Caleb la souleva dans ses bras et réalisa qu'il n'avait jamais été aussi proche d'elle qu'à cet instant. Tout contre lui, elle dormait paisiblement, la joue contre son torse. Son parfum envoûtant n'avait jamais été aussi puissant et ses pupilles se dilatèrent au seul plaisir d'entendre son sang pulser dans ses veines.
Meredith n'était pas là, lui permettant ainsi de rentrer à l'intérieur de la maison par la porte d'entrée.
Avec une délicate précaution, il grimpa l'escalier et tourna sur la droite car il savait que sa chambre s'y trouvait.
Caleb s'en voulait terriblement de devoir user de ses dons sur elle pour gagner du temps, seulement il n'avait pas d'autre choix que de contrer Sheyenne.
Il la déposa sur le lit et d'un revers de main, effleura sa joue rosée.
Le simple fait de la toucher provoqua en lui un raz-de-marée de sensations indescriptibles.
Et si c'était Sheyenne qui avait raison ?
Et si l'inévitable devait tôt ou tard se produire ?
Caleb s'installa sur le rebord du lit en fermant les yeux.
- Elle va te voir comme un monstre, dit-il tout bas en la dévisageant avec une moue amère.
Son dégoût pour lui-même était le principal argument qui le poussait à refuser qu'elle puisse connaître son secret.
Caleb ferma les yeux pour pénétrer son esprit, décidé à prendre le dessus sur les guides de Sheyenne.
Il devait faire en sorte qu'elle oublie ce qu'elle avait vu la nuit dernière.
Seulement Caleb entra en conflit avec une force qui presque immédiatement tenta de le faire sortir de sa tête.
Il gronda sourdement, les mâchoires serrées et reprit le dessus sur les forces de Sheyenne. Pourtant si loin du bayou, il ressentit la colère la vieille femme qui luttait à son tour. Puis elle céda, mais il réalisa trop tard qu'il y avait une conséquence inattendue sur le point d'émerger dans ce chaos qu'il ne contrôlait plus.
Les souvenirs de Lyra se mélangèrent et après avoir du lutter contre Sheyenne, il dut lutter contre l'esprit de la jeune femme qui tentait en vain de reprendre le dessus.
Caleb sentit une douleur griffer son corps à moitié mort parce qu'il avait l'insupportable sensation de lui faire du mal en insistant alors qu'elle se battait pour se libérer.
Il s'arracha de son esprit, incapable de ressentir plus longtemps cette douleur intense et qui faisait de lui un véritable monstre.
Elle ouvrit les yeux, la bouche entrouverte et haleta en embrassant la pièce d'un regard hagard. Puis ce même regard se posa sur lui et le reflet apeuré qui prit forme dans ses yeux le poussa en détourner la tête.
- Que s'est-il passé ? Murmure la jeune femme en essayant de se redresser.
Malgré la forme rageuse qu'avait pris son visage, Caleb posa ses deux grandes mains sur ses joues pour la maintenir sur le lit.
Bientôt elle le regarderait comme un monstre, songea-t-il en peinant à adoucir ses traits cruellement tendus parce qu'il venait de perdre le combat.
- Tu as peur ? Demanda-t-il d'une voix que lui-même eut peine à reconnaître.
Pour seule réponse elle le dévisagea longuement, une lueur incertaine au fond des yeux.
- C'était toi, finit-elle par dire d'une voix à peine audible.
Lyra ferma les paumes de ses mains pour combattre la peur qui lui nouait la gorge alors que le mystérieux homme balafré tenait son visage en coupe, le corps penché au-dessus d'elle alors que son visage ciselé passait d'une expression rageuse à une celle de la résignation.
Il lâcha son visage en détournant la tête et se leva avec une raideur perceptible.
Lyra cilla sur son lit puis serra les draps en le suivant des yeux.
Il se détourna d'elle et posa ses mains sur la commode, le dos affaissé comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules.
- Je suis désolé.
Lyra se redressa, le cœur battant violemment contre ses tempes et se recula contre la tête du lit.
Ce qu'il venait de se passer ne portait pas d'explications logiques mais tout paraissait bel et bien réels et il n'essaya pas de le nier.
Dans le rêve qu'elle venait de faire, Lyra avait revécu la scène dans la forêt à la seule différence que cette fois-ci le loup l'avait regardé droit dans les yeux. De cette façon, Lyra avait pu se concentrer sur l'or scintillant dans ses iris. La même couleur ambre que Caleb portait dans ses iris.
Impossible !
Elle suffoqua soudain en secouant imperceptiblement de la tête. La bouche sèche, elle voulut lui poser la question mais aucun son ne parvint à sortir alors que son esprit lui, le souhaitait.
- C'est...impossible...
Sa gorge devint sèche et la peur afflua sur ses joues désormais pâles.
- Je ne te ferais aucun mal Lyra, j'en suis incapable.
Était-ce censé la rassurer alors qu'une part d'elle refusait d'y croire ?
