- Disons...que tu es l'exception à la règle, finit-il par dire.
Lyra sut alors qu'il cherchait à garder une part de mystère et ses yeux troublés en furent la preuve.
Il ne lui disait pas tout.
- Mais...
- Lyra s'il te plaît, la coupa-t-il doucement mais avec une note de fermeté. Je pense que tu en sais déjà énormément sur moi. Je ne veux pas te brusquer, pire encore te traumatiser.
- Je suis déjà traumatisée.
Aussitôt elle regretta cette phrase car l'homme au visage barré de cicatrices prit une expression douloureuse et pourvue de profonds regrets.
- Si tu le souhaites, je peux te faire tout oublier.
- Je n'ai pas envie d'oublier, répliqua aussitôt Lyra en soutenant son regard. J'essaye juste...d'accepter l'impossible.
- Tu n'es pas obligé de l'accepter.
- C'est trop tard, murmura-t-elle pour seule réponse.
Sauvée de justesse, le serveur revint à nouveau avec le potage et le verre d'eau.
L'estomac noué, Lyra n'avait aucun appétit.
- Avant même que Sheyenne te pousse dans la forêt tu étais déjà très curieuse, souleva-t-il en se penchant pour saisir la cuillère à soupe.
Il lui tendit pour qu'elle s'en saisisse.
Le message était clair, il voulait qu'elle mange.
- En effet, pour la première fois de ma vie je me suis retrouvée dans une position désagréable car d'ordinaire je ne suis pas autant curieuse.
Elle plissa les yeux en fixant les siens.
- Tes yeux, ce sont tes yeux qui m'ont poussé dans cette voie.
Un sourire frémit sur sa bouche.
- Quoi d'autre ?
- Ta façon de te tenir et de parler.
Lyra ressentait une étrange sensation s'emparer d'elle. Comme si elle n'éprouvait plus cette envie de le fuir. Comme si une partie d'elle se sentait en sécurité tandis que l'autre restait prudente.
- Disons que j'ai d'excellentes manières apprises au fil du temps, dit-il une lueur amusée dans ses yeux topazes.
Tant de questions...oui tant de questions brûlaient son esprit qu'elle ne savait plus laquelle poser en premier.
- Je peux te poser des questions ?
- Dans la limite du raisonnable, dit-il sur un ton prudent.
- Les cicatrices sur ton visage, d'où viennent-elles ?
- Lors du combat qui m'a opposé à l'assassin de ma mère. Elles te font peur ?
Lyra plissa le front puis secoua de la tête en guise de réponse.
Le fait qu'elle puisse potentiellement le trouver repoussant était risible, mais lui, semblait se soucier de l'image qui renvoyait.
- Si ça peut te rassurer toutes les jeunes femmes sans exceptions te trouvent attirant.
Aucun signe d'arrogance et de satisfactions combla ses traits ciselés et captivants. Il se contenta d'incliner la tête, le visage impassible.
- Tu brûles au soleil ?
Il souffla un rire furtif.
- Jusqu'ici non, mais on ne sait jamais, persifla-t-il.
Elle rougit gênée.
- Si on laisse de côté les légendes, comment il faut faire pour tuer un vampire ?
Lyra secoua imperceptiblement de la tête car elle n'en revenait pas de ce que venait de dire.
- Il possible de les tuer en arrachant simplement le cœur même si celui-ci est composé d'une roche aussi dure que l'acier.
- Il est possible ? Répéta-t-elle intriguée.
- Les plus anciens sont plus difficiles à tuer.
- Des anciens comme toi ?
- Encore bien plus ancien que moi. Comme certains membres de ma famille.
Sa famille !
Dans ce ballet incessant d'informations Lyra en avait presque oublié le reste de sa famille.
- Ils sont tous des vampires ? Pourquoi eux ?
- Gisela m'a conduit jusqu'à son père le jour où elle m'a trouvé et on peut dire que je lui dois ce que je suis devenu aujourd'hui. Passer de loup à un être mort et assoiffé n'est pas sans difficulté. La soif est terrible et incontrôlable. Cependant j'ai su trouver un équilibre et l'apprentissage de cet homme que je considère comme un père m'a énormément aidé.
- Tu as déjà tué des humains ?
- Non, jamais.
Caleb lut dans ses prunelles une lueur de soulagement éclairer son regard.
