ghettoyouth - graine dans la...

By Enfantdelaville

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« Ghettoyouth marche en solo, parce que dehors gros la confiance est morte. » Sincère, Noémie, Mehdi, Assia e... More

Sincère, Vol.1
Noémie, Vol. 1
Assia, Vol.1
Mehdi, Vol. 1 (Partie longue et intense, prépare-toi !)
Iskander, Vol.1
Noémie, Vol.2
Assia, Vol. Final
Sincère, Vol. Final
Iskander, Vol. Final
Mehdi, Vol. Final - (FIN DE L'HISTOIRE) -
-Annexe/Suites/Retours-

Noémie, Vol. Final

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By Enfantdelaville

C'était presque devenu routinier de passer mes journées de révisions et mes soirées chez Chloé en compagnie de sa mère les quelques fois où elle était là. Elle dinait avec nous et nous racontait sa longue et terrible journée avec un verre de vin rouge remplit à chaque fois de manière non-conventionnelle. Mais bon, tout ça fait désormais parti du passé, les révisions sont finis, le bac est passé pour moi comme pour les autres. Ma mère est en larme au téléphone maintenant que je lui annoncé que je suis bachelière.

« Admis mention assez bien maman... Ouais, bah ouais c'est bien... Bah 12 quelque chose j'ai eu ouais.. Oui maman moi aussi je t'aime.. Mais non, pleure pas maman... ».

Lorenzo m'a aussi félicité par sms.

L -: C'est carré ma reuss, jui fer de toi !

Accompagné de quelques émoticones dont je ne vois pas le lien avec son message. Ça c'est adouci à la maison, l'histoire de la dispute est devenue presque ancienne à nos yeux. Pourtant, il s'éloigne de maman et moi. Il grandit je pense, c'est tout. Mélissa m'a aussi appelé pour me féliciter, elle m'a préparé une surprise. A voir pour la dernière, je suis intriguée.

La dernière fois que nous nous étions réunis à quatre, j'allais en révisions chez Chloé. Ça remonte à bien 2 mois maintenant, ça date. Assia, Iska' et Mehdi ont tous eu leur bac. Iska a tapé une mention très bien, mais semble préoccupé par autre chose. Il prend alors rapidement la fuite après que l'on est un peu discutés de nous et de ce que l'on a fait pendant ce temps. Assia fait de même, elle reste un peu avec nous par courtoisie avant de partir rejoindre Zoé. Puis nous nous retrouvons à deux avec Mehdi. Il m'avoue qu'il comprend pas sa note.

– Je pensais avoir tout baisé, j'te jure. Mais bon, mehlich, c'est du passé maintenant, ma mère et mon père vont être contents. Puis mon frère, j'ten parle même pas !

Après m'avoir exprimé sa joie, lui aussi me laisse seule dans la cour, au milieu de ces familles amoureuses et fières de la réussite de leurs gosses. Je décide alors de faire un dernier tour de l'établissement, moi qui l'ai tant détesté tout au long de l'année. Je passe alors dans le gymnase qui est vide de monde. Je fais un tour dans les vestiaires, prends une balle de basket situé dans les rangements puis effectue quelques lancées à 3 points et quelques lay-up avant de la déposer pour de bon.

Je rentre ensuite dans le bâtiment principal puis j'emprunte les escaliers pour atteindre la salle E205 où avait lieu nos cours d'histoire-géo' avec madame Rutter. Je m'assois à ma place habituelle, puis à celle du prof avant que la technicienne de surface me dise que je dois libérer la salle et que je n'ai pas le droit d'être là.

Au deuxième étage, je regarde la vue que donne la pièce C312 devenue mythique car entre 8h et 10h, on pouvait les lundi, mercredi, et jeudi apercevoir de la fenêtre un couple en train de sauvagement baiser. Les rideaux étaient secondaires pour eux, ils étaient peut-être exhibitionnistes.

Je descends les escaliers dans le calme et avec une infime tristesse. Moi qui ai pris l'habitude de courir, et de les déballer afin d'arriver le plus rapidement dehors, je me sens désormais comme collée aux recoins de chaque pièce que je franchis. Une page se tourne vraiment en fait.

Dehors, la cour s'est vidée de moitié, les quelques familles restantes discutent avec les professeurs. Certaines personnes ont tout comme moi fait un tour du lycée a fin de s'imprégner du maximum de souvenirs existants. Je quitte l'établissement d'un pas déterminé et solide. Ça y est, nique sa mère tout ça, je l'ai voulue ce moment dans le fond. Devant, personne est là et pourtant, j'attends. Les autres sont déjà partis Mimie, personne viendra te rejoindre.

Chloé part tout compte fait au Canada pendant une année. Elle avait besoin d'une, je cite : « année sabbatique après tout le putain de stress accumulés ces derniers temps ! »

Je l'ai vu une dernière fois durant la dernière ligne droite des révisions. Elle avait un œil au beurre noir, une joue gonflée et une cicatrice qui partait de sa lèvre supérieure à inférieure couleur rouge fraise.

Le sang avait séché laissant une sorte de plaque aux allures de croute. Elle m'avait expliqué qu'elle s'était faite agresser à l'entrée de chez elle et que le mec avait voulu lui prendre son scooter.

Je lui avais dit qu'on devait rechercher ce mec et lui baiser sa mère à ce fils de pute mais aussi que les caméras qu'elle possède chez elle pourraient nous aider dans les recherches.

Mais ce soir là, les caméras n'avaient rien enregistré. Le mardi 9 juin était un jour qui n'existait pas, qui n'existait plus ni dans les archives des caméras supprimés, ni auprès du fournisseur et ni dans l'ordinateur qui enregistre automatiquement les images.

Quand je lui ai demandé pourquoi il était pas parti avec le scooter ni même avec son casque qui coûte une blinde pour les amateurs de moto, elle n'a pas su quoi répondre mis à part prétexter le fait que l'agresseur « était revenu à la raison » après qu'elle l'ait placé devant le fait accompli.

