LE CHANT DE LA HARPE โŽช ๐˜ฏ๐˜ฐ๐˜ถ...

By -muaddib

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ยซ les feuilles tombent ยป
ยซ le soleil est rouge ยป
โคน ๐ง๐จ๐ญ๐ž ๐Ÿ๐ข๐ง๐š๐ฅ๐ž

ยซ et la harpe chante ยป

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By -muaddib

▬▬▬LE CHANT DE LA HARPE
✧ PARTIE III

🫧

﹙𝒆𝒕 𝒍𝒂 𝒉𝒂𝒓𝒑𝒆 𝒄𝒉𝒂𝒏𝒕𝒆﹚

         LA FOULE EST AUTOUR DE LUI, bruyante, vorace. Il se sent submergé par ces vagues puissantes, ces relents de sueur. Chaque frottement de peau étrangère est une gêne, quelque chose qui le dérange. Il est balotté tantôt à droite tantôt à gauche, au gré des courants humains qui déferlent dans l'entrée du théâtre.

         Peut-être que c'est dans ces moments qu'il hait qu'il est le plus humain.

         Il relève son visage vers le reverbère. Sa lueur est comme un phare, pointant les ténèbres et les brisant comme un récif bienveillant. Il éclaire les visages, les caresse doucement.
Nore rajuste ses lunettes et s'en détourne, les prunelles brûlantes sous la lumière.

         Il n'a pas besoin de phare, ni de lumière.
Il avance depuis toujours dans le noir parce que la route ne change pas.
Elle ne change jamais.

         Sauf ce soir.
Et il n'est pas sûr d'apprécier.

« Il a eu son petit succès. » s'égosille Liam à ses côtés.

         Il agite un petit papier plié, sans doute le programme du concert.

« J'ai eu ces places au péril de ma vie, tu devrais me remercier ! »

         Ce n'est pas le terme que Nore aurait employé.

         Un brusque coup de coude le fait ployer. Ses lunettes se décalent sur son nez, manquant de s'écraser au sol où elles auraient sûrement fini brisées. Une excuse étouffée parvient à ses oreilles mais il l'ignore. Il grimace en se tenant le flanc.
L'inconnu dans la foule a touché une vieille cicatrice.

« Tout va bien ? » s'inquiète son ami.

         Il serre les dents et recompose un visage neutre. Les yeux de Liam lui paraissent soudain plus rouges. Sa peau aussi. Ses lèvres. L'entièreté de sa face.

« Oui. » lâche-t-il.

         Ni vraiment vrai, ni vraiment faux.
Peut-être plus faux que vrai.

         Il resserre sa prise sur son corps maigre en sentant les mouvements autour de lui s'intensifier. La chaleur augmente, sous l'effet de l'excitation.
Il entend son cœur battre, à l'unisson des dizaines d'autres qui le collent.

         C'est désagréable.

         Il ferme un instant les paupières, pour oublier brièvement l'agitation qui prend vie autour de lui, les cris de joie à la vue des portes qui s'ouvrent enfin, la transpiration dans l'air, les corps alourdis.
C'est noir derrière ses paupières.

         Un noir qu'il pensait avoir oublié.

         Il fait noir.
Il pleut.

         Chuter est facile.
Mourir aussi.

         Pour la première fois depuis longtemps, Nore se sent mal.
Un peu.

         Les images qui affleurent lui semblent étrangement plus nettes, comme si la bataille menée par ses souvenirs était sur le point d'être gagnée.

         Une nausée malsaine le submerge, comme si l'odeur du sang envahissait encore l'oxygène autour de lui. Il y avait des éclats de verre au sol.
Aujourd'hui, il n'y a plus que ses chaussures.

         Ne confonds pas ton passé et ton présent.

         Il relève la tête, sentant la foule enfin avancer, finalement poussée jusqu'au porte dans un frémissement d'impatience. Les cris s'intensifient et frappent ses tympans d'une force qui manque de lui arracher une grimace. Elle n'en obtient aucune.
Ses lèvres restent obstinément closes.

« Bonjour. » les accueille une blonde tout en déchirant leur ticket.

