Ils arrivèrent au camp fatigués, frigorifiés mais soulagés. La sœur de Flocon les attendait, elle semblait inquiète. Anémone remarqua immédiatement que quelque chose n'allait pas.
- Flocon ! s'écria-t-elle en se jetant sur son frère. J'ai eu si peur...
Brume fondit en larmes.
- Des chiens sauvages nous ont attaqués, lâcha-t-elle entre deux hoquets. J'ai... J'ai cru qu'ils vous avaient emmené.
Les trois amis se regardèrent. Anémone avait un mauvais pressentiment.
- Tout le monde va bien ? s'inquiéta le jeune loup.
Sa sœur secoua la tête. Elle renifla avant de respirer profondément et de continuer.
- Beaucoup de loups sont blessés. Des loups des autres meutes sont venus nous aider. Apparemment eux-aussi ils ont été attaqués, il y a quelques lunes.
Des larmes dégoulinaient le long de ses joues.
- Les loups qui sont atteints du Mal Noir se sont battus, enchaîna-t-elle rapidement entre deux hoquets. Et... Et aucun ne s'en est sorti...
Sa voix se brisa et ses larmes coulèrent de plus belle. Anémone jeta un coup d'œil à Flocon. Ce dernier s'était figé, il ne disait plus rien. Ses yeux étaient dans le vague.
- Flocon ? Ça va aller ? s'enquit doucement la jeune louve.
Le loup blanc serra la mâchoire et croisa son regard. Elle n'avait jamais vu un regard aussi désespéré que le sien. Il était emplit de culpabilité. Anémone comprit alors.
- Ce n'est pas de ta faute Flocon...
- Si ! Justement ! l'interrompit presque aussitôt ce dernier en se mettant à gratter la terre vivement avec sa patte droite. Si je ne vous avais pas emmené là-bas, j'aurai peut-être pu éviter ça...
Anémone vit les yeux bleus de son ami luire.
- Tu ne peux plus rien y faire maintenant, murmura la jeune louve grise en plantant son regard dans le sien.
- Ce qui est fait est fait, on ne peut pas changé le passé, renchérit Ouragan alors que son regard vert s'assombrissait. Je sais de quoi je parle.
La mâchoire de Flocon se contracta de plus belle et déglutit. Finalement il hocha la tête et alla lécher le museau de sa sœur en signe de soutient.
- Où est maman ? lui demanda le loup blanc.
- Elle est en train d'enterrer papa... renifla la jeune Guérisseuse.
- Allons la rejoindre, décida aussitôt le loup blanc en entraînant sa sœur avec lui.
Lorsqu'ils eurent disparu de leurs champs de vision, Ouragan se tourna vers elle et la dévisagea bouche-bée.
- C'est quoi cette histoire d'attaques ?
- Je me demande si ce n'est pas exprès, et si tout n'est pas lié, murmura-t-elle songeuse. On ferait mieux d'accompagner Flocon et Brume.
Son ami hocha la tête. Oui, ils ne pouvaient pas les laisser comme ça. C'était la moindre des choses à faire.
Alors ils se décidèrent à entrer dans le camp. Une odeur de sang, de sueur et de larmes imprégnait l'air. Plusieurs corps se trouvaient à côté de chaque tanière. Les loups les plus en forme aidaient Narcisse, la vieille guérisseuse. Anémone vit des visages, remplis de larmes, de colère et de fatigue. Chaque regard qu'elle croisait, était méfiant ou tout simplement emplit de tristesse.
Ils traversèrent le camp et arrivèrent sur une colline où plusieurs loups étaient assis ou semblaient parler aux esprits. Une dizaine de corps étaient allongée sur le flan de cette petite montagne. La jeune louve aperçut parmi eux, leur ami. Ils s'approchèrent. Nigelle était assise à côté d'un loup blanc et fermait les yeux. Elle murmurait quelque chose. En les voyant arrivait, Flocon sourit tristement.
- C'est... C'était mon père Jasmin... Vous voulez bien m'aider ? Il faut l'enterrer pour qu'il puissent rejoindre les Loups-esprits.
Brume s'approcha, ses yeux encore remplis de larmes.
- On creusera au pied du sapin.
Le frère de celle-ci sembla comprendre. Il se dirigea vers un bois un peu plus loin. Brume se tourna vers eux.
- C'est le sapin où nous avons l'habitude de nous reposer.
- Il adorait vous voir dormir, ajouta Nigelle en s'approchant. Il a eu de magnifiques enfants et une belle vie. J'espère qu'il trouvera le repos.
Brume posa sa tête dans le creux du coup de sa mère.
- Il avait l'air formidable, commenta Anémone, remplit de compassion.
La jeune louve ne pouvait que comprendre ce qu'ils devaient ressentir. Il y avait seulement une dizaine de lunes que Hortensia était morte. Et rien que de voir cette famille déchirée, lui rappelait sa propre douleur qu'elle avait décidé d'enfouir au fond d'elle pour le moment.
- Oui, c'était le meilleur père, il s'occupait d'abord de nous, confirma Nigelle nostalgique. Pour lui, sa vie comptait peu...
- On peut vous aider à le porter, si vous voulez, proposa Ouragan doucement.
- Merci, Ouragan. Merci, Anémone. Vous êtes bien gentils.