Ses parents aussi ne comprennent pas. Du moins, ne veulent comprendre et préfèrent passer à autre chose tout comme le fait surnoisement Chloé. Après tout, elle s'en va dans quelques jours à Vancouver, on va pas se rajouter des tâches.

De retour chez moi, l'appartement est vide. J'aère les pièces, mets de la musique puis danse. Chacun de mes pas est libérateur et enivirant. Je parfume la pièce d'un désodorisant puis remets une autre musique. L'interphone sonne, c'est Mélissa. Ça sonne de nouveau à la porte cette fois-ci, c'est Mélissa. Elle me prend dans ses bras avant de m'embrasser presque partout sur le visage pour me féliciter pour mon diplôme, elle manque de presque m'embrasser sur les lèvres. Elle rentre, complimente la propreté de l'appartement et l'odeur du désodorisant avant de s'affaler sur le canapé pour s'allumer une clope. Elle m'avait pas manqué, j'aurais aimé que notre amitié se limite à des appels vidéos je crois.

Curieuse, elle me demande comment se sont déroulés les épreuves, comment se passent les examens, si j'étais stressée, si je pensais avoir les reçus et plusieurs autres questions relatives à cet examen qu'elle ne connaitra jamais dans sa vie. Mais je n'ai pas envie d'y répondre.

– Ouais mais bon, c'est passé tout ça.. Viens on parle d'autres choses en vrai Méli', je veux me changer les idées. Je veux sortir. Lui dis- je.

Ni une ni deux, nous nous retrouvons dehors.
La BMW série 1 de sa sœur est une pépite. Pendant les révisions, je me suis passionnée pour les belles voitures et celle-ci est un petit bijoux. Mélissa conduit sans permis, rien ne l'effraie.

Ça faisait presque 6 ans que j'étais pas allé au cinéma de moi-même, Mélissa elle presque 4 ans. Les dernières sorties étaient nulles et à ça le prix, rien ne me chauffait à y aller. Mais maintenant, nous y sommes.

On va visionner «Le Chemin clair», un film à l'af fiche depuis à 8 semaines dont le résumé est : Charles, un jeune étudiant en dernière année d'école de commerce et descendant d'une famille bourgeoise industrielle lyonnaise renverse alors qu'il est à moto près du quartier de la Guillotière, Fatima, une maghrébine voilée et lui retire par la même occasion son foulard. Il voit ses cheveux, tombe amoureux d'elle et fait alors tout pour avoir son cœur. Il se convertit alors à l'islam sunnite, confronte les frères de sa douce et séduit les parents de sa désirée au point même de couper les ponts avec sa famille respective. Les familles finissent par accepter leur amour après une succession de montagnes russes.

Le magazine Pluie de Culture a noté le film 3,8/5. Yves Huliau, le critique cinéma écrit : « Une salve de notre société française contemporaine. Entre déchirure, confrontation, conversatisme, amour, haine, religion et tolérance, qui l'empotera dans cette bagarre robuste et sentimentale ? »

HustlinFromFrance, un média indépendant urbain crée en 2012 et composé essentiellement d'anciens étudiants ayant bénéficié de la bourse au mérite afin d'intégrer les plus grandes écoles du territoire français mais aussi de quelques chroniqueurs de cités dépolitisés n'y va pas de main forte :

« Si le début du film nous biberonne de clichés que l'on connaît, ce dernier se voit innovateur dans l'inclusion de nouveaux acteurs et de la qualité visuelle rendue. Ce film est La France, la vraie mixité, celle que l'on voie tous les jours dans les coins de nos rues. Black, Blanc Beurre, les cités non-manichéenne, la vie d'en bas et d'en haut. S/o à Rémi Graguon pour Charles et Salima Rou fik pour Fatima. Actings fous ! Gros big up ! »

Le cinéma est vide en ce jeudi après-midi. Mélissa part faire diversion auprès du surveillant et mime que la place qu'elle a prise sur internet ne s'affiche pas. Elle manque pas d'être tactile avec ce dernier en l'attrapant par le poignet, par les avant-bras, et rigole avec lui quand ce dernier commence à se moquer du fait que sa place ne s'affiche pas. Je passe devant eux, montre mon ticket acheté à moitié prix et il me laisse passer sans m'indiquer la salle et me dire bon visionnage comme il est censé le faire. Il finit par laisser Mélissa en l'échange de son Snap. Elle est forte, mais lui est vraiment con.

Le film débute. On y voit Charles sur sa moto faire le tour de son 6ème arrondissement puis passé rendre visite à sa mamie qui habite quant à elle dans le 2ème arrondissement de Lyon. Il est proche d'elle, ils sont complices et il se confie beaucoup à elle. Les journées passent, il étudie la finance, boit des verres avec ses amis et couche avec des filles de sa de la haute bourgeoisie. La relation avec ses parents est respectueuse et hiérarchique, avec ses frères amicales, telle une bande de potes. Lors d'un barbecue enivré près de Saint-Cyr-au-Mont-D'or, il se dévoue et part toucher la commande de shit de son pote dans le quartier de la Guillotière. Il y voit un décor tout autre, différent du sien, aux antipodes des avenues arborées et symétriques de son quartier. Perturbé et apeuré, il renverse Fatima. Il s'empresse de l'aider à se relever et tombe sur une demoiselle à l'énergie enivrante dès les premiers contacts. Elle est sensuelle, aux yeux noirs, à la peau mâte et porte un parfum qui lui rappelle ses souvenirs d'un voyage plus jeune en Egypte. Il le sait, il est amoureux. S'ensuit alors une succession d'allée et venue à la Guillotière, mais aussi à Vénissieux, de confessions à sa mamie sur l'amour qu'il porte à Fatima, d'éloignement et de disputes avec ses frères mais aussi de prise de distances avec ses potes de l'école.

Fatima finit par tomber sous son charme petit à petit voyant les efforts d'intégration qu'il fait.
Les frères de cette dernière ne veulent pas de ce Blanc, mais Charles est téméraire. Il confronte alors même ses cousins et ils finissent tous par céder. Ils perçoivent au final en lui un homme pieux, méritant et solide. Les frères de Charles se lient d'amitié avec la famille de Fatima et remarquent que les points communs sont nombreux, de quoi facilité les choses.

