ghettoyouth - graine dans la...

By Enfantdelaville

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« Ghettoyouth marche en solo, parce que dehors gros la confiance est morte. » Sincère, Noémie, Mehdi, Assia e... More

Sincère, Vol.1
Noémie, Vol. 1
Assia, Vol.1
Mehdi, Vol. 1 (Partie longue et intense, prépare-toi !)
Noémie, Vol.2
Assia, Vol. Final
Sincère, Vol. Final
Noémie, Vol. Final
Iskander, Vol. Final
Mehdi, Vol. Final - (FIN DE L'HISTOIRE) -
-Annexe/Suites/Retours-

Iskander, Vol.1

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By Enfantdelaville



Même quand je descends à mon arrêt de bus je peux pas m'empêcher de faire le tour du quartier avant de rentrer chez moi. C'est vital. Je suis de patrouille bénévolement en fait. Je descends à Languedoc dont l'arrêt donne sur Frankfurt – la rondelle plus sale de la cité d'après Djaby et Sincère ces enculés – mais qui est l'endroit où je vis depuis minot.

A peine sauté du bus, je passe en général chez l'épice avec Mehdi prendre une boisson avant de faire ma ronde journalière. Je longe le long du trottoir du club de boxe française jusqu'au collège avant de remonter et de continuer jusqu'à La Chaîne, qui est l'endroit des croisements intergénérationnels où petits comme grands traînent là pour parler, se chambrer, galérer et s'échanger des tours de moto ou vélo.

Je continue ensuite, tout en me pavanant calmement car rien ne presse jusqu'au Terminus pour serrer la main aux humains devant la boulangerie et devant les immeubles de l'Avenue. En guise de conclusion, je fais le suis même chemin retour jusqu'à la maison en passant par les Coursives et le tabac des anciens.

Pendant toute l'année, du lundi au vendredi l'histoire se répète. Je fais le même schéma, le même parcours en rentrant des cours avec le quatuor. Sauf en hiver ou en automne quand la pluie et le froid ont raison de nous, ont raison de moi.

A cette saison, tout le monde se cale dans les blocks ou sur les parkings dans une gov' climatisée au maximum. C'est limite un deuxième four. Mais moi, je suis pas gardien d'immeuble ni gardien de parking pour aller voir chaque personne et leur serrer la main donc je rentre direct chez moi et ça s'attrape alors à La Mine ou dans un block.

En général, on évite de se caler dans les blocs où on vit au risque de croiser nos darons ou des amis de la famille. Ils pourraient penser que l'on traine, chose qui serait mal vu. La Mine est une cave condamnée qu'on a amménagé quand on était petits – Entre 12 et 15 ans à peu près - avec Djaby, Sincère, Brayan, Joel, Mam's et Adel par une trouvaille hasardeuse.

On se trainait dans la cité un samedi aprèm à la recherche de quelque chose à faire, de quelqu'un à voir, d'un passe-temps, d'une animation, d'une activité. D'un délire quoi.

Mam's décida plus par intuition que par connerie, alors qu'on traversait l'espace vert enclavé entouré d'immeubles situé près de La Chaîne d'enfoncer l'une des caves condamnées dont on eut jamais trouvé un quelconque intérêt. On pensait qu'il était impossible de l'enfoncer et d'y entrer. Puis y rentrer pour faire quoi en vrai. Il donna deux gros coups coups de pieds et la porte se fragilisa. Il le ressentit et décida de l'enfoncer avec son épaule au travers de plusieurs coups à maintes reprises jusqu'à ce que la porte s'entrouvrit assez pour nous permettre de rentrer dedans.

– Dinguerie ! Venez on rentre wesh ! Cria Joel.

Rentrés dedans, on remarqua que cette cave servait d'ancien dépotoires pour le personnel de la mairie de quartier. On y trouvait les plans du conseil municipal et de plusieurs dossiers au sujet de la construction de la cité. Un des articles parlait notamment d'innovation urbanistique, de révolution sociale et d'autres mots similaire à « innovant » afin de décrire où est-ce que l'on vit maintenant. Parmi cette masse de papiers, plusieurs articles concernés des faits divers déroulés à la cité :

« Arrestation de l'auteur de la série de coups de feux à Goélands. Son procès tiendra lieu le 14 septembre 2006. » - Le Quotidien pour tous !

« Violences urbaines dans la nuit du 7 avril 2003 dans la cité Goélands à l'ouest de la ville. Les autorités dépassées, le Maire s'exprime ». - Plus Belle Notre Ville 


D'autres éléments accompagnaient le tout tels que des gants de nettoyages, des uniformes de techniciens de surfaces, un cadi, une télé, des planches en bois, des bouquins et des sacs remplis de papiers.

Cette première salle donnait lieu quand on eut enlevé tous les trucs inutiles, à une porte condamnée qui protégeait une arrière pièce difficile dès lors d'accès.

On dut demander l'aide de certains grands du quartier pour l'enfoncer avec des matériaux lourds. En vrai, nous ne voulions pas de leur mains d'oeuvres, juste de leurs outils. On patrouillait la cité et toutes les rondelles à la recherche de marteau- piqueur, d'enfonce pieux, d'hache, de masse et même de bélier. Bref, de tout ce qui pouvait servir à la destruction de cette porte.

Certains grands demandaient : « Pourquoi vous avez besoin de ce matériel ? », on répondait que c'était un grand d'une autre rondelle qui nous envoyait pour réparer une gov', cramer une gov' ou pour un business dont il ne souhaitait pas trop parler. Le grand nous prêtait alors le matériel sans aucun problèmes.

Le soir même on avait récolté de quoi faire afin de niquer cette porte. Je me souviens encore du premier coup de masse difficilement portée par Mam's afin d'enfoncer la porte. Meskine, il peinait à la porter, elle lui donnait du fil à retordre. J'me rappelle aussi des premiers coups de bélier portés à deux par Djaby et Sincère, du marteau piqueur de Brayan et de tous les autres cas de violences en bande organisée que nous avions produites contre cette putain d'porte.

Presqu'une heure qu'on avait passée devant cette pute en comptant les allers-retours afin de se rafraîchir chez nous et les pauses faites aléatoirement.

Le dernier coup mis par Joel avait formé une ouverture en bas de la porte ce qui faisait que l'on devait s'accroupir afin de rentrer dedans, comme si nous n'avions déjà pas fait assez de sport.

Mais arrivés à l'intérieure, c'était une piaule spacieuse, vide et bien agencée qui nous regardait. Du courant électrique passée par la présence d'un interrupteur qu'on remarqua quelques minutes après. La pièce avait l'allure d'un appartement sans tous les murs posés qui par leur présence auraient crée de vraies pièces à vivre avec chaque îlot d'individualité et de fonctionnalité.

Elle était tellement vide et propre que c'est comme si tout ce que cette pièce possédait avait été déplacée dans la première pièce de la cave afin de la conserver.

On se regardait heureux et béat de la trouvaille et du travail que l'on venait de faire. Tout ça par nous, pour nous. La première chose qu'on avait faite avait été de prendre tous les meubles jetés par les voisins du quartier ou posés à côté des poubelles pour les caler dans La Mine. Nous avions épluchés le quartier à pied, en scooter, en voiture dont la conduite était assurée par Brayan qui savait déjà maniée le volant. Oui, à 15 ans.

– T'as trouvé un délire ou pas ?

– Ouais ouais, j'ai une petite étagère ma gueule, je l'ai chopé à La Varlin !

– C'est khatal, mets-la là, près du mur ! Disait- on. 

On était astucieux et on savait que des racoleurs viendraient forcément gratter. Et donc pour rentrer dans la première pièce, celle toute pourri, il fallait déjà enfoncer la porte de la cave d'une certaine manière. Mettre un coup d'épaule ou l'ouvrir comme n'importe quelle porte ne suffisait pas. Il fallait mettre un coup d'épaule ce qui déjà faisait vibrer la porte de la cave et ensuite légèrement la soulever afin de la déplacer sur la gauche pour ensuite la ramener sur la droite et finalement réussir à l'ouvrir dans son intégralité. 

La seconde pièce était un « Où est Charlie ? » pour les inconnus. On avait caché la porte de cette deuxième pièce avec des meubles. Mais ces Tout était bon à prendre. Fauteuils troués ? La Mine. Table dont l'un des quatre pieds titube ? La Mine. Vieille télé jetée datant des années 2000 ? La Mine. Lampe jetée à cause de sa vieillesse ? La Mine. 

Tout ce que l'on trouvait était bon pour La Mine, vraiment. derniers n'empêchaient pas l'accès si la personne savait que l'une des grandes étagères posées devant la porte s'ouvrait et donc permettait de passer dedans afin de rejoindre l'autre sas. Tout était fait malicieusement, du travail d'équipe.

A son apogée, La Mine ressemblait à un vrai appartement. Mais quand Djaby et Sincère avaient réussi dégoter un frigo, une PS3 et un canapé-lit, j'ai plus jamais quitté La Mine. On a plus jamais quitté La Mine. J'ai tout fait dedans. Mes premières chichas, mes premières soirées, mes premières khapta, ma première taf de joint que je n'ai plus touché, mes premières embrouilles et ken mes premières meufs dedans.

Chaque fille que j'amenais pour le peu qu'y'en a eu était choquée de l'endroit, s'attendait pas à un espace aussi bien aménagé, propre, limite « cosy ».

Mais je sais que je suis pas le seul à avoir tout fait dedans. C'est pareil pour toute l'équipe. Quand certains étaient en embrouille avec leurs darons ils venaient passer leur nuit ici. Quand certains étaient trop bourrés lors de soirées pour rentrer chez eux ou savaient qu'ils risqueraient de déranger leurs darons, ils venaient dormir ici. C'était notre appartement, notre bien commun et sans loyer. Avec le temps, les choses ont changé bien que La Mine reste La Mine.

Il y a eu la première embrouille entre Joel et Adel au sujet d'un des scooters qui avaient disparu car ouais, notre résidence servait aussi de garage de scooter volait ou de motocross. Joel accusait Adel d'avoir pris un des scooter qu'il avait volé et de l'avoir mis dans un autre endroit. C'était qu'une petite embrouille, mais le fait de savoir que des cas de vols pouvaient être possible entre nous causa un froid. On devenait plus méfiants les uns envers es autres. Certains comme Djaby et Sincère arrêtaient de venir. En tout cas moins souvent quand ils ont commencé à réellement s'impliquer dans les affaires.

– Wesh les gars ça y est, c'était en 2013-2014 on se posait là, maintenant faut laisser ça aux petits ! C'est ce qu'il avait dit une fois, lors d'une discussion de groupe.

Sauf que ce n'était pas les vraies dates, on se posait ici depuis bien avant. Puis la vraie embrouille eut entre Brayan et Mam's face à Sincère et Djaby. Les deux premiers rentraient à La Mine en suivant le procédé habituel après la fac pour l'un et après le taff pour l'autre histoire de faire une petite chicha, une petite partie de Fifa.

De quoi se détendre avant de rentrer à la maison quoi. Mais arrivés dans la deuxième pièce, ils trouvèrent tous deux sur la table une plaquette de shit, des sachets de beuh, une pesette, des pochons et un couteau de cuisine entouré d'un torchon . Mais c'était pas tout car au dessus du petit frigo qui était posé juste à côté de la télé, ils trouvèrent des pilules d'MD mais aussi des sachets remplis de mash. Message direct des deux qui nous demandaient de rappliquer le plus vite possible.

J'étais encore en ronde au quartier et ne comptait pas me poser à La Mine ce soir là, mais au vu de leur vocaux énervés, je les rejoignis rapidement. A l'intérieur, je découvris aussi sans stupéfaction tout le matos et tout de suite j'eus dit « Djaby et Sincère hein ». C'était sûr, ça ne pouvait être qu'eux.

Mam's et Brayan avaient l'habitude de la drogue, des découpes et de toutes les manigances propre à ça. Ils venaient de Goélands eux aussi, ils n'étaient pas naifs. Mais les deux ne voulaient pas voir ce genre de chose et surtout ne voulaient pas avoir affaire avec ce genre de chose. C'était après tout le monde et avec de grandes minutes d'intervalle que les deux, Djaby et Sincère, nous rejoignîmes avec grand sourire.

– Ah ouais les gars faut pas toucher. C'est pas pour les petites bites ça ! Avait-dit l'un d'entre eux.

Ils savaient qu'ils étaient coupable et qu'ils avaient violé un principe de La Mine qui était : « Pas de drogue à dissimuler à La Mine, ce n'est pas une planque. »

Mam's avait vu rouge ce jour là. Alors que Sincère marchait pour reprendre ses bisakas, une première patate arriva dans sa gueule, projetée son sac de sport à l'autre bout de la pièce et heurta le canapé lit.

– On avait dit quoi sale bâtard ? Bah de stups ici frère, rien ! disait-il alors qu'il donnait des coups de pieds et des patates à Sincère qui gisée au sol.

Djaby tenta de rentrer dedans mais Brayan l'en empêcha et chercha à parler avec lui afin de lui montrer que ce qu'ils avaient fait été grave. Sincère se faisait tellement malmené que des tâches de sangs immaculées sa veste de sport Hugo Boss blanche. 

Je me devais d'intervenir et ce violemment car Mam's énervé ne lâcha pas l'affaire. Après avoir mis un coup de pied à Mam's et jetait Sincère à l'autre de bout la pièce pour être sûr qu'il ne revienne pas à la charge, j'assistais à la scène béat et voyais nos amitiés être détruite pour une histoire dont on avait promis de ne pas tomber dedans encore petits dû au mal que ça pouvait causer à nos proches. On se regardait alors face à face, deux clans, deux perspectives et j'étais au milieu des deux, à cheval sur deux principes, sur deux valeurs, sur deux idées.

Djaby prit le sac de sport et continua de tout ramasser puis les deux partirent sans dire un mot, sans un au revoir, qui aurait permis de tout apaiser et de prouver que l'on resterait pote après ça. Des disputes entre nous, il y en avait toujours eu mais de telles circonstances, jamais.

Une semaine plus tard, j'apprenais que Mam's s'était fait crosser par Sincère pour se venger alors qu'il s'apprêtait à rentrer chez lui. Désormais Mam's ne traine qu'avec Brayan et Joel. Il reste en contact avec moi mais de manière éloignée, de peur que je balance des choses à Sincère ou Djaby. Adel lui a déménagé et revient quasiment plus à Goé'. Dès qu'il revient c'est pour voir Sincère, Djaby ou Yuri.

Quant à moi je suis le milieu d'eux tous. Si j'avais su que notre amitié en arriverait à là. Tant pis, c'est la vie.

La Mine n'est pas totalement désertée, des petits ont repris le relais désormais. J'ai montré comment s'aventurer dedans à mon petit cousin et il y va quand le temps lui permet avec ses potes. J'y vais aussi de temps à autre avec Mehdi même si ces occasions restent rares. On y est allés à peine quatre fois depuis le début de l'année pour être honnête. Puis moi aussi je commence à le déserter, petit à petit, jour après jour.

