"Les passagers de la navette colonie à destination de Telson Gliese 667 Cc sont priés de se présenter au terminal 4."
Peu de personnes animaient les larges allées du spatioport. A 7 heures du matin la plus grande partie de la station orbitale terrestre dormaient encore. Les seuls braves déjà debout étaient les membres des équipes de manutention. Trainant son imposante valise derrière lui, Mylo se pressait pour prendre place à bord du vaisseau colonisateur à destination de Gliese 667 Cc, aussi appelée "Telson".
Ces larges vaisseaux permettaient d'acheminer colons et matériel vers des planètes supposément habitables. Plusieurs missions de colonisation organisées par le Centre Politique Solaire Décisionnel ou CPSD avaient étés lancées ces dernières années. Mylo était récemment employé par cette institution, après avoir quitté son emploi de Responsable des interventions techniques sur un large vaisseau de fret interplanétaire. Un titre bien pompeux pour le travail manuel et répétitif qu'il effectuait.
Après que l'on ait vérifié son billet, Mylo s'engagea sur la passerelle d'accès du vaisseau. Sur les parois du large tunnel, des ouvertures laissaient entrevoir les kilomètres de structures supportant les centenaires de matériel que transportait le vaisseau. Ce vaisseau tout en longueur était équipé de plusieurs zones indépendantes transportant des passagers, chacune connectée à la station pour l'embarquement. Une fois à bord, Mylo pris presque une demi-heure à trouver son habitat, une petite chambre avec un lit, une douche et une penderie. Ces nouveaux modules d'habitations avaient étés installés tout récemment. Pour pouvoir embarquer tout le matériel nécessaire à la première colonie, les capsules de cryogénisation étaient souvent le meilleur compromis. Les premiers colons se réveillaient donc après ce qui leur semblait n'être que quelques heures sur un monde totalement inconnu.
Mylo posa sa valise sur son lit et sortit de sa chambre. Les couloirs savamment organisés du vaisseau indiquaient le chemin vers les différents centres d'intérêt. "Canopée", c'était le signe que Mylo suivait, il ne voulait pas rater la formation de la bulle gravitationnelle. Dans la large place munie d'un grand nombre de bancs et de boutiques de loisirs, plus de deux cent personnes se réunissaient. Tous les regards étaient fixés sur les deux larges ouvertures en demi-cercle par lesquelles on pouvait observer les étoiles. Pour tous les travailleurs de la surface, le voyage avait déjà débuté.
- "Cinq minutes avant saut stellaire." dit la voix désincarnée du vaisseau.
Les ponts d'embarquement se détachèrent de la coque du vaisseau et se rétractèrent vers la station. Au-delà de la zone de saut, des vaisseaux attendaient leur tour pour s'amarrer. Tandis que le vaisseau changeait de cap pour s'aligner avec sa destination, de longues antennes se déployaient aux coins de sa coque hexagonale.
- "Deux minutes avant saut stellaire."
Au bout des antennes, d'étranges appareils similaires à des panneaux solaires se déployaient. De brefs arcs électriques fusaient entre les panneaux et la coque. Dans les entrailles du vaisseau ses deux fracturateurs spatiaux chargeaient les bosons produits par le moteur à anomalie gravitationnelle. Dans tout le vaisseau les passagers pouvaient ressentir la momentanée réduction d'apesanteur tandis que le générateur de gravité s'ajustait à la puissance nécessaire pour maintenir la bulle.
- "Trente secondes avant saut stellaire."
Les étoiles se mirent à vaciller, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Dans un mouvement de va et viens qui rappelle des vagues sur une plage, les constellations que les humains avaient observé pendant si longtemps perdaient tout leur sens. La bulle gravitationnelle était entrain de se former. Les bosons étaient disséminés et organisés par les larges antennes en champs rationnels. Leur mise en place était inégale ce qui créait ce phénomène étrange de vacillement d'étoiles. Mais si tôt que les bosons étaient en place, le ciel s'organisa en motifs s'espace, se répétant de manière fractale. Par endroit on pouvait presque voir la ligne nette de séparation entre une zone et une autre.