Non diffusé dans la bande-annonce, une fille naîtra quelques semaines après la mort de la mamie de Charles. Dans leurs confidences, elle souhaitait que cette dernière s'appelle Nour car cela signifie « Lumière »

Son dernier testament sera exaucé, Nour naîtra le 29 juillet 2027. La dernière scène se déroule à La Mecque où se sont rendus Charles, Fatima et leur fille désormais âgée de 5 ans. Ils sont en FaceTime avec les deux familles réunies à cette occasion chez les Bruyère, la famille de Charles.

Tous souriant, bras dessus bras dessous, le film touche à sa fin.

A l'arrière de la salle, j'entends les gens acclamaient le réalisateur et les scènes émouvantes et déchirantes. Des petits collégiens qui avaient sûrement séché les cours crient qu'il était bien, que Karim le cousin de Fatima est un bon et qu'ils reviendront le voir lors d'une prochaine séance.

De retour dans la voiture sans que l'on ait parlé du film que je trouve pour ma part cliché, irréaliste et fétichiste, elle m'emmène chez elle sans que je lui demande. Elle sait aussi bien que moi que je n'ai rien de prévu, que mes contrats amicaux avec les autres ont pris fin à la fin des examens et qu'il ne me reste qu'elle. Arrivées chez elle, seule sa sœur est là revenue de Lyon, elle reste ici pour quelques jours. Sa sœur me prend dans ses bras avant de prendre de mes nouvelles en chap-chap. Discrète, timide et repliée sur elle-même, elle est vraiment opposée à Mélissa malgré les traits du visage identiques. La ressemblance est là, à la différence qu'elle est plus chétive et bronzée.

A la vue d'un regard croisé avec Mélissa, elle est comme sous son emprise se fait petite et m'adresse à peine quelques mots de peur que Méli' lui dise quelque chose. Nous montons les escaliers et à l'étage, elle ouvre une pièce.

– Regarde, c'est ici que Mehdi a baisé Clara. C'était marrant parce qu'on entendait tout. Certains sont même rentrés dans la chambre pendant qu'ils dormaient. Me dit-elle

Ce « Certain » est Mélissa. Elle sort son téléphone et dé file des photos classées dans un dossier spécial de son smartphone. Elle me montre des photos de leurs visages pris de près et assommés par le sommeil puis une autre où on l'on aperçoit le sein de Clara et enfin un selfie où elle s'est positionnée devant le lit pendant que les deux dorment à point fermés.

Au premier plan de cette photo, on y voit que ses yeux maquillés. Au second plan, on aperçoit le buste des deux dormant séparément et au troisième plan la fenêtre qui reflète la nuit sombre de cette soirée. Elle vêt un regard malfaisant, impur et un sourire malicieux pendant qu'elle me montre les photos. Elle est heureuse de l'intrusion qu'elle a faite ce soir là et du fait qu'elle détienne sur eux des, je cite: « dossiers chauds qui pourraient niquer leur vie ».

L'odeur de la sauce tomate, d'ail et de persil remonte jusqu'à l'étage, de quoi me redonner l'appétit après ce que je viens de voir. La table est déjà mise pour nous deux, sa sœur préfère manger seule sur le canapé. Depuis que je les connais, leur fraternité a toujours été ambivalente, mais depuis quelques années et surtout quelques mois, elle a pris une autre tournure en devenant plus marquée. Les différentes influences, le développement du caractère personnel et le fait que sa sœur soit partie vivre ailleurs ont fait qu'elles se voient changer encore plus rapidement qu'auparavant.

Mélissa en a longtemps voulu à sa sœur d'être trop frigide, trop discrète et pas assez aventurière. Elle lui a aussi reproché de ne pas lui montrer le sens de la vie d'une ado et de manquer ainsi à sa tâche. Muse, à deux taffes' d'être parfaite, elle aurait aimé que sa sœur soit plus folle, plus dingue, plus vivante et non cette fille droite qui n'a jamais su quoi dire ou quoi faire avec à sa petite sœur, cette bombe à retardement émotionnel et psychologique. Un jour Mélissa explosera d'elle-même, je le sais. Sinon, je l'exploserai moi-même.

On quitte la maison la laissant seule sur ce même canapé où elle nous prononce un simple « A toute ». La porte de la maison claque, celle de la portière aussi. Au téléphone, Méli donne rendez-vous au parking du centre-ville à plusieurs filles en même temps dont je reconnais à peine les voix. Certaines viendront plus tard, d'autres sont déjà sur place.

– Ce sont des filles que j'ai rencontré il y a pas mal de temps. On s'est données rendez-vous ce soir. Je les ai presque toutes faites venir, je veux que tu les vois, c'est ça ma surprise.

Mes sentiments sont partagés entre l'envie de voir l'entourage qui la suit quotidiennement et la volonté de fuir aussi loin que possible.

Le parking se vide de ses dernières personnes et se remplient de nouvelles têtes. Elles arrivent une à une et souvent par groupe, elles sont charmante et sensuelle, mais d'autres sont vieilles, mature, simple et reculée dans leur temps. Pour la plupart, elles sont accompagnées leurs compagnons. Au final, on doit être moins d'une dizaine sur ce parking. J'en reconnais aucune et essaie malgré tout de voir si l'une des têtes présente m'est familière. Mélissa finit par faire des présentations à distance.

– Elle s'est Fanny, elle travaille comme cheffe d'équipe au sein d'une grande entreprise de commerce. Elle propose des plans de ventes de smartphones, de produits d'électro- ménagers qui ne sont pas répertoriés dans le magasin puis les vend sur les réseaux sociaux par le biais de nous tous. On lui fait de la promo et crois moi qu'elle en ramasse des sous !

Cette gentille dame aux allures de secrétaires ne donne pas l'air de flirter avec l'illégalité, elle doit être la plus vieille de nous toutes et pourtant, elle est celle dont la joie de vivre animent le plus notre rendez-vous. Elle me présente ensuite Victoire, qui est la fille dont elle paraît la plus proche ici.