Pas que je veux pas, j'ai juste plus trop le temps de me poser et rester des heures et des heures à glandouiller dans un endroit qui avec du recul n'est pas si propre et accueillant que cela. Petit on trouvait que c'était beau, merveilleux et que c'était l'endroit parfait et rêvé. Maintenant, c'est tout autre. C'est triste, mais bon, les temps changent et les gens aussi.

Certains grands qui travaillent dans le milieu associatif continuent de nous remercier pour la trouvaille et l'entretien que l'on a fait au travers de La Mine. Ils y voient comme une sorte de d'espace commun privatif pour certains petits qui, par exemple n'ont pas de PlayStation ou pour d'autres qui ont des problèmes avec leurs familles. Nous aurions au moins fait quelque chose de bien pour le quartier.

Mehdi, qui est l'une des personnes maintenant que je côtoie le plus avons la même mentalité. Même si on a grandi dans le même quartier, on s'est jamais fréquentés même plus jeunes car petit, avant même de trainer avec Sincère, Djaby et tout l'effectif désormais décimé, je faisais parti de ces jeunes du quartier qu'on appelait « un prisonnier ».

De ce fait, à la sortie des cours je suivais le seul chemin qu'était école-maison sans passer par un quelconque parc ou une quelconque autre allée. Je ne pouvais jouer qu'en bas de chez moi, au risque d'en manger une par ma mère qui détestait et craignait le quartier.

Aussi, il n y avait pas que ça car dans le fond, je me reconnaissais pas vraiment dans mes semblables. Je le voyais bien que que nous avions grandi dans les mêmes fonds et avec les mêmes formes, mais je n'arrivais pas à avancer vers eux quand les occasions s'y prêtaient.

Ainsi, contrairement à la plupart des jeunes de mon âge voire même plus petits qui possédaient ce libre- arbitre de sortie comme de déplacements partout dans la cité, je passais quant à moi mes journées devant YouTube à regarder des clips de rap, des vidéos et des séries gags comme Dans Le Kartier ou tout simplement à jouer à de multiples jeux sur Jeux.fr.

C'est avec de la frustration et un sentiment d'injustice que j'ai grandi.
J'en ai toujours voulu à mes parents de me priver, de me garder à l'abri du potentiel danger qu'il y a lorsque tu vis dans un quartier alors que des petits de mon âge jouaient, dansaient et s'amusaient avec ce danger que dont on m'a longtemps éloigné. Quand le temps avança et que mes parents lâchèrent de plus quant à mes sorties, j'eus vite senti que nous étions différents, que nous avions pas les mêmes codes et qu'à ma plus grande tristesse, certains ne me reconnaissaient pas, ne me connaissaient pas.

« Tu viens de GoéLand toi ? »
« C'est quoi ton prénom ? Iskander ? T'es un renoi nan, c'est un blaze de rebeu ça »

« Mais je t'ai jamais vu au quartier toi ! T'es un prisonnier en fait hein ? »

« T'habites où dans la cité aussi ? »

Tout ça furent le genre de question auxquelles je me devais de répondre avec, à quelques fois une certaine gêne et un petit air maussade.

Ils me voyaient pas mais moi je les voyais de la fenêtre de ma cuisine. Tous autant qu'ils étaient. Je les ai vus pleurer, je les ai vus jouer au foot, faire du vélo, voler des vélos, gratter des tours de scooters au grand du quartier, se défier sur différents jeux et plans. Je les ai entendus lâcher des freestyle de rap sur des instrus volés, se battre pour des histoires de foot et j'en passe.

Mais je n'ai pas vu qu'eux, j'ai vu aussi comment les grands engrenaient les petits, comment les petits cherchaient à s'faire engrener par les grands, les transaction de trafics sous mes yeux et aux yeux du grand public et les bagarres. Quand je leur racontais ces histoires certains ne me croyaient pas, pensaient que j'étais fou ou que je mentais car je n'avais que ça à faire vu que je trainais essentiellement chez moi. Ils pensaient même que j'essayais juste de gratter leur amitié.

Seuls Sincère et Djaby me croyaient et c'est à eux que j'ai commencé à plus me confier, à dire tout ce que je voyais et tout ce que j'entendais par ma fenêtre à des heures mêmes tardives.

A force, ils ont fini aussi par se livrer, à me raconter où est-ce qu'ils vivaient à Goé', s'ils avaient des frères et sœurs et autres. Puis de fil en aiguille, le reste de l'effectif avait fini par me croire et j'ai fini par trainer avec eux aussi.

Ils ont fini par m'apprécier, à me trouver drôle malgré le décalage des visions sur lesquelles on s'entendait pas forcément. Je n'étais pas devenu le pilier de notre petit « set » inoffensif car y en avait pas et ça serait mentir de dire ça, mais j'étais celui qui unissait à peu près les mentalités, arrivé à m'adapter mieux que quiconque à chacune des discussions et des personnalités.

Aujourd'hui alors qu'on a grandi et que le set s'est décimé, la plupart de mes proches et des gens du quartier me demandent ce que je fous encore avec Djaby et Sincère, que j'ai pas choisi les bonnes fréquentations, que je me suis pas allié au bon côté de la séparation. Que ce soit de Mimie aux anciens qui travaillent dans le milieu associatif, j'entends toujours les mêmes mots, les mêmes propos et voient la similarité du regard qu'il partage tous. Certains me mettent en garde contre le fait que l'un des deux pourrait me mettre dans des problèmes et d'autres m'expriment juste leur incompréhension. Comme Mimie qui aime me le rappeler tous les jours

au travers de :

"Vous vous ressemblez pas Skan' wesh, ils sont bizarre eux !"

"Ils sont qu'à deux en plus, t'es avec eux pour rien je trouve.."

"Mais arrête, tu vas pas quand même voir ces pouilleux quand même ?"

Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils sont transparent avec moi malgré la distance que j'ai dans leur duo. De plus, je sais quoi faire, j'suis pas un gamin. Si des problèmes surviennent je saurai déjà comment les anticiper. Plusieurs fois je les ai accompagnés dans des plans farfelus de tous genres sans qu'ils m'en tiennent rigueur, plusieurs fois je les ai aidés comme ils m'ont aidé. Alors ouais, j'suis différent des deux mais au final c'est ça l'amitié moi. C'est se sentir liés à des personnes qui nous ressemblent pourtant pas.

La semaine était longue et hier était un jour banal et épuisant. Mehdi n'était pas là en plus, il était à Fresnes. Je comptais alors me reposer en ce samedi soir mais Djaby vient de m'appeler et me dit qu'on l'a plavoné sur un plan ce soir. Il ajoute qu'il m'attendra en bas de chez moi vers 23h et me dit que j'ai intérêt à me dépêcher car il doit pas être en retard et que plusieurs choses sont à préparer en amont. Je lui réponds que c'est bon, que je suis partant et que 23h je serai là.

A 23h07 je reçois son appel. Il est en bas, il me dit de le rejoindre et sa voix paraît moins stressé que tout à l'heure. Au téléphone il est enjoué, excité et amusé. J'ouvre la porte du block et le vois sur le parking vêtu d'une veste tech, d'un jean et d'une paire de basket luxueuse en train de se cramer une clope. Il n'a même pas remarqué ma présence tant il est concentré à regarder les alentours de Frankfurt comme s'il était à Cova da Moura.

– Iskalux, c'est comment mon reuf ? Monte dans la tchop, on va chez Mustapha, on va acheter de quoi graille pour la route.

Je lui réponds que je vais bien et je monte directement dans sa peugeot 206 grise sans forcément demander où est-ce que l'on va faire après le grec. Il me raconte sa journée, me dit qu'il s'est levé à 10h car il devait se rendre à Lille pour l'achat d'une voiture mais que le proprio parlait chinois mais aussi que plusieurs papiers manquaient pour l'achat du véhicule.

– Petite clio 4, tu connais, elle passait bien. Me dit-il.

Il me raconte qu'il a capté Sincère ce midi, qu'ils ont fait leurs affaires et qu'il est passé, tout juste avant de m'appeler à La Mine et pour se poser en vite fais avec les petits.

– C'est devenu propre de fou malade La Mine 167

hein, les petits prennent soin de ça en bien, mieux que nous à l'époque... Ils ont mis des tableaux de tags et tout. Nan, laisse tomber, c'est carré ! Faudrait que t'y repasses.

Sauf que tout cela je le sais et depuis bien longtemps. Quant à lui, ça devait faire un bon petit mois qu'il s'était pas rendu à La Mine car tout le monde était au courant de ça. Du moins, toutes les personnes du set et des personnes qui se rendaient fréquemment là-bas.

– Bah ouais je sais que les petits ont modifié quelques trucs. Mais que veux-tu, les temps changent noko !

On arrive assez rapidement chez Mus' qui nous reconnaît tant le nombre de fois et de temps que nous avons passés ici. Il nous connait depuis petits.

Dès lors, nous nous passons assez rapidement de tout ce qui se rapporte aux politesses, à la courtoisie et aux dogmes de relation-client. Ni une ni deux, il commande un naan chicken rouge complet sauce cheezy algérienne et je décide de prendre un libanais sauce mayo biggy sans tomates. Ma commande donne lieu à des rires. Faut dire qu'il n y a pas de grands amateur de mayonnaise dans mon entourage.

On décide d'attendre sur la route et lui demande quel est le thème de ce soir. Il me dit tout d'abord et honnêtement qu'il avait pensé en premier à mettre Sincère sur le coup mais qu'il a préféré me prévenir car après avoir fait son tour à La Mine, il pensa à la première fois où je me suis présenté à eux.

– J'me suis dit, nan, ce menteur doit monter avec moi ! Déclare-t-il le tout en riant. L'insulte de menteur employé en référence à toutes les choses et tous les dossiers que je leur avais dit relatif à Goélands ce jour-là.

Je souris et lui demande alors d'être plus explicit. Il me dit qu'on fera l'ouvreuse jusqu'aux abords de Rouen minimum. Le maximum sera jusqu'au port du Havre pour un ami de Yuri qui sera lui chargé de prendre la marchandise à ses propres frais.

– C'est un de ses anciens potes qui est sur le coup, il est carrément en dèch j'crois, laisse tomber. Donc bon, moi j'ai pas cherché à savoir. On m'a dit j'peux m'faire 500 soir ce, c'est tout. On fera 50-50.

Je le regarde et lui donne mon accord. Il me sourit comme s'il l'avait déjà deviné, comme s'il avait déjà lu l'affirmatif dans mes rétines avant même que je l'exprime. Ça doit être ça quand t'es réellement impliqué, t'arrives à anticiper les réactions des gens, savoir comment ils vont agir en fonction de ce que tu vas leur proposer. Un peu comme un commerçant, dans un sens.

– On va d'abord voir Yuri qui est au grec de la cité avec le mec en question. Ils vont nous dire deux trois trucs, nous donner la voiture et puis voilà, on sera lancés.

– Parfait alors.

Mus nous invite à venir prendre notre graille. Il nous offre deux canettes, en plus. C'est un bon. On remonte dans la voiture et à peine nos ceintures mises, il lève le frein à main et descend la rue en pente en 4ème. Je connais pas un seul de mes potes qui n'aiment pas la vitesse, comme si rouler à des vitesses aussi élevées en moto comme en voiture les faisait se sentir en vie.

Il continue ainsi prenant les ralentisseurs et les routes en 4ème jusqu'à ce que nous arrivions au fameux grec qui n'a jamais été un grec. Tout le quartier sait que ce kebab situé aux Coursives n'ouvre que deux ou trois fois dans la semaine et à des horaires dont seul lui a le secret.

Devant ce dernier, plusieurs jeunes et anciens du quartier discutent, débattent, fument et boivent un thé à la menthe dont l'odeur est la première chose qui me marque dès que nous arrivons aux abords de l'entrée. Djaby leur serre tous la main et je fais de même. Je reconnais quelques grands et anciens et certains me reconnaissent aussi :

– Iska', c'est comment mon petit ?
– Iska bien ? Me demandent-ils chacun leur

tour.

Nous rentrons à l'intérieur du grec et Yuri est là, assit avec la personne que nous allons escorter. Il nous sourit et me serre la main. Il m'accueille comme un des leurs. Yuri est le bras droit du père de Sincère. Pourtant, l'écart d'âge entre lui et nous n'est pas si conséquent. Il a su faire sa place dans la cité sans rien demander à personne. Le jour où le père de Sincère a commencé la cartellisation du quartier, il décida de mettre le pied à l'étrier et le suivit. Son ascension est admirative pour certains jeunes d'ici, bien que cela soit triste de l'avouer.

Il nous présente Ulrich dont on sait directement que ce n'est pas son prénom. Pour autant, ce petit quadragénaire au corps svelte et à la tête de monsieur tout le monde porterait bien ce prénom dans la vie de tous les jours. Ulrich nous informe qu'il sera accompagné d'une dame afin que cela passe crème. C'est tout, on n'en saura pas plus sur elle comme sur lui. Yuri nous dit d'aller chercher la voiture qui est garée sur le parking du Terminus derrière la pharmacie et de nous mettre directement en route après cela. Djaby échange son numéro avec Ulrich pour l'affaire. On se reverra peut-être, ou jamais.

Nous partons récupérer la Polo GTI. Notre rencontre avec Ulrich vaut des rires et une certaine conversation sur la route.

– T'as vu comment il était ? Meskine j'ai cru que c'était un buraliste carrément. Il a v'la degz d'un tonton !

– Ah je te dis Djaby, l'ancien a loupé le coche, c'est tout.

– Rah ouais, meskine je finis comme lui non ?

– C'est parti pour mon reuf..

– Sale batard ! Me répond de manière sarcastique.

Le parking est plein et à l'instar des personnes situés devant le faux kebab, les agissements, les paroles et les actes sont identiques.

Seules leurs gueules changent et bien que je reconnaisse certaines têtes, nous ne perdons pas de temps à serrer la main à tous les humains et nous nous contentons d'un salem de loin. Arrivé dans le bolide, je déballe le papier allu' entourant mon sandwich et tape un croc corrélativement au démarrage du moteur.

Une marche arrière, le levier de vitesse sur D et nous voilà parti. On emprunte la A16 avant d'emprunter la A29.

Il déballe à son tour son grec et nous commençons à parler. Il me demande comment ça va avec ma copine, je lui réponds qu'elle risque de changer de ville après le bac et qu'elle ne sait pas sur quel pied danser du à cela. J'évoque aussi le fait qu'elle et moi sommes pas du même monde, mais que je l'aime quand même, que j'aime passer du temps avec elle :

– Comment ça vous êtes du même monde et tout tes baratins là ? Je comprends pas c'que tu veux dire. Me dit-il

– Je sais pas, on vient pas du même monde 172

frère. Elle veut voyager, veut faire ci, faire ça. Moi j'ai pas les talles, et je pense pas encore à ça, tu captes ? Puis tu connais, c'est une fille de la ville, je viens d'ici moi, je viens de Goélands. On est pas brodés pareils.