La bulle était prête. Les fracturateurs spatiaux se turent et laissèrent place au doux vrombissement du générateur de gravité. Les deux larges moteurs à gravité, semblables à de grands éventails collés aux côtés de la coque, s'illuminèrent d'un éclat rappelant celui des étoiles. L'accélération fut instantanée, vertigineuse. De l'extérieur, le vaisseau semblait morcelé en des dizaines de morceaux désorganisés, détachés les uns des autres. Mais ce n'était qu'un mirage, le vaisseau n'était déjà plus tangible. Extrait de la réalité, il glissait entre deux plis de l'espace, protégé par sa bulle de gravité.
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Le cockpit portait la lourde odeur de graisse mécanique mêlée à celle de la cigarette. La lumière rouge diffuse contrastait avec le calme de l'espace. Dans le vide, seule la respiration de Mylo et les ronrons de la pompe à air se faisaient entendre. Son collègue, Rudy, était à l'extérieur, entrain de fixer les condensateurs des moteurs arrière gauches du CS Latimeria. Ils avaient étés appelés en urgence par leur chef à la Compagnie Interplanétaire de Transport, Jasper, pour réparer ce vaisseau de transport lourd, embarquant de quoi faire vivre la population de Mars pour les deux prochaines semaines. Il était crucial qu'il arrive dans les temps, chose impossible sans son moteur arrière gauche.
Mylo était entrain de repenser à sa demande de promotion qu'il avait réitéré pour la cinquième fois. Dix ans qu'il travaillait pour la CIT en tant que pilote et "responsable des interventions techniques", un titre tout à fait inutile. Dans les faits, Mylo travaillait plus pour la même paye, le seul avantage qu'il avait c'était qu'il était administrativement au-dessus de Rudy. Ça lui faisait une belle jambe, sachant qu'ils avaient travaillé ensemble pendant plus de 3 ans, le grade n'avait plus d'importance.
Un des voyants du tableau de bord se mit à clignoter, Rudy avait fini son travail. Mylo actionna l'enrouleur du câble d'intervention extérieure et ramena Rudy à bord. Alors qu'il venait de sortir de l'écoutille, le vaisseau fut violement secoué.
Mylo se réveilla en sursaut. Sa montre, posée sur la table de chevet, affichait 8h. Encore un cauchemar, à chaque fois qu'il dormait à bord d'un vaisseau sa mémoire refluait. Le temps où il était pilote le hantait, toutes les fois où il était passé proche de l'accident catastrophique, sauvé uniquement par son expérience et son instinct. C'était cet instinct qu'Alex, son contact dans la CPSD, avait apprécié. Il était bien mieux payé maintenant et son talent était mis à meilleur escient.
Alors qu'il sortait de son lit, Mylo repensait à Rudy. Il se demandait où il en était dans la vie. De 4 ans son cadet, c'était peut-être lui le "responsable des interventions techniques" maintenant, payé toujours autant pour le même travail dangereux et misérable. Plongé dans l'odeur de la graisse mécanique, sujet aux activations de circuits intempestives des vaisseaux qu'il réparait, peut-être même avait-il déjà posé sa démission auprès de la CIT, fatigué de leurs mensonges.
- "Mesdames et messieurs, nous initions notre approche de la planète Telson. Temps de trajet estimé : 3 heures. Veuillez rassembler vos effets personnels et vous diriger vers la canopée."
Mylo enfila ses habits, ferma ses valises et partit en avance pour la canopée. Le trajet avait duré un peu plus d'une semaine dans un ennui absolu. Les voyageurs étaient encouragés à maintenir une routine lors du trajet pour ne pas perturber leur notion du temps. Tous les matins, des groupes se rassemblaient à la canopée pour décider du restaurant dans lequel ils allaient prendre leur petit déjeuner. Mylo, quant à lui, se contentait des sonneries de sa montre pour déterminer quand il était l'heure de manger, de dormir, ou de se laver. Il avait passé son temps à étudier le dossier de mission qu'on lui avait transmis.
