LÉNAÏC
Les vibrations de mon téléphone dans ma poche me réveillèrent.
Je m'étais endormi dans le canapé de Julien avec Richard avachi sur moi.
Mon mal de crâne m'empecha d'ouvrir les yeux tout de suite mais je décrochais tout de même, les appels s'enchainants, il y avait peut être quelque chose de grave.
-Ouais ?
-Putain t'es long à décrocher !
Ma sœur.
-Je dormais.
-Depuis une semaine ?
Richard émit un grognement à côté de moi avant de me mettre un coup dans les côtes pour me faire comprendre que je le faisais chier.
Après m'être levé et avoir récupéré un paquet de clope et un briquet qui traînaient, je sortis sur le balcon.
-J'étais pas mal occupé.
-Si tu le dis. Je pars chez les parents, tu m'accompagnes ?
-Là maintenant ?
-Ouais. Si t'avais répondu avant ou même regardé tes messages t'aurais vu que je te le propose depuis plus d'une semaine.
-Je sais pas, je suis chez Julien la.
-Ça fait un bail qu'on les a pas vus Len, ça leur ferait plaisir. Pour une fois qu'on a tous les deux du temps.
-Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai du temps ?
-Les gars me l'ont dit. Ça te ferait du bien.
-Je...
-Je me mets en route, je te prends chez Julien et on passe chez toi te prendre des affaires.
-Et si j'ai pas envie ?
-Magne toi le cul.
Une heure plus tard, on était en route.
-T'as une sale gueule. Ne put s'empêcher de faire remarquer ma sœur.
-Je sais.
-Tu vas être de super compagnie dis moi.
-Si tu voulais de la bonne compagnie fallait demander à ton mec de t'accompagner.
Après avoir enfilé ma capuche, retiré mes baskets et m'être calé dans mon siège, je me rendormis, bercé par la playlist de Nolwenn.
Elle me réveilla après un peu plus de la moitié du trajet en s'arrêtant sur une aire d'autoroute.
-J'ai besoin d'un café tu veux quelque chose ?
-Je vais aller pisser et me griller une clope. Je peux prendre le volant après si tu veux ?
-Je veux bien.
On se remit en route une petite demi heure plus tard.
-Dure soirée hier ?
-C'était l'anniversaire d'Enzo.
-Raph m'en avait parlé mais j'ai zappé.
-Tu l'as vu il y a pas longtemps ?
-Ouais on s'est croisé par hasard un soir et on s'est bu un verre pour discuter.
-Il doit plus en pouvoir d'être le confident de la famille Morvan.
-C'est bien de se voir pour discuter d'autre chose que de boulot, je l'aime vraiment bien.
-C'est pas toi sa meuf mystère quand même ?
-Moi ? Et Raph ? Arrête tes conneries !
-Il t'en a parlé ?
-De la meuf qu'il gère ? Ouais, mais il a dû le faire avec toi aussi.
-Ouais.
-C'est bien qu'il passe à autre chose.
-T'as des nouvelles d'Eugénie toi ?
-Vite fait par insta mais elle poste pas de mec.
-Je lui enverrais bien un petit message pour prendre de ses nouvelles mais je sais pas comment elle le prendrait.
-Vous vous entendiez bien en dehors du fait qu'elle était la meuf de Raph ça pourrait lui faire plaisir. Juliette doit avoir plus de nouvelles.
-Elles se sont vus il y a pas longtemps.
Je n'allais pas attaquer le sujet Juliette maintenant.
-T'as rien à me faire écouter de nouveau ?
-Non. Mais tu peux prendre mon portable pour mettre de la musique si tu veux.
Elle me le tendit pour que je le déverrouille avant d'ouvrir mon deezer.
-C'est quoi cet historique de dépressif ? On met Brouillard ou ça te soûle ?
-Non vas y.
Elle s'endormit après les trois premières chansons me laissant en pleine réflexion avec les paroles alors que j'étais concentré sur la route qui défilait.