– Ouais mais tu connais, déjà ce sont tes parents, guette ils t'ont mis dans quel endroit. Les moula' sont pas comme nous mon reuf. Moi c'que j'peux te dire, c'est juste regrette rien, nique sa mère, des meufs y en a pleins. Mais, si tu sens quelque chose de spécial, qu'elle te fait sentir et ressentir des choses indescriptible, donne toi à elle parce que tu regretteras beaucoup après la rupture. Puis, elle peut apprendre de toi, comme toi tu peux apprendre d'elle en vrai vu vos différences comme tu dis non ?

– Ouais.. T'as raison. Et toi c'est comment avec Hawa ?

– Ah mon reuf, les fiançailles, si Dieu le veut.

– Mais t'as à peine 21 ans. Tu veux vraiment te fiancer aussi tôt ? Tes darons en pensent quoi ?

– Frère, c'est elle et pas une autre. Ma mère est d'accord mon reuf. Elle sait que j'traîne, que j'fais des connrie. Un mariage me stabiliserait selon et j'pense aussi comme elle. Les parents de madame sont d'accord, à condition que j'arrête tout ce que je fais là.

Il vient d'entamer une nouvelle fois son sandwich et s'apprête à ouvrir sa canette sereinement. Ce moment de partage lui fait du bien, je le lis sur son visage.

Hawa et Djaby ont grandi ensemble et fréquentés les mêmes écoles. De l'élémentaire jusqu'au lycée, ils ne se sont jamais quittés. Leur amourette a débuté très tôt, à un âge tellement précoce que l'on ne sait pas ce qu'est l'amour à un âge aussi bas. Mais eux, le savaient. Hawa est l'une des rares familles maliennes de Goélands. En général, en dehors des Blancs qui constituent une écrasante majorité au quartier - ce qui est normale – et par leur composantes de polonais, portuguais et ritals, ces derniers sont suivis dans un second volet par les Maghrébins (algériens et marocains majoritairement).

Nous arrivons les personnes Noires en troisième position dont les origines ivoiriennes, congolaises, sénégalaises et cap-verdiennes sont celles que l'on retrouve le plus. Dans ce même mélange sont souvent inclus les familles antillaises et indiennes, aux teintes de peaux souvent similaire aux notres.

Hawa est donc l'exception dans la minorité. Sa famille est implantée depuis des années et a contribué à l'apparitions de nombreuses activités au sein du quartier.

Une famille impliquée, dévouée et solidaire qui n'a jamais hésité, malgré le défaut de langage et de coutumes que lui a reproché de personnels de la mairie, de se battre pour que nous les jeunes ayons plus d'activités, plus de jeux, plus d'ouvertures, plus de choix de vie.

Plus jeune, je me souviens de la fête de la cité Goélands qui rassemblait plusieurs personnes du quartier et d'autres jeunes des cités de la ville.

Des barbecues, des intervenants de tous les domaines, des jeux gonflables, des jeux en plein air et des concours de chants étaient disposés un peu partout au sein de la cité. Tout cela nous avions pu l'avoir grâce à ses parents qui s'étaient battus corps et âmes contre l'administration de la mairie qui cette dernière céda.

Mais tout de suite après, la mairie avait décidé de réduire drastiquement les subventions qui permettaient de mettre en place toutes ces activités saisonnières. L'explication avait été que l'argent donné pour ces « jeux » pouvaient être réinvesti dans des rénovations urbaines du quartier. Aujourd'hui, ces fêtes ont lieu grâce aux subventions d'associations caritatives, dont la mairie s'assure que ces dernières soient en lien avec notre univers culturelle. La mairie est donc encore sous le contrôle.

Mais le plus drôle dans tout ça, c'est qu'on ne voit toujours pas l'ombre d'un chantier.

La vraie explication est que cette fête faisait parler d'elle de manière positive et enjolivée l'image que les gens pouvaient se faire de Goélands. Au point que plusieurs journalistes et photographes locaux s'étaient rendus à plusieurs reprises lors de ces fêtes pour interroger les parents d'Hawa et pour prendre quelques clichés de cette fête et de nous les plus jeunes. La famille d'Hawa n'est pas parfaite, car aucune famille parfaite n'existe à Goé'. Mais, d'un point de vue structurel, eux s'en rapprochent.

La famille de Djaby est différente, c'est une famille monoparentale comme il en existe de nombreuses ici avec la présence d'une mère, d'un petit frère et d'une petite sœur dont il est proche de ces derniers que timidement. Il s'exprime jamais sur eux. Pourtant, dès que je croise ses petits frères, ils ne cessent de me narrer ce que leur frère a fait pour eux. Comme cette fois alors que je me baladais près de chez lui au niveau du square et que les deux s'étaient rués sur moi afin de me montrer leurs dernière pairs de basket pour l'une et son dernier maillot de foot pour l'autre.

– Maillot de l'équipe de France, t'as vu ? Floqué Coman, il est beau hein ? Avoue il est frais !

– Et moi regarde Iska', regarde mes Nike, c'est Djaby qui me les a achetés !

Sa mère adore Hawa. La famille d'Hawa accepte Djaby. Il voit en lui un gentil et honnête garçon qui rend heureuse avec fille. Ainsi le terme et le projet de fiançaille devraient pas m'étonner.

Il me passe un câble et me dit demande de mettre du son.

– Tu sais je veux quel son en plus, sois pas con. Me dit-il en souriant.

Je branche le câble USB, je vais dans ma playlist et aux premières mélodies, nous chantons en même temps en nous laissant entraîner par le rythme des premières sonorités.

« Rien à faire amore moi, S'entretuent veulent plus s'allier Aujourd'hui dans mon barrio, Demain je peux m'envoler vers Cuba Après demain j'serai à Rio »

https://youtu.be/mOTMDNwOs7w?t=15

Nous voilà en karaoké sur Niro – Photo de classe, l'une des musiques que l'on écoutait le plus quand nous zonions à La Mine avec le set avant que l'on se décime.

Cette époque où nous étions encore une reconnaissant et une solidaire entre nous. Des chichas, une play, des canettes et nous chantions à l'unissons ce chant tel des marins en mer à la recherche et en quête d'une terre promise.

« Quand on était ti-peu on était trop Maintenant y a plus personne sur la photo !»

Les paroles nous dessinent, nous contourisent, nous ressemblent. Nous chantons à tue-tête comme si à chaque fois que l'on augmentait le timbre de notre voix et améliorait l'élocution des centaines de millions d'euros nous tomberaient dessus.

– Si tu savais les sentiments que j'ai pour ce son, il me rappelle le set. Je te l'avoue, je l'écoute encore de temps en temps. M'avoue- t-il

– Je me doute bien mon reuf, vu comment tu la chantes !

Il sourit. Son téléphone sonne. C'est Ulrich. Il me demande au travers d'un changement d'humeur remarquablement choquant en passant du rire aux sourcils froncés de baisser le son. Il met le haut parleur. Ulrich nous dit qu'il est en route et nous demande si nous avons croisés des policiers sur la route. Djaby répond que non, que nous avons dépassé les premiers péages et que tout est vide, que le trafic est fluide.

Je n'ai même pas fait gaffe pour être honnête à la pontentielle présence des policiers sur la route. Le pourquoi de notre présence sur cette autoroute m'était même sorti de la tête.

Il nous demande d'avancer jusqu'aux abords de Rouen et de faire demi-tour car il s'occupera du reste. On acquiesce et raccroche directement. Il nous reste 46 minutes de route jusqu'à Rouen. Nous avons fini de manger et le trajet se déroule dès lors calmement. Il me raconte que Sincère veut se lancer dans le trafic d'armes comme son père, que ça rapporte plus que la beuh et autres. Je ne réponds pas et attend qu'il continue de livrer ce qu'il a sur le cœur.

– J'pense à m'retirer lui veut m'emmener encore plus loin dedans

Il rigole de manière gênée. Un air inquiet et de regret prend le dessus sur les sourires qu'il lâchait avant l'appel et cette discussion.

– Souvent j'pense au bac, aux études, tout ça. J'me dis que j'aurais dû au moins continuer jusqu'au bac. Même Sincère y pense souvent t'sais. Mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse, c'est trop tard maintenant.

– Il est jamais trop tard en vrai.

– J'fais quasiment 600 euros par jour mon reuf, je fais ce que je veux là. Je suis libre. Je suis tout le temps stressé, mais libre. J'suis habitué à ce train de vie là. Repasser le bac et autres pour faire quoi au final ? Être un employé ?

– T'as pas peur d'te faire coffrer ?

– T'sais le nombre de fois que je me suis fait relâché ou pas ? Garde à vue ensuite sortie sortie. Ou sinon garde à vue, procureur(e) et affaire sans suite. Toujours le même schéma. Souvent ce sont même les keufs ces vicieux qui te demandent des sous en échange d'un laissez-passer. Laisse tomber. Y a pas de justice, pas de bon ou mauvais, j'vois ça comme ça moi. J'vais continuer vu que tout le monde est corrompu, c'est tout.

Il continue d'accélérer et jette quelques coups d'oeil dans le rétro intérieur afin de savoir si on est suivi, mais il y a personne. L'autoroute est quasiment déserte à l'exception de quelques voitures que nous croisons à un intervalle de 3 minutes chacune sur les voies situées sur notre droite.

– T'façon comme j'te l'ai dit, j'ai que les fiançailles en tête. Je ferai quelques coups avec Sincère et j'arrêterai si Dieu le veut. Il le capte et ressent que j'ai de moins en moins envie de mener cette vie là. Mais pour faire quoi après tu vas m'dire ? Moi-même j'sais pas. J'ouvrirai un commerce, p'têtre.

Je regarde le croissant de lune qui se montre puissant et fort en cette nuit. Je consulte mon téléphone et vois que le message de madame qui me demande ce que je fais. Je lui répondrai plus tard, j'préfère vivre le moment présent.

Djaby reçoit un nouvel appel. Ulrich fait court et nous dit que c'est bon, que l'on peut faire demi-tour. Djaby lui signale que nous ne sommes pas encore aux abords de Rouen et que nous y serons dans une vingtaine de minutes. Froidement, Ulriche répond qu'il n y a pas de problèmes et qu'il s'occupe du reste. On s'éxecute, raccroche, lui souhaite bon courage et cherchons dès lors la première sortie.

– Il est bizarre. Ça doit pas être la première fois qu'il fait ça, il a dû sentir que des flics ne seraient pas présent ce soir. Bon tant mieux, on va pas se plaindre.

Clignotant enclenché on se positionne sur la voie la plus à droite. Il appelle dans le même temps Yuri afin de lui faire part de comment tout cela s'est déroulé. Il acquiesce, nous répond que tout est carré et nous demande de rentrer au quartier et de le rejoindre au grec. La première sortie à quelques mètres, nous l'empruntons chamboulant l'itiniraire donnée par la plateforme de localisation.

Le retour est toujours plus rapide que l'aller. Nous parlons quasiment pas préférant laisser les paroles de musiques parler à notre place. Nous enchaînons tous les classiques de Booba à nos musiques les plus personnelles. Stand by Me de Ben E. King passe aléatoirement. Il me regarde et se fout littéralement de ma gueule.

– Sale batard fais pas crari t'écoutes pas des sons ça comme aussi ! 

– Eh, on parle de toi là poto. Mais si tu peux, mets un peu de The Weeknd en balle...

J'interrompt Ben E. King afin que Djaby puisse entendre la manière dont je me moque de lui à cet instant présent. Il se défend du mieux qu'il peut.

– Tu connais, c'est madame quand on est en voiture ou à la maison mon reuf.. Eh rigole pas trop où je nous envoie dans le mur là ! Crie-t-il tout en jouant brutalement avec son volant alors que nous sommes à presque 110 km/h.

J'exauce son souhait et mets la première musique de The Weeknd qui s'affiche dans la barre de recherche de mon application musicale. Il ne dit rien mais mime des mouvements de la tête en symbiose avec l'instrumentale de la musique.

Je laisse les sons défiler, regarde la route sur ma droite puis me perds dans mes pensées au sujet de mon avenir, ma copine, les cours, ma famille, la cité Goé et j'en passe. Mes paupières sont tellement lourdes que je m'endors à certains moments laissant Djaby dans son monologue au sujet des défaites incessantes de Lyon en Ligue 1 et des pontentiels changement que devrait faire Aulas au sein de l'administration. Je l'entends plus. Je somnole. Il me réveille, nous sommes arrivés à la maison.

Nous sommes sur le parking, je déboucle ma ceinture mais au moment où je tente d'ouvrir la portière il me dit de rester là.

– Bouge pas. Sors pas d'ici, j'arrive.
Je m'execute. J'attends. Je continue de regarder

Cette fois-ci les fenêtres des immeubles enclavant leparking. Elles sont toutes colorées d'une certaine manière au travers de teintes réflechissantes qui proviennent des lampes et des ampoules des habitants respectifs. Du violet, du orange, du bleu, du jaune et du blanc représentent le re flet de certaine fenêtre. Par la chaleur qu'a donné cette journée, des fenêtres sont ouvertes afin que de l'air frais puisse s'inviter. Mais alors que l'air frais s'invite chez autrui, des conversations téléphoniques à haute voix permettent à toute la rondelle et à tout le parking t'entendre ce qu'il se dit tel un échange équitable.

Par conséquent, j'entends la conversation téléphonique à la voix tabagique de cet homme dont maintenant je sais les problèmes financiers et sociaux que son neuveu possède et lui cause par la même occasion. J'écoute la voix de cette jeune fille qui doit à peine avoir 15 ans qui est en conversation téléphonique groupée avec ses potes qui se permettent de juger la vidéo d'une influenceuse. J'entends tout et j'pense pas être le seul dans ce cas là.

Presque 10 minutes qu'il est parti et toujours aucun retours. Je me tâte à le rejoindre, à voir ce qu'il se passe. Mais alors que je m'apprête à ouvrir la portière j'entends des cris qui proviennent de l'endroit où est censé être Djaby.

– Wow wow, doucement wesh !

– Lâche le frère, lâche !

Je traverse le haul de l'immeuble de manière assez précipitée afin de rejoindre le snack délabré pensant y trouver Djaby malmené ou dans de sérieux ennuis mais sur place, je vois un groupe de personnes en forme de cercle d'arène comme s'il délimitait le lieu d'un combat. Au final, ce qui s'y déroule n'est qu'une bagarre entre deux junkies du quartier comme il y en a souvent.

Je regarde la bagarre qui se déroule au ralenti et me rends compte que la plupart des gens se foutent juste de la gueule de ces deux drogués qui luttent au ralenti en se portant des coups à des endroits improbables.

– Rachid wesh doucement tu vas lui faire mal !

– Tony esquive wesh, esquive ! Doucement !

J'observe la scène avec un sourire aux lèvres, impossible de prendre tout cela au sérieux. Tout est bouffonnerie. De l'accoutrement troués des deux combattants vêtus d'une parka lourde aux coups de poings donnés avec une bière à la main pour les deux. C'est un sketch, une comédie voire même, un théâtre comique social vivant. Je tourne ma tête et vois cette fois-ci Djaby en train de rouler un joint avec Sincère qui est là lui aussi. Je comprends mieux pourquoi il a pris tout ce temps. J'avance vers eux qui me remarquent à peine et salue Sincère.