Les deux colonies qui se trouvaient sur Telson avaient subi un nombre important de décès, ce qui avait alerté les autorités. En tant qu'expert en sécurité accrédité par la CPSD, Mylo avait pour mission de découvrir pourquoi ces décès avaient lieu et comment rétablir un niveau de sécurité décent sur les colonies.
- "Mesdames et messieurs, nous nous apprêtons à sortir de la vitesse supra-luminique. Pour votre confort, nous vous invitons à vous asseoir."
Les fractures de l'espace se résorbèrent instantanément, comme si les pièces de puzzle qui formaient le monde avaient soudain toutes reprises leur place. Le ciel était différent, en fond diffus se trouvaient les nébuleuses avoisinant la constellation du scorpion. La faible lumière de Gliese 667 C venait colorer les ombres de la canopée d'un violet rougeoyant. Aucune fluctuation de gravité n'avait été ressenti par Mylo, contrairement au départ, l'ordinateur de bord avait eu le temps de calculer le besoin de gravité exact au moment de la sortie, probablement avait-il reçu les informations de la balise spatiale qui orbitait autours de cette étoile. Dans un coin de la canopée commençait à se dessiner la colonie minière de Telson, un assemblage bâtard de tunnels et de filins de transport agrippés sur la surface d'un gigantesque astéroïde.
- "Mesdames et messieurs, bienvenue à Telson. Initiation de la séquence d'amarrage."
Une large tranchée avait été creusée dans l'astéroïde permettant au vaisseau de se positionner entre les bras d'amarrages de la colonie. Un léger tremblement secoua le vaisseau tandis que les bras l'agrippaient fermement.
- "Mesdames et messieurs," la voix féminine et impersonnelle de l'ordinateur de bord avait été remplacée par celle d'un homme qui paraissait exaspéré par sa fonction. "Bienvenus à la colonie minière de Telson. Prenez soin de bien lire les consignes de sécurité de la colonie, n'étant pas équipée pour recevoir du publique c'est un endroit que vous pouvez considérer comme dangereux. Naturellement, la CPSD ne pourra être tenue responsable de quelque blessure que vous subirez durant votre séjour ici."
Une foule de touristes replissait les couloirs de la station, se dirigeant droit vers le secteur des commerces et des bars. A l'opposé, Mylo trainait sa valise derrière lui dans les étroits couloirs, cherchant le bureau du directeur. Des petits panneaux pendaient au plafond, indiquant le chemin vers les différents secteurs. L'air était lourd, malgré le système de filtration, y compris dans le secteur administratif où se trouvait le bureau du directeur. Les cadres accrochés à sa salle d'attente perlaient d'humidité. Mylo hésita à troquer son accoutrement officiel pour un habit plus confortable quand l'intendant de la station vint le rejoindre.
Prétextant une affaire urgente, le directeur avait envoyé l'intendant s'occuper de Mylo. Ce dernier l'invita à le suivre pour une visite des différentes installations. Les quartiers résidentiels se trouvaient au cœur de l'astéroïde, dans la zone qui avait été minée en premier. Ils avaient étés déplacés là après depuis l'extérieur avant d'ouvrir la seconde zone de minage. Venait ensuite la première baie de chargement, suivie des zones administratives situées proche de la sortie de l'astéroïde et des zones de manutention contenant les recycleurs d'air et d'eau, situées sur la surface. Tandis qu'ils marchaient dans une des galeries, une large fenêtre était ouverte dans la roche, montrant un gigantesque filon de minerai.
Une sphère quasi-parfaite de roche, encore retenue à l'astéroïde par quelques ponts, apparaissait derrière la fenêtre. Des vaisseaux foreurs flottaient par endroits, ajustant subtilement leur trajectoire grâce à des disques de gravité, fort semblables aux tuyères plates utilisées sur les vaisseaux à moteurs gravitationnels. Malgré leur petit gabarit, les puissantes pinces des robots foreurs leur procuraient une grande stabilité. La radio de l'intendant, accrochée à sa combinaison similaire à celle d'un mécanicien, se mit à grésiller.