         Sa voix de miel n'a de gentillesse que des accents polis. Nore ne voit que la façade de son sourire.

« Passez un bon spectacle !

Merci ! »

         Tout content, Liam s'engage dans l'entrée du théâtre, sortant le programme déjà froissé de sa poche arrière. A l'aise au milieu des autres, il sautille presque comme un enfant, la joie pétillant sur ses joues rondes marquées de nombreuses taches.

         A le voir ainsi, Nore songe qu'il ne pourra jamais égaler cette expressivité. Ni même ressentir quelque chose d'aussi intense, qui fait battre son cœur et étouffe ses poumons.
Il n'est pas heureux d'être là ce soir mais il n'en est pas triste non plus.

         Il ne le sera sans doute jamais.

         Une nouvelle bousculade l'envoie heurter un mur, se fracasser contre la pierre lisse et sculptée. Une légère douleur enflamme son épaule qu'il ramène contre lui en serrant les lèvres. Au loin, la coupe mi-longue de Liam s'éloigne.

         Il ne prend pas le temps de s'apitoyer sur son sort et part à la suite de son ami. Chaque contact étranger lui est difficile, la masse compacte de la foule dont on ne peut s'échapper se meut en une véritable source d'angoisse.

         Ils lui sont tous inconnus. Les lumières qui les assaillent deviennent rouges et bleues. Il y a des sirènes qui chantent au loin.
Non.

         Il secoue la tête pour chasser les visages masqués qui se penchent sur lui. Ce ne sont que les instruments qui s'accordent.

         Il rattrape son ami, pinçant sa veste entre le pouce et l'index.

« Attends-moi. » se contente-il de lâcher lorsque Liam se retourne enfin vers lui.

         Ce dernier lui fait un sourire d'excuse mais se tourne déjà vers la scène qui apparaît. Un épais rideau de velours la masque encore mais son apparition ne saurait tarder.  On aperçoit déjà les ombres des musiciens qui se déplacent, faisant délicieusement craquer le plancher sous leur pas.

         Les diverses sons où se mélangent bois, cuivres et cordes s'ajoutent au tapage des gens qui parlent. L'ambiance est encore plus électrique qu'à l'extérieur, maintenant que les fauteuils rouges et les dorures sont en vue.
Chaque souffle se calque sur celui de l'insupportable attente.

« On est juste là, lui indique Liam. T'as vu comme on est bien placé ? Je pouvais pas manquer ça !

C'est pas mal.

Je m'attendais à plus de réaction de ta part, ricane ironiquement le brun avant de se laisser glisser dans le siège pourpre. »

         Nore fait de même, observant brièvement le numéro qui s'y détache, dans une texture flavescente. Une fois assis, il se sent déjà mieux, loin des éventuels contacts que le nombre important de spectateurs lui impose.

         Il fixe le rideau, dont les doux plis s'agitent sous une brise invisible. Sans même qu'il ne s'en rende compte, ses doigts commencent à pianoter sur son genou dans un soudain accès nerveux qu'il ne contrôle pas.

         Il y a bien longtemps que ses ongles n'ont rien tapoté avec autant de violence.

« Il y a aussi des solistes, commente Liam avec légèreté. Deux visiblement, juste après les pièces de l'orchestre. »

         Il continue de lire avec attention avant de se redresser et de s'exclamer, allègre :

« Eh, ils ont eu plein de récompenses ! On va avoir droit à un bon concert ! »

         Nore ne prend même pas la peine de répondre, il sait pertinemment que son ami n'en attend pas autant de lui. Ses babillages continuent tandis que la salle se remplit lentement, par les robinets ouverts que forment les portes. L'écume est humaine.

         Sa veste toujours sur le dos, Nore commence à avoir chaud. Une sueur diffuse se répand sur son front, sous ses lunettes et son menton. L'attente de tous se répercute dans tout son être mais au lieu de le traverser comme elle le fait habituellement, elle résonne sur chacun de ses os dressés.

         C'est désagréable.
Très désagréable.