Son acné cachée derrière sa tonne de peinture donne des reliefs sur son visage. Grossièrement maquillée, ses gestes timides et lourds la rendent faible, inoffensive.

Petit à petit, les personnes se rapprochent et forment un petit groupe où chacune parle et s'écoute. Elles se regardent, sont attentives à ce que chacune d'entre elles dit et n'hésitent à pas à approfondir les propos d'une de leur camarade et à se montrer curieuse. Sandrine raconte sa journée compliquée de négociatrice immobilier et ses anecdotes, Gaëlle sa difficulté à sortir de l'hôtel après le long trajet effectuée depuis Orléans juste pour le rendez-vous, et Mélissa déballe nous vies dont les regards se tournent premièrement sur elle puis sur moi dans un autre temps.

Des regards d'attentes, d'écoutes et de bienveillance auxquels je ne réponds pas. Elles comprennent mon caractère réservé puis, reprennent de plus belle sur un autre sujet avant que les conversations se dualisent avant de s'individualiser et de nous laisser alors toutes deux seules. Elles partent petit à petit.

Mélissa a la tête posée sur mon épaule et regarde avec moi le tableau vivant qu'il y a devant nous avant de s'exprimer.

- Tu dois te demander où est-ce que je les ai connus. En fait, il y a quelques mois j'ai pris part à un groupe de parole pour vaincre la dépression, c'est là où je les ai rencontrés. Depuis, j'y suis plus retournée mais j'ai gardé contact avec elles. Elles sont d'amour.

Des duos se rapprochent de leurs voitures respectives afin de poursuivre leurs conversations. Elles quittent notre vision directe.

– Toutes ses photos de culs et de pieds 3envoyées, tous ses réels*, tous ses messages de porcs et vulgaires reçus, j'ai fini par péter un plomb j'te jure. L'argent rentrait de fou putain Méli' t'as pas idée, mais à la fin j'ai perdu le sens. Je me comprenais plus, me reconnaissais plus.

Ses lèvres et ses mains s'agitent. Elles se confie davantage, s'agrippe à moi, me serre fort, très fort au point qu'elle me pince la peau. Ses mains et ses lèvres tremblent encore, je lui caresse la paume afin de la détendre.

– Mes parents ont vu mon train de vie mais ce sont jamais inquiétés. Ils pensaient que je faisais une phase où que « je faisais des trucs de ma génération » alors que j'allais juste mal. Ils ont jamais vu mon mal-être, la sphère dans laquelle j'ai atterri. Ma sœur l'a vu elle. Elle a vu ma détresse et mon angoisse.

Alors que des pas se dirigent vers nous, Mélissa essuie ses larmes d'une traite laissant un visage qui paraît épuisé. Les personnes nous disent leur au revoir ou leur à bientôt pour celles dont le déplacement se comptent en centaine de kilomètres maintenant. Les moteurs démarrent, les voitures fuient nous laissant alors vraiment toutes les deux. Victoire nous voit mais se contente d'un baisé de loin que nous mimons de rattraper et de serrer près de notre cœur, avant de la suivre du regard et la regarder se plonger dans les places piétonnes du centre-ville.

– Rien n'allait entre ma sœur et moi. Pourtant, ç'a l'a pas empêché de me dire que je lui faisais honte, qu'elle allait être tante d'un enfant de pute pute à ce rythme et que je n'avais qu'à me démerder. Puis, par je sais pas quel miracle, la personne qui me mettait la pression pour que je continue de vendre mon corps a disparu, bam, comme ça. Du jour au lendemain, plus de demandes, plus de messages, rien. La liberté putain.

Elle fait référence à Joanna. Ses larmes ont séché, elle adopte alors une voix sèche, raide et déterminée.

– Comme ma sœur ne m'a pas aidé quand je souffrais, j'ai décidé alors de la faire souffrir. C'est du donnant-donnant. J'ai attendu qu'elle revienne de Lyon et ce jour est arrivé avant- hier. Alors qu'elle était allongée sur le canapé, je me suis avancée vers elle. Je me suis mise sur son buste dans un naturel déconcertant et j'ai serré mes mains autour de son cou. J'ai vu mes ongles rentrer dans sa peau, j'ai vu ses yeux veineux sortir de sa tête et absorbé son regard tétanisé, terrifié et morbide. J'ai aimé sentir ses ongles griffées ma peau supérieure, j'ai joui de la sentir se débattre, de la voir me supplier jusqu'à ce que notre père me sépare d'elle.

Le tableau est vide mais je peins cet espace maintenant inoccupé par le récit qu'elle me livre. Le cou rouge presque ensanglanté, les yeux dessinés de vaisseaux sanguins, les suffoquement, l'étouffement, les objets qui tremblent et tombent, et la ténacité de Mélissa dans son acte odieux.

– J'ai eu ma vengeance Noémie. Pour tout ce qu'elle m'a fait et pour tout ce qu'elle m'a dit. Pour tout ce qu'elle m'a caché et pour tout ce qu'elle n'a pas fait pour moi, sa naturelle protégée, sa petite sœur chérie.

Demain nous serons vendredi. Si y avait encore cours, je raconterais l'histoire aux trois autres dans le bus à 8h du matin, sans aucune pudeurs, sans l'ombre d'une gêne. S'il y avait encore cours, je leurs dirais comment ma meilleure amie dépressive chronique, manipulatrice et aux pulsions meurtrières réalisatrices a tenté de commettre un fratricide. Iska m'aurait dit qu'il m'avait prévenu mais que je faisais la sourde, Mehdi m'aurait dit que c'est une pute et qu'il me l'avait déjà dit. Quant à Assia, elle m'aurait dit Mélissa est une fille perdue, blessée, qui a besoin d'aide, qui possède des traumas et que je devrais y aller molo avant d'éventuellement couper les ponts avec elle.

Dans la voiture, le silence est roi. Je me prononce pas et préfère regarder l'horizon ou mon téléphone que j'utilise en guise d'échappatoire à une éventuelle conversation. Dans la voiture, j'entends ses reniflements et ressens sa conduite agressive jusqu'à ce qu'on arrive chez moi.

