Eden - Le Temps ne s'arrรชtera...

By _Noya_saaaan_

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Prรฉambule [ 20 juin 2023 ]
|| Aesthetics ||
Prologue - L'Ange tombรฉ
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’ˆ๐’“๐’‚๐’๐’…๐’Š๐’“
Chapitre I - Le Temps d'apprendre ร  n'รชtre rien
Chapitre II - Le Temps dรฉbute avec la Vie
Chapitre III - L'enfant qui s'รฉpanouissait, 1/3
Chapitre III - L'enfant qui s'รฉpanouissait, 2/3
Chapitre III - L'enfant qui s'รฉpanouissait, 3/3
Chapitre IV - L'enfant qui grandissait
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ๐‘ฐ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’‚๐’Š๐’Ž๐’†๐’“
Chapitre V - Une page se tourne
Chapitre VI - L'homme devenu Ange
Chapitre VII - Il n'est jamais parti
Chapitre VIII - Le vide engloutit tout
Chapitre IX - L'Ange devenu Homme
Chapitre X - S'il avait pu รชtre fort
Chapitre XI - ๐ต๐‘œ๐‘ข๐‘š ๐‘๐‘œ๐‘ข๐‘š faisait son cล“ur, 1/2
Chapitre XII - J'aimerais รชtre une pรขquerette, 1/2
Chapitre XII - J'aimerais รชtre une pรขquerette, 2/2
Chapitre XIII - Baignรฉs dans une odeur de fumรฉe
Chapitre XIV - Un jour son prince viendra
Chapitre XV - Le Soleil qui ne souriait jamais
Chapitre XVI - Un long cauchemar dans un salon blanc
Chapitre XVII - L'oiseau aux ailes coupรฉes, 1/2
Chapitre XVII - L'oiseau aux ailes coupรฉes, 2/2
Chapitre XVIII - L'espoir est la deuxiรจme mort de l'Homme
Chapitre XIX - Il existait sans vivre
Chapitre XX - Cล“ur et rancล“ur
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ๐‘ฐ๐‘ฐ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’‘๐’‚๐’“๐’…๐’๐’๐’๐’†๐’“
Chapitre XXI - Ensemble, ils contemplaient les รฉtoiles
Chapitre XXII - Ange-Homme
Chapitre XXIII - Cล“ur brรปlรฉ
Chapitre XXIV - Ailes d'encre, peau froide et lรจvres avides
Chapitre XXV - Le droit d'aimer et le devoir de sรฉduire
Chapitre XXVI - Tous les Soleils finissent par s'รฉteindre
Chapitre XXVII - Crissement de fourchette au fond de l'assiette, 1/3
Chapitre XXVII - Crissement de fourchette au fond de l'assiette, 2/3
Chapitre XXVII - Crissement de fourchette au fond de l'assiette, 3/3
Chapitre XXVIII - Cล“ur de femme, 1/2
Chapitre XXVIII - Cล“ur de femme, 2/2
Chapitre XXXIX - รŠtre-ange
Chapitre XXX - Le Temps ne s'arrรชtera pas
Chapitre XXXI - Mon temps est ร  toi
Chapitre XXXII - Dรฉ-s-espรฉrer
Chapitre XXXIII - Quand valsent les couleurs
Chapitre XXXIV - Petite mort pour un garรงon-fillette
Chapitre XXXV - Laissons vivre les notes
Chapitre XXXVI - Secondes et minutes devinrent annรฉes dรฉmantelรฉes
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฐ๐‘ฝ - ๐‘ณ๐’† ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’…'๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’‘๐’“๐’๐’‡๐’Š๐’•๐’†๐’“
Chapitre XXXVII - Paradis artificiel, 1/3
Chapitre XXXVII - Paradis artificiel, 2/3
Chapitre XXXVII - Paradis artificiel, 3/3
Chapitre XXXVIII - Peau de glace
Chapitre XXXIX - Six pieds au-dessus du Ciel
Chapitre XL - Dans l'ocรฉan, s'abรฎmer, 1/2
Chapitre XL - Dans l'ocรฉan, s'abรฎmer, 2/2
Chapitre XLI - La Mort est une amie qu'il faut apprendre ร  apprรฉcier
Chapitre XLII - Un jour son prince arriva
Chapitre XLIII - La Vie est un jeu dont on sort toujours perdant
๐‘ท๐’‚๐’“๐’•๐’Š๐’† ๐‘ฝ - ๐‘ฌ๐’• ๐’”๐’๐’ ๐‘ป๐’†๐’Ž๐’‘๐’” ๐’”'๐’‚๐’„๐’‰๐’†๐’—๐’‚ ๐’‚๐’—๐’‚๐’๐’• ๐’…'๐’‚๐’—๐’๐’Š๐’“ ๐’‘๐’– ๐’‚๐’‘๐’‘๐’“๐’†๐’๐’…๐’“๐’† ร  ๐’—๐’Š๐’—๐’“๐’†
Chapitre XLIV - Leurs Temps entrelacรฉs
ร‰pilogue - Il tomba, et dans sa chute, sa gloire il prรฉcipita
|| Mot de fin et remerciements ||
Bonus I - Et si le Temps ne s'รฉtait pas arrรชtรฉ... 1/2
Bonus II - Et si le Temps ne s'รฉtait pas arrรชtรฉ... 2/2
Bonus III - Entre mes jambes, je suis un garรงon
Bonus IV - Les Anges portent des couleurs qu'il faut inventer