- "Permission de procéder à la séparation." demanda une voix provenant d'un des vaisseaux.
L'intendant positionna sa main sur la radio.
- "Permission accordée." répondit le directeur.
Les vaisseaux se regroupèrent aux niveaux des ponts de pierre pour les abimer grâce à leurs foreuses laser de précision, montées sur des embouts rotatifs. Une fois les ponts suffisamment réduits, les vaisseaux se placèrent sous forme de quadrillage sur la sphère. Chaque vaisseau positionna ses bras mécanisés sur la surface rocheuse inégale. Les ponts lâchèrent dans des craquements sinistres, les ondes de choc se répercutèrent dans toute la station, faisant trembler les panneaux fixés dans les couloirs. Les moteurs des vaisseaux miniers se mirent en route, essaye d'impulser un mouvement à cette masse gigantesque.
- "Vaisseau 3 diminue la poussée." dit le directeur.
- "Bien reçu."
- "Vaisseau 7, tu fous quoi là ?" demanda le directeur.
Le vaisseau 7 était mal placé, trop proche du vaisseau 6, il risquait de déséquilibrer la gigantesque sphère.
- "Nan chef, c'est vaisseau 6 qui est mal placé." répondit le pilote à l'air suffisant.
- "On a déjà parlé de ça, replace toi entre..."
- "Ici vaisseau 4 ! Mon moteur avant droit ne réponds plus !" dit l'un des pilotes, paniqué.
- "Merde ! Quel est ton vecteur ?" demanda le directeur.
- "12.3, 6, 22 !"
- "Vaisseau 7, ajuste la poussée ! Mais AJUSTE BON SANG !"
La sphère massive commençait à se désaxer lentement, tandis que la poussée les moteurs faisait vibrer la vitre de la passerelle.
- "Il va pas y arriver ! Vaisseau 8 ajuste aussi la poussée ! Vaisseau 3 prépare toi à équilibrer !" ordonna le directeur.
- "Je n'arrive pas à calculer le vecteur !" répondit vaisseau 8.
Le combat sembla durer une éternité tandis que le vaisseau 7 poussait la sphère de toutes ses forces. Jusqu'au dernier moment, il essaya de remettre la sphère au centre de la caverne. Acculé contre les murs de pierre, il décida de se détacher et de se mettre à l'abri. Mais il avait trop tardé à fuir, le choc le rattrapa et la sphère écrasa son vaisseau contre la roche. Le choc fut ressenti dans toute la station. Des lampes des couloirs tombèrent au sol et des canalisations de transport d'air et d'eau commencèrent à fuir. Heureusement aucun vaisseau n'était fixé aux baies de chargement.
Une fois la vibration passée, les vaisseaux décollèrent la sphère du mur pour récupérer ce qui restait de vaisseau 7. La sphère fut conduite à l'extérieur de l'astéroïde par une large ouverture faite au-dessus de la galerie, où des vaisseaux avec un équipement plus précis pourraient en extraire les filons de minerais rares. La carcasse du vaisseau 7 fut ramenée à la baie de chargement la plus proche. Là où il se tenait quelques minutes plus tôt, une flaque de sang et d'huile flottait dans la grande caverne.
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- "Il semblerait que cet accident soit dû à une défaillance matérielle. L'enregistrement des communications radio durant l'opération montrent que le vaisseau 4 a eu une avarie dans son moteur avant droit." expliqua le directeur.
- "Très bien, il va falloir que je creuse ça, après tout, je suis là pour ça." répondit Mylo.
- "Ouhla, calmez-vous inspecteur, ce n'est pas un homicide, il n'y a pas de meurtrier à pourchasser."
- "Un homme est mort dans ce vaisseau, monsieur le directeur." répondit Mylo, "Je pense que vous devriez prendre ça un peu plus au sérieux."