– On se voit bientôt hein, Noémie ? Me demande-t-elle le visage couvert de larmes, de morves et de mascara dégoulinant jusqu'à sa lèvre inférieure. Elle tremble de nouveau, je la trouve juste répugnante, elle me dégoûte.

– Ouais, t'en fais pas.

La voiture démarre uniquement au moment où la porte du block se claque. J'emprunte les escaliers où je tombe sur Pinsson et Fabi, les deux clochards que j'ai pris l'habitude de dénigrer pensant que je suis meilleure qu'eux sur bien nombre de domaines. Ça faisait longtemps que je les avais pas croisé par ailleurs. Ils sont défoncés et fatigués. Le biberon est plein mais leur regard est vide, ils paraissent peu surpris de me croiser. Un peu plus, j'aurais parié qu'ils m'attendaient. Cette fois-ci, aucune pluies d'insultes et de taquineries juste nos regards vides et tourmentés. Fabi me sert un verre de sa boisson marron puis les deux se serrent me faisant une place à côté d'eux.

On est agglutinés, collés et à l'étroits. De plus près, je ressens leur odeur de tabac froid mélangé à un parfum aux arômes de cèdre. Ils finissent par me dire qu'ils ont croisé ma mère et mon frère plus tôt dans la journée, qu'ils ont aidé ma mère à porter ses courses et qu'ils ont décalé une clope à mon frère, dont j'apprends par la même occasion qu'il est fumeur.

Je leur demande alors leurs journées. Pinsson a déposé sa fille puis s'est rendu à la boîte d'intérim qui n'avait pas d'offre pour lui aujourd'hui. Il s'est présenté à 9h15. Ils lui ont dit de revenir plus tôt la prochaine fois. Il a expliqué qu'il devait déposer sa fille à l'école avant ça, ils ont rien voulu savoir. Il a encore alors tenté de voir Eglantine, secrétaire à la mission locale du quartier pour voir si elle avait du taff pour lui, mais elle lui a déjà dit qu'il était désormais trop vieux pour venir. Il est alors passé à l'épice afin de s'abreuver puis s'est posé devant la boulangerie de l'Avenue à zoner. Il a fini par être engrené, à trouver des petits filons puis a fait quelques transactions. Fabi l'a rejoint, ils ont trainé ensemble puis Pinsson est rentré chez lui aux alentours de 19h et s'est réveillé 3h après. Ça va maintenant faire presqu'une heure qu'ils sont là.

– On s'est fait 600 euros à nous deux, donc 300 chacun. Ça va, c'est pas mal. Ça suffira à ramener un peu d'argent à ma fille et à montrer à ma femme que je bosse, que j'suis pas un branleur.

C'est au tour de Fabi de me narrer sa journée. Elle a commencé à 15h, quand Pinsson l'a appelé pour lui parler d'un plan. Il s'est levé, a allumé son joint de la veille avant de s'assoupir et se réveiller 10 minutes plus tard avec 15 appels manqués de Pinsson et des claques de son père qui n'en pouvait plus d'entendre son téléphone sonner. Il s'est habillé en trombe, s'est parfumé un peu et l'a rejoint dans la voiture. Le plavon était «plan PV et contrôle technique » pour se faire un peu d'oseille. Ils l'ont fait et sont revenus au quartier. Sauf que lui est resté à zoner, à fumer pendant que Pinsson était chez lui à dormir car fatigué de s'être levé tôt. Après avoir zoné, il est rentré pour manger, se reposer de sa journée épuisante puis a fini par se poser ici, avec lui, dans les marches de cet escaliers sombre et insalubre.

– Et toi, c'était comment ta journée ? Me demandent-ils.

– Rien, pas grand chose. Ah ouais, et j'ai eu mon bac aussi.

– Au calme, c'est bien ça. Me disent-ils

Ils commencent à devenir saouls et deviennent brutes entre eux que ce soit dans leurs mots ou dans leurs agissements. Leurs mouvements sont lents, faibles et prévisibles. Fabi me passe une cigarette tandis que lui se roule un énième joint. Le temps passe et ils le voient, mais ils s'en moquent. Ils ont décidé de vivre sur le carreau, à côté de la société homologué où tout homme doit être à l'heure, où tout doit être à point. Eux s'en foutent, ils n'ont qu'une maxime : « Tant pis, c'est la vie ». Ouais, voilà. Tant pis si j'ai pas fait de longues études, tant pis si je n'ai trouvé de quoi m'insérer, tant pis si mon dossier sociétal n'est pas beau, tant pis si le pôle emploi ne me trouve pas du travail, tant pis pour l'intérim, tant pis pour eux, tant pis pour nous. Ils ont choisi une vie sans plainte où les problèmes tombent par milliers mais dans laquelle on se plaint pas malgré tout. « J'ai fait 300 euros, ça devrait suffir pour ma fille. », cette phrase résonne dans ma tête. La suffisance du peu car ne pouvant faire beaucoup.

Ils rient, se rappellent leurs souvenirs d'enfance et je les écoute parler de l'ancienne Tour Bleue détruite, de l'ancienne série tournée au quartier que les anciens devenus vieux avaient tourné et donné en cassettes. Ils parlent de Skyblog, d'MSN et des petites du quartier devenues maman qu'ils fréquentaient plus jeunes. Une autre époque pour moi. Leurs ivresses les rapprochent et me demandent de quitter les lieux.

J'enchaîne les petits pas jusqu'à arriver chez moi, et j'inserre mes clefs tout en continuant d'entendre leurs débats sans qu'ils remarquent mon absence. Je reçois deux SMS de Mélissa que je lirai peut-être plus tard. De ma chambre, l'écho de la conversation fait que je les entends, ils se demandent alors où est-ce que j'ai bien pu partir et pourquoi je ne leur ai pas dit au revoir.

– En vrai il est tard, viens on se taille aussi. Dit Fabi

J'entends le bruit de leurs pas descendant les escaliers puis le grincement de la porte métallique avant son claquage résonnant de nouveau à l'intérieur du block. Ils viennent de me dire au revoir et de me souhaiter une bonne nuit au travers cela.