Chapitre XI - ๐ต๐‘œ๐‘ข๐‘š ๐‘๐‘œ๐‘ข๐‘š faisait son cล“ur, 2/2

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By _Noya_saaaan_

A la fin d'une éreintante journée, Eden quitta enfin l'université. Il s'assura du coin de l'œil qu'Elias ne risquait pas un accident, ou qu'il ne s'apprêtait pas à croiser un fou qui l'enfermerait dans une cave, et mit le nez dehors. Là, il inspira une bouffée d'air, pollué par les odeurs d'huile de moteur, de cigarette et de gazon tondu. Qu'il était loin, son paradis perdu. Et comme il lui manquait, avec ses odeurs soupoudrées et subtiles, parfum fruité, l'eau douce, l'odeur de la paix.

Une jeune femme l'interpella alors qu'il se plongeait dans une vague de souvenirs. Le regard noir pour lui signifier combien elle l'agaçait déjà, il se tourna vers Noa, dont l'immense sourire dévoilait des canines taillées en pointe.

« Ça te dirait qu'on aille boire un verre ensemble ? Aujourd'hui, si tu es libre ? Parce que je dois avouer que tu m'as tapé dans l'œil !

— Non.

— Pourquoi ? »

Une expression déroutée s'empara de son visage ; elle n'envisageait pas un refus.

« Tu ne m'intéresses pas, dit Eden en se remettant à marcher.

— Comment ça ? »

Elle le suivit en boitillant.

« Si tu t'inquiètes de mes béquilles, je les enlève bientôt ! »

Encore une humaine collante qui refusait de lui lâcher la grappe, incapable de comprendre des mots simples. Voilà pourquoi il aimait encore moins les femmes que les hommes. Cette fille confirmait qu'elles paraissaient naître avec de la vase dans les oreilles qui les rendaient sourdes à toute négation.

« Je n'aime pas les femmes, tu m'excuses ?

— Oh ?

— Oh.

— Désolée, j'aurais dû m'en douter, dit-elle avec un petit rire. Les mecs les plus beaux sont toujours les moins hétéros. Dommage ! »

Elle jouait avec une mèche de cheveux roux sans se défaire de son assurance. Elle devait avoir l'habitude d'essuyer des non secs, avec ses immondes taches de rousseurs et son sourire repoussant.

« On peut être amis ? C'est pas mal les sex friends, aussi. »

Il garda le silence en levant les yeux au ciel.

« Allez !

— Tu es agaçante, on a dû te le dire. Comment t'appelles-tu ?