– Wesh, t'es là toi? Ça dit quoi Iska'? Me questionne Sincère.

Djaby me regarde avec un sourire au coin des lèvres, joint au bec.

– Frérot, j'allais te rejoindre mais guette l'embrouille d'abrutis aussi !

Je le regarde et me contente de sourire en fermant les yeux. Je reste à côté d'eux, dans l'ombre, dans la discrétion pendant qu'eux se disent à peine des choses, à peine des mots. Ils ne communiquent pas. Non pas parce que je suis là, parce que ç'a toujours été ainsi entre eux. Ils se comprennent en un regard, en parlant peu et les seules fois où ils parlent c'est uniquement pour dire des âneries, des conneries ou pour s'insulter entre eux. Quand le silence ne tend pas une conversation, c'est que vous êtes tous deux pleinement vous-mêmes et en pleine confiance l'un de l'autre. Ils le sont et, ce depuis minots.

Djaby fait le P2 à Sincère et me propose d'aller récupérer la voiture que l'on a laissée dans le parking des Coursives et d'ensuite me déposer chez. J'accepte et presque instinctivement nous partons tous les trois. Nous laissons Rachid et Tony les bourrés du quartier se battre et en être à leurs 6ème Round sous les mêmes pluies d'encouragements qu'à mon arrivée.

Sur le parking, l'homme a fermé sa fenêtre et éteint ses lumières tandis que la fille est toujours sur le même sujet avec le même entrain et la même tonalité de voix au téléphone.

– Ah ouais, Polo GTI 2.0 TSI.. 200 CH non ? Yuri vous a mis bien ! Venez on fait petit un tour non avant non ?

– Exact très cher et pourquoi pas très cher ai-je envie de vous dire. Répond Djaby de manière ironique.

Sincère a toujours aimé les voitures, un vrai concessionnaire et mécanicien depuis petit. Quand on entendait le bruit d'un moteur sportif à l'autre bout du quartier et qu'on se ruait afin de savoir quel bolide allait passer aujourd'hui, il savait déjà distinguer sans s'y rendre si ce dernier était un AMG A45 ou un RS3, une voiture qui était prisée par les grands et qui l'est toujours par ailleurs.

Sincère m'invite à monter devant se contentant d'être avanchi sur les banquettes arrières.

– J'préfère le fond et le canapé. J'ai mon joint, je vous laisse me conduire les petits frères. Nous dit-il

Cette fois-ci, nous mettons tous les trois nos ceintures. Djaby fait une marche arrière, met le boitier sur drive et laisse l'accélarateur avoir raison de nous. Nous sortons de la Place de Rhone-Alpes de la manière la plus rapide possible pour ensuite emprunter la Rue du Toupoi où le bruit du moteur a du réveiller le voisinage. Nous nous arrêtons au stop. Djaby active le mode sport alors que nous rentrons dans l'Avenue de la Commune de Paris qui est la plus grande Avenue de la cité.

– Mets toi sur la voie de bus. Choque moi frère ! Dit Sincère.

Nous voici à 110km/h sur une voie située à 50km/h. Je sens mon dos marié le dossier du siège. Mes cuisses vibrent à une vitesse incontenable, mon buste prend le devant à chaque fois que les vitesses augmentent. 115.. 120.. 125... Je tiens mes mains sur les poignées de peur tellement je sens l'adrénaline me faire l'amour.

Je me retourne et vois Sincère qui filme le tout avec son joint allumé au bec. Il a enlevé sa ceinture et s'est placé au milieu des sièges. Il ressemble à un gamin, à lui plus jeune. Il veut ressentir toute l'adrénaline, ne pas manquer une goutte, une action. Il range son téléphone et place ses deux mains au- dessus de nos appuis de têtes auxquels il s'agrippe fermement et avance sa tête de manière à ce que nos trois têtes soient alignées, comme si nous étions désormais trois devant. Trois pilotes. Ou un pilote et ses deux copilotes. Nous grillons tous les feux rouges présents, mais arrivé au rond point, Djaby ralentit, actionne son clignotant, regarde le rétro' intérieur et ce extérieurs et en vient à respecter le code de la route dans une hypocrisie presque morbide. Tel un caméléon, il change d'aspect.

Nous reprenons la même avenue en sens inverse qui nous ramène au quartier alors que celle empruntée plus tôt nous amenait à la sortie de ce dernier. Je m'agrippe de nouveau au poignet de peur. Le 0 à 100 en 6,5 secondes se fait ressentir. Les mêmes sensations, le même sentiment d'adrénaline et de mort me prend.

Nous arrivons à rond point inverse quasi instantanément. Nous sommes sur l'Avenue Languedoc et rien ne change, surtout pas la vitesse. Nous prenons un dos d'âne qui a failli nous éjecter de la route mais comme des idiots nous rions et voulons sentir les mêmes sensations. Nous frôlons une voiture qui arrive en sens inverse, le bruit de racle de la voiture a été entedu de nous tous.

– Putain j'espère que c'est pas une loc', Yuri va nous tuer sinon ! Dit Djaby en riant.

En jetant un coup d'oeil dans le rétroviseur extérieur, je remarque que la voiture que nous avions frôlé il y a à peines quelque secondes nous suit. Berline noir, Peugeot Break, quatre individus Blancs chauves dedans.

– Les gars, je crois qu'il y a la batman derrière. Scande Sincère

Djaby ralentit afin d'y voir plus clair mais en laissant toujours une marge de sécurité au cas où nous aurions besoin de reprendre le 0 à 100. Un gyro' bleu est posé sur le toit de la voiture.

– Sa mère la pute. Et on le dit tous synchroniquement.

On déboule l'allée Jules Vallès qui est l'artère parallèle au quartier La Varlin pendant que les porcs essaient de nous coller au cul. On feint d'emprunter la première à gauche mais nous empruntons la première la droite sur la Rue Victor Camélinat, qui est la dernière rue de La Varlin. A 94Km/h nous sommes, les rues Auguste Blanqui nous sentent passées et les chats errants du quartier aussi. Les voitures patinent, nous accelérons, freinons, feintons d'emprunter des rues à la place d'autres mais les porcs ne cèdent pas. Putain, si j'finis au shtar ce soir, j'suis fini, je vais me faire enculer par mes vieux.

– Va au terminus, ils feront un blocus les gens là-bas. Je les appelle là.

On écoute Sincère et réempruntons l'avenue Jules Vallès mais prenons cette fois-ci la première à gauche sur la Rue Louise Michel et directement sur la première à droite de l'Avenue de Picardie en freinant à chaque occasion.

Cette course poursuite leur donnent de l'adrénaline, de l'amusement, de l'excitation tel un jeu chien – chat alors que je ressens de la peur, du stress et de l'anxiété pour ma part.

– Iska', on va te jeter et tu vas cavaler. On va s'en sortir mais j'pourrai pas te déposer chez toi là, c'est mort. Forcément ils vont appeler des renforts.

Arrivé au Terminus sur le parking derrière la boulangerie et la pharmacie, Sincère baisse la fenêtre et crie :

– Les porcs ! Bloqué wesh ! 189

Presque instinctivement, plusieurs personnes sortent des blocks en criant, en hurlant en houant et même en sif flant. Des petits d'à peine 12 ans dont je me demande ce qu'ils font dehors à cette heure, des jeunes et des anciens mettent des poubelles sur la route après que nous passons bloquant ainsi les policiers dans leur quête de nous voir dormir derrière les barreaux ce soir.

Des gobelets, des paquets de clopes, des verres, des cailloux et plusieurs projectiles en tout genre sont lancés sur les bleus afin de les faire fuir et de leur montrer qu'ils ne pourront pas s'aventurer ici. Leur voiture est momentanément bloquée et voyant des personnes se mettre en travers de leur route, deux civils sortent et plusieurs jeunes se mettent à déserter de moitié cette même route barrée. Seules les poubelles et les milliers de choses mises sur la routes restent encore là.

- Vas-y descends mon reuf ! Cavale, on t'appelle après ! Dit Djaby.

Je descends de la voiture en bombe et traverse toute l'Avenue de Picardie qui a cette heure est déserte. J'entends le son d'autres gyrophares provenir des Coursives. Je traverse un immeuble au sous sol ouvert qui me permet d'arriver sur la Rue du Morvan le plus rapidement possible. Je continue en cavalant, je sens mon souffle qui me lâche jusqu'à la place des Corbières et emprunte une multitude de raccourcis traversant immeubles, blocks, terrains vagues afin d'arriver à l'autre bout de la cité, dans ma rondelle, à Frankfurt. 

Devant mon block je croise Léo, un de ces humains qui aiment trainer la nuit afin de chicher solo en bas du bâtiment. Il me demande pourquoi je suis essouflé. Je lui raconte tout ce qu'il s'est passé, de l'essai de voiture à la cavale.

– Ah ouais, je comprends pourquoi les hnouches sont là, vous les avez ramenés bande de bâtards !

Il rentre à l'épicerie qui cette dernière est située à un pas de mon immeuble et ressort avec une bouteille d'eau de 0,50cl avant de me dire :

– Tiens, bois et rentre mon reuf, c'est mieux. Ils vont te retrouver sinon. Si tu veux ressortir, fais le, mais change toi avant.

Je l'écoute. Je rentre sur mon pallier d'immeuble, appelle le bouton d'ascenseur avec cette adrénaline qui ne veut toujours pas me quitter et qui me quémande de lui faire encore une fois l'amour.

Alors je viens de l'entendre se refermer, la porte de l'immeuble s'ouvre bruyamment en claquant le mur qui donne un bruit strident, horrifiant, flippant. Une personne vient de rentrer dans le block, le stress m'envahit. Je reste de marbre devant l'ascenseur qui continue de descendre doucement, mécaniquement, étape par étape suivant les structures instaurées pas ses créateurs de merde qui vont m'envoyer en taule. Cinquième... Quatrième... Troisième... Sa mère la pute, c'est long.

Je me retourne pas. Je garde une attitude neutre. Si on me demande, je dirais que je suis passé à l'épicerie ou que je suis parti voir ma tante. A petit pas, la personne entrante avance vers moi. J'entends aussi des petits pas, comme ceux d'un animal. Comme ce de deux chiens. Putain, les porcs ont ramené les clébard policiers. Une voix de senior m'interpelle.

– Iskander, mon brave jeune homme, c'est toi ? Comment vas-tu ?

Je me retourne. C'est Rosalyne. La dame du 9ème. Putain, je suis apaisé. Elle vient de m'injecter une dose de sérotonine dont elle n'a même pas idée.

– Je vais bien et vous madame Rosalyne ?


– Roh tu sais, j'espère surtout que mes deux enfants vont bien. Elle regarde de manière amoureuse ces chiens puis elle poursuit.

– Tu sais depuis la mort de mon mari, c'est plus pareil. Avant des amis venaient me rendre visite à Goé', ils aimaient bien cette cité arborée durant la nuit. Nous faisions des balades nocturnes. Tu sais, dans les années 70, c'était différent, tu n'as connu ça toi les fêtes de quartiers tardives, la ferveur des festivités...-

Je l'écoute à peine me remettant encore du choc émotionnel qu'elle vient de m'infliger. Rosalyne est une gentille dame dont ses salauds de fils l'ont laissé moisir dans cette cité au lieu de l'accueillir respectivement chez eux.

Toutes ridées aux cheveux blancs avec une silhouette élancée et une bonne sagacité, cette senior aux yeux noirs et aux sourcils fins vit seule depuis pas mal d'années. Depuis que je vis ici, je l'ai toujours connue seule en fait. La mort de son mari remonte à un temps lointain. Cette défunte perte l'a laissée isolée, sans aucune relations sociales et contacts sociaux en dehors de nous, les jeunes du quartier à qui et ce avec enthousiaste, elle raconte ses journées voire même sa vie lorsque nous la croisons en bas du bâtiment ou dans les endroits ici et là de la cité.

Elle a toujours eu ce côté noble, bourgeois et distinguée que ce soit dans ses accoutrements, dans sa manière d'interagir avec nous ou dans ses réflexions quand on lui posait des questions au sujet de plusieurs thèmes. La culture, l'immigration, la nourriture, l'amour, la jeunesse, le travail, la politique et surtout, la sécurité.

– Rosy, t'aimes la police ou pas en vrai toi ? Avait demandé Brayan une fois.

– Eh bien, sachez que cela dépend jeune homme. Un temps pas forcément et un autre pas du tout. Et vous monsieur ? Vous n'êtes pas policier j'espère ? Si c'est le cas, je vous prie de bien m'excuser, mes propos sont mensongers. Je vous abhor-.. adore, voulais- je dire. Ma langue a flanché. Cela arrive !

Brayan lui avait posé cette question frontalement, il l'interrompit dans ses propos alors qu'elle nous racontait la journée qu'elle comptait mener en ce dimanche après-midi nuageux. Elle nous avait fait bien rire ce jour là.

Sa tonalité, ses gestes, sa manière de nous regarder, de nous parler, tout faisait croire qu'elle était d'ici, sans être d'ici. Pourtant, elle adorait affirmer son appartenance à cette cité tout autant que nous. Elle aimait nous raconter ce qu'elle y faisait durant sa jeunesse dans ce lieu-dit devenu un taudis.

– Vous saviez, au départ, il n y avait pas tant d'immeubles ni même autant de personnes. Le quartier était spacieux, arborés, colorés et extrêmement vert. Avec mon mari, nous nous amusions à faire des tours de vélo, des pique-niques ici et là, dans les différents terrains vert de Goélands. Puis Goélands, quel bon nom de quartier tout de même !

Nous programmions aussi des balades digestives après des repas copieux de dimanche après-midi. Ces mêmes après-midi à lire au bas de nos tours.. Hemingway, Boris Vian, Sagan, Camus et pleins d'autres. Puis oui on peut le dire, le quartier était un penchant écolo, je perçois ça comme ça désormais !

Nous disait-elle une autre fois alors que nous étions posés en bas du block avec Léo à chicher et que la conversation avait pris une tournure presque autobiographique.

Elle n'avait jamais voulu partir de ce quartier. L'idée même de quitter ce lieu dont aujourd'hui elle n'y vit que de souvenirs ne se concevait même pas, c'était impensable. Toute sa vie fût bati ici alors pourquoi fuir ? Elle vécut à la cité Goélands et mourut à la cité Goélands, voilà. C'est sa vision des choses, son mantra et elle s'y accroche autant que possible, cette femme qui a connu les trentes glorieuses et un tas de choses dont les 3⁄4 de ma vie se résume en à peine 2 ans de vie de la sienne.

– L'ascenseur est là Iskander. Vous montez ?

– Oui, après vous madame.

Je n'ai pas suivi tous ses propos. Pour être honnête, j'ai à peine écouté ce qu'elle vient de dire. Ma tête et mes pensées sont ailleurs, elles sont pour Djaby et Sincère. En espérant qu'ils se sont pas fait pincer. Ils poucaveront pas, ils s'en tiront peut-être, ils ont le vice et la magouille dans le sang depuis bien longtemps maintenant. Mais moi qu'ai-je fait putain ? 