         Les lumières s'éteignent. D'un coup.
Nore lève les yeux vers la scène où, auréolé d'un cercle de lumière, un petit homme en costume fait son apparition. Il tient un petit papier à hauteur des yeux avant d'en lire le contenu.

         Le jeune homme décroche, l'esprit bourdonnant. Il en a déjà saisi les banalités de toute manière. Les téléphones éteints, pas de photos avec flash, bon spectacle... rien de très original.
Comme son trajet, cela ne change jamais.
Et cela fait pourtant longtemps qu'il n'avait pas assisté à un concert de la sorte.

         Sous les applaudissements tumultueux de la foule, le rideau glisse pour dévoiler un ensemble de musiciens en noir. Les cuivres projettent des éclats dorés tandis que les violons se parent de reflets boisés. Dans cet ensemble noir et brillant, un homme s'avance une baguette à la main. On l'accueille d'un nouveau tonnerre humain.

         Il se place sur une petite estrade dans un silence presque divin. Nore entend son sang battre à ses oreilles. Sa baguette se lève. La respiration du jeune homme se coupe.
Et sous le coup d'un formidable coup de tambour, la musique se lance.

         Aussitôt, c'est une valse de notes qui envahit la salle. Chaque instrument voit son timbre unique s'équilibrer avec celui de ses comparses, dans une harmonie où les rythmes s'enchaînent et s'entremêlent sur les partitions.

         D'ici, Nore peut voir les archers des violons, des altos, des violoncelles et des contrebasses battre furieusement leurs cordes, les fronts plissés par la concentration, les joues gonflées des vents dont les souffles forment des mélodies tantôt stridentes tantôt graves.

         Toute la salle est rapidement captivée, entraînée sur ce glorieux chemin qu'est la musique classique. Non dépourvues d'aspérités, les périodes de calmes où seuls les pizzicatos des violoncelles se font entendre s'alternent avec un tutti magistral à en faire trembler le plafond.

         Les regards s'écarquillent et les oreilles se délectent, de chacun des sons happés au vent, s'emplissant des bienfaits de la musique, s'évadant un instant de la carcasse réductrice de leur corps.

         Nore s'y sent complètement extérieur.

         Il n'est pas gagné par un quelconque émoi, par une vive émotion qui lui soulèverait les tripes, par un bref instant d'émerveillement.
Comme tout ce qu'il a connu depuis, la musique le traverse sans ébranler son âme perdue.

         Une pierre tombe au fond de son cœur, lui faisait ressentir un profond désarroi. Mais à peine plus.

         Il s'en veut presque de ne rien ressentir, d'être si insensible face au monde qui l'entoure, de se barricader derrière ses barrières charnelles.
Il en veut à son esprit qui ressasse des images qu'il souhaiterait oublier, qui bloque la page qu'il tente pourtant de tourner.

         Ou plutôt qu'il n'a jamais eu le courage de contempler.

         La musique ne remplit pas son vide intérieur mais elle lui fait apercevoir l'existence fade qu'il a menée jusque là. Il n'a jamais osé la regarder en face, préférant continuer sa morne routine.
Car c'est plus simple ainsi.

         Fermer les yeux et oublier qu'il n'est plus qu'un cadavre. Qu'il existe.
Mais qu'il ne vit pas, qu'il ne vit plus.

         Tandis que le morceau se termine et que les vivas reprennent à grands cris, Nore se renfonce dans son siège. Il souhaite voir la soirée se terminer, mettre fin au trouble qu'elle jette en lui.
Il n'aurait pas dû venir, c'était une erreur.

         Le petit présentateur du début revient pour annoncer l'arrivée cette fois d'un soliste. Ou plutôt d'une.

« Merci d'applaudir notre splendide soliste, Émilie NOPHIMYSE ! »

         Le tonnerre gronde parmi les mains avant de se calmer tandis que la jeune femme entre. Elle est frêle comme une brindille et s'avance à petits pas si rapides et maladroits qu'on pourrait craindre qu'elle ne se brise. De longues mèches d'encre coulent le long de son dos où elles forment un amas de boucles domptées pour la soirée.

         Mais ce n'est pas tant la musicienne qui fait se redresser Nore dans son fauteuil.
C'est plutôt son instrument.