Le directeur se pencha en avant sur son bureau, plongeant son regard dans celui de Mylo.
- "Sur le mur à côté de moi il y a le nom de toutes les personnes qui sont mortes sur cette station. Je pense que je prends suffisamment cela au sérieux." répondit sèchement le directeur.
- "Dans ce cas vous n'aurez aucun inconvénient à ce que je jette un œil aux rapports de maintenance des vaisseaux."
- "Naturellement." le directeur se tourna vers l'intendant, "Fournissez-lui tous les documents qu'il demande." Il se tourna de nouveau vers Mylo, "Je ne doute pas que vous trouverez dans ces documents une application stricte des protocoles de la CPSD. En vérité, la cause de cet incident est probablement due au matériel que le siège ne nous a pas envoyé, malgré mes multiples demandes." précisa le directeur, avec un ton encore agressif.
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[Rapport n°1]
Un accident est survenu à 2h07 du sol 1. La défaillance du moteur avant droit du vaisseau de minage 4 a entrainé la perte de contrôle d'un bloc de minerai et entrainé la mort accidentelle du pilote du vaisseau de minage 7.
Après inspection des rapports de maintenance des vaisseaux, il est manifeste que les réparations effectuées sur le vaisseau n'ont pas été suffisantes pour prévenir ce genre d'avaries. Les réparations ont suivi les protocoles de sécurité instaurés par la commission.
Il semblerait qu'une des pièces de rechange du moteur se soit détachée lors de l'utilisation normale et soit venue causer un court-circuit sur la carte de contrôle local du moteur. Cette avarie aurait pu être évitée si la pièce utilisée avait été la pièce recommandée par le constructeur. Un commentaire du chef mécanicien détaille le manque de matériel et l'utilisation d'une pièce non optimale pour cette réparation.
Le manque de pièces de réparations est avéré. Une analyse plus approfondie des rapports et des manifestes des ravitaillements devrait aider à identifier les causes de cette pénurie.
[Fin du rapport]
Mylo ferma son terminal après avoir envoyé le rapport au siège de la CPSD. Son enquête venait à peine de commencer. Il décida d'explorer la station. Son premier objectif était de trouver des mineurs qui venaient de quitter leur poste et qui seraient enclins à témoigner, après leur longue journée de travail. Il décida de se diriger vers le secteur des commerces et des bars, point de liaison entre les baies de chargement et le secteur des habitations.
Dans les ruelles basses au plafond de roche apparente, les néons des enseignes projettent un univers de couleurs sur les visages fatigués qui s'amassent aux terrasses des bars. Dans toutes les mains, la même boisson apparaissait, une bière micro-filtrée allégée importée depuis la terre. Suffisamment alcoolisée pour vous faire oublier le mal de dos, pas assez désinhibante pour vous amuser. Une des rares denrées sur cette station à être vendue par une entreprise privée. Sous les tables s'échangeaient de petites bouteilles d'eau de vie locale, semblables aux gourdes fournies par la colonie aux travailleurs. Comme dans tous les lieux isolés, certaines personnes contournaient les lois pour améliorer leurs conditions de vie.
Mylo déambula plusieurs minutes avant de croiser ne serait-ce qu'une conversation. A part le son de la radio et des chansons que les travailleurs s'étaient procurés avant leur départ de la terre, un silence pesant se faisait sentir.
- "Tous est plutôt normal ici, je dirai même affreusement normal." répondit un mineur, aux questions de Mylo.
- "Et ces accidents, vous en pensez quoi ?"
- "J'étais là quand un travailleur s'est fait fracasser le crâne par une grue de chargement, sur une des baies de chargement. C'était horrible ! Mais qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse." répondit le mineur, avec un air résigné, "Ceux qui nous commandent sont à 39 années lumières d'ici et ils ont la main sur le robinet. Si on se fâche avec eux, on est finis..."