— Noa, et toi ?

— Eden. »

Noa tendit la main, il secoua la tête. Son regard dériva jusqu'aux gants de cuir. Elle dû comprendre, car elle n'insista pas et passa à un autre sujet, aussi librement qu'un papillon volète d'une fleur à une autre. En tripotant la dentelle de sa jupe noire, elle annonça qu'ils allaient boire en verre. Eden la dévisagea comme si elle avait prononcé une énormité. Il la vit alors se détourner, apercevoir quelqu'un, prendre une inspiration et interpeller le pauvre individu qui serait sa victime.

Elias, ainsi apostrophé, les rejoignit avec un léger sourire.

« Comment ça va, mon chéri ?

— Bien depuis ce matin, je suppose. Salut, Eden. »

L'ange resté en retrait répondit par un sourire qu'il voulut sincère. Mais ses lèvres n'avaient jamais eu l'habitude de pareille expression, et seule une grimace apparut sur son visage. Le rictus informe arracha un petit rire moqueur à son protégé. Il se renfrogna. Les commissures de sa bouche s'abaissèrent aussi vite qu'elles s'étaient levées, pour reprendre la moue familière.

« Puisque vous vous connaissez, Elias, tu ne verras pas d'inconvénient à aller boire un verre avec nous, pas vrai ?

— Je n'ai jamais dit oui.

— Je viens.

— Moi pas, dit Eden en claquant la langue.

— T'es un amour, blondinet ! »

Noa embrassa la joue du jeune homme, sourde aux protestations de l'Envoyé de Dieu. Puis elle pianota sur son téléphone, étrange ustensile à usage communicatif dont l'ange ne comprenait toujours pas l'utilité. D'autant que cela diffusait une aveuglante lumière qui lui donnait mal au crâne.

« Ça vous dit que j'invite d'autres gens ? dit-elle en redressant la tête.

— C'est combien, d'autres gens ? Si nous sommes plus de cinq, je ne viens pas.

— Tu venais, finalement ? dit Elias avec un air amusé.

— J'ai demandé à quatre personnes, ça va ? »

Il fallut un instant à Eden pour comprendre qu'on tentait de l'arnaquer. Et qu'on l'avait d'ailleurs déjà fait.

« Ça fait sept, dit-il après un laborieux calcul. Non. »

De nouveau, il esquissa un pas en arrière, en chemin pour retrouver le confort de la chambre de son humain.

« Ce sera l'occasion d'apprendre à se connaître, dit soudain Elias dans son dos. Tu es sûr que tu ne veux pas nous accompagner ? »

Diable... pourquoi le fait même de refuser quelque chose à son protégé lui semblait-il si irréalisable ? Il se retourna. Sous le marbre de ses joues, le doute ruisselait. Les émeraudes l'observaient.

« Je viendrai, dit-il du bout des lèvres.

— Je savais qu'on pouvait compter sur toi ! s'exclama Noa. Tu es un pote en or, Eden ! »

Il se mordit la joue pour s'empêcher de montrer une expression. Cette pauvre fille ne méritait pas de voir la bouffée de joie insufflée dans sa poitrine.

Liam, bruyant au possible, débarqua quelques instants plus tard dans le triangle formé par Noa, Eden et Elias. L'ange lui adressa un regard sombre, que faisait-il là, ce parasite nocturne ? Il recula lorsqu'il s'approcha de lui pour lui offrir la même étreinte qu'aux deux autres. La rouquine l'attrapa par la ceinture.

« Il n'aime pas qu'on le touche, alors bas les pattes, la sangsue. »

Elle le tira en arrière et sourit au regard reconnaissant d'Eden.

« Bon, je suis Liam. Et toi, si te parler est autorisé, la sainte-nitouche ?

— Eden.

— Enchanté de te rencontrer. C'est toujours un plaisir de faire la connaissance de belles gueules.

— Cela ne doit pas être trop compliqué si tu es ton propre standard. Je suis tellement plus beau que toi que tu dois être ébloui. »

Liam éclata de rire et essuya une larme au coin de l'œil. Face à lui, Eden grimaça, agacé qu'on ne le prît pas au sérieux.

