envahir. Ma vue se trouble et je me décide quand même à me lever pour m'asseoir à ses côtés. Il est toujours là, assis, la tête baissée.
Une main sur son épaule, je tente de le rassurer le plus possible.
Pendant son récit, j'ai ressenti cette infinie douleur, tout comme lui. Son visage est marqué par le traumatisme de la mort.
- Je regrette tellement de t'avoir parler sur ce ton hier... dis-je doucement.
- Arrête, Hugo... Tu ne pouvais pas savoir...
- J'ai été un chien avec toi, Yann. Et vraiment, j'en suis désolé. Et je le suis encore plus maintenant que j'ai appris l'histoire que tu viens de vivre... Vraiment pardon...
Il me chuchote d'arrêter et j'attends qu'il se calme un peu. Lorsque les larmes sont finies, nous nous séparons et on se regarde dans les yeux. Je suis frappé par la couleur claire de ses iris.
Comment c'est possible d'avoir des yeux aussi clairs que ça ?
Un sourire s'affiche sur son visage et il pose une main sur mon épaule.
- Merci de m'avoir écouté...
- Il fallait bien que je rattrape mon coup, non ?
- Arrête... je t'ai dit que je ne t'en voulais pas ! dit-il en rigolant un peu.
- Mais moi je m'en veux de m'être comporté comme un connard avec toi, Yann.
Sans que je ne m'y attende, il me tend sa main vers moi. Je le regarde sans vraiment savoir ce qu'il attend. Un sourire assez timide s'affiche sur son visage.
- Qu'est-ce que tu attends de moi ? lui demandé-je un peu perdu.
- Amis ?
Je rigole nerveusement à sa proposition, encore plus surpris que je ne le suis déjà. Mais en voyant qu'il était sérieux, je lui demande.
- Tu fais comme les gosses de cinq ans pour avoir des amis ?
- J'ai toujours aimé faire ! On me dit que c'est mon petit côté gamin !
Je souris et rigole franchement avant de serrer sa main. J'ai l'impression d'être devenu un enfant qui vient de me faire un nouvel ami. Mais ce genre de contact me fais rappeler que je ne suis pas tout seul...
*
Plus je parle avec mon voisin, plus je sens un contact important se former entre nous. C'est comme si on se connaissait depuis des années. On se raconte quelques blagues nulles, sur notre vie d'avant, sur nos familles et sur nos amis.
A vrai dire, il parle beaucoup plus que moi. Lui vient d'une famille assez grande mais pauvre. Il a deux frères et une petite sœur. Ils vivent tous les trois dans un appartement dans le centre de la ville. Il faisait des études dans le cinéma avant que sa vie ne tourne au drame.
Il a appris sa maladie lors de son vingt-et-unième anniversaire. Une attaque... Il était entouré de ses amis lors de cette soirée. Il a été réanimé en urgence et transporter par les pompiers. Il présentait des troubles depuis plusieurs mois, mais personne n'a été vraiment alerté par son état. Il a passé deux semaines en réanimation avant d'être hospitalisé dans cette chambre.
Le point commun que nous avons, c'est qu'il a fait aussi énormément d'aller et retour entre son appartement avec sa copine et l'hôpital. Il avait une vie heureuse lorsqu'il était avec sa petite copine. Ils ont des projets comme se marier et avoir des enfants. Ils rêvent même d'aller vivre au Canada.
Je peux lire dans ses yeux le bonheur qui s'affiche lorsqu'il parle de sa copine, Anna. Il m'explique même que c'est elle, son calmant, sa protection. Son amour pour elle me donne la chair de poule.
Je déteste tomber amoureux.
Jamais je ne tomberais amoureux, c'est certain. Avec ce qu'il s'est passé pour ma mère ou pour la plupart des gens qui m'entourent, je ne suis pas spécialement attiré par l'amour dans le sens d'aimer ta moitié jusqu'à ta mort.
Adolescent, vers mes treize ans, je rêvais d'une fille qui serait toujours à mes côtés, tous les jours, jusqu'à la fin. Je voulais découvrir cette sensation qui est souvent décrite comme la meilleure chose qu'on puisse ressentir.
Mais au lycée, les conquêtes d'un soir n'ont fait que de me dégoûter. Je voulais être comme tout le monde, avoir mon petit réseau de soirée pour pouvoir profiter d'un moment intime avec une fille
Quel idiot d'avoir commis cette erreur...
Ce n'était pas ce que je voulais... Je ne désirais que de l'amour propre, pas d'une simple nuit sans rien derrière. Plus tard, j'ai compris qu'on ne pouvait pas avoir d'amour propre. Maintenant, tu couches avec une personne pour te soulager après une dure journée.
C'était comme ça avec maman et papa ! Quand mon géniteur était encore avec ma mère, il profitait toujours, après une dure journée de travail, de se faire une petite partie de plaisir avec elle. C'était souvent un supplice de les entendre faire grincer le lit ou pousser des petits cris.
Voilà à quoi ressemblait l'amour dans ma famille.
Le sexe !
Rien que le sexe, pas autres choses ! Parfois, ça faisait des câlins, des bisous, des cadeaux ! Mais la majorité du temps, c'était très tactile. Mon père m'a souvent répété que c'était une chose importante de se montrer proches de sa femme.
Mais ma mère n'était pas du genre à vouloir s'envoyer en l'air toutes les nuits avec mon père. C'est une grande catholique et elle est très attachée à sa religion. Papa détestait quand elle ne voulait pas faire ce que, lui, aurait voulu.
*
Mais pour en revenir à Yann, je sais qu'il n'est pas comme ces autres hommes qui cherchent à se montrer avec sa nana. Nan, lui, est plutôt du genre à vouloir que sa copine soit heureuse. Son sourire et son regard en dit long sur ses sentiments.
Je trouve qu'on en trouve rarement des mecs comme Yann, sans prise de tête et toujours de bonne humeur.
C'est ça que j'aime chez ce mec : sa bonne humeur et il y a zéro prise de tête avec lui.
Finalement, je sens que je vais bien m'entendre avec lui...