- Parle-moi de ta famille, lui demanda la jeune femme en se pinçant la lèvre avec hésitation.
Caleb crispa son poing pour réprimer son envie de lui ordonner de manger. L'enfer s'ouvrit ensuite à lui et son côté protecteur se mit à surgir sans pouvoir le contrôler.
- Il faut que tu manges Lyra, sinon je ne répondrais plus à tes questions.
- Du chantage ?
- Un compromis qui me paraît juste.
Elle céda, non sans rougir.
- Halrik, Céleste ainsi que Gisela et Harald font partie de la même famille.
- Tu as dit que Halrik était un vampire ancien, quel âge a-t-il ?
- Il a mille cent quatre-vingt-quatorze ans.
Elle toussa, assez fort, une main devant la bouche.
- Ça va ? S'ensuit Caleb en s'apprêtant à se lever pour l'aider.
Elle agita sa jolie tête dans tous les sens, le visage pâle.
- Je vais bien, je me suis juste étouffé, parvint-elle à dire en attrapant son verre d'eau pour boire quelques gorgées.
- Je devrais peut-être envisager d'être moins brute lorsque je te donne une réponse.
- Disons que je n'étais pas préparée.
- L'es-tu maintenant ?
- Oui, je t'écoute.
Il se replaça droit sur sa chaise et poursuivit.
- Halrik est né en l'an 829, pendant l'âge des vikings.
Alors maintenant tout avait un sens et elle comprenait mieux pourquoi ses connaissances sur l'ère vikings était presque impossible à contrer.
- À l'époque, Halrik était le chef d'un clan, poursuivit-il. Il menait de grandes batailles contre les saxons. C'est lors d'un raide sur l'Angleterre qu'il a rencontré ma mère. Il a fait d'elle sa prisonnière du guerre, mais à mesure du temps, Céleste est en quelque sorte parvenue à dompter la bête.
- Halrik paraît pourtant...si calme, dit-elle captivée.
Un fugace sourire souleva ses lèvres.
- À l'époque ce n'était pas le cas. Halrik était un guerrier puissant qui n'avait pas beaucoup de pitié pour ses ennemis. C'est lorsqu'il est tombé en amour pour Céleste qu'il a quelque peu changé.
- Comment est-il devenu un vampire ?
- En 873 alors qu'il avait trouvé un nouveau campement pour ses troupes, ils ont été attaqué. À cette époque aucune légende, aucun livre ni même un parchemin évoquait leur existence. Alors croyant qu'il faisait face à un humain, Halrik a tenté de se battre contre lui. Le vampire en question se nommait Lester Thoram et il a jugé la bravoure d'Halrik à vouloir le combattre intéressante...pour ses propres intérêts. Il l'a donc transformé. Lester Thoram espérait trouvé en mon père un allié pour reprendre ses terres en Roumanie, prises par son propre frère lui aussi un vampire.
- Mais ça n'est pas arrivé, en déduit Lyra.
- Non, répondit-il l'expression fermée. Mon père avait d'autres projets et il s'agissait de protéger Céleste et ses deux enfants nés de leur union. Harald et Gisela avaient seize et quatorze ans quand l'attaque s'est produite. Halrik aurait pu choisir n'importe quelle option, par-exemple conquérir les terres des saxons à lui seul tant sa force était au-delà de celle des humains, mais il a choisi de partir et calmer cette soif terrible. Sa transformation a été une torture absolue et brutale parce qu'il a dû lutter pour ne pas tuer sa propre famille. Hélas Lester Thoram n'a pas accepté qu'il ne veuille pas se battre pour lui alors en guise de sanction il a transformé Céleste.
Caleb marqua une pause, les yeux dans le vague.
- Lester savait que cette punition serait la plus dévastatrice pour Halrik et il a pris plaisir à le voir s'effondrer. Il a épargné les enfants puis il est parti en laissant Halrik faire face aux conséquences de son refus. Ce jour-là tout à basculé pour mon père car après le départ de Lester, il s'est juré de se venger et c'est ce qu'il a fait. Une fois capable de contrôler sa soif, Halrik a étudié chaque parcelle de ses forces et des dons qu'il possédait. Quelques années plus tard il s'est rendu en Roumanie pour obtenir sa vengeance. Il a tué Lester Thoram et s'en est allé. Depuis, mon père a toujours dit que seule cette victoire compte à ses yeux malgré les nombreux raids qu'il a remporté contre les saxons.