Je me réveille, il n y a rien à faire ce matin. Personne à voir et rien à chercher hormis de l'argent pour cet été, il me faut des sous, de gros sous. Je traverse l'appartement laissé vide ce matin et ouvre le frigo qui est dans la même situation. Des tomates, une brique de lait, une boite de sardine ouverte, des tranches de jambon de dinde puis un morceau de fromage de brie.

Je repense à Mélissa et dans les plans dans lesquels elle a atterri, son train de vie était donc de son propre ressort. L'idée de faire comme elle est alléchante. Après tout, ça sera qu'un été, qu'une fois quoi, puis je suis pas cinglée et dépressive comme elle de toute façon. Très vite, j'atterris sur un site indépendant et non-répertorié qui permet de mettre en vente des parties de son corps qui sont achetés par des utilisateurs anonymes. Le lien de commerce est précis, direct et instantané. Ainsi la personne propose tel prix pour tel produit et toi je n'aurai qu'à accepter ou refuser l'offre.

Aller, je m'inscris, mon compte sera confirmé d'ici quelques minutes. Jamais j'aurais pensé que ça serait aussi facile d'être en relation avec des pervers. C'est effrayant comme intriguant.

Je pose mon téléphone, rentre dans la chambre de mon frère puis me mets par sa fenêtre d'où j'observe la vue d'ensemble qu'il possède sur la ville. De là, je décortique les différents quartiers, les différents espaces et les différentes places, la ville paraît grande et belle d'ici. A chaque fois que je suis face à cette vue, un souffle de grandeur me caresse l'épaule avant de s'intégrer en moi. Je ressens l'envie de prendre la ville, de la rendre mienne et ce à toujours.

J'entends alors de loin la notification de confirmation de la création de mon compte. Ça y est, j'y suis. Dans le même temps, je reçois un appel de ma mère mais je ne réponds pas. Je parcours le site et vois les autres candidates, filles ou concurrentes, - je n'sais comment les appeler – déjà bien installées depuis un moment. A côté de leurs miniatures, il y a leurs spécialisations : Fétichisme pieds, fesses, chatte, cou, mains, globale, live et j'en passe. Vite, j'atteris sur ce que je recherchais, uniquement des photos de pieds et des live de pieds. Les utilisateurs sont amenés à payer le prix qu'ils veulent mais pas au-dessous de 30 euros pour une photo. Au-dessus du prix de base, le site prend un pourcentage qui peut varier de 5 à 10%.

Je réfléchis un moment, pèse le pour et le contre, le bien et le mal puis décide que c'est uniquement de la débrouillardise, pas de l'érotisme et encore moins de la puterie. Après m'être lavé les pieds, je les vernie d'un bleu turquoise tout en lisant un article de genre psychologique et social qui explique la fascination pour cette partie du corps.

Les raisons sont diverses: Freud parle lui d'homosexualité refoulé, d'autres théoriciens eux s'accordent sur le fait que les pieds fascinent car ces derniers sont cachés au quotidien et donc sa découverte donne comme une sensation de nudité. Quant à la dernière branche, elle parle du fait que la féminité de la femme se concentre sur sa base, sur ce qu'elle se tient, c'est à dire ses pieds. Ainsi, toutes ses explications peuvent expliquer cet attrait particulier pour cette partie du corps qui est l'un des fétichismes les plus répandues. J'apprends de plus par le même article, que certaines sociétés valorisent les pieds et que ces derniers sont de réels instruments d'érotisme et de séduction.

Le compte crée il y a à peine une trentaine de minutes maintenant, je reçois déjà la notification d'un individu voulant deux photos de mes pieds avec des chaussettes trouées de sorte à ce que l'on puisse apercevoir mes orteils. Il a payé le prix fixe pour cette demande. Je positionne le téléphone face à mon miroir de manière à ce la photo soit vu de face puis j'en prends une seconde manuellement afin qu'elle soit vu de haut. Je lui envoie puis quelques secondes plus tard, je reçois des messages odieux de ce clochard qui me précise qu'il compte se branler sur ces dernières. Je joue de son caractère odieux et lui fais alors savoir que s'il paie le prix fort, je peux lui envoyer une vidéo dans laquelle je caresse chacun de mes orteils tout en chuchotant son nom sensuellement. Il me répond dans le chat :

- : «Ok, ça marche. J'te propose 350 et tu m'envoies ça mais je veux t'entendre chuchoter pendant 20 secondes et tu dois dire que t'aimerais me mettre mes pieds dans la bouche et être avec moi maintenant »

Je m'exécute. Je fais un tour globale de mes pieds, ausculte et masse ces derniers puis ne peut m'empêcher de rire dans la première prise vidéo en pensant qu'un trou du cul se branle sur ça. Sur la seconde prise vidéo pareil, je rigole dans les derniers instants au moment où je dis « Tu lècheras mon orteil la prochaine fois mon chou». La troisième est la bonne, j'en fais peu mais assez pour qu'il admette et accepte mon rendu. Il valide la vidéo, me complimente de mots épouvantablement visqueux auxquels je ne réponds pas. L'acompte m'annonce que la somme versée a été réceptionnée. Je ferme mon ordinateur, m'allonge sur mon lit puis réalise l'argent que je viens de faire en l'espace de quelques heures à l'aide de quelques clics et quelques images virtuels. Je me répète cette somme trois cent cinquante euros telle une formule magique. Je me mets à pleurer de colère comme de joie,de honte comme fierté puis décide de me commander des sushis, plat dont la découverte s'est faite il y a trois ans grâce aux parents de Mélissa et du restaurant gracieusement offert.

J'arrive à presque 50 euros de commande, le livreur en marche me tient aussi au courant de son avancée car il ne souhaite pas être perdu parmi les mille allées de la cité. 12 minutes plus tard je l'attends en bas de chez moi.

