Caleb avait facilement cédé à son chantage. Plusieurs raisons s'étaient opposées à sa volonté de ne pas l'emmener. D'abord parce qu'il avait beau se convaincre qu'il serait capable de s'éloigner d'elle sans ressentir cette insatiable douleur, il se leurrait. Ensuite, il n'était pas totalement serein à l'idée de la laisser seule à Wildbay même s'il était persuadé que sa famille n'aurait pas hésité à la protéger.
Les prêtresses étaient certes silencieuses, mais il les savait capable de se manifester sous n'importe quelle forme.
Ce voyage à New York allait le mettre à l'épreuve pour diverses raisons et l'ultime était tout simplement Lyra.
Dans le jet privé, l'odeur de la jeune femme n'avait eu de cesse de perturber sa concentration. La fureur de son sang qui jaillissait dans ses fines veines l'obligeait à réfréner cette soif qui devenait de plus en plus intense. Caleb avait conscience qu'il changeait. D'abord ce terrible besoin de la protéger devenait de plus en plus fort chaque seconde. Ensuite il y avait forme de loup qui à mesure du temps éprouvait le besoin de se manifester. Caleb avait certes réussi à le dominer mais il n'en demeurait pas moins plus présent que jamais.
- Tu me crois si je te dis que je suis étonnée que tu sois en possession d'un jet privé ?
- Pourquoi ça ? S'enquit Caleb en plissant les yeux.
- Parce que j'étais persuadée que tu n'en avais pas besoin pour te déplacer.
Il eut un léger rire moqueur.
- En effet, je n'en ai pas réellement besoin, seulement je me vois mal te porter sur mon dos jusqu'à New York.
Elle esquissa une moue en dodelinant de la tête.
- Je n'avais pas songé à ça, admit-elle. Est-ce que je suis en train de te ralentir ?
- Il est vrai que j'aurai été certainement plus vite si tu n'étais pas présente mais il est trop tard pour éprouver des regrets ma tendre Lyra. Tu as gagné.
Elle arbora un léger sourire triomphal.
- Tu n'as pas mis longtemps à céder, répliqua-t-elle en le défiant.
- J'aurai pu tenir encore des heures mais à quoi bon ?
Caleb affichait une expression posée et tendre mais à l'intérieur de lui régnait le chaos. Car plus que tout il désirait Lyra. La pensée de se retrouver seul avec elle loin de tout mettait en danger son self-control. L'embrasser lui procurait des sensations intenses et précieuses mais elles le conduisaient aussi vers la limite qu'il craignait de franchir.
Pourtant, il brûlait intérieurement de la faire sienne.
Seulement il ne connaissait pas les risques d'un tel souhait secret.
Lyra était humaine et lui un hybride.
- Qu'allons-nous faire à notre arrivée ?
Caleb sentit l'une de ses balafres vivre au rythme de la pierre qui la sillonnait et dut s'efforcer de refouler la naissance d'une transformation avant qu'elle relève la tête.
- Nous irons chez moi.
Elle redressa la tête comme prévu et le dévisagea avec le regard empli de questions.
- Je possède un appartement là-bas, expliqua-t-il en s'efforçant de gérer sa voix très rauque. D'ailleurs nous possédons chacun des résidences un peu partout dans le monde. Au fil des époques nous nous sommes installés dans des pays différents. Comme ça lorsque nous devons nous déplacer nous avons de quoi nous installer même si c'est temporaire.
- Ça fait beaucoup de maisons, dit-elle stupéfaite.
- Effectivement.
L'avion entama sa descente et quand ils furent hors de l'appareil la voiture qu'il avait loué les attendait sur le tarmac. Comment allait-il pouvoir se concentrer sur le vampire qu'il devait traquer alors qu'elle était avec lui ?
Il ne possédait pas encore la réponse et la tâche allait très certainement se compliquer.
- Tu as froid ? Demanda-t-il en retirant sa veste.
- Un peu oui.
Il l'enveloppa de sa veste et se concentra pour happer la chaleur du loup. Aussitôt elle se diffusa dans sa paume de main.
- Approche, murmura-t-il.
Elle s'exécuta et plaqua sa tête contre son épaule. Lyra ferma les yeux en savourant la chaleur qui émanait de lui. Elle avait l'impression d'être dans un cocon et ne voulait plus le quitter. Ses bras forts l'entouraient comme s'il cherchait à la protéger alors que son regard de bronze était rivé sur le paysage qui défilait.