- Et pour Harald et Gisela ?
- Céleste et Halrik les ont protégé aussi longtemps qu'ils ont pu mais à l'époque la famine, les guerres, les maladies ravageaient beaucoup de village. La maladie a touché Gisela ne leur donnant aucun autre choix que de la transformer car ils refusaient de la perdre. Quant à mon frère il s'agissait de sa décision.
Lyra écoutait ce récit avec trouble, mais n'avait guère le choix que d'accepter. Bien consciente qu'il n'y avait plus aucun retour en arrière elle décida de se laisser conduire par Caleb dans ce tourbillon d'informations qui lui permettait de tout connaître sur lui et sa famille.
- Gunter et Séraphine sont arrivés après, vers 1560.
- Tu es donc le plus jeune...enfin...façon de parler.
- On peut dire ça en effet, seulement je suis le plus fort.
- Parce que tu es un hybride.
Si seulement c'était aussi simple, pensa Caleb en étudiant les réactions de la jeune femme qui jusqu'ici ne s'était toujours pas enfuie.
- Tu n'es pas encore partie, ne put s'empêcher de dire Caleb en guettant sa réaction.
Elle leva ses grands yeux vers lui, une lueur incertaine au fond du regard.
- À quoi bon ?
- Eh bien me fuir, dit-il avec componction sans la lâcher du regard. Tu pourrais hurler, m'insulter de monstre.
- C'est ce que tu veux ?
- Non, dit-il gravement avec un tressaillement des mâchoires. Seulement tout avait plus de sens dans ta chambre lorsque tu me regardais l'air effrayé.
- Je suis tétanisée, répliqua la jeune femme avec honnêteté. Seulement il est trop tard et tu m'as dit que tu me feras aucun mal.
- J'en suis incapable.
Car cela reviendrait à se tuer.
- Je suis cependant un monstre, ajouta-t-il pour entacher volontairement l'image parfaite que projetaient lui et ses proches dans la ville depuis tant d'années. N'oublie jamais ceci Lyra.
Il put la sentir frissonner.
- Moi et ma famille sommes des prédateurs de la nuit.
- Tu essayes de me dégouter ? De me faire peur ? Tu veux me pousser à fuir ?
- Je veux que tu as réalise ce que je suis même si en apparence nous sommes des humains, il n'en demeure pas moins que nous sommes des vampires.
Elle se pinça la bouche, et il entendit son cœur s'affoler.
Aussitôt son sang se mit à ravager les douces veines perceptibles sur son cou diaphane.
- Et que suis-je censé faire désormais ?
- Je l'ignore, ce choix t'appartient Lyra, désormais tu connais mon histoire.
- La meute.
- La meute ? Répéta Caleb en plissant les yeux.
- Que s'est-il passé pour Djared ? Tu ne me l'as pas dit.
Caleb se rembrunit, secrètement admiratif par cette façon bien à elle de s'enfoncer au cœur des sujets les plus sombres qu'il voulait délibérément garder secret.
- Je l'ai décimé lui et sa meute.
Elle eut un léger battement de cils, mais ne semblait pas choquée ni même surprise par sa réponse.
- Je les ai pratiquement toutes décimées, ajouta Caleb en mesurant sa réaction qui cette fois-ci fut de blêmir en le dévisageant.
- Pour quelle raison ?
- Parce qu'ils étaient sur mon chemin et que je les maudis jusqu'au dernier. Je garde encore en moi le souvenir pénible de ma mère tuée par eux et il m'est insupportable d'en laisser un en vie chaque fois qu'ils se dressent sur mon chemin.
C'était radical et dangereux de lui avouer cela, mais Caleb préférait lui dire la vérité avant qu'elle la découvre plus tard. Elle n'avait encore aucune idée qu'elle était responsable du réveil du loup et que désormais il devait apprendre à maîtriser cette colère qui lui était si familière et qui l'avait poussé à tuer Djared et sa meute. Seulement Caleb était sûr d'une chose. Il préférait accepter cette partie de lui plutôt que de la perdre à jamais.
- Mais tu es un loup.
- Pendant des années j'ai gardé cette part de moi enfermée et je la croyais morte. Seulement elle s'est réveillée sans que je puisse l'en empêcher.
Elle le dévisagea longuement, l'expression hésitante.
- Est-ce...est-ce que je suis responsable ?
- Oui...