         Sa vue fait battre son cœur plus vite que jamais.

         Fixé sur des petites roulettes qu'un régisseur traîne jusqu'au centre éclairée de la scène, la grandeur de l'objet contraste avec la fragilité de sa possesseuse. De fines arabesques dorées s'enroulent sur la table de bois pâle, large et arrondie, tandis que la colonne aussi noire que les cheveux de la jeune musicienne se dresse et domine l'assemblée.

         Des dizaines de cordes tendues relient le tout, fines et éthérées. Les touches d'or ici et là sur la couleur sombre accrochent les lueurs des projecteurs. L'ensemble forme un triangle arrondi par endroit, dont le dessus offre une vague délicate qui patiente en attendant son heure.

         Une harpe.

         Nore détaille avec une nouvelle avidité le bois de l'instrument. Émilie se place derrière et le fait pencher sur son épaule. Un instant, on pourrait croire que le poids de l'objet allait l'écraser mais pourtant, elle soutient sa masse sans broncher.
Ses doigts pâles et rosées s'étirent pour se placer sur les cordes.
Cette posture familière fait naître des ombres sous les paupières du jeune homme.

         Les traits de la jeune femme fondent sous ses yeux. Elle revêt une autre apparence, plus âgée mais tout aussi douce. Elle a surgi des tréfonds de l'enfance de Nore.

         C'est sa mère qui se tient devant ses yeux. Ses mains voltigent sur les cordes tendues, blanches, rouges et bleues. Les notes éthérées s'envolent dans les airs, pures et délicates, elles sonnent comme une voix hyaline.

         La mélodie n'est pas familière à Nore mais aussitôt son esprit la calque sur le souvenir qu'il a de sa mère. La chambre envahie par le soleil, ses beaux cheveux auburn lâchés autour de son visage. Assis près d'elle, il écoute, avide, la musique que ses doigts tissent.

         Les notes se faufilent autour de son cœur, elles l'étreignent, le font saigner. Elles sont douloureuses et pourtant, il veut les entendre encore et encore, tant elles sont empreintes de cette sonorité qu'il croyait avoir oubliée.

         Et puis tout change. La musique d'Émilie devient plus sombre. Elle se ternit.

         Du sang éclabousse la vision de Nore.

« Lydia, on va trop vite ! »

         Le crissement des pneus heurtent ses dents, fracassent ses poumons. Devant ses yeux, se tient la nuit noire, uniquement troublée des feux avant de la voiture.

« Freine, il faut que tu freines ! »

         Nore sent son pouls s'accélérer. Le vent giffle ses cheveux et les vitres de la voiture, chargées de gouttes de pluie. L'air sent vaguement le brûlé.

         Et puis d'un coup la chaussée s'arrête. Il y a un brusque choc et puis le vide.

         Nore entend son propre cri qui lui cingle les oreilles. Il enfouit sa tête dans ses mains tandis que sa mère lui crie quelque chose. Elle tend son bras en arrière, lui disant sans doute que tout ira bien. Avant que sa tête ne heurte la vitre qui se brise sur le coup, déversant ses éclats de verre sur le sol, déjà teinté de sang.

         Cette vision d'horreur le fait basculer.

         Le chant de la harpe recouvre cette scène macabre, que le jeune homme n'a jamais vue avec autant de netteté, autant de réalisme, depuis sa réalisation.
Sa douce voix de cordes enveloppe son corps.

         C'est comme un milliers d'étoiles qui se mettent soudain à scintiller dans la nuit profonde qui les avaient recouvertes.
Les émotions qu'il avait tenté d'ensevelir pour ne plus en souffrir.

         Et alors que son souffle devient court, qu'il panique, qu'il s'époumone, qu'il crie, tout s'arrête.

         Émilie a fini de jouer. Elle bascule son instrument et se relève, un délicat sourire sur ses lèvres vermeilles.
Toute la salle applaudit, absolument enchantée.

         Pas Nore. Il pleure.

         De véritables larmes comme il n'en avait plus connues depuis longtemps dévalent ses pommettes, mouillent ses mains. Il sent leur morsure froide et salée pointer sur ses lèvres. Il se pensait incapable de pleurer.

