Sous la lumière déclinante du crépuscule, de gros flocons chutaient paresseusement pour couvrir Gotham City d'une épaisse couche de neige, apportant de la blancheur dans l'environnement sombre et obscur composé de hauts bâtiments de béton et de métal. Les rues aux allures de décor de film noir semblaient pratiquement vides en ce jour de Noël, mais Riley n'était pas dupe : le crime sévissait en permanence dans les quartiers urbains, sans tenir compte des festivités réjouissantes ou de la météo. Il avait conscience que sa ville n'était pas une exception ; mais il savait également que le taux de criminalité atteignait des sommets inégalés par les métropoles environnantes. Quand je pense que j'ai refusé cette mutation à Central City, soupira-t-il intérieurement.
Ressassant ce tournant dans lequel il ne s'était pas engagé, il savait pourtant parfaitement pourquoi il n'avait pas déménagé, pourquoi il n'avait pas accepté ce poste confortable. Central City recelait déjà d'espoir et de lumière, ainsi que d'habitants prêts à croire en ces deux aspects positifs. Gotham était bien différente, avec ses rues ténébreuses et propices aux agressions, ses criminels sans aucun code moral et ses quartiers dans lesquels la pauvreté palpable était plus que déplorable. C'était pour cette raison qu'il était resté. Pour faire une différence. Il ne possédait pas l'arrogance de croire qu'il pouvait la marquer à lui seul, seulement l'optimisme d'imaginer que d'autres partageraient son point de vue. Une simple main tendue pouvait parfois rendre foi en l'humanité, comme un unique sourire pouvait illuminer un cœur assombri de tristesse.
Songeant à ce choix qu'il avait dû exécuter plusieurs années auparavant, ses pensées le menèrent inévitablement vers cette rencontre qui n'aurait jamais eu lieu, s'il avait quitté Gotham City. Elle avait changé sa vie pour le meilleur, y introduisant bonheur et sérénité, équilibre et amour. Une soirée au bar entre collègues, un verre offert par un inconne qu'il avait rechigné à accepter. Et son existence entière avait été bouleversée. Lui qui n'avait jamais été très heureux lors des quelques relations de couple qu'il avait connues avait atteint un seuil d'allégresse qu'il n'aurait jamais imaginé. Une cohésion avait envahi son environnement ainsi que lui-même, un accord entre ses rêves et son esprit, ses sentiments et son train de vie. Une pondération entre raison et volonté.
La main sur l'interrupteur du Bat-Signal, Riley jugea la luminosité suffisamment basse pour enfin l'enclencher lorsqu'il distingua nettement les guirlandes d'ampoules colorées se détacher sur la neige grisâtre en contrebas. Le symbole rond s'illumina sur la nébulosité opaque, comme une étoile éclairant un ciel qui en était dépourvu. Comme un phare guidant les marins perdus. Une lueur d'espoir, une dernière chance à laquelle se raccrocher. Suivant des yeux les contours de la chauve-souris entourée d'un cercle, le lieutenant de police entendit la porte des escaliers grincer lentement sur ses gonds, suivis de pas légers dans la neige. Sans même avoir besoin de se retourner, il savait qui s'approchait de lui : cette démarche, il l'espérait à chaque fois qu'il était seul et il l'aurait reconnue dans le vacarme le plus assourdissant.
-Tiens, un beau et mystérieux jeune homme sur le toit du commissariat, entonna la voix du nouvel arrivant avec un accent britannique prononcé. Si je m'autorisais encore à aborder les inconnus, cette situation me donnerait beaucoup d'idées.
L'intéressé se détourna du halo lumineux pour observer son interlocuteur : sa silhouette fine masquée par un épais manteau, Heath s'était protégé les oreilles d'un bonnet rouge vif, assorti à l'écharpe entourant son cou. Ses traits, qui reflétaient toujours ses exactes pensées, laissaient transparaître ses origines chinoises, qu'il était fier d'exhiber. En réalité, Riley le soupçonnait d'apprécier davantage la ressemblance qu'il arborait avec son grand-père, le héros de son enfance, mais il s'abstenait de le lui faire remarquer. Il pouvait lire dans ses yeux foncés son agacement et son amusement mêlés en un nœud inextricable qui reflétait fidèlement leur relation. Un calme cerné par la malice. Une douceur piquée par une vague irritation.