Aujourd'hui c'était trop, ce n'est pas pour moi ça, ce jeu de danger perpétuel avec cette épée de Damoclès qui te suit à chacun de tes actes, c'est pas pour moi tout ça sa mère la pute . 120Km/h sur la voie de bus alors que la route limitée à 50, mais pour qui on se prend wesh ? On aurait pu faucher quelqu'un. Puis l'ouvreuse ? Qu'est-ce qu'il est parti prendre l'autre Ulrich ? Une drogue qui va sûrement tuer quelqu'un. Qu'en penserait mes parents. Iska wesh, regarde c'que tu fais, gu-

– Iskander, nous sommes au 7ème. C'est votre étage me semble-t-il non ?

– Ah ouais,j'avais pas vu, merci madame. Bonne soirée.

Je descends de l'ascenseur assez précipitemment sans avoir remarqué que cela faisait déjà quelques secondes que les portiques étaient ouvertes donnant vu sur le sol carrelage à carreaux gris dégueulasse, mais aussi au mur bleu turquoise dont la crasse a déjà pris le dessus il y a de ça quelques années, lui donnant dorénavant une couleur vert pastel.

Numéro 34 argenté avec le 3 qui rend l'âme. Oui, j'étais bien à mon étage.

– Bonne soirée à vous aussi Iskander. Ah oui et arrêtez de é fléchir, vous êtes jeune. Vivez seulement. Me dit-elle alors la porte de l'ascenseur se referme sur elle machinement comme dans un film.

01h34. Mes parents doivent dormir mais ma grande sœur non. Je lui envoie un message et presque par magie elle vient m'ouvrir la porte avec une curiosité colérique.

– T'étais où toi ? Tu t'crois à l'hôtel ou quoi ?

– J'étais dehors.

Elle me bloque le chemin et me scrute de A à Z comme si elle travaillait avec les personnes que je fuyais il y a quelques minutes. Je perçois une stupeur dans son regard à ce moment clef.

– Pourquoi tu transpires en plus ? Il fait 16 degrés dehors wesh, t'as couru ou quoi ?

– Eh, rends pas fou.

Je la pousse et rentre dans l'appartement en lui mettant un petit coup d'épaule afin qu'elle me laisse tranquille pour de bon.

J'avance jusque dans ma chambre tête baissée pendant qu'elle me suit canichement en me demandant mille et une chose et en proclamant mille et une chose.

Des questions, des affirmations, des réclamations, tout y passe.La dernière chose qu'elle voit et ressent est le claquement de la porte de ma chambre sur qui elle continue de rouspéter encore.

J'ouvre mon placard, enlève ma veste matelassée, mon survêtement du Bayern suant, mes chaussettes transpirantes que je remets dans les différents compartiment de mon placard. J'en file un débardeur, un short de mon ancien club de foot que je n'ai pas rendu – tout comme ma licence jamais payée par ailleurs – et mes claquettes.

Devant ma porte, la même gueule de loup qui continue de me hurler dessus au point de réveiller mes petits frères. Je traverse le couloir et je rentre dans la cuisine afin de me servir un bol de céréales. J'ouvre le frigo, plus de lait sa mère la pute. Je me rends dans le cagibi pour y prendre du lait et même à ce moment elle continue de crier, elle ne lâche rien.

– Bah t'étais où, réponds Iska ? Rèp frère, t'es là tu fais le sourd !

Je la confronte nerveusement, brutalement et avec les mains en la secouant dans tous les sens voyant l'articulation de son cou faire des va et vient comme si elle bougeait au rythme frénétique d'une musique de rock métal.

– Tu vas arrêter d'me casser les couilles ou c'est comment Camélia ?

Elle recule, se détâche de l'emprise de mes mains raides sur ses épaules frêles. Elle prend peur. J'aimerais voir ce qu'elle voit en moi à ce moment. Elle ne dit rien. Fais uniquement un signe distinctif de la bouche et part dans sa chambre sans rien dire. J'entends le claquement de sa porte, significatif d'un : « Bonne nuit, réfléchis sale merdeux. »

Je ramasse la brique de lait, part me servir mon bol de céréale et me cale dans le salon pensif de cette soirée. Je mange savoureusement mais aucune saveurs s'en distinguent.

Je ressens à peine le goût chocolat-caramel de ces aliments. J'ai pas l'appétit.
Je mets mon bol dans l'évier et dans un silence de sourd, je décide rentrer dans ma chambre, de fermer la porte et de m'allonger sur mon lit.

Je reçois un SMS de Lucie qui me demande ce qu'elle veut que l'on fasse demain. J'avais oublié que nous nous voyons ce dimanche :

I - : Viens à Goé' demain vers 16h, on verra ce qu'on peut faire

L - : D'accord bébé, moi j'vais m'coucher j'suis morte, fais de beaux rêves

Je fais un tour de réseau, allume mon ordinateur et décide de reprendre le film Ma 6t va cra-cker que j'avais laissé en suspend la veille.
Mes yeux tombent à chacune des parties, à chacun des dialogues. J'ai même pas assez de force tenir les 48 min restantes du film. La soirée a été assez longue comme ça.

J'entends les cris de mes petits frères courir dans le fin et étroit passage qui nous sert de couloir. La balle de foot qui tape ma porte, les bruits télévisés provenant de la chambre de mes parents et de celle de ma sœur me chamboulent. Je consulte mon téléphone. 13H49, 0 notification en dehors Lucie qui m'a envoyé un snap. J'ouvrirai ça plus tard.

La porte de ma chambre s'ouvre. Je vois un petit mélaniné chauve torse nue uniquement vêtu d'un short bleu ciel courir à l'intérieur de ma pièce afin d'y récupérer sa balle qui a percé la forteresse qui me sert de porte. Je le vois ensuite se permettre par la même occasion de me prendre un maillot de foot.

– André tu veux j'te nique ou quoi ? Tu crois j'te vois pas ? Repose ça.

Aussitôt dit, je le vois déguerpir de ma chambre me laissant à peine le temps de l'attraper afin de pouvoir le balayer. De mon lit, je peux percevoir mon salon et ma cuisine et voit alors ce qu'il s'y passe. Mon père est devant une série télévisée ou devant un match de foot comme à son habitude tandis que ma mère prépare et est au téléphone avec l'une de mes tantes du bled.

Ma sœur n'est pas là et mon autre petit frère est sûrement dans l'une des pièces de cette maison ou dehors. J'en sais rien en fait.

Sortir du lit est compliqué. Je me dirige en trainant des pieds vers la cuisine, évitant les plusieurs obstacles disposés sur mon chemin. Une pantoufle, une chaussette, une ceinture et une feuille blanche. Tous veulent ma chute. J'embrasse ma mère sur le front et elle me demande automatiquement si j'ai bien dormi et si je compte manger.

– Ça ira, je vais manger dehors après t'façon. 

Je rejoins mon père au salon qui est posé devant un match de rediffusion. Liverpool – Crystal Palace. Je lui dis le score final de 2-1 alors que le match est à la 67ème. Il me foudroie du regard avant de rire et de m'insulter.

Malgré le score spoilé, il continue de regarder le match dans le calme. J'aurais aimé voir ma sœur. Nos ardeurs se sont calmés, nous aurions pu parler à tête reposée. Elle aurait su, vu et compris la raison de ma frustration de la veille. Elle aurait capté que ce n'était pas elle, mais contre moi et mes actes déraisonnés et fous que je m'en suis pris. Tant pis, on s'expliquera ce soir.

Je rentre dans la douche et y passe un bon moment alternant eau chaude, eau froide, eau tiède en fonction de la musique lancée par mon téléphone. J'enfile un jogging Nike, un tshirt blanc simple et reste dans mon lit à finir pour la troisième fois mon film.

Ma 6t va cra-cker de Jean-François Richet c'est moi. C'est nous. C'est le film qui nous peint le plus ici. Lucie pense que La Haine est un meilleur film. J'aime lui rappeler qu'elle parle de ce qu'elle ne connaît pas et de ce qu'elle ne vit pas. Elle me répond alors que certaines choses n'ont pas besoin d'être vécu pour en parler, ni même d'être vu.

Je reçois un appel de Sincère. Il est en bas. J'aggripe le sweat tech accordé à mon ensemble Nike, ma pair et descends. Je le vois sur un vélo de ville, il a l'air d'avoir bonne mine dans son ensemble Lacoste bleu marine coton.

– La nuit était longue ou quoi hier ?

Je lui demande tout en le checkant et en le prenant dans mes bras de manière fraternelle. Il a l'air frais. Ses cheveux sont encore trempés, il vient à peine de sortir de chez lui.

– Laisse tomber mon reuf. GTA le truc ! Je souris dans l'attente d'explications et de détails au sujet de la suite de leurs soirée. Mais avant cela, il sort de sa sacoche une canette et ma part pour hier que j'accepte difficilement. Il pose alors avec autorité les deux matières sur ma poitrine.

– J'suis passé à l'épice' avant. J'me suis dit que tu devrais avoir soif. Et prends l'argent, fais pas de manières wAllah.

Je le remercie, marche à côté de lui tandis qu'il se régule la vitesse de son vélo afin que nous soyons à la même allure.
On emprunte l'Allée de la côte d'Azur que nous longeons jusqu'à la Rue de Provence pour ensuite emprunter une multitude de chemin tout en me racontant ce qu'il s'est passé.

– En fait dès que t'es parti, ils ont réussi à les bloquer assez longtemps pour qu'on prenne la fuite. On a juste garé la voiture à l'avenue de Picardie, puis on a marché jusqu'au quartier avant de rentrer chez nous. Sauf que frère, il y avait voitures et camions de police qui cernaient tout le terminus de la cité. Que ce secteur en plus. Quelques civils patrouillaient et contrôlaient n'importe qui.

Il me narre l'histoire pendant que nous rentrons à l'Avenue qui est déserte malgré le temps ensoleillé de ce dimanche. Deux trois vieux sont assis sur des briques conçus en forme de banc et discutent en arabes entre eux, nous poursuivons le chemin et il poursuit son histoire.

– Du coup frère, tu connais, on fait un grand détour ! On descend l'Avenue Commune de Paris pépère, tranquille. Pas cramés, pas cramable. Sauf qu'à peine arrivés au niveau des habitations neuves, une berlingo arrive. Tu connais comment ils aiment faire les cow- boys. On la joue tranquille alors. Papier d'identité ? On a. Drogues ? On a pas.

Ça nous demande ensuite d'où est-ce que l'on vient, on dit de chez notre tante et là, ils ont fouillé la sacoche, ils ont même vu les clefs de la voiture ces idiots.

– Ah ouais, et donc ? Dis-je.

Nous marquons un petit temps d'arrêt le temps qu'il descende de son vélo afin de me laisser le piloter alors que nous avançons au bout de l'Avenue et que nous empruntons la rue de Lorraine. C'est mieux d'être à vélo.

– Les flics nous demandent alors où est-ce que notre fameuse tante vit. On dit au centre-ville. Il nous disent que c'est loin de Goélands et nous demandent comment s'y est rendu. Sauf que là, j'dis en bus et Djaby dit en voiture. Les keufs se regardent intrigués. 

Pouah, ils crament quelque chose direct. On dit rien. Sauf que le keuf demande avec quelle voiture on s'est rendus chez la tante. Djaby ce trou du cul, tellement il est con, il dit une clio 3, une voiture qui ressemble quand même à la polo tu vois. Le keuf lui dit une clio 3 noir ? Il dit oui. Plaqué 57 ? Il dit oui. Toit ouvrant ? Il dit encore oui. Le keuf dit mot pour mot : « Bizarre, on recherche une polo aux mêmes critères. »

Je rigole sachant quasiment d'office ce qu'il va se produire. Sincère rit aussi. Alors que nous arrivons au bout de la rue de Lorraine, plusieurs petits sont présent et font un match de foot sur un terrain vague dont la composition de ce dernier n'est que de cailloux, d'herbes mortes et de terres sèches et poussiéreuses. Le boom des ballons, le crie des petits qui réclament la balle, le claquement et le frottement de leurs baskets sur cette terre aride me rappellent les foots que l'on faisait tous ensemble à une lointaine époque. La poussière les entourants, les gros rochers disposés de parts et d'autres afin d'en faire des cages, tout cela est beau à voir.

– On reste alors quelques secondes à tous se regarder puis son collègue appelle des renforts et gros, on cavale. Iska', je te jure que j'ai jamais autant couru d'ma vie. J'passe vers Frankfurt t'sais la Rue de Savoie, je déballe à mort ! Je reprends sur l'Avenue afin de reprendre le secteur du collège et continuer jusqu'à La Varlin, j'ai pas regardé une seule fois derrière moi pourtant j'entendais que ça me suivait hein ! Ils avaient du cardio ces batards. J'ai eu au moins 18 souffles. A un moment j'arrive à la rondelle martinique où j'rentre dans mon bât et referme la porte derrière direct. Je dévore les trois étages en bombe, rentre chez moi, me change, mange tranquille et part dormir.

– Et Djaby ?

– Djaby ? Un vrai fumier wesh ! Il est di-rect parti se réfugier au Square chez Hawa. Il a fait du foot US en plus ce batard t'oublies ? Donc laisse tomber la tempête qu'il leur a mis. Ils y ont rien vu, même moi je m'inquiétais pas pour lui. 

Ce matin il m'appelle tranquille en riant comme si on avait pas failli y a quelques heures se faire pincer par les bleus. En tout cas, aucune chances qu'il retrouve la voiture vu qu'elle est pas au quartier. Assez loin même du quartier. On l'a tellement bien caché que même moi j'sais plus où elle est ! Puis au calme, Yuri s'en beurre de la tchop ;

J'suis heureux qu'ils aient réussi à fuir. Les savoir en taule même pour quelques heures m'auraient terriblement mis dans le mal. Mais je pense, et ce pour la première fois, aux policiers que l'on a mis dans le pétrain pour nos histoires à la cons alors qu'ils cherchaient uniquement à protéger les habitants de Goé' de nos bêtises.

Je pense aux personnes de la veille qui n'ont pas trouvé le sommeil dû au patinage incessant du bolide allemand. Je pense aux familles qui ont sûrement un programme chargée aujourd'hui où une nuit de sommeil profonde aurait été vitale mais qu'on leur a dérobé. Je pense aux vieux et aux jeunes comme nous qui vont se casser le dos le dimanche afin d'être davantage rémunéré, puis à nous qui avons fait tout ça. Une piqûre d'adrénaline qui nous a donné la barre, et ensuite ?

– En vrai c'est chaud ce qu'on a fait non, tu penses pas ?

Même moi je n'arrive pas à comprendre ma question. Mais, j'ai besoin d'une réponse.

