👾 RÉMI 👾
C'est une putain de farce. Et pas de celles aux champignons.
Ce qui m'inquiète, c'est que je pratique le sens de l'humour du vieux depuis un moment et que ce genre d'histoire, ça ne fait pas partie de son répertoire. Il n'aurait pas assez d'imagination pour avoir inventé tout ça. Mais suffisamment de roublardise pour ourdir un plan pareil dans mon dos, ça, no problem.
C'est quoi, ce remake de l'alpage se rebelle ? D'accord, j'aurais pu – j'aurais dû participer à l'effort de guerre, mais la totalité, ou peu s'en faut, de mon pécule est partie pour Crashtwist. Notre chaîne gaming. Avec Oliver. On vient juste de dépasser les dix mille abonnés...
So long mes rêves de trophée YouTube. Je ne vois plus que cette saloperie de pancarte à l'horizon.
Le CaFée. Sérieux.
J'allais sonner chez Oliver, me souviens à la volée que depuis la réfection de l'électricité de mon chez-moi-qui-ne-le-sera-bientôt-plus, le câble de l'interrupteur a été coupé et jamais rafistolé. Je tambourine donc sous le petit rondin pyrogravé qui indique « Mont-Charvin ».
« C'est ouvert ! entends-je crier depuis l'intérieur.
— Non, ça l'est pas » répliqué-je après avoir abaissé la clenche, sans succès.
S'en suit un chambardement à base de merde, un tour de clé empressé. Oliver apparaît dans l'encadrement. Si je ressemble à un pou mal peigné, lui est l'incarnation parfaite sous tous les angles de Goultard, le fils du dieu Iop.
Taillé comme une armoire à glace qui a l'habitude de faire du trek d'une vallée à l'autre, une crinière aussi rousse que soyeuse, une barbe fleurie qui nargue les trois poils qui me poussent au menton, des yeux de loup. C'est LE mec de Notre-Dame, celui à qui tu vendrais ton âme en échange d'un seul sourire. Le gérant de l'Intersport n'a pas cherché à comprendre quand il a vu sa gueule apparaître à l'angle de sa devanture : CDI direct, au contact de la clientèle, si possible féminine, et vas-y que je te double le chiffre d'affaires.
Il faut dire que le bougre s'y connaît, niveau montagne. Pur produit alpin, Oliver est limite né dans une auge, parle aux marmottes, est vendeur et guide l'été, musher et mono de ski l'hiver. Il a quatre jobs, putain, quand je galère pour n'en garder ne serait-ce qu'un. Et malgré un emploi du temps de ministre, il réussit l'exploit d'être mon copilote à 50% sur Crashtwist – et meilleur pote à temps complet.
« J'étais en train de me faire une omelette, annonce-t-il simplement, comme si mon petit monde ne venait pas de s'écrouler.
— Super, je vais en causer à ton canapé. »
Je le dépasse, traîne la patte jusqu'à m'effondrer tête la première entre les coussins. Dont un arbore une tête de bouquetin brodée. Faudrait pas oser une décoration autre que celle estampillée chalet mignon, surtout.
« J'ai vendu une paire de Scarpa à une vieille qui n'avait que trois doigts et demi à un pied, aujourd'hui, poursuit Oliver en retournant dans sa cuisine moins ouverte qu'éventrée, à ce stade-là. Une histoire d'engelures en plein trek dans les Andes, ils ont dû amputer les chairs nécrosées. Dingue, non ? Tu veux un verre de kéfir ? »
Non seulement il est Président de la ligue des Monsieur-Madame-Je-Change-De-Sujet-Comme-Un-Politicien-D'Avis, mais Oliver trempe aussi dans la soupe bien-être du corps et de l'âme et autres tantrismes à la noix du XXIème siècle.
« Tapapufort ? grommelé-je sans relever la tête.
— Y'a quoi, tu t'es retourné un ongle ?
— Non, mais tu peux dire adieu à Crashtwist. On a plus de local. »
Je l'entends fourrager dans ses placards. Ou bien il ne m'a pas entendu, ou bien il fait preuve d'un détachement digne du Dalaï Lama en planeur.
« Allô ? demandé-je donc en m'extirpant du sofa dans lequel j'espérais étouffer.
— J'ai rien compris à part Crashtwist. T'as eu des news de la sponso ? »
J'ai envie de chialer. Il m'apporte un verre de cette maudite boisson détox sans bulles ni goût, se pose à mon côté face à l'absence flagrante de télé. Oliver prétend que le temps passer à jouer ensemble pour la chaîne est suffisant, qu'il n'a pas besoin de davantage d'écrans pour polluer son existence.
Ça tombe bien, il va bientôt en avoir ras le plafond, des écrans. Des cartons de consoles rétro et de jeux, aussi. Tout le matos d'enregistrement. Micros, caméras, réflecteurs. Et le décor que j'ai mis trois semaines à installer, qu'on fignole depuis des mois au fil de nos vidéos. Heureusement que le kéfir dégueu m'arrache une grimace ; ç'aurait été une larme, sinon.
« Ils sont motivés, ouais, finis-je par cracher. Le problème, c'est que non seulement je suis SDF, mais qu'on n'a plus de studio. »