– Tenez madame... Je vous cache pas que j'ai eu peur de me faire agresser. De base, je livre jamais ici car bon, vous savez aussi bien que moi le réputation de Goélands.. Puis vous-

Le bruit d'une motocross passe juste à côté de nous et amuit la sonorité de ses mots, je n'entends que le tiers de ce qu'il veut dire. Je finis par lui faire un geste amicale de la tête et lui donner un pourboire avant de le laisser seul au pied de l'immeuble. Il paraît perdu et angoissé à l'idée, il scrute les horizons de manière brusque et paranoïaque avant de remonter sur son vélo pour cavaler.

Je mange mes sushis par la fenêtre où la plupart des habitants s lèvent leurs têtes afin de me saluer. C'est par un geste cordial de la tête que je leurs réponds. Les têtes défilent, des voisins me reconnaissent et me font la conversation à des hauteurs folles. Ils sont tout petit de mon étage, l'impression d'être Juliette et eux des Roméo.

– Comment va ta mère ? Le travail ça va ? Olalala, que tu es belle ma Noémie, je vais te marier à mon fils, crois moi ! Hurle tantine Tatiana, voisine et amie de ma mère vivant au bloc C près de La Varlin.

Je jette par la fenêtre le boitier de ma commande avant de m'habiller en bourrique afin de voir ce que je pourrai acheter pour ma mère la prochaine fois que j'irai en ville.

Le taxi m'annonce qu'il sera là dans quelques minutes. Je mets des vêtements propre, une paire de soulier que ma mère m'avait offerte il ya de ça 1 an puis une paire de lunettes noires afin de paraître différente.

Dans le taxi, l'odeur de déodorant industriel et commercial me pique le nez. Ça pue mais je n'ose pas lui dire, je préfère qu'il n y ait pas de conversations mais il persiste tout de même.

Il me demande alors si j'habite à Goélands et lui réponds que non, que je suis étudiante ayant bénéficié d'une bourse pour faire des études à Londres et que je reviens ici de temps en temps voir mes cousins dont j'ai malheureusement perdu le contact physique depuis mon déménagement précoce.

Je feins de chercher mes mots en français et le laisse compléter mes semblants d'oublis. Je manque pas de lâcher des fous rires de temps à autres. Naif, il abuse de fou du bon soupçon.

– Vous avez de la chance, bravo à vous, vous oubliez pas la famille ! Londres c'est wouahou... J'ai pas les mots pour cette ville. J'avais fait une demande de visa et ils me l'ont refusé, vous imaginez ? Mais je vais persister. J'irai là-bas avec ma femme et mes enfants, je me le suis promis.

Je lui raconte la vie nocture londonnienne, les soirées dans les coins branchés et new wave d'Hackney mais aussi la dangerosité, le caractère brut et vivant de Tottenham et la manière dont le sud Londonien est laissé pour compte par le Grand Londres.

– It seems like they... Je sais plus comment on dit mais vous savez quand les people veulent feel libérer, revenge in life..

– Oui je vois madame, les gens de Tottenham sont revanchards, ils ont ce caractère car ils luttent, c'est ce que vous voulez dire ?

– Yes, un peu ça j'avoue, but I don't know how to explain mais ouais, c'est un peu de ce genre.

Il avale mes paroles tels un enfant et hoche la tête à chacun de mes conseils pour sa prochaine demande de visa. Je lui recommande les endroits qu'il pourrait visiter ici et là en mentant sur certains endroits dont je ne suis même pas sûr de leurs l'existence. Il part alors heureux comme jamais et dont la détermination pour atteindre l'Outre-manche est renouvelée.

Il y a plus rien en magasins, tout est cuit désormais, tout se fait en ligne, par virtuel, par internet. Le peu d'articles sont nuls et seules quelques vieilles sont présentes dans ce magasin de cosmétiques. Je finis par faire un dernier tour avant de me rendre dans un restaurant de la ville. Je compenserai le négatif de mon compte en banque par mes futures rentrées d'argent, c'est aussi simple que ça.

Il est encore tôt mais le service est ouvert. Une fille de mon âge m'accueille. Elle se permet de me tutoyer, je la vouvoie en retour afin de créer un espace entre moi et elle. Elle m'apporte ma bouteille de Chardonay premièrement puis l'entrecôte et sa purée à l'ail et persil avec des zestes de truffe. Peu à peu, le restaurant se remplit de familles, d'amis et tout cela devient vite angoissant. Je pense boire un verre mais je me rends vite compte que je viens de boire les 2/3 de la bouteille. Je ressens des reflux gastriques et une sensation horrible. Mon téléphone sonne et je reçois un appel, puis deux qui s'ensuivent d'un message d'Iska.

- : Viens à l'avenue on va s'attraper avec Mehdi et Assia

J'interpelle le premier serveur afin de lui demander l'addition qu'il ne tarde pas à ramener et une fois payé, je saute dans le premier bus qui passe afin de les rejoindre. Putain, au grand jamais j'aurais cru que je serai autant excitée à l'idée de les revoir en cette soirée. Dans le bus, je suis impatiente, émue et euphorique à l'idée de les revoir une seconde fois dans un différent contexte. Même les enculés de contrôleurs à qui je viens de donner un faux nom ne gâcheront pas mon plaisir. Que le bus fasse vite, qu'il dépasse ses faux feux rouges et u'il dépasse les limites qui lui sont imposées.

Arrivé aux Coursives, je manque pas d'me faire klaxonner et insulter par des enculés du quartier qui pense que l'Allée est à eux. J'avance, j'y suis presque. Je les vois déjà de loin, j'aborde déjà un grand sourire tout en accélérant la cadence de mes pas. Ça y est, j'y suis, mais nous sommes que trois.

– Assia a pas pu venir, elle est pas au quartier là. Me dit Mehdi le tout en étant sur son téléphone.

L'Allée est vide, les quelques derniers habitants rentrent chez eux, ils conversent d'un quelconque match de foot de la semaine prochaine.

Assis sur le dossier du banc, Mehdi regarde les quelques jeux du parc et porte un air évasif, ennuyé et ailleurs, il s'fait chier d'être là. Sur sa gauche, Iska est sur son téléphone et met en haut parleurs les quelques vidéos drôles diffusées sur ses réseaux sociaux auxquels on ricane les rares fois où ces dernières sont marrantes.

