Enfin arrivées à destination après de longues heures de route, les trois amies s'extirpèrent de la voiture, la neige crissant sous leurs pieds endoloris. Le parking était ponctué d'espaces gris entre la blancheur moelleuse, qui enveloppait de sa fraîcheur purifiante le bitume lorsqu'il était dépourvu des toits protecteurs destinés à préserver les véhicules des intempéries. Le ciel couvert amassait d'ailleurs sa nébulosité grise en une nappe compacte et cotonneuse sans pourtant déverser ses flocons, ne rassurant pas les jeunes femmes quant au mauvais temps qu'elles risquaient d'essuyer pendant ces deux jours.
Le contraste entre la chaleur de l'habitacle et le froid régnant à l'extérieur saisit instantanément les trois voyageuses, provoquant des grelottements incontrôlés et des claquements de dents désagréables. La fatigue accumulée n'aidait certainement pas à contrer l'air glacial ; les heures restreintes de sommeil, le réveil plus matinal que l'aube, la route éreintante - en particulier pour la conductrice... tant d'éléments décourageant le corps à maintenir ses défenses thermiques en vue d'une expédition hivernale.
-Ça caille, ici ! s'exclama Lily en enfilant ses moufles d'un geste pressé, exprimant avec clarté ce que toutes avaient pensé dès le pied posé dehors.
-On va se geler les fesses, les filles, confirma Sandy en glissant son cache-oreilles sur ses cheveux.
-Mais on va se les geler en s'amusant, renchérit Kim en bouclant la ceinture de son manteau. Ça va être génial !
Échangeant un sourire entendu, cette simple déclaration glissa entre elles comme un ruisseau s'écoule de la montagne vers la vallée. Avec naturel et douceur, simplicité et authenticité. Comme une évidence enrobée de tendresse. Rien ne pourrait les empêcher de profiter pleinement de cette virée entre amies, de ce changement d'air plus que nécessaire, de ce court voyage au cœur de la magie. Ni le froid, ne leurs problèmes... Pas même une tempête semblable à celle qui les avait autrefois coincées dans leur appartement pour Noël. Le monde pouvait s'écrouler, mais l'apocalypse n'enrayerait pas leur détermination et leur enthousiasme pour ce séjour qui miroitait depuis longtemps dans leur esprit.
S'étirant les bras et le dos pour délier ses muscles contractés, Lily, la conductrice du groupe, souffla en créant un nuage de buée blanche et claqua sa portière. Seule à prendre le volant pour ces longues heures de route rythmées de musique et de conversations, épuisée par le manque de sommeil et par les embouteillages qu'aucune d'elles n'avait prévu en arrivant à proximité de leur destination, elle aurait largement mérité une séance prolongée de repos. Cependant, ce voyage promettait beaucoup de marche et de rires, de flâneries et d'émotions. Il s'agissait peut-être d'un relâchement de l'esprit, mais certainement pas d'un délassement pour le corps.
-Kimmy, tu prends tes pains au chocolat ? interpela Lily.
-Oh, non, laisse-les là, répondit l'intéressée avec un geste désinvolte de la main. Je les mangerai demain.
L'image fugace de leur passage à la station-service aux alentours de cinq heures du matin traversa l'esprit de Kim. La nuit obscurcissait toujours le ciel sans laisser apparaître une lueur matinale, et deux voitures étaient parquées le long du magasin qui, lui, était pratiquement vide. S'extasiant sur les prix aberrants des victuailles, les trois amies avaient rapidement réalisé leurs emplettes plutôt que de laisser leur estomac épuiser tout leur portefeuille. Après avoir encaissé les achats de Lily, l'homme tenant la caisse ignora pratiquement Kim et ses propres courses, supposant qu'elles avaient décidé de tout payer ensemble ; si elle avait été malhonnête, il n'aurait même pas remarqué qu'elle s'enfuyait avec des produits volés. Alors qu'elles retournaient à la voiture, cette dernière avait heurté un carton publicitaire - qu'elle avait pourtant très bien vu -, ayant probablement mal calculé sa trajectoire. Je suis vraiment gênante, comme fille, songea-t-elle, dépitée lorsque cet incident repassa sur la bobine de ses souvenirs.
-Tous les matins, il achetait son p'tit pain au chocolat, chantonna-t-elle en faussant probablement. Ah, c'est malin, j'ai ça en tête, maintenant, soupira-t-elle pour elle-même.
Récupérant leur sac à dos dans le coffre, les trois jeunes femmes les hissèrent sur leurs épaules avec détermination et empressement. Incommodée par son opulence d'étoffes, Kim tentait gauchement d'enfiler la seconde lanière de sa besace, battant vainement de l'avant-bras comme une autruche espérant voler : de manière absolument dérisoire et ridicule. Hilare mais attentive, Sandy glissa la courroie le long du bras de son amie et la déposa solidement sur son articulation.
-Merci, souffla la jeune femme, embarrassée par sa propre maladresse.
-On est là pour ça, lui assura son amie. Toujours.
-C'est parti, les filles, somma Lily en fermant le coffre dans un claquement sourd.