Yan ne lui laissa pas le temps de s'épancher sur le malheur qu'il y avait à être déconsidéré, heurté dans son intégrité — à se demander ce qu'il faisait à jouer à l'Homme. Il fit son apparition, les cheveux platine rasés de près, le visage lumineux, façonné pour sourire. Les dents se dévoilaient à la perfection, les lèvres s'écartaient juste assez, les yeux se plissaient avec délicatesse. Des vagues amusées émanaient de lui. Tout dans son expression approchait la perfection. Une irritante perfection.

Il salua l'assemblée d'un geste de la main. Lorsqu'il baissa la tête pour le regarder, Eden savoura enfin le sentiment de supériorité qui lui manquait tant. Il appréciait cela, mêlé parmi les Hommes. Chaque minute lui rappelait à quel point ils n'étaient rien, et à quel point lui était tout.

« On attend encore quelqu'un ? dit Liam.

— Non, cinq c'est très bien.

— Il manque Jay et Victor », dit Noa.

Au même moment, on l'appela. Victor déclinait l'invitation. Elle ne tenta pas de le convaincre, pas de problème, Vic', n'hésites pas à me joindre si tu as besoin, elle raccrocha. Elle se tourna vers Liam.

« Tu m'expliques ce qu'il s'est passé avec Victor, ce matin ? »

Un relent de colère affluait dans sa voix. L'homme haussa les épaules.

« J'avais oublié qu'il ne voulait pas que je l'embrasse en public.

— C'est un nouveau plan cul ? »

Elle se massa les tempes. La stupeur se lut dans son regard lorsque Liam confirma. Paralysée, elle demeura coite.

« Depuis quand embrasse-tu l'un de tes plans cul ?

— Il embrasse bien, pourquoi je m'en priverais ?

— Et tu avais besoin de choisir Victor, parmi tous les gars et toutes les filles qui te font des avances ?

— Je ne vois pas de problème. Il est OK avec ça.

— Liam, dit Noa d'un ton ferme. Si tu le blesses, sache que je marcherai sans scrupule sur nos quinze ans d'amitié. Ose lui faire du mal. Ose, et je te jure que je te ferai bouffer ta queue, puisque tu ne penses qu'avec ça. »

L'arrivée du dernier membre du groupe empêcha la moindre réplique.

« Qu'est-ce qu'il fout là, le petit ? » fut la première phrase que prononça Jay.

— C'est amusant, j'allais demander la même chose, la girafe, dit Eden.

— Des commentaires sur ma taille ? Je pensais que tu aurais davantage d'imagination. Enfin, ton cerveau doit être proportionnel au reste.

— C'est l'hôpital qui se moque de la charité, tu ne penses pas ? Mais je faisais plutôt référence à tes taches, moi. »

Il respirait mal. Tant d'humains autour de lui le crispaient. Les muscles de son visage étaient étirés, dans une tentative éperdue de garder son calme.

« No, tu m'expliques pourquoi je dois être là ?

— Eden et moi, on a décidé d'aller au bar. Mais tu vois, deux c'est un peu nul.

— Eden ?

— C'est moi, Eden.

— Ah. Je me disais, aussi, que ça faisait un peu nom de fille.

— Tu as déjà trouvé mieux, comme insulte, Jay, dit Liam en ricanant.

— Ignores-tu le respect de tes aînés ? Ne t'inquiète pas, avaler du béton fait apprendre.

— Tu me touches, et j'écrase ta petite face de merde sur ce béton que tu aimes tant », dit l'autre d'une voix sourde.

Il retourna à sa conversation avec l'unique fille de l'équipage, tandis qu'Eden grimaçait. La fatigue s'accumulait malgré la sieste de la matinée. Et ce bruit, tout ce bruit... Un bourdonnement incessant, infernal, permanent. Il n'en pouvait plus, de cette planète de pacotille. Il aurait donné n'importe quoi pour tirer un ticket de retour au Paradis, y retrouver le silence de sa superbe demeure aux statues de marbre et aux murs incrustés de feuilles d'or. Là-haut, chez lui, rien ni personne ne troublait sa paisibilité.