Nigelle prit une des pattes de son compagnon entre ses crocs. Sa fille fit de même avec l'autre. Ouragan planta ses crocs dans le coup du loup blanc. Anémone poussait le cadavre du père de Flocon tandis qu'Ouragan portait sa tête et Brume et sa mère le tirait.
Ils trouvèrent Flocon au pied d'un sapin où il avait creusé un trou. Ils l'y déposèrent avec précaution, sans un mot.
- Qu'il repose en paix parmi les Loups-esprits maintenant, déclara Nigelle une fois le trou rebouché.
Anémone hocha la tête. Oui, il pouvait à présent se reposer. Elle regarda le ciel sombre. Sa mère était-elle heureuse là-haut ? Son cœur se serra. Soudain il eut un remue-ménage dans le camp qui la tira de ses pensées.
- Qu'est-ce qui se passe encore ? s'écria Flocon en dressant les oreilles.
Des cris de stupeur provenaient des collines.
- Allons voir !
Ouragan s'élança, suivi de Brume qui lança un dernier regard au tas de terre. Anémone regarda Nigelle. Son visage exprimait la souffrance, la tristesse et l'inquiétude.
- Va voir, Flocon, lui dit sa mère. Je veille sur papa.
- Tu es sûre ?
- Oui, ne t'en fais pas, sourit tristement sa mère. Allez-y.
Aussitôt le jeune loup blanc courut vers le camp. Puis jetant un dernier coup d'œil à Nigelle, la jeune louve le suivit.
Lorsqu'ils arrivèrent, la première chose qu'elle vit, ce fut une foule de loups rassemblés en demi-cercle. Sous la lumière du soleil orangé, elle ne distinguait pas bien les différents visages qui étaient devant elle. Anémone se rapprocha de Flocon. Elle regarda les loups puis elle aperçut Ouragan. Alors elle courut le rejoindre.
- Qu'est-ce qui se passe ? chuchota-t-elle.
- Basalte a quelque chose à annoncer, répondit le loup blanc en s'approchant. Les Alphas ne rassemblent la meute qu'en cas d'extrême urgence.
La jeune louve hocha la tête. Oui, ça ne pressentait rien de bon.
- Je crois que c'est en rapport avec l'attaque de ce soir, fit Brume inquiète, qui les avait rejoint.
- Oui ce serait logique murmura Ouragan.
Soudain le silence se fit. Un grand loup gris venait d'arriver dans le demi-cercle accompagné d'une jeune louve blanche. Aussitôt tous les loups s'inclinèrent. Lorsqu'Anémone releva la tête. Elle vit leur Alpha qui la dévisageait. Elle se sentit mal à l'aise alors elle baissa les yeux.
- Mes chers amis, dans la bataille de ce soir, nous avons tous perdu quelqu'un, commença-t-il.
L'Alpha se tut et balaya la meute de ses yeux étincelants avant de poursuivre.
- Nous avons eu des nouvelles des autres meutes ainsi que des autres clans. C'était la même chose partout ailleurs. Beaucoup de loups sont morts ce soir, beaucoup de familles ont été détruites.
Basalte s'arrêta à nouveau et embrassa les loups du regard. Sous le ciel sombre, il semblait énorme.
- Il y a quelques instants, comme dans toutes les meutes, nous avons reçu un appel à l'Assemblée. Un loup des Dunes est venu, le fils de Typhon, Narval.
Un murmure inquiet parcouru la meute. Un loup gris clair apparut sous la lumière de lune. Il était couvert de morsures et de griffures. Son regard clair était dur.
- Nous ne savons pas encore d'où viennent ces chiens et cela pourrait recommencer, continua Basalte. C'est pourquoi nous avons décidé de nous réunir à l'Assemblée, qui aura lieu dans quelques lunes.
Plusieurs loups discutaient à voix basse, d'autres hochaient la tête tandis que Narval pris la parole :
- En effet, nous avons, nous aussi, subi des attaques il y a quelques lunes. Beaucoup de courageux se sont battus dont la plupart ont péri. Typhon nous a envoyé un messager de sa meute pour qu'à notre tour, nous allions prévenir les autres clans de cette décision. Toutes les meutes entières y sont conviées.
Il s'arrêta un moment pour reprendre son souffle.
- L'Alpha Eclair et l'Alpha Ronce sont au courant. Maintenant que ma mission est terminée, je vais pouvoir rentrer pour leur dire que le message est passé, déclara le fils de Typhon. Nous espérons que vous serez là car cette Assemblée sera très importante. Nous ne savons pas qui sont ces chiens ni qui les dirigent mais il faut le découvrir, et vite.
Narval se retira laissant place à l'imposant Alpha.
- Nous ne savons pas non plus si ça à voir avec le Mal Noir mais nous éclaircirons cela à l'Assemblée. Prenez soin de vous, de vos familles et bonne chance.
Enfin ils quittèrent le demi-cercle et rentrèrent dans une tanière. Anémone ne savait pas quoi penser de ce qu'elle venait d'entendre. Ainsi tout le monde avait été attaqué ? Mais dans quel but ? Et fallait-il dire ce qu'ils avaient vu aujourd'hui ? Beaucoup de questions la tiraillaient. La voix de Flocon la tira de ses pensées :
- Anémone, tu viens ?