Après avoir fait le tour des bars et des commerces, Mylo s'accouda à une table de bar. Le barman s'approcha et, devinant ses intentions à son air abattu, lui tendit une bière. De l'autre côté de la rue, une femme vêtue d'un manteau en cuir et de hautes bottes qui lui remontaient aux genoux, observait la scène depuis sa table. Elle posa sa bière vide près des deux autres, déjà présentes sur la table, et se leva.
- "Je ne vous ai jamais croisé ici, vous êtes nouveau ?" demanda-t-elle à Mylo, en s'accoudant à la même table que lui.
- "Je viens d'arriver." répondit Mylo, en évitant son regard.
- "Ouais ça se voit, vous ne connaissez pas encore bien les règles d'ici." répondit la femme, agacée que sa beauté naturelle et ses yeux d'un bleu clair n'aient pas plus attiré l'attention de Mylo.
Mylo but une rasade de bière, cette discussion n'était qu'une distraction de la tâche qui occupait son esprit. La femme se plaça un peu plus prêt et lui tendis discrètement une plaquette en aluminium, sur laquelle étaient insérées de petites pilules. Les yeux de Mylo passèrent de la plaquette au visage de cette femme.
- "Excusez-moi, je crois que je n'ai pas bien entendu votre nom." dit Mylo.
- "C'est normal, je ne vous l'ai pas dit." répondit la femme, qui rangeais la plaquette dans la poche de son manteau en cuir, "Ça viendra, vous êtes encore nouveau ici. Dans quelques jours vous viendrez m'en demander."
- "Moi je m'appelle Mylo, je suis responsable de la sécurité, envoyé par la CPSD." dit-il d'un ton ferme, montrant sa carte officielle, "Vous traineriez pas dans des activités pas très licites par hasard ?"
- "Certainement pas." dit la femme, en levant les mains, "Je ne faisais que proposer du divertissement à un nouveau venu. Je ne trafique pas."
- "C'est ça oui, montrez-moi vos papiers."
- "Pardon ?" répondit-elle, fronçant les sourcils.
- "En tant que responsable de la sécurité, contrôler vos papiers fait partie de mes attributions." répondit-il, en soutenant son regard.
Elle soupira d'irritation, sans détourner le regard. Elle sortit sa carte et la plaça entre son visage et celui de Mylo, qui prit la carte.
- "J'ai été envoyée par Hydronix pour négocier les détails d'un contrat d'approvisionnement en boissons alcoolisées avec le directeur de la colonie."
- "Intéressant, intéressant..." répondit Mylo, distrait.
Sur sa carte, des petits symboles en filigrane attiraient son attention. Il ne savait pas quoi mais quelque chose clochait avec cette femme.
- "Sephina." dit Mylo en levant la carte au niveau de ses yeux. "Vous faites plus jeune sur cette carte."
- "C'est les cheveux attachés, ça me donne un air plus insouciant." répondit Sephina, avec une pointe de sarcasme.
Ses longs cheveux noirs tombaient sur ses épaules et ondulaient dans de grandes courbes. Mylo l'observa de plus prêt. Son visage était en V, délicat, terminé par un petit menton. Ses maxillaires, crispés par son agacement, étaient saillants. Autours de ses ongles, des cales blanches trahissaient un passé de labeur manuel. Les cals de ses doigts leur donnaient un aspect légèrement gonflé. Les muscles de ses avant-bras et ses épaules basses trahissaient un entrainement physique rigoureux. Peut-être était-elle militaire ? Mylo lui rendit sa carte.
- "A la prochaine." dit Mylo.
- "J'espère pas." répondit Sephina, sans même se retourner.
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Le ronron du filtreur d'air venait caresser les tempes de Mylo d'un insupportable battement. La bière en orbite, ça n'a vraiment pas le même effet. La fatigue du voyage, de son investigation et d'avoir assisté à ce terrible accident de la veille avaient affecté sa résistance plus que ce qu'il ne le croyait. Allongé dans son lit, les yeux plissés, il essayait de se rappeler des évènements de la veille. Les visages tristes, les bars, Sephina, une femme d'une beauté incroyable, mais Mylo restait de marbre. Pour lui la beauté n'a jamais été admirable, ce n'était qu'un plaisir esthétique, comme l'art.