Nous prenons l'Avenue de Bourgogne afin de nous rendre aux Coursives. Nous passons devant le Square où un petit présent sous l'immeuble converse avec son pote par l'un de ses petits carrés de fenêtre dont on n'aperçoit que la petite tête. Une conversation à distance dont nous entendons le plan qu'ils établissent afin que le détenu d'en haut soit libéré par la personne dehors jouissant de sa liberté absolue :

– Lucas vient me chercher, je te jure ma mère va rien dire si c'est toi ! Le cri d'alerte nous fait rire.

C'est en admirant cette scène et voyant les deux élaborer et étaler leurs idées que Sinz' me répond.

– Tu connais mon père. Tu connais mes oncles. Tu connais mes tantes. Ils tous sont passés par là. Le mal, le bien, je sais c'que c'est. Mais tu veux j'fasse quoi maintenant ? Au bout d'un moment t'y es, tu suis la lignée puis c'est tout. J'ai grandi dans ça Iska', c'est pas aujourd'hui que je vais bégayer et peser mes pêchés sur une pesette. Puis « chaud ce qu'on a fait. » comme tu dis. Moi j'dis on a encore tué personne pour l'instant.

Je le regarde prononcer ses mots avec un regard droit fixant un objectif que je n'arrive pas à détecter. C'est un regard pensif ou un regard déterminé ? Des mots qui ne sont que la conception d'une idée ou la profondeur d'un homme avec un dessein en tête ? Il parle d'ôter la vie, de prendre une âme, de supprimer une personne de manière si naturelle qu'un frisson me parcoure le mollet et remonte jusqu'à l'arrière de ma nuque. « Encore ». Ce n'est que le début alors. Il n'en a pas fini. Il est lancé. Il veut pas en finir.

Je sens que la conversation se tend. Je lui dis alors que je voie Lucie dans moins d'une heure et son regard se métamorphose aussitôt. Il me donne des idées alors que je ne lui ai rien demandé.

Mais la moitié de ses plans n'ont rien de romantique, n'ont rien de posé et sont plutôt le genre d'endroits et d'idées où t'emmènes une racli pour un soir. Chicha, hôtel, Airbnb. Bref, il me met à perte. Il me demande soudainement si je compte en finir avec elle sachant qu'elle part pour une autre ville l'an prochain. Je lui réponds que j'en sais rien, que je verrai ça après le bac qui est dans moins de 4 semaines maintenant et que ce problème n'est pas une priorité. Et tout comme Djaby il me répond :

– Rah ouais le bac... J'avais zappé ça carrément.

Dansa réponse un soupçon de culpabilité et de regret peut être distingué, peut être fouillé pour ensuite être attrapé et vivement questionné.

Il me propose alors de faire un « Tour en Or » comme on dit en passant près de la Mosquée Al Mohsinine construite en 2005 et de l'Eglise Saint- Paul situé près de notre ancien de club de foot où nos générations ont déserté le club il y a déjà pas mal d'années. Nous reprenons le schéma inverse en passant à l'Avenue qui est de cette fois ci complète et pleine comme à son habitude, comme j'aime la voir.

Le ciel est maintenant d'un gris clair malgré les légers de rayons de soleil qui luttent afin d'asseoir leurs valeurs. Le temps n'est plus si bon, mais les gens se montrent malgré tout. Près de la boulangerie et du tabac, les Anciens sont présents, assis sur des chaises en bois d'autres sur des briques et sur des chaises pliantes avec une odeur de café noir qui aspire toutes autres odeurs présentes aux alentours de ce dernier. Jamal, Tyger, Sofiane, La B, William et Stephanie, sa femme, tous sont là, comme apparu par magie autour de la boulangerie et près de la pharmacie a enchainé les va et vient, les trafics en sous-marins, les discussions avec les jeunes qui sortent du parking un à un.

– On va pas leur dire bonjour ?

– La flemme. Ils vont me demander pour hier, comment on a fini et vont raconter leur vie de voyou quand ils étaient jeunes, me donner des conseils alors que guette-les frère, j'ai rien à apprendre d'eux.

On poursuite notre route puis sur le chemin on sert la main à plusieurs petits qui ont pris la fâcheuse habitude de trainer dans cette Avenue et à rien y faire hormis tenter d'impressionner les grands en s'insultant, en se battant et en se défiant entre eux. Ils font leur preuve et ce à vu d'oeil.

Certains reconnaissent Sinz et s'avancent vers lui, quémandent des tours du vélo qu'il a repris pour le dernier tour et dont il pédale toujours avec la même non-chalance, avec le même calme afin de s'aligner à ma démarche qui n'est pas des plus rapides.

Des petits lui demandent ce qu'il s'est passé hier soir et comment ils s'en sont tirés tels des protagonistes dans une histoire où la défaite était assurée mais qui ont su par malice, s'en tirer et battre le vilain et méchant ennemi à plate couture.

Il leur raconte vaguement, ne rentre pas trop les détails non pas pour ne pas les influencer, mais pour asseoir l'idée que ce qu'il s'était produit la veille était quelque chose de commun pour lui.

Il joue au mystérieux, à l'insensible, détourne le regard, donne des réponses courtes en haussant les épaules, en regardant son téléphone et ça marche car les questions et remarquent fusent de plus belle.

– Wesh mais vous êtes des dingues hein ! Djaby il s'en est sorti comment ? Et les porcs y vous ont lâchéou c'est comment ? Questionne un petit.

– Tu t'es caché où toi ? Avoue au Square, impossible y trouve dans quel block t'étais !

– La voiture est où maintenant ? On peut faire un tour aussi en vrai nan ? Demande encore un autre petit.

Il joue son rôle jusqu'à ce qu'ils disent aux petits de se casser car il a des choses à faire. Ils obéissent et aussitôt lui font inconsciemment une sorte de haie d'honneur en s'écartant de manière alignée de part et d'autre de son chemin.

Nous regardons les alentours, dont le long bâtiment longeant l'Avenue où la plupart des fenêtres sont désormais condamnés dû aux déménagements multiples de ces dernières années. Certains blocs sont aussi bétonnés, tandis que d'autres restent habités.

La municipalité veut détruire cet immeuble et souhaite donner un aspect publique à cette avenue afin d'en faire une place commerciale où un marché pourrait être tenu le dimanche.

J'avais entendu ce projet par des daronnes du quartier alors que je faisais une petite balade à la cité. Certaines étaient épris de joie et d'autres mamans voyaient pas d'intérêts et s'en battaient tout bonnement les couilles.

– Tu te souviens quand on voulait être les nouveaux Psy4 de la rime avec toute l'équipe ? On était fous en réel !

Il me rappelle un épisode que mon cerveau avait oublié, effacé et annulé.
Les après-midi à se réunir à La Mine à écrire des couplets, des textes, à faire des backs sur les instrus de l'Alcatel du grand frère d'Adel qu'il nous prêtait de temps à autre.

On y faisait de tout. Rap hardcore, où on vantait nos illusoires et menteurs délits et crimes. Rap conscient, dans lequel on racontait comment on aimerait rendre nos parents fiers et comment la société et le quartier nous pourrissaient. Et, à certains moments, du R&B ou des sons de love. Souvent nous rappions tous ensemble sur une instru, souvent nous faisions des featurings, mélangions celui qui était bon sur un thème avec celui qui était bon sur un autre.

Mam's savait y faire en R&B, Djaby en rap hardcore et faut l'dire, en son de love, je savais lover. Il manque pas de me le rappeler par ailleurs.

– T'étais un petit loveur toi ! Tu crois que je me souviens pas du son « Peine dans le cœur » sale bâtard !

Il a raison, je l'étais, mais c'était facile. Il suffisait d'emprunter un mot ici et là de musiques tristes et de les remixer.

La moitié de mes sons étaient l'emprunt de la musique Love 2 Love – Lorenzo & Diesel que ma grande sœur saignait lorsqu'elle était sous la douche, dans sa chambre, dans la cuisine et dont elle en a fait une dictature féroce nous l'imposant matin, midi et soir chez moi.

Je lui fais cette confidence du DJ Remixeur et du faux ghostwritter que j'étais et cela fait effet de choc. D'un bon, Il descend de son vélo tel un athlète et m'insulte saracastiquement de traître, d'hyprocrite, d'homme de vice, d'amitié détruite, de fils de pute et d'enfant de Madoff. Je l'attrape par le coup fugacement et lui fait une prise de sommeil afin de lui faire regretter ses mots.

Il me met des coups de coude aux abdos mais je lutte et lui aussi. Il essaie d'attraper ma tête et me donne des coups poings sur la gueule, mais je tiens toujours. Nous nous battons pour rire aux yeux de tout le public passant dont ils aperçoivent à nos rires, à nos mots et à nous coups que tout cela n'est que du faux et évite alors d'intervenir

– C'est bon je rigolais enculé, j'abandonne ça y est wesh !

Aussitôt lâché, il tente de m'attraper mais je m'écarte assez vite de lui le laissant attraper de l'air au lieu de ma veste qu'il comptait saccager.

La fausse bagarre finit, nous continuons à avancer dans le silence, sans un mot, sans une anecdote. Juste lui et moi, dans la cité Goélands à s'observer à peine et juste à marché côte à côte, alignés tels deux soldats. 

Je consulte mon téléphone. Je reçois un message de Lucie qui me dit qu'elle est en route, qu'elle arrive bientôt. Je viens de me rappeler du snap qu'elle m'avait envoyé le matin même. Je le consulte, pas grand chose, juste une photo de son gros chat roux. Nous arrivons devant chez moi.

– Vas-y mon reuf, on s'attrape quand tu pourras, profite avec madame et fais les choses en bien. Me dit-il accompagnée d'une une petite claque tant affectueuse que vengeresse avant de fuir à vélo dans le sens que nous avions emprunté.

Je le regarde pédaler dans la paix, traverser les allées et slalomer les obstacles que sont choses et individus comme si rien ne pouvait le déranger, comme si rien n'était d'importance majeure. Je l'observe se fondre à l'horizon laissant uniquement son afro comme point de repère.

Je remonte chez moi, me parfume et redescends si vite que mes parents ont à peine remarqué ma présence momentanée dans l'appartement.
Je reste sur le palier de l'entrée de l'immeuble à attendre qu'elle me dise qu'elle est là.

Je regarde l'horizon, les fenêtres de la tour d'en face et analyse l'homme torse nue vachement tatoué qui lutte face à vive brise. Il tente alors que le vent souffle de retirer les longs draps de l'étendoir extérieur qui, ces derniers touchent quasiment la fenêtre du voisin d'en dessous.

Je le regarde lutter, se plaindre, j'entends un « fais chier!», je le vois disparaître pour ensuite réaparaître avec ce qui semble son fils pour que ce dernier fasse le boulot à sa place. Lui non plus n'y arrive pas. Le père se fâche alors, ferme la fenêtre jusqu'à ce que une jeune adolescente énervée se rue à la fenêtre et détache tout simplement l'étendoir de son nid afin de le faire rentrer directement dans l'appartement. Elle claque la fenêtre derrière elle. La scène me fait rire.

– Tu regardes quoi là ? Tu fais du voyeurisme ou je rêve ?

Je regarde sur ma droite et voit ses yeux verts, son sourire Colgate moqueur et distingue ses cheveux attachés au travers d'un chignon mais de manière à ce que deux mèches s'alignent sur la face droite et gauche de son visage.

Elle est si belle. Son gloss donne à ses semi-lèvres de poupées un côté étincellant. Peu maquillée, je ne saurais dire ce qu'elle a mis ou pas sur son agréable, doux et rond visage. Elle porte un jeans large bleu ciel, une pairs de basket Air Force Noir qu'elle a l'habitude de choyer et une doudoune assez lourde qui ne rentre absolument pas dans les cordes de la température d'aujourd'hui.

– T'as mis ta TNF ? On est pas en Sibérie. Dis- je.

– Il fera froid la nuit, c'est pour ça.

Elle me regarde en inclinant sa tête à un certain degrés et en haussant ses sourcils telle une interrogation, je comprends direct que c'est une invitation implicit à quitter les lieux.

Nous nous rendons à l'arrêt de bus qui ce dernier est toujours vide les dimanches de fin d'après-midi à la cité. Le panneau d'horaires affiche une attente de 7 minutes. Elle sort son paquet de chewing-gum de son sac à main, m'en passe un avant de m'embrasser délicatement et furtivement en ne manquant pas de laisser parler sa langue sans que l'ombre d'une personne passante ne le remarque. Elle y laisse dans ma bouche un goût citronné aux arômes de menthe.

Comme si l'acte du baiser était libérateur, elle me raconte tout de suite après et avec une vivacité déconcertante, une touche enfantine et un brin d'autodérision, sa journée, sa nuit mais pas que. Tout out en fait, elle me dit tout. Le mal qu'elle a eu à chercher quoi mettre pour aujourd'hui, le cauchemar qu'elle a fait cette nuit dans lequel elle tombait des escaliers avant d'atterir sur une route déserte jusqu'à ce qu'une voiture tente de la renverser.

– Laisse tomber, au réveil j'voulais pleurer tellement j'avais eu peur !

– Tu voulais ou t'as pleuré ?

– Bon j'avoue, j'ai lâché quelques larmes. Mais vas-y, tu vas te moquer maintenant que je te l'ai dit !

Je rigole et elle ne peut aussi contenir son rire. Elle poursuit et me raconte comment ses parents se sont pressés de la déposer à Goé' avant de prendre la route chez des amis de la famille afin d'y prendre l'apéro et d'y passer un chaleureux dimanche sans la présence de son petit frère Sevan, qui lui est resté chez eux et en totale autonomie pour une fois.

Le bac l'angoisse un peu, mais le choix de son parcours beaucoup plus. Elle a mis différentes facs de communication à Paris, Nantes, Strasbourg mais son choix premier reste Nantes dont j'arrive toujours pas à comprendre l'attirance qu'elle peut avoir pour cette ville où il n'y a rien à gratter. Elle pue la merde selon moi. Malakoff, Bellevue, La Cathédrale Saint- Pierre-et-Saint-Paul, voilà, c'est tout ce que je sais de cette ville.

La bus est là et quasiment vide. Seul une femme assez âgée au téléphone et un papi accompagné de son petit-fils sont dedans. Je reconnais le petit que j'ai déjà croisé plusieurs fois au quartier au niveau du Square. Je le salue alors lui et son grand-père d'un geste de la tête, ils me répondent tous deux de la même manière avant de reprendre leurs conversation. Nous nous plaçons sur les chaises du milieu du bus et le trajet étant quasiment long, nous décidons de partager un écouteur chacun.

– Je mets le son par contre. T'as pas le choix. Je la laisse se faire plaisir et automatiquement j'entends les premières mélodies de Lana Del Rey – National Anthem.

Je tente de croiser son regard afin de lui comprendre au travers d'un caractère moqueur que j'arrive à l'overdose avec cette musique, mais mon regard ne croise pas le sien car elle est dans sa bulle tout en étant avec moi.

Sa tête et son attention sont posés sur la vitre, son regard est figé sur les articulations que le bus prend face au rond point de sortie de l'Avenue de la Commune de Paris.