Lorsqu'il se retourna pour atteindre son regard effrayé, elle nota de l'amertume dans ses yeux de couleur bronze.
- Je te demande de me croire quand je te dis que je suis incapable de te faire du mal.
Il la quitta des yeux et rajouta :
- Tu m'es trop précieuse.
- Quoi ? Souffla Lyra en le dévisageant, qui es-tu ?
Il dévia son regard intense vers le sien.
- Demande-moi plutôt qu'est-ce que je suis.
Lyra dont la respiration s'était coupée desserra ses doigts des draps qu'elle tenait fort pour atténuer la peur. Il ne bougea pas, la laissant prendre son temps comme s'il n'avait plus le choix que d'attendre qu'elle lui pose cette question redoutable.
- Qu'est-ce que tu es ? S'entendit-elle demander alors qu'elle le savait au fond d'elle-même.
- Une créature surnaturelle, lâcha-t-il à la fois cruel et résigné.
Un brutal silence s'ensuivit. Il ne la lâcha pas du regard, mais elle le fit en baissant les yeux sur son lit avec l'impression que le sol était en train de se dérober sous ses pieds.
Perdue dans deux dimensions, elle sentit une bourrasque de vent se poser sur elle jusqu'à faire flotter quelques mèches de ses cheveux, l'incitant à relever précédemment les yeux.
Il n'était plus là et une nouvelle fois son cœur s'affola dans le mauvais sens.
Un nouveau vent caressa son visage alors qu'il se trouvait juste à côté d'elle, debout près de son lit.
Il lui tendit un verre d'eau qu'elle prit maladroitement sans le quitter des yeux.
- Bois.
Il poussa le verre jusqu'à ce qu'il touche ses lèvres puis posa son index sur le dessous pour la forcer à boire.
- Comment...comment as-tu fait ? S'écria-t-elle en essayant de repousser sa main.
Il fut plus fort, sa détermination se lisait dans ses yeux et elle ne résista pas lorsqu'il pressa ses épaules tout en s'installant sur son lit.
Tétanisée, l'esprit fébrile, Lyra n'eut pas la force de résister.
- Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, articula-t-il doucement tandis que ses yeux reflétaient presque le désespoir.
Il lâcha ses épaules, les mâchoires serrées.
- Je suis un monstre que tu n'aurais jamais dû rencontrer. Tout est de ma faute...je...
Il s'interrompit, le regard éprouvé par un profond remord.
- Tu es le loup de la forêt ? Comment...comment...
- Il faut une ouverture d'esprit assez importante pour accepter que le monde abrite des créatures que l'on pense trouver uniquement dans les livres.
- Qui t'a fait ça ?
Il eut un rire plein d'amertumes et presque cruel. Sa paire d'yeux inégalé se planta dans la sienne et la panique afflua de nouveau. Comme s'il l'avait senti, l'homme au regard presque torturé s'éloigna du lit en cachant son visage.
- Tu es trop choquée pour entendre ce que j'ai à te dire Lyra, dit-il d'une voix sombre et faible. Alors je vais te proposer deux choix et peu importe lequel tu choisiras, je m'engage à le respecter.
Lyra cilla, le regard figé sur ce dos large et immobile.
- Je t'attendrais à vingt heures ce soir au restaurant qui fait l'angle du centre-ville. Si tu ne viens pas, alors je te promets solennellement que tu ne me verras plus jamais. Je resterai le plus loin possible de toi afin que tu puisses rependre une vie normale.
Lyra n'eut pas le temps de bouger ni même de dire quoi que ce soit que le mystérieux homme balafré avait disparu.
Laissant derrière lui un courant d'air froid et dévastateur.
Il lui fallut plusieurs minutes pour se lever du lit afin de rejoindre l'alcôve pour jeter un coup d'œil sur l'arrière de la maison qui étrangement...paraissait fortement agité par le vent.
Elle se laissa tomber sur le sol et posa ses mains sur sa bouche, la respiration saccadée. Ensuite vint le moment où elle se força à ressembler les pièces du puzzle. Une partie d'elle refusait d'y croire, mais l'autre était forcée de se faire à la raison.
Il lui aurait été plus facile de nier la réalité si elle n'avait jamais vu ce grand loup aux yeux d'or, songea-t-elle en fixant l'heure du réveil matin qui indiquait déjà dix-neuf heures.
Devait-elle y aller ?
Devait-elle fuir ?
- C'est impossible, murmura-t-elle en ramenant ses genoux contre elle.
- Qu'est-ce qui est impossible ?
Lyra sursauta en relevant la tête.
Meredith se tenait à l'entrée de sa chambre, l'air inquiet.
- Est-ce que tout va bien ? S'enquit-elle en s'approchant.
- Oui ! Tout va bien ! Je...
Elle se leva précipitamment, l'esprit envahi par un défi, une lutte intérieure qui désormais commandait les mouvements de son corps.