Avec assurance, la conductrice verrouilla la voiture et s'accroupit pour choisir soigneusement la poche dans laquelle elle fourra sa clé. Se mettant en marche d'un pas énergique, les trois voyageuses longèrent le parking et jetèrent un regard sur leur emplacement pour retenir le numéro de l'allée.
-Bon, on est à 23 Bambi, déclara Lily. Je vais le noter, parce que je dis ça, mais on va l'oublier, ajouta-t-elle en sortant son téléphone.
Traversant la route, elles s'abritèrent sous les auvents protégeant de longs tapis roulants dont chaque extrémité était barricadée, puisqu'actuellement impraticables. Accueillies par la musique d'ambiance du Manoir Hanté, elles remontèrent l'allée pavée, rapidement agacées par les personnes pourtant raisonnablement nombreuses qui semblaient déterminées à entraver leur chemin. Je crois qu'on est de moins en moins sociables, pensa Kim avec inquiétude. Débouchant finalement dans le dénommé Village qui abritait restaurations et magasins, Sandy leva les yeux vers le ciel à la nébulosité moins menaçante qu'à peine quelques minutes auparavant et déclara :
-Si le temps se maintient, ce serait bien.
-J'avoue, acquiesça Lily. En allant chercher nos tickets d'entrée, j'ai cru qu'on serait trempées en moins de deux.
Alors qu'elles approchaient des maigres files qui attendaient que la sécurité vérifie leur sac, les trois amies suivirent les directives indiquées sur les panneaux afin de faciliter la tâche aux membres du personnel. Glissant toutes leurs affaires dans leur sac avant de le confier aux responsables, Kim marmonna :
-J'espère qu'ils ne devront pas tout ouvrir, avec tout le bardas que j'ai là-dedans.
-Si je panique et que je ne trouve plus mon téléphone, rappelez-moi qu'il est dans mon sac, demanda Sandy.
Passées outre la sécurité sans aucun accroc, les trois amies se dirigèrent vers l'entrée du parc avec un empressement guilleret, oubliant déjà les complications du voyage et de l'organisation générale de ce séjour qui, pourtant, avaient pesé sur chacune d'entre elles d'une manière différente. Dès le bâtiment rosé en vue, arborant une horloge aux chiffres romains exhibant Mickey en son centre, une frénésie enjouée s'empara du petit groupe, et Kim ne tint plus :
-Je suis trop contente d'être ici avec vous ! s'exclama-t-elle avec euphorie.
-On va profiter à fond, l'encouragea Sandy, partageant son enthousiasme sans retenue.
-On va s'amuser comme des folles, renchérit Lily avec conviction.
Après avoir hésité sur la file qui leur convenait et être entrées dans le parc, l'arche surplombée d'un gigantesque « 30 » et sertie de guirlandes de végétation factice agrémentées de boules de Noël les accueillit avec une magnificence exacerbée. Après l'avoir traversée, observé Mickey et Minnie qui s'y trouvaient perchés comme à un balcon, et slalomé entre les spectateurs, les jeunes femmes se figèrent devant le gigantesque sapin aux décorations démesurées, comme s'il incarnait la récompense qu'elles méritaient après ces péripéties bravées avec courage. Réalisant enfin pleinement leur chance, elles échangèrent un sourire aussi complice que rayonnant, affectueux que radieux. Une marque aussi naturelle et aisée que lumineuse et sincère.
-Les filles... je rêvais tellement de voir Disneyland pendant la période de Noël, souffla Sandy, la voix étreinte par l'émotion.
-Oh, Sandy... chuchota Lily en passant un bras autour de ses épaules pour soutenir cette confidence touchante.
-On fait déjà une photo ici ? demanda-t-elle à ses amies, chassant son émoi comme une nuée de papillons - avec légèreté et splendeur.
-Bien sûr, acquiesça Kim en lui souriant.
-Mon téléphone ! s'écria-t-elle alors en tâtant ses poches. Ah oui, ajouta-t-elle devant le regard désabusé de ses amies. Dans mon sac, c'est vrai.
Des clichés avec l'arbre gigantesque en arrière-plan et encore d'autres sous le kiosque immortalisèrent en quelques clics à peine leur présence en cet endroit. Mitraillant les différents décors s'élevant devant elles, les trois jeunes femmes admirèrent sans retenue les ornements hivernaux et festifs, enchantés et féériques pour les graver dans leur esprit tout comme elles les imprimaient sur leur appareil. Des souvenirs capturés avec fugacité, des images fixées dans le temps. Des fragments de mémoire qu'elles pourraient contempler inlassablement pour se replonger dans ces instants d'allégresse et de béatitude.
-On n'oublie pas le selfie devant le château, les filles ! rappela Sandy sans cesser d'effectuer ses clichés.
-Quel intérêt de venir ici si c'est pour oublier le selfie devant le château ? la taquina Lily.
-Oui, vraiment, ça serait dommage, confirma Kim avec conviction.