Après 5 min, ça converse de tout mais surtout de rien. Les conversations sont vides, perdues. Tout le monde paraît réservé et désintéressé de l'autre. J'ai envie de leur rappeler comment Iska manquait de louper le bus chaque matin, de comment Mehdi s'embrouiller avec le même vieux sur la route des cours, de la fois où on était restés à la sortie jusqu'à ce qu'il y ait plus personnes car on critiquait les gens qui en sortaient, des pleures de certains à la fin des cours, des rires de certains à la fin des cours, de nos débats dépourvus de sens devant ce même établissement. J'ai envie de leur parler d'aujourd'hui, qui est si vite devenu « à l'ancienne ».

– Il commence à cailler la miff. Puis, j'dois voir le daron, vous connaissez la situation. Dit Mehdi.

– La même de toute façon. Bon, Mélissa on s'taille nous. Tu vas rester ici ou c'est comment ?

– Oui, allez-y, je finis ma clope.

A mi-chemin des deux, je vois leur deux corps se fondre dans le décor, dépasser les petits obstacles sur leurs routes avec leurs démarches propre à eux-mêmes. Mehdi a mis ses écouteurs et sa capuche. Il est dans sa bulle et traine des pieds. Iska marche tête haute, corps droit et sec dont le jogging training slim souligne ses jambes fines et arquées. J'ai consumé ma clope depuis un certain moment mais je reste ici dans ce terrain presque vide. Je passe ma main dans mes cheveux sur lesquels je retire une feuille morte, puis passe ma main sur ma nuque afin de calmer la potentielle anxiété qui commence doucement à me dévorer.

J'observe les quelques entrées de block et bien que les lumière soient allumées, personne n'est à l'intérieure pour s'allumer. Peut-être que ce soir la fête a lieu dans un autre endroit de la cité.

Arrivée dans le hall de mon immeuble alors que l'ascenseur descend de l'étage dans lequel il est gardé à vue, je décide d'emprunter les escaliers pour faire la rencontre des deux autres mais au fil des étages montées, l'odeur d'alcool à laquelle je m'étais habitué n'est pas présente. Arrivée à leur point habituel il n y a rien ni personne. Même pas un indice me permettant de me dire que je suis arrivée trop tard, que la fête a eu lieu sans moi.

Alors je m'assois à leur place en espérant qu'ils reviennent et que l'on reprenne la conversation de l'autre jour. Ces petites cinq minutes d'attentes deviennent dix petites minutes, qui deviennent ensuite une vingtaine. Je suis pas leur pute, j'attendrai pas plus longtemps. Qu'ils baisent leurs mères eux aussi avec leurs situations sociales et sanitaires désastreuses ces kassos.

L'appartement n'est pas dans le même état qu'à mon départ, tout est rangé mais personne n'est là. Je m'y suis fait que Lorenzo soit absent le soir, mais que ma mère le soit, ça non.

Je me déshabille, me douche puis essaie de retourner sur ce site qui est mon gagne pain mais j'y arrive pas. J'angoisse à l'idée de lire les énormités de ses individus qui se branleront sur une partie de mon corps qui m'appartient.

Peu à peu, assise sur le lit, je prends conscience du train dans lequel je suis, un train automatique avec un unique wagon et avec un unique siège qui est le mien. Je suis seule, toute seule en fait.

Je regarde une énième fois mon téléphone, aucune notifications. Ah si, seulement maman. Ni Lorenzo, ni Chloé, ni Mélissa, ni Mehdi, ni Iska, ni Assia, ni Louise et ni personne.

C'est une petite goutte qui vient toucher l'écran de mon téléphone avant que ça devienne rapidement une pluie de larmes tapotant l'écran de ce dernier à chaque instant.

L'anxiété que j'avais éradiqué d'un geste de la main sur le banc du parc revient s'accaparer de mon aura. C'est à chaude larmes que je pleure tout en essayant de me consoler du mieux que je peux. Je me palpe les bras, caresse de nouveau ma nuque et remets mes cheveux en ordre avant de me gratter les jambes, mais rien à y faire.

Je reste alors assise sur le lit, à chercher le pourquoi de ce trop pleins d'émotions en tout en reprenant mon souffle, à comprendre la situation dans laquelle je suis quand la porte de ma chambre s'ouvre et que mon regard larmoyant croise celui raide et inquiète de ma mère qui porte encore son manteau et son écharpe malgré les douces températures de nuit. Elle s'avance, décale l'ordinateur alors à côté de moi puis me serre le plus fort possible contre elle avant de poser sa tête au-dessus de la mienne. L'étreinte qui de base devait m'apaiser, me refroidit davantage me laissant pas la possibilité de penser ou même de parler. Elle caresse mes cheveux, fait des cercles avec avant de me faire un semblant de massage crânien.

Ma respiration revient à la normale, mes paupières deviennent lourdes mais je reste encline à réfléchir, à avoir connaissance de mon environnement. La scène dure des minutes avant que je me rencontre que ma mère cherchait elle aussi du réconfort. Elle finit par s'endormir avec sa tête sur la mienne, dans une posture enfantine que je lui connaissais pas.

Dehors, quelques bruits, ceux des Goéliens. Une conversation animée a lieu non loin de La Varlin. Quelques instants plus tard, le bruit d'une voiture qui dérape, d'énormes feux d'artifices et des cris. Un événement festif allait forcément avoir lieu ce soir, je le sentais. Les échos de La Varlin deviennent alors sourds avant de devenir inexistant. De la chambre, j'entends l'ouverture de la porte du block, les bruits de pas dans les escaliers puis une conversation à voix basse sur le hall de notre entrée avant qu'il n y ait de nouveau plus aucun bruits. L'immeuble et ses espaces communs deviennent alors vide, le quartier devient alors vide. Je finis par m'endormir sur l'épaule de ma mère fatiguée, épuisée mais surtout apaisée de ne pas être seule ce soir. 

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