Elle s'enferma dans la salle de bains et agrippa les rebords du lavabo, la respiration oscillant entre la panique et la peur car à cet instant précis elle ne ressentait rien d'autre que ces deux émotions.
Et pourtant, un détail important remettait en doute la décision la plus évidente à prendre.
Caleb Varhak lui-même.
Sa façon d'être, sa façon de vouloir la protéger et la douleur perceptible sur son visage balafré l'empêchait de prendre la décision la plus rationnelle qui soit.
Lyra se passa de l'eau sur le visage et se changea rapidement.
Elle déploya une énergie inhabituelle pour quitter la maison et s'engouffra dans sa voiture rapidement. Ce fut seulement à mi-chemin qu'elle réalisa que si elle se pressait autant c'est parce qu'elle craignait que son esprit regagne la raison et lui ordonne de faire demi-tour.
En dépit de la peur qui lui tiraillait le ventre, Lyra s'avança jusqu'à l'entrée du restaurant et c'est à cet instant précis que son esprit lui commanda de partir. Elle prit une grande respiration les yeux fermés puis les rouvrit.
Mais au moment où elle s'apprêtait à faire demi-tour, une ombre sur sa droite l'en empêcha par la seule force de sa présence.
La jeune femme sursauta et recula de trois pas en arrière. Caleb était partagé entre le soulagement et le désespoir.
Soulagé qu'elle soit venue.
Désespéré par la lueur de peur qui brillait dans ses prunelles.
- Je ne cesserai pas de le répéter autant de fois qu'il sera nécessaire de le faire, dit-il sur un ton circonspect. Je ne te ferais jamais de mal.
Ses grands yeux bleus se mirent à le dévisager comme s'il était devenu un inconnu.
- J'ai fait en sorte de choisir un endroit neutre pour que tu te sentes en sécurité, ajouta-t-il d'une voix posée.
Il s'avança pour ouvrir la porte alors que son pouls battait avec un affolement semblable à une biche prenant la fuite.
Et pourtant, elle marcha en direction de l'entrée et dès qu'elle eut franchi le seuil, Caleb ferma brièvement les yeux de soulagement.
Il avait pris soin de choisir une table éloigné des autres clients afin que personne ne puisse les entendre.
- Je vous laisse choisir, dit le serveur après avoir déposé les cartes sur le coin de la table.
Ni l'un ni l'autre s'était lâché du regard, attendant patiemment que l'un des deux brise le silence.
- Tu es libre de me poser toutes les questions que tu souhaites.
Lyra se pinça la bouche sans quitter du regard ses yeux de bronze qui brûlaient d'une extrême intensité.
- Qui es-tu ?
Cette question, elle lui avait déjà posée, mais c'était comme si elle éprouvait le besoin de l'entendre à nouveau pour l'accepter.
- Je suis un hybride, répondit-il d'une voix sombre et posée.
En proie à une vague de pensées contradictoires Lyra posa ses paumes moites sur la table en exhalant un soupir haché.
- Ce qui...ce qui signifie que tu n'es pas seulement un loup, conclut-elle en peinant à le regarder dans les yeux.
- Non, je suis également un vampire.
Cette révélation manqua l'achever, et elle sentit ses os se glacer.
Pourtant, elle n'essaya même pas de fuir. Elle baissa seulement la tête pour éviter son regard qui malgré la peur qu'elle ressentait, parvenait à la captiver bien plus qu'elle l'aurait imaginée.
Un vampire...
Maintenant elle comprenait mieux pourquoi ses mains étaient glacées, car si on en croyait les légendes, les vampires étaient pour ainsi dire mort.
Elle releva les yeux et rencontra un visage inexpressif. Les mâchoires de l'homme étaient quant à elles très crispées.
- Donc tu es mort ?
- À moitié mort, rectifia-t-il. Mon cœur ne bat plus, mes organes vitaux sont asséchés, mais la part du loup qui est en moi me permet de réactiver de temps à autre quelque fonctionnalité de mon corps. Notamment la chaleur de mes mains.
Lyra se pinça les lèvres.
- Dis-moi n'importe quoi Lyra, mais parle ! Ajouta-t-il avec un léger agencement, car son silence lui était insupportable.
- Je crois que je suis folle ou alors que je suis en train de rêver.
Il eut un rire sans joie.
- Crois-moi j'aurai aimé que ce soit le cas.
- Pourquoi me l'avoir dit ? Pourquoi avoir pris ce risque ? À moins que je ne sois pas la seule à connaître ton secret.
- Tu es le seul humain à ce jour qui connait mon secret. Et je pense que...qu'il est trop tôt pour passer directement à cette étape où je dois t'expliquer les raisons qui m'ont poussé à te révéler ce que je suis.
Lyra frémit sous son regard devenu tout à coup animal.
- Dans ce cas commence par le début, proposa-t-elle le cœur battant à la chamade.
Il enfonça sa paire d'yeux dans la sienne et débuta alors l'histoire mystérieuse de Caleb Varhak.
- Je suis né en 1726, j'ai plus deux cent ans...