Délaissant rapidement son téléphone à la qualité déplorable, cette dernière se détourna vers ses amies pour les observer flâner dans ce paysage. Son bonnet enfoncé sur sa tête, ses cheveux châtains s'en évadant sagement, Lily affichait un sourire éclatant sublimé par la joie qui habitait son cœur. Un rai de lueur lunaire brillant dans la nuit. Sandy, sa longue chevelure se rebellant contre la brise, lançait de ses yeux emplis d'étoiles des regards captivés sur chaque décoration. Scintillante comme la rosée sous les premiers rayons du soleil. Kim les trouvait magnifique, animées par la même ivresse teintée de ravissement. Celle de se trouver en ce lieu, celle d'être réunies ici. Celle de l'aventure et de l'amitié à toute épreuve.
Une légère bourrasque s'éleva et caressa le visage de la jeune femme, emmêlant ses cheveux blonds enfouis sous son épaisse écharpe rose et noire. Un souffle de fraîcheur et de simplicité, une bouffée de délectation et d'apaisement. Un appel à savourer la chance qu'elle avait de les avoir rencontrées. Elle doutait que sa vie soit réellement devenue plus facile depuis qu'elles y étaient entrées ; mais elles savaient qu'à la moindre difficulté, elles étaient là. Elle avait la certitude qu'au moindre doute, elles étaient là. Solides et persistantes comme les racines d'un chêne, Kim songea qu'elles étaient le tronc qui soutenaient ses branches. Elles étaient l'eau qui lui permettaient de s'épanouir et de s'accepter elle-même. Perles d'or perdues dans la nuit, éclats de diamants qui s'étaient unis pour raviver ses espoirs.
Uniques. Exceptionnelles. Chatoyantes. Comme des larmes de bonheur irisées par la lumière du soleil.
-On continue ? suggéra finalement Lily en désignant l'unique chemin qu'elles pouvaient emprunter, interrompant sans le vouloir les réflexions oniriques de son amie.
Main Street, rue aux allures d'une Amérique vieillie et utopique, s'étalait devant elles comme un sentier pavé de promesses et d'envoûtement, leur certifiant deux jours hors du temps et de l'espace. Deux jours d'insouciance et d'échappatoire. Deux jours pendant lesquels elles avaient le droit de se concentrer uniquement sur elles-mêmes et la légèreté à laquelle elles aspiraient. Leur propre route de briques jaunes qui, à défaut de les ramener chez elles, les guidait vers un univers de douceur et de gaieté. Un bouclier les protégeant des problèmes régissant la vraie vie. Une armure tissée de rêves et de songes.
Lorsqu'elles s'engagèrent dans l'allée couronnée de guirlandes de fausses épines, les trois amies aperçurent enfin le somptueux château, se détachant sur le ciel grâce à ses couleurs vives. Tout en angles et en pointes, il s'étirait vers le ciel avec insolence et orgueil, surplombant l'entièreté du parc de sa hauteur vertigineuse. Une vague irrépressible d'allégresse déferla sur le petit groupe, l'engloutissant dans un océan de joie et d'hystérie aussi irrationnel que réconfortant. Absurde et revigorant. Délicieusement délirant.
-Joyeux Noël !! s'extasia Kim, contaminée par la démesure dans laquelle le parc baignait.
Comme répondant à un signal de la part de cette dernière, les nuages libérèrent des grumeaux de glace qui se balançaient dans les airs comme les reliquats d'une magie inconnue, les vestiges d'un enchantement qui n'attendait qu'à épancher ses dernières surprises. Un cadeau offert par la voûte céleste elle-même pour saupoudrer le monde de félicité et de luminosité, de sérénité et de limpidité. Au milieu des flocons de neige et des décorations de Noël, des rues factices et des familles réunies, alors qu'elles ne s'étaient jamais connues enfants, les trois jeunes femmes redevinrent des petites filles. Insouciantes et infatigables. Enthousiastes et énergiques. Allègres et impatientes. Leur amitié les enveloppa dans une bulle intime qui se fracassa en une avalanche d'étincelles. Des feux d'artifices d'émerveillement éclatant dans une explosion de rire et dans une pluie lumineuse de joie. Infinis et intemporels. Éphémères et pourtant éternels... comme les étoiles dans le ciel.
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NDA : Bonjour, tout le monde !
J'espère que vous allez bien.
Bon, ce n'est pas la première fois que je dis ça, mais... ce texte est particulier, pour moi. Lily, Sandy et Kim, j'ai déjà conté leurs aventures lors de deux textes, le premier ayant été publié le 15 décembre 2020. Donc... Nous voici, deux ans plus tard, à les retrouver. Et je le dédie à elles. Je le dédie à vous, les filles. Je vous aime de tout mon cœur, et ça ne changera jamais. Je sais qu'on a encore tant d'aventures à vivre ensemble.
Eh bien... voilà. J'espère que ce court voyage avec elles vous aura embarquée dans les méandres de leur amitié. Sincèrement.
Et j'espère que ça vous a plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
Mes roulés à la cannelle n'ayant pas été des plus réussis la dernière fois, je vous en renvoie avec plein d'amour <3
Prenez bien soin de vous !
PS : Une soudaine envie d'adopter un renne et de l'appeler Sven pour aller me balader dans la forêt enneigée m'envahit.