15 février 2020.
Par la fenêtre, Asha regarde la rue qui grouille à ses pieds. L'agitation de la ville italienne est déjà palpable alors que les premiers rayons du soleil se glissent timidement à travers les nuages blancs. Et la brune fixe cette vitre, qui sur fond de ciel voilé, lui renvoie son reflet.
Ces cernes témoignant de son insomnie de la nuit dernière. Ces cheveux en bataille trahissant son manque d'envie. Ce bras en écharpe, stigmate de son échec. Et ce pull qu'elle ne lâche plus même s'il ne porte plus l'odeur de la réconfortante sécurité qu'elle aime tant.
Elle frissonne et cherche un peu plus de chaleur dans ses vêtements amples. Son regard glisse sur sa tenue et se pose sur ses pieds emmitouflés dans d'épaisses chaussettes. Qu'est-ce qu'elle aime cette sensation de chaleur qui se répand dans tout son corps. Celle-là même qui naît au creux de son ventre lorsqu'elle est auprès de Pierre et qui chamboule son cœur et son esprit dès que leurs peaux se frôlent.
Asha maltraite sa lèvre inférieure dans laquelle ses dents trouvent systématiquement refuge aussitôt qu'elle pense à leurs retrouvailles alors que le pilote est parti dévoiler la livrée pour la nouvelle saison. Et depuis lors, elle ne fait que penser à la manière dont elle va lui annoncer cet ultimatum qui ne fait que la déchirer et qui est le sujet d'une bataille insoutenable entre sa raison et son cœur.
Elle est tiraillée, partagée entre l'envie de le voir rentrer le plus vite possible et le souhait qu'elle reste là, coupée du monde pour l'éternité avec des rêves qui semblent encore à sa portée, ou du moins, qui ne sont pas à jamais enterrés.
Elle a en tête la bienveillance du pilote qui lui a annoncé, alors qu'il ne quittait pas son chevet après son opération, qu'il avait prévu de regagner Milan en voiture et qu'il pouvait donc l'emmener avec lui pour quelques jours. La jeune femme a bien conscience que ce n'était qu'un vaste mensonge monté de toutes pièces pour éviter qu'elle ne refuse son invitation, compliquée à honorer avec son bras cassé et ses angoisses répétées.
Et ceci ajouté à la patience du normand et aux bons moments qu'ils ont partagés ces derniers jours ne font que rendre cette situation encore plus irrespirable.
Et toute la musique classique qu'elle passe en boucle ne parvient pas à l'apaiser. Asha a besoin de jouer. D'être la compositrice de sa propre vie. Mais avec ses blessures, les récentes comme les plus anciennes, les physiques comme les plus profondes, tout semble un peu plus compliqué.
Le crépitement du vinyle se fait entendre, annonçant la prochaine chanson. Elle a délaissé la harpe pour écouter ce disque qu'elle affectionne tant. Le meilleur de tous les temps. Un récit de vie dans lequel elle a impression de se retrouver à chaque morceau.
Et particulièrement dans celui-là, dont la douce mélodie s'insinue dans son esprit.
"No one knows what it's like
To be the bad man
To be the sad man
Behind blue eyes "
"No one knows what its like
To feel these feelings
Like I do"
"No one knows what its like
To be mistreated, to be defeated
Behind blue eyes
And no one know how to say
That they're sorry and don't worry"
Mais les paroles s'envolent bien vite, laissant ses pensées tout aussi tourmentées. Les mélodies se succèdent et le disque tourne dans le vide créant un léger grésillement, un murmure doux et régulier, qui se mêle au silence de la pièce. Des craquements intempestifs renforcent cette atmosphère nostalgique du vinyle trop écouté et de cette parenthèse enchantée sur le point de s'achever. Asha se concentre sur ce son apaisant, presque hypnotique, chaque crépitement la plongeant un peu plus dans sa contemplation et sa réflexion.
Et puis, le silence. Il emplit la pièce sans que la jeune femme ne le remarque. Il s'insinue en elle, sans qu'elle ne puisse le combattre. Comme une habitude qui s'installe. Une lassitude qui lui fait baisser les armes.