         Et pourtant le voilà qui chiale au beau milieu d'un concert pourtant grandiose, entouré de la joie de ses semblables.

         Il pleure de toute son âme qu'il croyait perdue.
Il pleure le retour de son cœur qu'il croyait mort.

         Il pleure la vie.

« Franchement, elle a du talent, c'était tellement... »

         Liam s'interromp net lorsqu'il se tourne pour découvrir le nez reniflant de son ami. Il ouvre grand la bouche, étirant ses taches de rousseur. Puis, son menton se fend dans un large sourire.

« Je savais que ça allait te plaire ! J'ai bien fait finalement, non ? »

         Nore ne répond rien. Si Liam se croit responsable d'un tel émoi, grand bien lui fasse. Il en connaît l'unique origine.

         La harpe et son chant mélancolique.

         Peu à peu, comme des milliers de picotements qui parcourent son corps, il sent la vie revenir peu à peu. Il lève les yeux vers les projecteurs, comme s'il re-découvrait la lumière à travers la brume de ses pleurs.

         Les cris de joie autour de lui ne le laissent plus aussi indifférents qu'avant. Son cœur résonne au rythme de la musique qui reprend, celle du second soliste, un trompettiste.
Les cadenas qui l'enfermaient ont enfin cédé.

         La soirée se poursuit, dans un brouillard de renouveau et de nostalgie mêlée. La douleur qu'il pensait avoir étouffée est pourtant aussi vive qu'au premier jour, un premier jour qu'il n'a pourtant pas connu car le choc le lui a retiré.

         Puis comme la fin d'un rêve, le rideau de velours se ferment sur les musiciens qui saluent. Les lumières de la salle se rallument, mettant fin à la lueur divine qui n'habitait que la scène.

« On peut aller discuter avec les musiciens. Tu veux venir ? » propose Liam, sans plus de remarque.

         Nore acquiesce en silence. Sa gorge est sèche, arride comme un profond désert. Il n'est pas sûr de réussir à articuler un mot mais il suit tout de même la silhouette brune qui file devant lui.

         Il ne prend même plus garde au frémissement de la foule, tant il se trouve dans un état second. Ils la traversent, dévalant les escaliers sombres jusqu'à une petite porte dérobée où déjà, plusieurs personnes se pressent.
Tous veulent rencontrer les auteurs de ce moment d'euphorie.

         Ils doivent attendre quelques instants qui paraissent une éternité. Les larmes de Nore se tarissent, il renifle et se mouche espérant éloigner les derniers relents de la fugace tristesse qui l'a étreint.
Il a l'impression d'être redevenu un enfant. Les notes de la harpe tintent encore dans ses oreilles.

         Puis finalement, à grand renfort de jeu de coude, Liam parvient à se frayer un passage jusqu'à Émilie. La jeune harpiste rend timidement les sourires et les encouragements qu'on lui adresse. Elle se tient un peu à l'écart de ses collègues, triturant ses petites mains en observant la foule.

         De près, elle paraît moins mystique, plus véritable, bien loin des feux dont la scène l'enveloppait. Plus humaine.
La proximité dévoile de son visage des traits doux et polis, un fin sourire hésitant et des yeux en amande d'une couleur cannelle.

         Lorsqu'elle se tourne vers les deux hommes, son regard s'agrandit. Nore a soudain honte, honte de son apparence pitoyable avec ses yeux rougis et son nez coulant, honte de cette existence terne qu'il a menée jusqu'alors et qui ne lui procurait plus qu'indifférence.

« J'imagine que ça vous a plu. » tente-t-elle doucement, sans trop savoir de quelle manière engager la conversation.

« Oui. » répond tout bas le jeune homme, la gorge nouée.

         Les yeux de Liam font de discrets aller-retours.

« Je l'avais jamais vu pleurer jusqu'à aujourd'hui, fait-il remarquer. Et pourtant, ça fait des années que je le connais !