Elle désirait le questionner sur le vampire qu'il voulait retrouver mais se ravisa en se rappelant que le chauffeur pouvait les entendre.
Alors elle décida d'attendre patiemment qu'ils soient arrivés à l'appartement.
Caleb ferma les yeux et usa de ses dons pour l'inviter doucement à s'endormir. Aussitôt il entendit son cœur ralentir avec apaisement. C'est dans ses bras qu'il la porta jusqu'à l'appartement situé au quarante-cinquième étage du gratte-ciel.
Une fois à l'intérieur il la monta jusqu'à la chambre et retira ses bottes pour la glisser dans les draps.
Il ignorait combien temps elle dormirait mais il devait profiter de ce temps déjà compté pour traquer l'ennemi.
Il parcourut les toits sombres pour investir chaque ruelle intéressante et qui portait l'odeur d'un vampire. Il en trouva plusieurs et cela ne le surprenait pas. New York était suffisamment grand pour accueillir des vampires sanguinaires à la recherche de proies vulnérables. Il s'agissait là d'un immense terrain de jeu pour son espèce.
Arrivé à hauteur de l'endroit où l'humain avait été tué, Caleb perçut sans difficulté l'odeur du sang séchée sur le goudron.
Il se concentra en s'abaissant vers les particules de tâches encore visibles et utilisa son flaire aiguisé pour mémoriser l'odeur du vampire.
La puanteur de l'alcool se mêlait au parfum sinistre de la mort. Caleb se redressa en fermant les yeux tout en humant sur des kilomètres afin de le retrouver.
Seulement, l'odeur qu'il venait de retenir n'était pas celle à laquelle il s'attendait. Immédiatement, sa paume de main se ferma lentement et il rouvrit les yeux là où une lueur sombre commençait tout juste à émerger.
L'odeur n'était pas bien loin, elle était même très proche et nauséabonde. Alors Caleb émit un rire sans joie en pivotant très lentement sur lui-même.
- Vous venez jusqu'à moi maintenant ? Lança-t-il à l'adresse du jeune homme au teint hâlé qui se tenait à distance dans la ruelle. Comme c'est gentil de votre part, ajouta Caleb avec un sourire cruelle.
- Je suis venu en paix, précisa l'inconnu en mettant ses mains devant lui.
- En paix ? Ricana Caleb.
Il fit un pas dans sa direction et le jeune inconnu recula aussitôt.
- Je me nomme Amrit et je suis ici parce que ma tribu a besoin de vous.
- De moi ? Répéta Caleb avec un rire plus sonore. Jeune homme j'ignore qui t'envoie ici, mais c'était stupide de sa part.
- Nous savons qui vous êtes, s'empressa d'ajouter le jeune loup d'une voix peu assurée. Je connais votre histoire et nous ne voulons pas être votre ennemi.
- Ça, vous n'êtes pas en mesure d'en décider, siffla Caleb en usant sa vitesse pour se planter devant lui.
Le jeune loup sursauta et fit un bond en arrière. Pendant une fraction de seconde, il eut pitié de lui. Le louveteau était apeuré et ne s'en cachait pas.
- Qui t'envoie ? Le questionna-t-il.
- Darshan, le chef de la tribu Phaho, expliqua-t-il en peinant à déglutir.
- Et pour quelle raison imprudente ton chef t'a envoyé jusqu'ici en prenant le risque stupide de ne plus te revoir ?
- Parce qu'il se meurt et qu'il veut à tout prix vous voir.
Caleb dressa un sourcil.
- Il se meurt ? Répéta-t-il avec nonchalance. Très bonne nouvelle.
Il le contourna pour reprendre son chemin. Ce jeune loup ne méritait pas de mourir après avoir été envoyé ici sans lui garantir qu'il resterait vivant.
- S'il vous plaît, vous devez m'écouter, supplia Amrit en marchant derrière lui. Ma tribu a besoin de vous. Elle fait partie des dernières encore en vie.
- Merci je suis au courant de ce détail, glissa Caleb en tournant dans la ruelle sombre.
- Que vous le vouliez où nous vous êtes le grand chef des dernières tribus.
Cette fois-ci Caleb se retourna en fouettant le silence avec un rire féroce.
- Je ne suis pas le grand chef, je suis votre ennemi. J'ai décimé plusieurs de vos tribus, dois-je vous le rappeler ?
- Je sais ce que vous avez fait, dit Amrit, mais les choses ont changé depuis ces dernières semaines.