Comprenant l'impatience du jeune homme, le lieutenant de police ne résista pas à l'envie d'esquisser un mince sourire. Les battements de son cœur accélérèrent, une habitude que son muscle cardiaque avait acquise à chaque fois que Heath l'approchait lorsqu'il était d'humeur hérissée. Ou simplement lorsqu'il était à proximité, d'ailleurs. Pourtant doté d'une personnalité pourtant posée et pacifique, Riley éprouvait un étrange sentiment d'affection à l'observer se balancer entre l'irritation et la raillerie, comme on hésite entre deux tenues à enfiler. Ou alors, il s'agissait simplement de la satisfaction de savoir qu'il était celui à provoquer un quelconque émoi chez cette personne si affirmée et que nul ne pouvait ignorer.
-La seule chose qui t'empêche de m'aborder, c'est ton mariage, répondit-il finalement.
-Ah, c'est vrai, quelle tristesse... soupira faussement Heath en secouant la tête. Heureusement pour moi, c'est avec toi que je me suis marié, donc je peux flirter avec toi sans le moindre scrupule.
Le coin des lèvres de Riley se souleva à nouveau, ce dernier ne se lassant jamais d'entendre son mari lui rappeler qu'ils avaient échanger des vœux pour s'unir aux yeux de la loi. Beaucoup considéraient le mariage comme une formalité, un contrat éphémère qui durait jusqu'à ce que leur amour se fane, et qu'ils pouvaient absoudre une fois les pétales entièrement flétris. Sans avoir la prétention d'affirmer avoir raison, il posait cependant un regard différent sur ce serment qui liaient deux personnes. Pour lui, il s'agissait également d'une manière d'officialiser leur amour, de le dévoiler aux yeux du monde. Et s'il comprenait que chacun n'en ressente pas le besoin, lui en tirait une fierté particulière.
La cérémonie s'était déroulée face à une assemblée restreinte, selon leur propre souhait. Leur famille proche ainsi que quelques amis intimes avaient assisté à leur union, étoffant déjà considérablement le nombre de personnes présentes. Tous deux possédaient plusieurs frères et sœurs, prêts à instaurer une ambiance festive et taquine, leurs parents se partageaient émotion et orgueil, alors que la grand-mère de Heath, plus énergique que jamais, avait profité de la soirée pour danser et adresser des commentaires narquois à son arthrose. L'aïeule de son mari avait trouvé une place privilégiée dans le cœur de Riley ; à la fois attendri et admiratif de cette femme vaillante et bienveillante, il songeait à chaque fois qu'il la regardait que ses propres grands-parents n'auraient pas aussi facilement accepté son mariage avec un autre homme.
-Qui t'a laissé venir jusqu'ici ? demanda-t-il enfin, alors qu'il s'extirpait des souvenirs de cette journée haute en couleurs.
-La commissaire Montoya elle-même, lui apprit Heath. Je crois qu'elle m'apprécie.
-Elle te trouve agaçant et tape-à-l'œil, le rabroua le lieutenant avec une moquerie non dissimulée.
-Mais ce sont pour ces raisons précises que tu es tombé amoureux de moi, rétorqua-t-il allégrement.
Un rire semblable à un éternuement s'échappa des lèvres gercées de Riley, créant un nuage blanc et fugace qui s'évanouit dans la lumière artificielle du projecteur.
-Ça en fait en effet partie, admit-il volontiers en esquissant un mince sourire.
De sa démarche faussement nonchalante, Heath s'approcha de Riley pour venir se poster à ses côtés, veillant cependant à garder une distance suffisante pour ne pas le frôler. Son instinct lui sommait de glisser sa main dans celle du policier, de chercher un quelconque contact avec lui, mais il refusait de céder. S'il était profondément incapable d'éprouver une forme de colère envers son époux, il tenait pourtant à lui faire part de sa frustration grandissante. Il avait passé la journée à préparer leur appartement pour une soirée de réveillon confortable et festive, et il le retrouvait à contempler le ciel sur le toit du commissariat. Il avait conscience que Riley n'accordait pas une importance débordante aux traditions de fin d'année, mais il avait toujours apprécié les célébrer en couple ; était-il réellement nécessaire de s'isoler dans le froid, sur son lieu de travail plutôt que de profiter avec la personne qui partageait sa vie ? Il aurait au moins pu m'inviter, bougonna intérieurement le jeune homme. Mais ça aurait été encore pire s'il était en compagnie de quelqu'un d'autre, était-il forcé d'admettre. D'un certain super-héros, par exemple, ajouta-t-il en se renfrognant.
-Alors, pourquoi tu t'amuses à allumer le Bat-signal ? interrogea-t-il plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. Tu sais très bien que personne ne va répondre à l'appel.