Ah oui ? s'étonne la jeune femme. Pourquoi ? »

         Nore sent l'odeur piquante des larmes revenir et il fait tout son possible pour l'éloigner. Il renifle un dernier coup.
Prononcer ces paroles lui coûtent, ce serait comme les enterrer une seconde fois.

         Mais peut-être cette étape douloureuse est-elle nécessaire. Pour enfin leur dire au revoir.

« Lorsque j'étais plus jeune, commence-t-il tout bas. Alors que nous rentrions de chez mes grands-parents, mes parents et moi... avons eu un acci-accident... »

         Il inspire et vide l'air dans ses poumons, s'appliquant à retrouver sa voix neutre et non fêlée d'émotions étranges.

« Un accident de voiture.

Je suis désolée pour vous » murmure-t-elle, la poitrine déjà serrée par ce qu'elle pressentait suivre.

         Il rive fermement ses yeux au sol et continua d'une voix lointaine :

« Il pleuvait et je crois qu'il y a eu un problème avec les freins. La voiture a traversé la barrière et chuté de quelques mètres, dans la nuit. Quand je me suis réveillé, j'étais à l'hôpital et je ne me souvenais plus de rien. Sauf... de mes parents qui étaient... »

         Les mains pâles de la musicienne se crispent, faisant saillir ses phalanges et ses veines.

« Et depuis ce jour, j'ai toujours vécu comme... effacé. Le choc avait endommagé la partie du cerveau qui traite en grande partie les émotions. C'est comme si on les avait mises sur pause. Je ne ressentais plus rien. »

         Liam hoche la tête, réécoutant ce constat qu'il connaît déjà. Il ne l'a pourtant jamais entendu de la bouche de Nore, cette bouche si obstinément close.

« C'est un cas... étrange, qui a étonné plus d'un médecin. Ils pensaient que cela finirait par passer. Mais j'ai grandis et je suis resté le même, sans chercher à évoluer, continue-t-il en fixant la moquette. Jusqu'à aujourd'hui... où la harpe m'a rappelé ma mère et ce que je pensais avoir oublié. »

         Il relève les yeux vers elle et découvre qu'elle le fixe en silence, presque attendrie.

« Alors je voulais vous dire merci. »

         Il ne dit rien de plus. Il est rare de le voir parler autant, lui qui ne s'embarrasse pas de paroles inutiles.

         Émilie hoche la tête, un peu hagarde devant une telle histoire.

« Dans ce cas, je suis heureuse de vous avoir aidé. »

         Elle s'interromp un instant avant de reprendre plus timidement, presque pour elle-même :

« J'ai toujours pensé... que la musique était porteuse d'émotions. Et c'est pourquoi les hommes la recherchent depuis des siècles. Elle prend de nombreuses formes mais finalement, le but est le même. Provoquer un émoi, une récation chez celui qui l'écoute et peut-être même, lui apporter du réconfort. »

         Un nouveau sourire éclaire son visage et illumine ses pommettes rosées.

« N'hésitez pas si vous désirez que je joue de nouveau pour vous. »

         Nore hoche la tête, le cœur chamboulé. Toutes ces saveurs qu'il ne pensait plus connaître reviennent peu à peu et il lui est difficile de s'y accoutumer.

« Bon ben tout est bien qui finit bien. » commente joyeusement Liam, en croisant ses mains derrière sa tête.

         Son ami châtain hoche la tête, toujours songeur. Sa vie se retrouvera toujours un peu entravée dans ce tumulte étrange, ces souvenirs amers et ces émotions tues. Il ne peut espérer retrouver toute sa sensibilité.

         Il sera toujours un peu loin des autres, un peu à part. Il ne comprendra pas toujours les soudains éclats de joie, les brusques tristesses. Il en ressentira certaines, pour que d'autres le traversent.

         Mais peut-être qu'enfin, après tant d'années d'errance, de ses cendres tel un phœnix, il pourra renaître.
Et mettre fin à son existence pour pouvoir entamer sa vie.

         Adieu






🫧




« Le printemps est la saison où tout renaît.
Après la nuit de l'hiver, les bourgeons éclosent pour envahir les champs de mille couleurs et de chants d'oiseaux. »

THE
━━━━━━━━━━━━━
END

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