C'est le moment qu'elle a tant attendu et pourtant, elle n'a pas entendu la porte d'entrée claquer. Elle n'a pas entendu le calme l'entourer. Elle fixe toujours la vitre qui lui fait face et bientôt, elle perçoit des yeux bleus azur qui contemple son reflet, faisant naître un sourire niais sur son visage.
« Tu es rentré, murmure la brune en se tournant vers lui.
- Je te l'ai promis. »
Et à la grande surprise du pilote, Asha casse la courte distance pour se blottir tout près de son torse. Il l'enveloppe, appréciant qu'elle se sente chaque jour un peu plus en confiance en sa présence. Il regrette son bras en écharpe qui crée une barrière supplémentaire entre leurs corps. Il regrette de ne pas pouvoir guérir cette peine qu'il voit grandir au cœur de ses pupilles.
Ils passent la journée sur le canapé. Pierre raconte à la jeune femme comment s'est passé sa journée. Mais il éclipse vite les détails automobiles qui le passionne, il se concentre sur les paysages enneigés de l'Autriche et s'attelle a effectuer une description parfaite de la nature qu'il a vu défiler sous ses yeux bleus.
Elle apprécie le contact des doigts du pilote qui réchauffe sa peau. Elle apprécie qu'il fasse la conversation pour la faire voyager là où elle ne pourra jamais aller. Là où elle n'est pas capable de le suivre. Le normand omet volontairement le récit de la soirée à laquelle Asha n'aurait jamais pu participer. Il évoque seulement ce qui la fait rêver.
Et pour le remercier, elle trouve même le courage de lui offrir un baiser, à la commissure de sa bouche, avant de nicher son nez au creux de l'épaule de Pierre dont le cœur se serre dès lors qu'il aperçoit les joues de sa partenaire rougir suite à son geste.
« Tu sais que tu as le droit de m'embrasser là aussi ? demande-t-il en plaçant un doigt sur ses lèvres désireuses.
- Je peux ? »
Et alors qu'il confirme d'un hochement de tête, la brune avale sa salive et prend l'initiative d'exaucer son souhait. Si c'est lui qui lui a soumis l'idée, Asha ne fait que savourer le goût de victoire de ses lèvres.
La nuit enveloppe la ville et le pilote lui propose une balade au clair de lune. Il se doute bien qu'elle n'a pas osé sortir de l'appartement et il veut l'épauler dans sa perpétuelle quête de liberté. Elle s'emmitoufle dans une doudoune épaisse et cache ses cheveux sous un bonnet avant de le rejoindre dans l'entrée.
Bras dessus, bras dessous, ils arpentent les rues qu'elle s'est contentée d'espionner du regard depuis la veille. Elle admire les lumières qui chassent l'obscurité qu'elle n'a jamais osé affronter parce qu'elle renforçait sa solitude. Asha n'a pas peur. Parce que Pierre est à ses côtés. Et pourtant... elle ne peut pas s'y habituer.
Le pilote la mène au pied du somptueux Duomo. Il se place dos à elle et l'attire contre son torse sur lequel elle se laisse reposer. C'est mieux ainsi. Elle a peur de croiser ses yeux bleus profonds. Si les siens sont transparents, ceux de Pierre sont remplis d'honnêteté. Elle doit s'y résigner. Se livrer. Et tout briser.
La brune finit par se retourner, alors que le normand s'empresse de capturer la larme solitaire qui s'échappe de son regard assiégé d'une multitude d'émotions. Il colle son front au sien et prend une grande inspiration, humant son parfum dont il devient chaque jour un peu plus dépendant.
« La prochaine fois, je t'embrasserai là, sur cette place. »
Le cœur d'Asha se serre. Cet homme est décidément trop bien pour elle. Il respecte ses angoisses et ses faiblesses. Il se montre patient, sacrifiant ses propres envies pour s'occuper d'elle de la meilleure des manières.
« Tu devrais le faire maintenant, souffle-t-elle. »
Il en a terriblement envie. Mais quelque chose le retient sans qu'il puisse exactement comprendre de quoi il s'agit. Il déglutit puis s'empresse d'exaucer le souhait de la brune en scellant leurs lèvres dans un doux baiser. Il croise à nouveau son regard humide et Pierre se sent incapable de déceler cette chose qui semble tant la préoccuper.