Le lieutenant de police laissa échapper un léger soupir de résignation. Les justiciers arborant le symbole de la chauve-souris avaient en effet mystérieusement disparu, plusieurs mois auparavant. S'évanouissant chacun à leur tour dans les ténèbres, Batgirl avait été la dernière à être engloutie par l'obscurité, mue par une détermination sans égal et par son désir de justice, de protection envers les citoyens de Gotham City. Son peuple. Sa ville. Riley ne l'avait rencontrée que deux fois, croisée sur une scène de crime qu'elle étudiait de son perchoir. Il ne s'agissait que de rares et éphémères côtoiements, mais amplement suffisants pour que le jeune homme soit touché par l'intelligence et la générosité dont la super-héroïne faisait preuve.
L'absence des porteurs de l'emblème de Batman s'appesantissait au fil des jours, autorisait le crime à s'étendre plus librement dans les rues, et instaurait un climat d'insécurité de plus en plus lourd dans le cœur de tous les citoyens. Les policiers, en sous-effectifs, multipliaient les heures supplémentaires et augmentaient le nombre de patrouilles, mais rien ne semblait suffisant. Les vrais malfrats arrêtés quittaient leur cellule aussi rapidement qu'ils y étaient entrés pendant que les petits délinquants mourant de faim écopaient de peines corsées et injustes à cause des juges achetés par des pots-de-vin honteux et obscènes. Dans cette vague de noirceur envahissant la ville, Riley se sentait plus impuissant que jamais.
-C'est Noël, posa simplement le lieutenant. Pour échapper à ce tourbillon de morosité.
-Justement, tu ne devrais pas être avec ton mari pour célébrer, plutôt que sur le toit du commissariat ? répliqua-t-il, vaguement agacé. J'espère au moins que tu ne t'attendais pas à ce qu'un bellâtre vêtu de cuir et masqué se pointe pour l'occasion. Puis, avec la chauve-souris, ça fait plutôt Halloween, tu ne trouves pas ? remarqua ensuite Heath avec une pointe de mesquinerie induite par sa jalousie sous-jacente.
-Tu devrais savoir qu'ici, la chauve-souris est plus un symbole d'espoir que de terreur, lui rappela son époux, insensible à la pique de son interlocuteur. Loin d'horrifier... il guide.
Depuis l'apparition de Batman dans les rues et sur les toits de Gotham City, nombreux étaient les héros qui s'étaient révélés. Masqués ou agissant au grand jour, endossant son emblème ou non, ils avaient osé afficher leur volonté de protection, leur besoin de justice, leur résolution à évincer la pègre et autres dangereux criminels, ainsi que leur foi en l'humanité, enfin libérée du désespoir. Comme un éclaireur, il avait agi en montrant la voie, en décidant de se lever au nom de toutes ces personnes qui pensaient comme lui sans oser prendre le risque de s'apercevoir qu'elles étaient seules. Et les chiroptères étaient devenus pour eux un symbole de ralliement et de dévouement, comme une luciole dissipant les ténèbres. Brillante et synonyme d'échappatoire. Une inspiration au-delà de ce qu'il avait pu imaginer.
-C'est pour ça que tu étais prêt à t'enneiger tout seul ici ? traduit Heath, la voix s'adoucissant au fil de ses mots. Pour offrir de l'espoir aux gens ?
-Ils en ont besoin plus que jamais, tu sais, souffla-t-il en observant les flocons de neige dégringoler sur la ville. Ils ont besoin de croire, de savoir que quelqu'un veille sur eux. Et peut-être que j'ai besoin de croire à leur retour, moi aussi. Je... Je ne sais plus quoi faire pour les aider...
D'un geste débordant d'affection, le jeune homme glissa ses bras autour de la taille du lieutenant de police et attira son dos contre son torse. Nichant son menton sur son épaule, il l'enlaça avec une ferveur aussi soudaine que tendre, et lui souffla des murmures silencieux au goût d'adoration et d'excuses. Une étreinte à la fois admirative d'une telle dévotion et affligée d'avoir mal interprété ses agissements. Reconnaissante et réconfortante. Chaleureuse et désolée. Amoureuse.
-Parfois, j'oublie à quel point tu es optimiste et généreux, chuchota-t-il enfin au creux de son épaule. Un vrai rêveur au grand cœur.
-Mais c'est pour cette raison précise que tu es tombé amoureux de moi, s'amusa-t-il à dire en dérobant la phrase d'Heath pour la retourner contre lui.
-Ça en fait en effet partie, confia-t-il en s'esclaffant. Gotham ne te mérite vraiment pas. Mais tu vas trouver une solution pour l'aider. Je le sais. J'ai confiance en toi, assura-t-il avec une certitude inébranlable.