L'époque où il répondait au titre d'Archange numéro 359 lui manquait. Plus il y pensait, plus il regrettait. Il n'avait plus aucune échappatoire ; sa seule porte de sortie résidait dans la mort de son protégé. Et en l'attendant, il ne lui restait qu'à rêver pour se remémorer son palace.

Coincé derrière la porte 4.019, entre deux renfoncements, au-delà d'un portail doré, se trouvait le domaine d'Eden. Un immense jardin aux mille parfums, aux fleurs innombrables, aux délicats courts d'eau limpide, aux pommiers centenaires. Et en son centre se dressait fièrement un manoir. Des murs immaculés, des colonnes corinthiennes, des gravures somptueuses, une porte en bois vernis. Et le silence. Immuable, il dominait l'espace. Tout capricieux qu'il fut, l'ancien Archange mettait un point d'honneur à ne jamais laisser le moindre bruit percer sur son territoire. Seuls les quelques anges plus ouverts que les autres et des âmes, à l'occasion, avaient l'autorisation de rompre, le temps d'une nuit, la couverture du silence.

C'était l'une de ces âmes qui lui avait arraché son rang. Lärm, s'appelait-elle. Il l'avait nommée lui-même. Un gamin perdu tué prématurément par son compagnon violent. S'il avait su qu'il l'expédierait sur Terre, il ne l'aurait pas invité chez lui. Ou peut-être que si. C'était là le drame. Il avait beau connaître toutes ses erreurs, il les réitérait sans cesse.

Ces erreurs ne changeaient jamais. Il aimait, et son amour le perdait.

« Tu vas bien, Eden ? dit Noa.

— Ça irait mieux si tu ne me parlais pas, pourquoi ?

— Tu pleures », dit-elle en pointant ses joues du bout des doigts.

Elle lui tendit un mouchoir avec un léger sourire. Eden passa une main sous ses yeux. Son gant absorba l'humidité, éponge qui recueillait en son sein les traces des émotions qu'il refoulait. L'eau étrangère dégoulinait le long de sa peau pâle, sous le regard des humains autour de lui. Pourquoi le dévisageaient-ils ainsi, comme s'il avait été une bête de foire ? N'était-ce pas humain de pleurer ?

Elias s'approcha.

« Eden, ça va si je te touche ? »

Il hocha la tête, sans savoir s'il acquiesçait ou non. Des frissons le parcoururent quand le petit corps chaud le prit avec tendresse entre ses bras. Il ne bougea pas. Immobile, le nez enfoui dans une subtile odeur d'après-shampooing, il n'osa remuer. Les larmes s'échappaient malgré ses cris à lui-même pour qu'elles tarissent.

Il avait froid, très froid. Une brise mordante l'entourait toujours de sa morsure glacée.

Il avait mal, très mal. Une douleur grandissante au creux de sa poitrine.

Il était seul, très seul. Trop seul.

À chaque larme qui coulait, l'un de ses barrages cédait. Un à un, sans ralentir le rythme effréné, ils s'effondraient, redevenaient poussière. Toutes les barrières érigées, immenses murailles supposées le protéger, l'abandonnaient. Lorsqu'il se fut calmé, elles s'étaient toutes envolées, retournées dans un Paradis qu'il ne reverrait peut-être jamais. Il ne resta que lui, frêle petit ange au cœur endolori. Créature éternelle réfugiée dans les bras d'un humain inconscient. Ne resta qu'Eden, l'être en manque d'amour qui ne recevait d'autre affection que celle qu'il se portait lui-même. Un joli personnage aux yeux rougis et au nez bouché dont les pleurs n'entachaient en rien la beauté.