Nous voilà lancer, parti pour 20 minutes de bus dans la ligne la plus empruntée et la plus longue de la commune.
Cette route se compose de petites maisonnettes collées, d'hôtels particuliers pour certains cas et de petits commerces routiniers tels qu'une épicerie, un garage ou une agence bancaire.

La route est vide en ce dimanche, seuls quelques voitures passent.
Je reconnais à bord de certains véhicules des jeunes de la cité qui reviennent du centre-ville.

Sur le trajet, une multitude de musiques défilent de sa playlist et je commence à m'y faire. Jhene Aiko, Kehlani, Summer Walker, Kali Uchis.
Entre elle et ma sœur, j'ai fini par m'y faire à ces artistes. Nous passons près du Parc du Bassol où nous y voyons ses commerces multiples du tabac bondés par ses habitués au grec vide avant d'arriver à la Maison de la Culture.

Le centre-ville est vacant, déserté. Seuls les pigeons, deux trois vieux faisant leur balade quotidiennes et trois adolescents faisant du skate profitent de ce dernier jour de fin de semaine. A l'horizon c'est le même scénario, rien est à signaler si ce n'est le vent et quelques passants tous les 700 mètres. 

Nous dépassons la maison de la culture afin de nous jeter dans le centre ville pour parvenir à cette boutique de milkshake, gaufres et tous délires du genre que m'avait recommandé une fois Noémie. Arrivés à ce dernier, je constate que Mimie n'a donc pas tord, l'enseigne est bonne. Ce cocktail goût Kinder Bueno White et sa gaufre banane fraise chantilly remplissent mon estomac vide qui n'avait rien mangé depuis un bon petit moment.

On finit nos gaufres et crêpes avant de se jeter dans le ventre du centre-ville pour y sortir et rejoindre l'immense Cathédrale de notre ville. Je trouve la mosquée de mon quartier plus belle mais bon.

Elle me prend par le bras après ma connerie prononcée afin de m'emmener au Parc Saint-Louis, le poumon vert de notre ville, où chacune des générations et chacun des habitants de quartier viennent ici afin de se vider, de se prélasser, de s'élancer, de s'amuser dans ce lieu public, commun et connu de tous.

Ce parc, qui, aux yeux et dans le cœur de ses habitants a implicitement et secrètement tout autant de valeur et reconnaissance que notre cathédrale elle-même.

En se baladant, Lucie me raconte des anecdotes en tout genre sur ses potes. Yasmine s'est séparée de son mec car ce dernier l'aurait trompé avec une fille de la faculté de la ville. Ophélie devait quant à elle rendre un devoir maison à son prof, mais elle a fini par s'embrouiller avec cette dernière car elle l'a accausée d'avoir copié son devoir sur internet. Sans transition, elle enchaîne sur le tennis, un sport qu'elle adore et auquel elle m'a initié en terme de connaissance dont la mienne n'était limitée qu'aux sœurs Williams et à Nadal.

Elle poursuit sur ses prochaines vacances à Hossegor et à Madeira pendant que l'on se balade sur les planches en bois le long d'un grand lac du parc. Nous continuons puis remontons cette légère pente qui permet de quitter le parc et de faire le tour de ce dernier.

Nous regagnons la ville qui est encore plus déserte que notre venu, passons par la rue des 3 cailloux, regagnons le Kiosque où nous nous posons sur l'un des quatre bancs entourant la fontaine présente au milieu.

Elle pose sa tête sur mon épaule et nous en venons à parler de l'année prochaine et de comment les choses se passeront. Mon affectation envers est quasi certaine, la sienne est sûre.

– J'serai pas si loin en vrai si j'suis à Paris. 1H10, à peine ! Me dit-elle

– Si t'es à Paris, mais c'est pas ce que tu veux dans le fond non ? Donc cherche pas à me rassurer.

– Ouais mais je te donne un exemple, c'est tout. Puis peut-être que j'y serai vu comment sont attribués les places, à tout moment je fais ma licence à Goélands..

Sa connerie la rend toute légère, toute béat. Je vois que c'est une manière pour elle d'adoucir la chose, de faire passer ses mots de manières plus délicates, plus douces, de me dire que rien ne sert de courir et qu'il suffit uniquement de partir à point, de nous laisser aller et que nous verrons car nous sommes jeunes et pas pressés.

Nous continuons de nous balader et passons devant son ancien collège où elle se permet des remarques sur les enseignants, pions, profs et CPE :

– C'était tellement la merde j'te jure, tout le monde foutait le bordel. Les pions étaient trop bizarres en plus !J'ai croisé Valérien l'un des pions une fois quand j'étais avec ma mère dans le centre-ville, il m'avait regardé comme un prédateur ce gros porc !

Nous continuons de déambuler dans cette ville et une question me vient en tête, à quoi bon continuer de nous balader ici, à tourner en rond, à faire encore pour la cinq centième fois le tour de ce centre-ville vide aux horizons déjà familiers, aux boutiques qui en ce jour sont fermés ?

J'envoie un message à Sinz' et lui demande de me trouver un Xmax et de le mettre dans ma cave. Je vais la concrétiser cette idée. Nous passons près d'un fast food et mon estomac me rappelle que la gaufre consommé plus tôt était vaine et qu'un « Schumarer » qui est sandwich composé de trois steaks, un œuf plat et deux tranches de bacon de dinde me mettrait bien.

J'insiste pour que nous mangions dans ce snack avant de retourner à Goé. Elle me regarde sceptique, dubitative et semble être intriguée non pas sur le fait de manger dans ce snack aux sandwichs et formules multiples qui paraissent trop gros pour son petit estomac, mais sur le fait de retourner à Goélands.

– Pour y faire quoi? En soi, mes parents viendront me chercher là-bas ou ici, peu importe. Mais pourquoi faire ? Y a rien à faire dans ta cité Iska'. Y a rien, c'est vide, à part des tours quoi.

Ce n'est pas la première fois que j'entends cela. Que ce soit d'elle ou de mes camarades de classe qui aiment charier mon quartier lorsque les occasions s'y prêtent en me rappelant le taux de chômage, le taux de criminalité, les moindres défauts et méfaits, la nouvelle actualité sur ma cité ou la réputation dont elle est entâchée.

Combien de fois ai-je entendu «ton binks de clochard, » « ton quartier de pouilleux » « Que des crasseux dans ta cité» quand bien même c'était pour rire.

Lucie n'a jamais pensé et exprimé la même chose que ces enculés, encore heureux ai-je envie de dire. Enfant d'une mère qui est photographe et d'un père cadre dans une agence de communication, elle a grandi dans un milieu : « ouvert où on s'en fiche de ta peau et d'où est-ce que tu viens », comme elle aime si bien le dire.

Mais comme toutes personnes vivants ailleurs et n'ayant jamais vécu plus de 5 ans dans un quartier et surtout dans le mien, elle possédait certains préjugés qu'elle n'exprimait pas oralement mais que je voyais dans son attitude les premières fois qu'elle venait me voir à la cité.

Au départ c'était assez marrant car elle s'agrippait à moi de n'importe quelle manière chaque fois qu'une personne du quartier ayant une allure « de voyou » ou qui lui inspirait pas confiance passait près de nous. Elle tenait son sac fermement, cachait ses bijoux et accessoires dans son sac ou sous les manches de son sweat et de sa veste. Avec le temps, elle a adopté ce côté détâché que nous avons tous ici. Et Même, elle a commencé à agir comme nous et à apprécier que certaines choses bien que chelou relèvent pour nous de la normalité.

Ainsi, elle a fini par trouver cela normal de crier afin d'appeler quelqu'un, de tutoyer l'épicier, de s'appeler au travers de surnoms farfelues et dépourvu de sens, de voir des gens rouler à des vitesses faramineuses et garer n'importe comment, d'aider une maman avec ses courses quand bien même on ne la connait pas, le bruit de motocross et de quad, les insultes affectueuses entre les petits qu'elles trouvaient arrides au départ, les tags dans les escaliers du bâtiment, les têtes à têtes, au verlan absif et j'en passe.

Aujourd'hui, mon idée est que Lucie soit actrice, qu'elle ressente ce que cela ça fait d'être comme en mission, d'emprunter nos rues étroites sur un deux roues, de frôler et tel ou tel danger durant ce crépuscule. Pendant que je la regarde débarrasser nos plateaux de bouffe, une autre interrogation me parvient. Cette volonté est-elle une piqûre d'adrénaline manquante après celle de la veille ou est-ce tout simplement le fait que je ne voie pas l'intérêt de trainer ici en ce dimanche où aucune activité est détectable? Est-ce l'ennui ou le manque ? Voilà la vraie question.

J'ai encore en tête le bruit causé de la veille, les potentiels dangers que l'on a pu créer pour les autres habitants de la cité, ces frôlements et cette adrénaline. Je me perds encore dans mes pensées quand sa voix m'extirpe de ces dernières.

– Bon, tu te dépâches ? Le bus arrive dans moins de 4 minutes sur l'application, faut qu'on speed !

Cette fois-ci dans le bus, je décide de la musique tout en m'adaptant à ses goûtes musicaux. Etrangement, elle en a des choses à dire et à faire maintenant. Elle cherche à deviner avec agilité ce que nous allons faire, envoie davantage de photos, de messages et de conneries en tout genre de nous à ses potes et à ses parents que j'ai déjà rencontré une fois par surprise alors que nous nous baladions dans le centre-ville après être sortis des cours.

La semaine d'après ils m'invitèrent à manger chez eux à la pause du midi, j'étais tout aussi gêné qu'elle ce jour-là. Le soir, ses parents dirent qu'ils m'appréciaient malgré ma timidité exprimée ce jour- là. Elle n'a jamais rencontré les miens. Je lui ai déjà dit qu'elle ne risquait pas de les rencontrer de si tôt.

– Ce n'est pas comme ça chez moi, faudra t'y faire. Lui avais-je dit.

Et elle le comprenait, l'acceptait malgré l'acidité de mes mots et du léger soupçon de déception que je lisais dans ses yeux le temps où je lui dis ça.

Dans le bus, elle continue d'insister, de chercher et de fouiller quand bien même elle espace ses demandes en tentant de me surprendre après m'avoir dit qu'elle lâchait l'affaire.

Une notification interrompt la musique diffuse dans mes écouteurs et c'est une réponse positive de Sinz. Je lis le SMS en chapchap', en sous-marin sans qu'elle puisse remarquer la magouille que j'essaie t'établir.

S - : Jai donner les clefs au paki et la moto est callé dans ta cave cbon tqt

La route est assez courte, nous arrivons assez vite au niveau de la Bassol où les mêmes individus sont toujours dans ce bar à la différence que cette fois-ci, un changement de place de ces derniers a été fait et que les tables sont davantage remplis de pintes.

Au feu rouge, je prends le temps de les observer, certains paraissent bourrés, d'autres on ne peut plus sobre. Sur la route perpendiculaire à la notre qui elle possède le feu vert, une voiture arrive en vitesse essuyant l'une des voitures garées sur sa route et effrayant des piétons.

– Sale criminel

– Chaffard, la prochaine c'est dans le mur pour toi !

– Enculé, t'aurais pu tuer des gosses ! ? Non mais t'as vu Jerôme ? Hurlent les consommateurs tout en se ruant sur la rue afin d'y relever la plaque de l'auteur de cet acte criminel.

Lucie rit de cette scène tandis que j'ai juste hâte de la voir sur cette moto. Le bus démarre et soudainement, comme une illumination dont je ne sais la provenance, je ressens l'envie de lui faire part d'hier, de ce qu'il s'est passé, de tout ce que l'on a vécu.

Je mets la musique sur pause qui résulte d'un regard surpris de sa part et je lui raconte tout, de A à Z. 

Du go-fast enfantin pendant lequel j'ai à peine reçu le sentiment d'être dans l'illégalité, du retour qui s'est aussi fait dans la paix, de la bagarre entre les bourrés du quartier au niveau du grec, de nos accélarations tapées en plein milieu de Goé, de la course poursuite avec les flics, de la caval que j'ai dû faire et finalement, du stress que j'ai ressenti quand je pensais que les flics m'avaient suivi jusqu'à chez moi mais qu'il s'avérait que c'était Rosy la cheuri qui était derrière moi.

Toutefois, je zappe l'évènement avec ma sœur qui la concerne pas de toute façon. Elle émet quelques expressions faciales qui ne sont pas de sa nature. A la fin de mon récit, elle me regarde ni surprise, ni choquée, ni déçue, ni heureuse mais me regarde juste. Son regard est entre analyse, compréhension et indifférence. J'essaie de lire dans ses yeux, dans ses pupilles et cherche le sentiment qu'elle peut potentiellement ressentir tandis que le bus se rapproche de Goélands. Mais je n'y vois rien, quedal. Elle se décide enfin à parler et me répond au travers d'un ton hypocrite :

– Eh bah, longue soirée hein, je comprends pourquoi tu m'as pas répondu.

Le contraste entre son enthousiasme du départ et maintenant est flagrant. Elle agit comme une personne inquiète et m'analyse avec une sorte de peur dans le regard. Le bus arrive à l'arrêt et j'essaie de détendre l'atmosphère, d'être aussi tactile qu'elle, de lui faire des papouilles.

L'hypocrisie de sa réciprocité m'fait bouillir, mais je dis rien. Personne n'est devant l'épicerie pour une fois. Je rentre dedans et croise Himesh qui me remet aussitôt les clefs.

– Quand tu finis de rouler, remet les clefs ici Skalux'

– Ouais, ça marche chef.

Je ressors tout sourire, elle me suit du regard en direction de la cave et se met à marche sur mes pas.
J'inserre la clef dans la cave puis la fixe en feintant de l'ouvrir entièrement. Elle me fixe de retour sans non seulement comprendre ma blague, mais sans non plus se douter de ce qu'il y a à derrière cette porte métallique violette situé à l'entrée du hall de l'immeuble et encastrée dans le mur de ce dernier. En ouvrant la porte une odeur de grenier en sort. Des vélos, des trotinettes, des roues de motos et de voitures sont disposés de manière archaique un peu partout dans la cave. De la crasse et un tag ridicul d'Adel et Joel fait quand ils étaient petits sont aussi visibles sur les murs. « 6T Goéland oe oe 8Z, nike la popo !! »

La moto est là sur notre droite, juste en dessous de ce tag. Ce putain de XMAX 125 aux finitions neuves et à la teinture mât camo. Tout est d'origine, tout est feneu sur ce bolide des gentes en or aux phares magnifiquement alignés. Je la regarde, puis regarde la moto et un sourire narquois ne peut se dessine sur mes lèvres.

Elle comprend automatiquement et elle me presse de sortir le bolide afin qu'elle puisse monter dessus. Après queqlues inquiétudes bidon comme le fait que nous ayons pas de casques, que je n'ai pas le permis moto, que le véhicule n'est pas encore assurée et que la police risque de déambuler à tout moment, elle se décide de monter dessus avec grace et fermeté.

– Tu ressembles aux meufs matrixés par les motos, t'sais les petits bandeuses de rues là. Lui dis-je.

– Oui oui c'est ça, aller monte maintenant. M'ordonne-t-elle.