Toute frustration maintenant envolée, il ne leur resta que leur dévouement, saupoudré de neige qui les couvait comme une douce couverture les enroberait, comme la caresse délicate et rassurante d'un feu de cheminée. Contemplant la ville envahie par la froide blancheur qui contrastait avec les bâtiments noirs et les rues d'un gris morne et foncé, les deux jeunes hommes se pressaient l'un contre l'autre pour profiter de la quiétude du moment. Des guirlandes colorées s'illuminaient progressivement, agrémentant le paysage de couleurs festives et étrangères à l'atmosphère oppressante d'une nuit à Gotham City, telles les lueurs obstinées de la beauté subsistant dans les ténèbres.
La lueur du Bat-signal, baignant l'atmosphère de sa pâle lueur, évoquait l'astre lunaire qui surplombait la ville de sa lumière bienveillante, comme une mère protectrice souriant pour insuffler courage et espoir dans le cœur de ses enfants. Une étoile brillant avec éloquence pour rappeler qu'elle serait toujours présente, même dans les moments difficiles. Une conseillère, une guide, un mentor... la promesse de voir émerger un monde meilleur.
-C'est toi, mon héros, confessa enfin Heath à l'oreille de Riley. Joyeux Noël.
Celui-ci, les joues rosies non de froid mais d'émotion, décida d'oublier tout le reste l'espace de quelques instants et de s'abandonner à la confiance qui régnait dans leur étreinte. Inspirant profondément l'air frais du soir, il s'obligea à croire qu'ensemble, ils pourraient changer le monde entier s'ils le désiraient. Dans la sécurité des bras de son mari, Riley lui saisit les doigts avec délicatesse et les porta à ses lèvres pour y déposer un baiser. Scellant une loyauté intriquée d'amour. Un serment conclu par des liens d'acier enrobés de soie. Une promesse de partage aux allures d'éternité. Cotonneuse et chaleureuse. Rassurante et immuable. Une union aussi inébranlable que les étoiles surplombant la nuit serrière la nébulosité hivernale.
Sur le toit enneigé du commissariat, sous le ballet d'étoiles de glace, son époux blotti contre lui, Heath songea qu'il n'avait pas exagéré. Que c'était réellement lui, le véritable héros. Plus qu'un lieutenant de police dévoué, il était un gardien silencieux, un veilleur des âmes en quête d'aide. Une inspiration de bienveillance... un symbole d'espoir, persistant et déterminé, qui appelait à croire en la bonté de l'humanité. Et en compagnon fidèle, il serait présent pour que Riley se souvienne que, lui aussi, il avait droit à cet apaisement qu'il tentait de propager, à cette conviction qu'il insufflait autour de lui. Que lui aussi méritait de posséder un soutien constant, un réconfort permanent. Son propre signal de lumière qui diffuserait un peu de sérénité dans son cœur.
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NDA : Bonjour, tout le monde !
J'espère que vous allez bien.
Alors, comme la dernière fois, je sais que ce genre de mini-fanfiction est un pari de ma part ; j'ai bien conscience que tout le monde n'est peut-être pas familier de l'univers de Batman. Après, je me dis que... beaucoup voient au moins qui est le personnage, et que je me détache suffisamment de l'univers pour rendre cette familiarité optionnelle. En tous cas, c'était mon but et j'espère y être parvenue.
Ceux qui ont lu mon calendrier de 2020 se souviennent peut-être que, il y a deux ans, à cette date-ci, je publiais "A Christmas in a Flash" ; peut-être que vous vous souviendrez aussi que j'avais expliqué que c'était grâce à ma sœur que j'avais eu cette idée, qu'elle m'avait soufflé de faire un texte sur un Noël qui se déroulerait à Gotham City, mais que déviant vers mes préférence, je me suis tournée vers Flash plutôt que vers Batman. Eh bien... Voilà. Ma chère sœur, deux ans plus tard, je fais honneur à ta proposition (enfin, je l'espère, en tous cas).
Alors... Je n'ai pas très envie de remercier mes insomnies, cela dit, je suis forcée de reconnaître que, lorsque j'ai un problème pour agencer un texte, c'est souvent au cours d'une insomnie que je le règle, de manière aussi impromptue qu'inconsciente. L'idée d'un policier allumant le Bat-Signal en quête d'espoir autant pour lui-même que pour les autres est arrivée dans mon esprit, et je n'ai pas pu me soustraire à l'envie de la réaliser. Ensuite, Riley et Heath se sont invités dans ma tête et dans mon cœur, et... comment dire ? Je n'ai pas pu leur résister.
Voilà.
De tout cœur, j'espère que ce texte vous aura plu.
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
Merci d'avoir commenté le texte d'hier, j'avais l'impression qu'il ne plaisait pas beaucoup ^^'
Je vous envoie des bisous, et des sablés de Noël ! <3
Prenez bien soin de vous, surtout, et à demain !
PS : J'ai fait mon sapin 🎄✨️