On arriva devant la maison de notre enfance en début d'après midi.
Et on tomba tous les deux des nues devant le panneau accroché sur le portail.
"A VENDRE"
-C'est quoi ce bordel ?
Il me sembla qu'on avait parlé d'une même voix.
On eu très vite la réponse en trouvant nos parents occupés à faire des cartons. Ils furent tout aussi surpris de nous voir qu'on l'avait été de voir que la maison était en vente.
-On divorce les enfants.
-Vous divorcez ?
-Oui.
-Comme ça ? D'un coup ?
-On en discute depuis Noël.
-Et nous ?
-Vous êtes des adultes maintenant.
-Vous comptiez nous le dire quand ? La maison est vendue ?
-Pas encore. Mais votre père a trouvé un appartement dans le centre.
-Il y a quelqu'un d'autre ?
-Non. On ne s'aime plus, ça arrive.
On se retrouva tous les deux abrutis par la nouvelle.
-Mais l'un de vous pourrait garder la maison.
-Il y a trop de souvenirs ici. Puis nous avons besoin de l'argent de la vente, même si cela doit te paraître étrange d'avoir besoin d'argent Len.
-Je ne suis pas déconnecté du monde maman.
-Si vous nous rendiez visite plus souvent, vous l'auriez su.
-Tu me files tes clés Nono je vais aller faire un tour.
-Ne le prends pas comme ça Lénaïc, tu as passé l'âge des caprices.
-Permets moi de le prendre comme je peux maman. Je vais faire un tour.
J'aurais pu aller jusqu'à la plage de notre enfance à pieds mais elle était trop au centre de Quimper pour que j'y sois en paix, surtout à cette période de l'année.
En une vingtaine de minutes de route, je me trouvais une petite crique tranquille où je me posais sur des rochers. Il faisait assez bon pour se baigner. Je n'avais ni maillot, ni serviette, mais ça ne m'empêcha pas de me foutre en caleçon et de plonger.
L'eau était gelée.
Mais elle l'était toujours.
Ça avait toujours eu le don de me remettre les idées en place et tout mon entourage semblait d'accord pour dire que j'en avais grandement besoin.
La proposition de Nolwenn semblait une bonne idée pour faire un break de Paris mais si j'avais su que fuir mes problèmes de cœur me plongerait dans ceux de mes parents, j'aurais peut être préféré me renfermer dans mon appart pour une nouvelle semaine.
Après avoir nagé un moment, je remontais sur les rochers avant de m'étaler du mieux que je pu pour sécher. Le silence me faisant trop cogiter, une pulsation nostalgique me fit mettre mon premier album.
Les yeux fermés à cause du soleil, je ré écoutais des chansons que je connaissais par cœur parce que j'en chantais encore certaine, mais en sachant pertinemment que c'était moi, j'avais l'impression d'entendre un inconnu.
La rage, l'insouciance, la passion qui débordait de chaque son me touchait en plein cœur pour laisser un goût amer quand je me rendis compte que j'avais perdu tout ça.
J'étais devenu un connard blasé qui faisait du son juste pour faire du son et plus parce qu'il était habité par ça.
Quand est-ce que j'avais perdu ça ?
Je n'arrivais pas à trouver de réponse à cette question. Mais j'étais le seul à blâmer si ma musique ne marchait plus. Je ne pouvais pas demander au public d'y croire quand je n'y croyais plus moi même.
Un message de Nolwenn me coupa dans mes réflexions et je repris le chemin de la maison après m'être rhabillé.
Mes grands parents étaient invités à dîner puisque les enfants prodiges étaient de retour.
-Oh Len tu as encore grandi mon grand !
-Je ne grandis plus depuis un bail mamie.
-Tu es de plus en plus beau, même si tu as l'air fatigué.
Ma grand mère était totalement la femme de ma vie.
-C'est bon tu as finis de bouder ? Demanda mon père.