Caleb sentit les traits de son visage se tendre aussitôt. Il n'avait pas besoin d'user de ses dons pour comprendre qu'il faisait référence à Lyra.
- Que sais-tu ? Demanda-t-il dans un grognement féroce.
- Mon chef l'a senti, c'est pour cette raison que je suis ici. Il dit que ça change beaucoup de choses désormais.
Il se recula avant de faire une regrettable bêtise puis leva son regard vers le ciel.
- J'espère que c'est une plaisanterie ! Siffla l'hybride à l'adresse des prêtresses.
- Je n'en sais pas plus, mais je vous en prie, prenez le temps de réfléchir. Darshan est prêt à vous recevoir à n'importe quel moment.
Caleb préféra serrer les dents plutôt que de lui répondre. De plus, en dépit du courage qu'avait fait preuve le louveteau, ce dernier empestait la peur et la démarche qu'il employait pour partir en était la preuve.
Le regard percé de rage, il s'éloigna à contresens du loup, l'esprit ravagé par cette nouvelle énigme. Convaincu que les prêtresses étaient impliquées, Caleb s'empressa de leur faire part des ténèbres qui l'habitaient afin qu'elles le craignent davantage.
Retrouver le vampire ce soir n'était plus sa priorité. Alors il rejoignit l'appartement en espérant trouver suffisamment de ressources auprès de Lyra pour se calmer.
Elle dormait toujours et décida de s'allonger à ses côtés, là où sa seule présence suffisait à le calmer.
À la lueur de l'aube, Lyra ramena ses genoux contre elle en se frottant les yeux. Il lui fallut plusieurs minutes avant de reprendre ses esprits et se rappeler qu'elle n'était pas dans sa chambre.
Elle cligna des yeux plusieurs fois et découvrit un haut plafond recouvert de fresques anciennes moulés dans un marbre sombre. En tournant la tête sur la droite elle confronta la lumière blanche qui traversait les baies vitrées masqués par de grandes rideaux blancs.
- Bonjour...
Cette voix chaude élança son cœur dans une course folle. Le vampire était allongé près d'elle, un bras glissé sous sa nuque. Son regard était perçant et peuplé de lueurs intenses.
- Bonjour, murmura-t-elle en roulant sur le matelas de façon à se mettre sur le côté.
Elle remarqua les muscles de ses mâchoires contactées et devina sans effort qu'elle s'était passé quelque chose pendant qu'elle dormait.
- Tu as trouvé le vampire ?
- Non, j'ai trouvé un louveteau égaré à la place, dit-il avec humeur sans la quitter des yeux.
Lyra le dévisagea avec inquiétude.
- Il est toujours en vie, rassure-toi.
- Qu'est-ce qu'il te voulait ?
- Son pauvre chef se meurt apparemment et il veut discuter avec moi. Il doit être suicidaire ou il veut que je l'aide à ce que la mort le fauche plus vite, déclara-t-il avec une sombre ironie dans la voix.
Lyra hésitait à contester car elle savait d'où venait sa haine pour sa propre espèce.
- Et à force de te regarder dormir j'ai fini par comprendre les raisons de sa venue et pourquoi son chef désire me voir.
- Quoi ?
- Les dernières tribus pensent que tu es la solution.
- La solution ? Répéta Lyra en se redressant sur le lit. La solution à quoi ?
- La solution à ma haine contre eux qui suscite les craintes que je décime les dernières tribus encore en vie.
Lyra ne put s'empêcher de lâcher un rire dubitatif.
- La solution ? Et puis-je savoir comment ? Tu es du genre implacable, je ne vois pas comment je pourrais être la solution.
- Je ne sais pas comment Lyra, mais je serais honoré de te voir à l'œuvre.
Incrédule devant cette lueur de défi qui dansait dans ses yeux, Lyra dressa un sourcil.
- Tu es sérieux ?
- Très sérieux, confirma le vampire en se redressant à son tour. Ma famille a essayé sans succès, personne n'est jamais parvenu à extirper cette haine en moi. Peut-être que cette tribu pense qu'une humaine le peut.
Lyra déglutit péniblement en secouant la tête doucement.
- Nous irons les voir.
- Nous ? Répéta Lyra d'une voix égarée.
- Oui, ensemble, car si j'y vais seul, je sais comment ça va se terminer.
Lyra voulut rétorquer, contester, mais ne le fit pas.
Parce que son instinct lui murmurait fébrilement que cette tribu avait peut-être les réponses qu'elle cherchait.