« Merci, murmure-t-elle contre sa bouche. On devrait faire tout ce dont tu rêves jusqu'à ce que je reparte. On devrait boucler ta liste. On devrait...
- Hey, hey, il pose ses mains contre ses joues rougies par le froid et les larmes pour essuyer ses pleurs qui ne semblent plus s'arrêter. On a dit qu'on n'était pas pressé, qu'on devait prendre le temps de faire les choses.
- On n'a plus le temps Pierre... »
Il fronce les sourcils. Il ne parvient pas à assimiler le sens de la phrase qu'elle vient de prononcer. Pourtant cette négation provoque un cataclysme dans le corps du pilote. Son cœur se fissure lentement. Son cerveau peine à réfléchir correctement. Ses membres se raidissent, ils se mettent en auto-défense, se préparant au choc à suivre.
« C'était la dernière fois, elle reprend.
- Je ne comprends pas.
- Je ne peux plus te voir, lâche-t-elle.
- Comment ça tu ne peux plus ? Tu n'en as plus envie ? J'ai fait quelque chose de mal ?
- Tu as été parfait, affirme-t-elle en laissant ses doigts courir sur sa barbe irrégulière.
- Alors quoi ? On s'arrête là ? Son ton est plus dur qu'il ne l'aurait voulu.
- Je...
- Qu'est-ce qu'il s'est passé Asha ?! Elle ne l'a jamais entendu élever la voix ainsi sur elle.
- J'aurais dû t'en parler avant. C'était égoïste de profiter de ces quelques jours sans que tu ne sois au courant. »
Elle avale difficilement sa salive. Elle aurait aimé ne rien dire. Elle aurait aimé disparaître et lui cacher la raison pour l'éternité. Mais il a le droit à la vérité. Et peut-être que ce sera un peu plus facile à accepter.
« Mes parents m'ont autorisée à venir seulement pour te dire au revoir. Après, je dois rentrer à Paris et reprendre ma vie. »
Pierre ne comprend toujours pas ce qu'elle lui raconte là. Il ne sent que cette tranchée qui se creuse un peu plus dans son cœur. Il ne sent que son esprit qui se déconnecte pour se protéger.
« Mais quelle vie Asha ?! La vie qu'ils ont décidé pour toi ! T'es majeure bordel ! »
Il se détache d'elle, énervé. Il pensait vraiment qu'elle allait réussir à conquérir sa liberté.
« Je n'ai pas le choix...
- Bien sûr que si ! Tu peux venir vivre ici, avec moi ! hurle-t-il oubliant la foule qui commence à lui jeter des regards appuyés.
- Avec mes peurs et mes faiblesses ? Avec tout le travail qu'il me reste à faire ? »
Elle s'affirme enfin. Et Pierre regrette d'en être l'unique témoin.
« Je n'ai pas de travail, elle reprend. Je n'ai aucune vie sociale. Je ne connais pas le monde. Si je leur tourne le dos, je ne survivrai pas toute seule, et je ne vais pas m'émanciper d'eux pour devenir dépendante de toi. »
Bien que la tristesse de son regard soit palpable, son intonation est calme, résolue, déterminée. Et le cœur de Pierre se serre lorsqu'il comprend qu'elle a déjà pris sa décision. Il aurait aimé qu'elle lui en parle. Il aurait aimé la convaincre d'apprendre à se libérer de ses chaînes avec lui plutôt qu'avec eux.
Il fixe ses yeux bleus pour trouver les mots pour la convaincre de rester. Des mots qui décrivent ce qu'il ressent. Des mots à avouer. Aussi égoïste soit-il, il ne veut pas la laisser partir.
« Mais Asha, je...
- OH. MY. GOD. Les interrompt une voix surexcitée. YOU'RE PIERRE GASLY RIGHT? CAN I HAVE A PICTURE PLEASE? »
Et le pilote, pris au dépourvu, se contente d'acquiescer alors que la machine de la célébrité est lancée. Si les passants se contentaient de le dévisager ou de prendre des photos volées, personne n'avait encore osé approcher pour le déranger. Il ne suffisait que d'un courageux pour que tout le monde vienne exiger son dû.