La montre réveil de Mylo sonna, il avait calculé pour avoir le temps de se préparer avant de partir pour la surface de Telson, mais n'avait pas prévu d'être dans un tel état. Il prit le chemin des quais de chargement en n'ayant bu qu'un café en guise de petit-déjeuner, trainant sa lourde valise derrière lui. Il s'installa dans la navette, accompagné de quelques travailleurs qui s'asseyaient à leurs places habituelles. Tous les regards étaient fatigués, personne ici ne faisait ce travail par passion, ils étaient tous là pour l'argent et la promesse d'une meilleure vie à leur retour sur terre.
Après une courte annonce du pilote, un tremblement dans les parois du vaisseau lui indiquait que les sas hermétiques avaient étés déconnectés. Ils quittèrent la station, direction Telson. Durant leur approche, un court instant d'apesanteur se fit sentir, tandis que leur vitesse approchait la vitesse de chute nominale sur cette planète. Par le hublot Mylo pouvait voir l'épaisse couche nuageuse qui entourait le pôle solaire de la planète.
Contrairement à la terre, Telson n'avait pas de rotation relative à son étoile. La planète était éclairée d'un côté et abandonnée à l'obscurité totale de l'autre. La faible luminosité du côté sombre laissait néanmoins transparaitre de larges blocs de glace flottant sur un océan sombre. De l'autre côté, la surface était pratiquement entièrement recouverte d'un cyclone gigantesque, aspirant les nuages du côté froid et surchauffant la chaine de montagne fracassée par la chaleur qui se trouvait en son œil. La seule zone habitable était une bande de verdure, coincée entre une mer de glace et un désert rocheux. Là s'épanouissaient différentes îles plus ou moins grandes, ainsi que de faibles reliefs et les côtes d'un continent désertique.
Le pilote annonça l'heure d'arrivée, Mylo était stupéfait par cette planète si particulière. La navette ajusta sa descente et se dirigea vers un petit ensemble de bâtiments, reliés entre eux comme une fourmilière.
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La porte automatisée s'ouvrit pour découvrir une salle dépouillée, uniquement habillée de quelques meubles en métal. Le chef de la colonie était assis au bord du grand bureau gris, bricolant une pièce de sa lampe de plafond. Il leva la tête et accueillit Mylo avec un grand sourire, lui serrant la main vigoureusement. C'était un homme jovial, que la dureté des conditions de vie sur cette planète avait marqué. Ses yeux reflétaient une certaine tristesse alors que les rides sur son visage montraient à quel point il avait souri dans sa vie. Sa barbe quasiment blanche contrastait avec la couleur basanée de sa peau.
- "J'imagine que l'on vous a informé de ma présence ?" demanda Mylo.
- "Oui tout à fait, d'ailleurs nous aurions à parler une fois que cette enquête sera terminée." répondit le chef de la colonie.
- "Ah ?"
- "Les problèmes de sécurité ne sont pas les seuls que nous rencontrons dans cette colonie. J'ai déjà fait remonter mes observation mais je n'ai reçu aucune réponse pour l'instant." répondit le chef, d'un air préoccupé.
- "Je vois, dans ce cas nous devrions..."
La porte s'ouvrit précipitamment et un homme en sueur entra.
- "Kawene ! Qu'est-ce qui t'arrives ?" demanda le chef, en attrapant l'homme par le bras.
A bout de souffle, le petit homme râblé dut prendre un instant pour récupérer de sa course effrénée dans les coursives de la colonie.
- "C'est l'extracteur d'eau ! ....Il y a eu un accident !"
Le chef se précipita dans le couloir, Mylo à sa suite.
- "Désolé d'écourter cette conversation mais je dois m'occuper de ce problème de toute urgence." dit le chef.
- "Oh ne vous inquiétez pas, je vais venir avec vous, voire de quoi il en retourne." répondit Mylo.
Le chef se retourna.
- "Je vous aime bien vous."