Aucun mot n'est descriptible pour décrire les sensations à moto. En prenant l'allée, j'augmente les vitesses de manières considérables. Elle s'accroche à moi et crie de peur ou de joie dès que j'enclenche les poignets de gaz.

Nous passons à l'Allée puis passons près des différentes rondelles du quartier pour ensuite nous mettre en direction du Parc du Vaste-Fleuve, qui est l'un des vastes parcs de la ville situé près de chez nous.

Nous prenons la route et montons jusqu'à la rue de chez Mustapha mais le loupons à cause de la vitesse excessive à laquelle je roule.

Au feu rouge, je la regarde dans le rétro et la vois en train de prendre des photos, des vidéos et se tenir à moi. Elle manque pas aussi de m'insulter car je roule trop vite et que je vais nous tuer si je continue ainsi selon elle.

Je redémarre de plus belle et entends encore une nouvelle fois ses hurlements qui se partagent entre de la peur et de l'excitation. Je décide de jouer au fou en m'aventurant sur les espaces verts du parcs laissant l'empreinte de la moto sur l'herbe et la terre.

Ensuite, je roule sur les terrains de basket et les espaces libres. Chaque moments et actions faites me font ressentir son plaisir, son désir de poursuivre et de rouler de plus belles.

Je nous arrête sur le parking du parc dérangeant au passage les voitures qui veulent en sortir pour qu'elle puisse un peu pilote le deux-roues. Je lui montre les équipements, le passement des vitesses, l'accélération, le frein et les rétros. Elle frôle de nous envoyer dans une voiture garée et je la fais descendre plus vite que prévu.

Avant de reprendre ma place, elle me dit qu'elle doit rentrer, que ses parents passent bientôt. Nous rentrons en direction de Frankfurt dans le calme cette fois-ci profitant du doux temps malgré les premiers réverbères de la ville allumées. Arrivé en bas du bât, je croise Léo et son équipe en train de chicher et de faire une petite brésilienne entre eux. Gentlemen et respectueux, ils font aucune remarque et me saluent uniquement de la tête sans calculer Lucie, un acte que j'apprécie.

– T'as aimé ? 

Tandis que je cherche une place dans cette putain de cave qui en l'espace d'à peine 20 min s'est vu être plein.

– Ouais, de fou ! Je savais pas que c'était comme ça ! Les cheveux au vent et tout, alala, c'est kiffant !

Je rentre à l'épice, rends les clefs à Himesh qui me remarque à peine jusqu'au moment où je lui donne deux euros pour les deux canettes. Pour le chambrer, je lui fais souligner son acte de cupidité.

– Tu me remarques que quand y a les sous hein, sale crevard !

– Oui oui aller casse-toi. La prochaine pour toi c'est 5 euros la canette !

Par les clients présents, j'évite de le charier sur son accent comme j'aime si bien le faire mais la prochaine fois, il me sentira.

Je rejoins Lucie qui me dit que ses parents arrivent dans une quinzaine de minutes. Le hall de l'immeuble, ses palliers et ses escaliers ont été nettoyés de fond en comble ce matin par la jeune femme de ménage et miraculeusement, rien n'a été sali depuis. Je lui passe une canette de Fanta citron et l'invite à rentrer dans le bâtiment afin de se poser dans les escaliers de ce dernier.

Une légère musique de fond est lancée et nous discutons de tout et surtout de rien, laissant le temps et la musique de fond parler à notre place. On se regarde, s'embrasse, se taquine puis elle décide de se confier au moment où je commence par curiosité à compter le nombre de barrières de protection disposées à chacun des étages.

– Je comprends pas pourquoi t'as fait ça hier, t'aurais pu te mettre dans la merde. Je m'en fous de tes fréquentations. Ceux sont tes potes depuis que vous êtes bambins mais bon, t'es pas eux Iska, et ils ne sont pas toi.

– Tu veux dire quoi par là ?

– Ce que je veux dire c'est que ce n'est pas toi tout ça. Rouler sans casque, jouer les trafiquants, semer les flics et tout ce que t'as pu faire hier. Aujourd'hui non plus.

Ma fierté en prend un cou. Je prends une gorgée de cette boisson sucrée, regarde mes bracelets, mes bagues en guise de réflexion puis réponds.

– Tu m'suçais la bite y a quelques minutes parce que t'avais jamais fait tout ce que tu me reproches et maintenant, tu m'dis tout ça ?

Le voisin du 3ème étage descend les escaliers avec son caniche et laisse mes derniers mots et sa personne poser un froid glacial et une gêne palpable lorsqu'il passe entre nous.

La porte du hall claque, elle ne me répond pas et se contente juste d'agiter sa tête de gauche à droite en guise de lassitude. Je laisse le silence s'installer, prendre part à cette conversation jusqu'à ce qu'elle l'ouvre de nouveau au bout d'une petite minute.

– T'as rien compris en fait. Je te dis juste de rester toi-même et d'éviter les choses quand tu sens que c'est la merde et que ça rentre en contradiction avec tes principes et valeurs. T'as fait du mal à personne hier mais t'aurais pu te blesser ou blesser un membre de ta famille, c'est tout.


Ma fierté prend un deuxième coup. Je cherche à me défendre, je lui sors des choses comme quoi ce n'était pas de ma faute, qu'au final je n'ai blessée personne et qu'elle captera jamais comment c'est chez nous. Je m'enferme dans une plaidoirie sans queue ni tête et elle continue de me regarder en bougeant sa tête robotiquement de gauche à droite afin d'affirmer sa contrariété. Elle plus ne dit rien et reçoit un appel dont je distingue la voix de son père qui précise qu'ils seront là dans moins de 3 minutes. Elle raccroche, s'avance vers moi et m'embrasse sur la joue.

– Je veux pas de disputes ni rien de tout ça. Je te dis juste de méditer un peu sur ce que t'as fait, de penser à tes proches et de penser un peu à toi. On n'en parlera au téléphone, si tu le veux bien.

Je la regarde descendre les escaliers avant d'entendre finalement ses derniers et légers pas s'avancer jusqu'à la porte de l'immeuble. Un dernier bruit. C'est celui de la porte contre le mur.

De l'étage, je la regarde passer devant les fenêtres du bloc et elle lève sa tête afin de voir si curieusement je l'ai suivi du regard. Elle me regarde alors. Elle me laisse un dernier sourire plein de vie en guise d'à tout à l'heure, en guise d'au revoir, en guise d'à la prochaine, d'une prochaine fois sans guerre, avec une fin heureuse et langoureuse comme on a l'habitude de le faire.

Je me rassois puis gamberge un peu. Si je fumais, je m'allumerais bien une clope ou un joint là. Toujours dans les escaliers, j'entends des portes qui claquent, la voix d'un un petit qui négocie avec son père afin de gratter 30 minutes de plus dehors et des bruits vacants. Je décide de descendre les escaliers regardant le plafond des escaliers en question et y lis tous les tags superposés qui ont pu être fait à l'aide de briquets depuis que nous sommes jeunes. Certains étaient déjà présents, d'autres sont les œuvres du set.

Nike les Porcs 1ntere-10 ici mon soocee

Anti suceurs 2 Kartier Ouest Goé !!

Liberé Raff, bient0 la sortii !!

Oe Oe La 6t Goé, saaale!! Génération 96 Aiiiiightttt !!

Ke dé Numeroo 10 ma gueeeule !!! Goé oéoé

Je souris, carresse ces mots avec mon doigt puis descends rejoindre Léo et son équipe. Peu importe l'âge on peut se mélanger, son équipe traduit si bien cette maxime.

Léo est à la fin de sa vingtaine et le reste de son équipe paraît plus jeunes ou plus vieux que lui. Il fait parti de ses jeunes qui ne font pas grands choses ici. Qui ne font rien pour être honnête.On ne sait pas réellement ce qu'il fait, quels sont ses plans. Toutes les fois où je lui ai parlé, il paraissait désintéressé du quartier. Il y vit, connaît autant de gens que moi mais s'en fiche. Son équipe composé aujourd'hui d'Hicham, Abdi, Corentin et Matthieu se retrouvent autour d'une chicha khaloud dont je sens à l'odeur un goût citron mangue. 

Avançant vers eux, j'entends leurs conversations au sujet de meufs qui ne sont pas véhiculés et décide de les écouter. Hicham trouve que ça craint, que si sa meuf n'est pas véhiculée cela cause problème car elle sera constamment dépendante de lui. Abdi lui trouve que c'est mieux, que comme ça il pourra la charger tranquillement sans avoir la crainte que sa meuf se déplace pour aller voir d'autres mecs.

– Mais poto, t'as pas d'gow et t'en as jamais eu. T'as plus de chances d'avoir une donneuse de go qu'une gow ! Lâche Corentin laissant la fumée de sa taf' suivre notre nuage de rires.

– J'suis dans l'hlel frérot. Pas comme Iska hein !

Les rires se retournent contre moi, l'enculé, il m'a eu. Je les regarde rire, checker Abdi, le féliciter de sa blague et je me dois de rire aussi. Me voilà gêné. Je préfère attendre qu'il passe sur un autre sujet, je ne surrenchéris pas, ils peuvent me vanner jusqu'à l'aube.

On en vient à parler alors du club du quartier qui va monter en Régional 1, aux coups de pressions que mettent Corentin, Léo et Sam chaque dimanche midi aux joueurs adverses et aux arbitres de ces fameuses rencontres. S'ensuit une discussion sur les quelques affaires au quartier, des meufs de la ville puis on fait vite le tour.

La conversation s'abaisse, se met naturellement sous silence et laisse place uniquement à l'ébullition de la chicha dans un calme chaleureux. Je les laisse entre eux et entends à la fermeture de la porte la voix de Nasser qui vient de les rejoindre, de me remplacer. Ça tombe bien, je peux pas me le voir cet humain.

En rentrant, le schéma du foyer est différent de comment je l'avais quitté. Ma mère et ma sœur sont posées devant une ces séries brésiliennes où pauvreté, richesse, amour et amitié s'entremêlent. Mon père est dans la cuisine au téléphone avec un de mes oncles au sujet d'une affaire au bled qui prend du temps à se régler. Il me fait au passage une blague sur le fait que m'étais trompé sur le score annoncée plus tôt dans la journée. Je lui montre le résultat du match sur Internet afin de lui montrer qu'il arrivera pas à me rouler dans la farine. Puis pour rire me dit de quitter la cuisine car sinon il risque de me cogner dans cette même pièce.

Dans le couloir, un de mes petits frères est devant ma chambre. Il me voit accélérer le pas et demande à son complice à l'intérieur de ma chambre de quitter les lieux le plus rapidement possible. Trop tard, j'attrape les deux, les balayent tous deux avant de les voir prendre la fuite en courant dans une des quelconques pièces de l'appartement.

Je rentre, me change assez rapidement avant de faire une partie des devoirs demandés pour la semaine. Mon téléphone émet une notification, c'est Lucie.

- : Je suis bien rentrée, je vais me doucher bébé on parle après

La situation de tout à l'heure ne l'a pas marquée. Elle ne m'en veut pas, c'est tant mieux. J'entends un cri qui sonne comme quoi la nourriture est prête. Je mangerai plus tard, pour l'instant je regarde sur mon ordi d'anciens clips.

PS4 de la Rime, IAM, La Fouine, Soprano, Nessbeal, Sefyu et Mafia K1-fry. Je découvre au passage les nouveaux rappeurs de notre génération et regarde des interviews en tout genre. La petite vignette de mon ordinateur indique 23H14. Il commence à être tard.

En me levant, toutes les pièces de la maison sont éteintes hormis celle du couloir qui fait office de lanternes pour mes petits frères qui craignent le noir. Je rentre dans la cuisine afin de me servir du riz, des haricots rouges et un morceau de poulet. En ouvrant la porte du salon qui est à de rares fois fermées, je vois ma sœur dans le noir en train de grignoter une barre chocolatée. Nos regards se croisent et cette rancoeur de la veille est presque dissipée, malgré le froid qui subsiste. Après quelques minutes glaciales où je savoure mon plat et que je l'entends regarder ses vidéos de youtubeur, je décide de m'excuser pour hier. Elle me demande alors ce que j'ai fait hier soir.

– J'étais avec Sinz' et Djaby. On a fait des tours, tu connais.

– Ton poto à la famille maléfique et l'autre le plus gros vendeur de came du quartier, c'est ça non ? Bien vu pour les fréquentations.

Je réponds pas et consomme doucement le plat que je viens de me servir dû à la chaleur de l'assiette et de ses aliments. Elle finit sa barre chocolatée et s'exprime de nouveau :

– Je m'excuse aussi. Hier j'étais juste inquiète pour toi. Plusieurs personnes que ce soit dans ce quartier ou dans d'autres quartiers ont vécu des trucs chauds juste à cause de fréquentations. Je veux juste pas que ça t'arrive. Pense aux parents.

Elle poursuit.

– Tu te souviens à l'époque quand Goélands était en embrouille avec la cité Maupassant ? Un petit qui s'appelait Modeste s'était fait tabasser à coups de matraque alors qu'il était dans aucune des embrouilles. Juste, il trainait avec les mauvaises personnes. Grâce à Dieu, il s'en est sorti indemne mais regarde, pendant 2 mois il était à l'hosto, coma et tout. Ça peut t'arriver Iska, même si j'touche du bois.

Je l'entends se lever et quitter le salon mais avant d'atteindre la porte du salon elle me donne une légère tape affectueuse sur l'arrière de la tête.

– Puis c'est pas toi tout ça Iska en vrai.

Ma sœur a jamais été une bonne argumentatrice. La forme de ses mots n'y sont pas. Qu'est-ce que j'en ai à foutre d'un petit de 14 ans qui à l'époque s'amusait justement à jouer les durs et à s'embrouiller avec n'importe qui ? Il a récolté ce qu'il avait semé, je suis pas ce petit con.

Néanmoins, je comprends le fond de ses mots. Je capte que les fréquentations peuvent me mettre dans de terribles situations et qu'il faut que je me méfie. Et un peu comme Lucie, Noémie et pleins d'autres, elle me dit que tout ça ce n'est pas moi. Des mots qui se retrouvent et qui se suivent.

Je rentre dans la cuisine, dépose mon assiette dans l'évier et prends le temps d'observer la vue que donne cette pièce.

J'aperçois l'horizon et tous ses grattes ciels. Le mariage des arbres et des tours, la nuit qui attendrit le toit vide et herbés de chacun de nos immeubles. Les quelques bruits de rues, le chant de mon quartier qui se composent du bruit d'une moto, d'une voiture et d'un enfant même à une heure tardive. J'observe un jeune avec son petit frère qui rentrent chez eux. Ils marchent calmement, comme si minuit passée n'était pas assez tard. Ils sont seuls et déambules têtes baissées, la marche lourde. Rentrez, maman vous attend.

J'esquive les nombreux obstacles présents du couloir avant de rejoindre mon lit. Le sommeil me caresse. Je me laisse alors caliner et suit l'envie de fermeture de mes paupières. 

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