-Tu t'es baigné ? Demanda Nolwenn au même moment.
-Ouais, elle était bonne. Je vais prendre une douche.
Ma sœur avait posé mon sac à dos sur mon lit. Ma chambre d'adolescent n'avait pas encore été impactée par le déménagement imminent. Un tas de photos sur le bureau m'attira. Elles dataient toutes d'avant la sortie de mon album.
Il y en avait des premiers battles, une photo de Julien datait du soir où je l'avais rencontré. J'avais complètement oublié à quel point mon premier appart parisien était minuscule, pourtant en se serrant bien on y rentrait pile poil à neuf. Il n'y avait pas de place pour circuler mais on avait passé des tas de soirées à rapper et refaire le monde dans mon petit studio. C'est aussi la que ça avait commencé avec Juliette. J'avais récupéré un vieil appareil à pellicule chez mes grands parents et l'avait prise sous tous les angles pour avoir des preuves quand elle me disait qu'elle était horrible. Je n'avais pas le génie photographique de Raph, la majorité des photos étant floues mais quelques unes étaient réussies comme celle où elle tenait la couette contre sa poitrine. J'avais capturé un de ses éclats de rire qui étaient si rares à cette époque. Je me souvenais bien de cet après midi. Mes parents étaient partis et on en avait profité pour faire passionnément l'amour. Au début on s'était souvent retrouvés submergés par tout ce désir et cette passion qui paraissait nous frapper l'un et l'autre pour la première fois. On se jetait désespérément l'un sur l'autre comme si ce qu'on vivait était trop beau pour durer. Si seulement les deux gamins sur les photos savaient ce qu'ils avaient accomplis dans les dix années qui avaient suivi.
Je reposais le tas de photos avec un sourire nostalgique avant d'aller prendre ma douche et de redescendre.
L'ambiance était carrément bizarre avec tous les cartons partout et la famille faisant comme si tout était normal.
-Tu bois quoi Len ?
-Du coca sera très bien.
-J'ai un nouveau whisky tu veux pas goûter ?
-Non merci.
-T'es sûr ? On a de la bière aussi.
-Non, je vais boire du coca.
-Bah alors qu'est ce qu'il t'arrive mon grand ? Demanda mon grand père.
-Rien du tout. J'ai pas envie de boire d'alcool c'est tout.
-C'est bien la première fois.
Nolwenn me coula un regard interrogateur que je choisis d'ignorer.
-T'es sûr que...
-Putain, oui je suis sûr !
-Qu'est-ce qui te prend ?
-Ce qu'il prend à tout le monde dans cette famille apparemment. Vous n'êtes pas les seuls à avoir vos petits secrets.
-Change de ton..
-Pourquoi ? Vous divorcez et on n'est même pas au courant ! Vous alliez nous le dire quand ? Quand la maison aurait été vendue ? Quand vous auriez balancé toutes nos affaires ? Et oui Lénaïc ne veut pas boire parce que c'est un putain d'alcoolique qui picole parce que sa vie c'est de la putain de merde. Alors non papa je ne veux pas goûter ton nouveau whisky parce que je pourrais pas m'arrêter avant de m'être enfilé la bouteille...
-Len...
-Quoi?
-T'es pas alcoolique chéri.
-Ça arrive à tout le monde d'avoir un coup de mou.
-T'as vu un médecin ?
-J'ai pas besoin d'un médecin pour m'en rendre compte quand je passe une semaine enfermé dans mon appart à ne faire que boire. C'est rassurant de voir que je suis le seul membre de cette famille à être lucide et pas dans le déni.
-Len...
-Je veux plus en parler.
-Mais...
-Maman, lâches l'affaire pour le moment. Intervint Nolwenn.
Un silence pesa dans le salon que Nolwenn dissipa rapidement en se lançant sans la description de la bd qu'elle était en train d'écrire.
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Retour au bercail mouvementé..