« Comment vas-tu ? »

Elias le couvrit d'un regard bienveillant. L'ange se reprit en un instant, redressa le buste, retrouva une expression neutre. Il pouvait bien se noyer sous le masque, mais il n'implorerait pas que d'autres lui tendissent la main. Il se noierait seul et ne laisserait pas de trace.

« Oubliez ce qu'il s'est passé.

— C'est à toi de voir, dit Jay. Si tu juges que tu as assez de culot pour m'emmerder, tu pourrais passer du petit con à la chialeuse.

— Tu n'oserais pas.

— Tu veux parier ?

— Je vais peut-être me répéter, mais tu n'oserais pas, Jay Hargrove, parce que tu ne voudrais pas...

— Pas quoi ? Bouffer du béton ? Recycle, petit, tu l'as déjà faite celle-là. »

L'ange étouffa un sourire et n'ajouta rien. Noa claqua des mains.

« Bon, tous en voiture !

Quelle voiture ? dit Jay en lui lançant le regard noir qu'il avait jusque-là réservé à Eden. Pas la mienne, j'espère ?

— Tu es le seul à avoir le permis, sois sympa...

— C'est une cinq places, Noa. Et au cas où tu ne saches plus compter, ce qui serait vachement con étant donné que tu es en éco, nous sommes six.

— Je l'avais dit qu'il fallait qu'on soit cinq, dit Eden en reniflant.

— Tu peux toujours te barrer la porte est ouverte. Elle le sera toujours pour toi.

— Si on se fait arrêter, je paie, dit Noa.

— Les points sur le permis, c'est toi qui les perds aussi ?

— On a dix minutes de voitures, Jay, dit Yan. Il ne va rien se passer. »

Jay souffla et envoya ses clés à la rouquine, qui lâcha ses béquilles pour les attraper au vol. Elle manqua de tomber et s'élança tant bien que mal vers une automobile noire d'une propreté éclatante. Eden ne résista pas à l'envie de se mirer dans la carrosserie reluisante. Ravi, il constata que malgré ses yeux gonflés et soulignés de cernes, il resplendissait.

« Assieds-toi devant, lui dit Noa.

— Je dois me taper sa compagnie, sérieusement ?

— Il aime pas qu'on le touche, on ne va pas le mettre à l'arrière. Prends sur toi et supporte-le. »

Les quatre autres se répartirent sur la banquette, Elias sur le fauteuil de droite, Yan au milieu, Liam à gauche. Avant que Jay ne démarrât et ne l'abandonnât sur le bord de la route — ce qui était déjà arrivé —, Noa jeta ses béquilles, qui atterrirent sur le torse du blond platine, et s'installa sur les genoux de Liam.

« Je ne veux pas de toi, je préfère mon beau gosse, moi !

— Mais lui ne veut pas de toi, dit Eden avec un regard mauvais.

— Désolé Liam, dit Elias. Pas que je ne t'aime pas, mais je suis intéressé par les filles, tu vois. »

Son Ange gardien ne put réprimer un éclat de rire, qu'il camoufla derrière une quinte de toux. Il pouvait croire beaucoup de² choses, mais refusait d'avaler cette histoire de prétendue hétérosexualité que son humain borné servait à tout le monde, joliment présentée sur un plateau d'argent. Et pourquoi, d'ailleurs ? Sur Terre aussi, un homme ne pouvait en aimer un autre ? Au Paradis, il acceptait ; pas trop le choix à vrai dire. Chez lui, Dieu n'encourageait pas les relations entre deux personnes de même sexe, puisqu'il expédiait dans l'Enfer de la porte 13 les âmes coupables d'homosexualité.

Coupable, un mot si fort pour une personne dont la seule faute avait été d'aimer. Mais ici-bas, Dieu ne régnait pas, alors pourquoi la tradition d'un homme qui aime une femme perdurait-elle, et pourquoi ceux qui s'écartaient de cette prétendue normalité se sentaient-ils obligés de se cacher ?

Il était temps qu'ils évoluent, sur cette fichue planète.

Prochain chapitre : « Chapitre XII — J'aimerais être une pâquerette, partie 1 »

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