Il se sent suffoquer. Il étouffe. C'est dur de respirer à travers cette foule. Pierre panique. Il a lâché Asha et il ne parvient pas à retrouver ses pupilles transparentes qui doivent sûrement être apeurées. Il est face à l'inconnu. C'est rare que des attroupements désordonnés se forment autour de lui. Il essaye de repousser les fans qui se montrent un peu trop intrusifs et tente de progresser à contre-courant de cette masse qui semble ne pas cesser d'affluer.
Ses jambes buttent contre un obstacle qui l'empêche d'avancer davantage. Le pilote jette un coup d'œil pressé. Mais il s'y attarde, horrifié. Sur le sol mouillé, un bonnet et à côté, une chevelure brune recroquevillée qui maintient comme elle peut son bras blessé. Le sang de Pierre ne fait qu'un tour. Il se baisse pour passer ses mains sous les aisselles de la jeune femme et l'aider à se relever.
Il crie. Il hurle. Il les supplie de lui laisser de la place. Il n'a que faire des téléphones braqués sur lui immortalisant son éclat de colère. Il finit par s'échapper à grandes enjambées et interpelle un taxi pour s'y fourrer. Installé sur la banquette en cuir, il prend enfin le temps de poser son regard sur le visage humide de Asha dont les iris sont le réceptacle de peur et de douleur qu'il aimerait chasser d'un seul baiser.
Pierre ne la lâche pas. Sur tout le trajet, il lui murmure des mots de réconfort pour sécher ses larmes. Il fait la discussion pour maintenir le contact alors qu'elle se mure dans un silence cathartique. Et puis, à court de remèdes, il pianote sur son téléphone et laisse la mélodie envahir la pièce dans laquelle il l'a portée.
Une promesse.
Un appel à l'aide.
Une déclaration.
Tout ça à la fois.
"I'd gladly lose me to find you
I'd gladly give up all I had
To find you I'd suffer anything and be glad
I'd pay any price just to get you
I'd work all my life and I will
To wind you I'd stand naked, stoned and stabbed
I'd call that bargain
The best I ever had
I sit looking 'round
I look at my face in the mirror
I know I'm worth nothing without you
In life one and one don't make two
One and one make one
And I'm looking for that free ride to me
I'm looking for you "
Pierre berce Asha qui s'est endormie dans ses bras.
Asha. Traduction de l'espoir.
L'espoir d'un remède pour ses parents.
L'espoir d'un remède qui sauverait sa sœur.
L'espoir d'un remède qui répare petit à petit le cœur de Pierre avant de, à nouveau, le fissurer tout entier.
...
Et me revoilà... désolée pour la longue absence mais ma vie c'est juste de la folie en ce moment... Il reste seulement quelques chapitres et bien que j'ai hâte de les écrire, c'est aussi terriblement difficile !
Bonne journée !
...
Traduction :
BEHIND BLUE EYES - The Who
Personne ne sait ce que c'est
Être le méchant
Être l'homme triste
Derrière des yeux bleus
...
Personne ne sait ce que c'est
Pour ressentir ces sentiments
Comme je le fais
...
Personne ne sait ce que c'est
D'être maltraité, d'être vaincu
Derrière des yeux bleus
Et personne ne sait comment dire
Qu'ils sont désolés et ne t'inquiètent pas
BARGAIN - THE WHO
Je me perdrais volontiers pour te retrouver
J'abandonnerais volontiers tout ce que j'ai
Pour te trouver, j'endurerai n'importe quoi et serais heureux
Je paierais n'importe quel prix juste pour t'avoir
Je travaillerais toute ma vie et je le ferai
Pour te gagner, je me tiendrais nu, lapidé et poignardé
J'appellerais ça une bonne affaire
La meilleure que je n'ai jamais eue
Je suis assis à regarder autour
Je regarde mon visage dans le miroir
Je sais que je ne vaux rien sans toi
Dans la vie, un et un ne font pas deux
Un et un font un
Et je cherche ce tour gratuit pour moi
Je te cherche