𝕷𝖊𝖎𝖑𝖆: ℭ'𝔢𝔰𝔱 𝔩𝔢 𝔡�...

By iammahera

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Selem aleïkoum. Je m'appelle Leïla, 19 ans, algérienne et je viens de Marseille. C'est mon histoire. Mon pass... More

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Flashback
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Récapitulatif De L'histoire :
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By iammahera

•Chapitre 71•

~Leïla~

J'ai ouvert les yeux en prenant une très grande inspiration, à la recherche de l'oxygène dont j'avais désespérément besoin. J'avais sursauté si violement que quand j'ai repris conscience, j'étais assise et complètement paniquée.

Je tremblais tellement qu'on pouvait croire que je venais de faire un plongeon dans un lac gelé, et pourtant j'étais certaine que la température de mon corps devait frôler les cent degrés tant je transpirais.

Le choc (ou plutôt le contraste entre le sommeil et mon réveil paniqué) m'a paralysée au point où faire le moindre mouvement me faisait flipper. Dire que j'étais effrayée était un mensonge face à l'immensité de la terreur qui me prenait.

Je suis restée ainsi à regarder devant moi sans vraiment voir jusqu'à ce que mon corps reprenne lentement ses esprits et quitte totalement le cauchemar qui venait de me prendre.

Je haïs ma vie.

J'ai levé difficilement mon bras pour redresser mon lit et laisser ma tête reposer contre l'oreiller. J'étais incapable de fermer à nouveau l'œil. Pourtant ça faisait deux jours que je n'avais pas dormi. Je somnolais parfois mais je n'arrivais pas à m'endormir pour de vrai.

Mes yeux ont fixé mes jambes que j'aurais voulu plier pour me rouler en boule et faire disparaître ces images atroces de ma tête.

J'ai peur. J'ai tellement peur que je n'arrive plus à dormir.

Je tremblais toujours. Je crois que c'est la seule façon que mon corps a trouvé pour extérioriser tout ça.

J'en peux plus. J'angoisse. Je transpire le stress. J'ai chaud. J'ai froid. Je ne sais pas quels mots utiliser pour m'exprimer.

Peur. Stress. Angoisse. Frayeur. Anxiété. Détresse. Panique. Terreur. Horreur. Aucun ne me va.

Folie.

Je suffoquais malgré la ventilation en marche. Les pleurs restaient coincés dans ma gorge et m'étouffaient comme une balle en train de boucher mes poumons et qui me faisait atrocement mal.

Les dernières traces de sommeil commençaient à s'estomper pour ne laisser que moi et la douleur incommensurable qu'avaient laissé les images créées par mon cerveau.

Créées ?

Non plutôt rappelées. C'était pas un cauchemar, c'était des souvenirs. On dit qu'il ne faut pas raconter ses cauchemars, mais je ne sais pas si ça vaut aussi pour les souvenirs enfouis.

J'avais envie de mourir.

J'ai eu envie de Mourir.

J'ai fermé les yeux en laissant échapper l'air retenu dans mes poumons dans un soupir, la tête retombée en arrière contre l'oreiller. J'étais à bout.

Je n'aurais jamais imaginé qu'un jour j'aurais voulu avoir un doudou. Je sais que ça fait enfant dit comme ça, mais ça m'aurait permis de faire passer tout ce qui était enfoui en moi. J'avais besoin de faire partir tout ça. De faire cesser le tourbillon dans ma tête.

Je regrettais aussi qu'Ilyes ne soit pas là. Et je regrettais également d'être aussi égoïste parce que j'avais conscience qu'il était épuisé lui aussi. Il passait quasiment tout son temps libre avec moi. Il avait le droit à une pause.

Je ne voulais pas trop en demander. Je ne voulais pas déranger les gens encore une fois. Tout ce que je voulais, c'était éloigner un petit peu cette solitude qui m'étouffait. Parce qu'autrement j'étais incapable de ne pas ressasser les images de ce cauchemar.

J'allais mourir. Dans tous les sens du terme, j'allais mourir.

Cours. Vite.

Je sais pas où aller. Je peux pas sortir c'est fermé. Je vais où ?

J'ai fait quoi... Oh non, j'ai fait quoi, pourquoi j'ai fait ça ? Non. Non. Non. J'aurais pas dû. Oh non...

CACHE TOI !

J'entends plus rien. Je vais faire une crise cardiaque. Je vais me faire pipi dessus. Je vais tomber. Je dois pas tomber. J'ai peur. Lyes pourquoi t'es pas là ? J'arrive plus à respirer. Oh non panique. Oh non. Je peux plus...

J'ai hurlé de toutes mes forces en glissant avec mes chaussettes contre le parquet. Je crois que je vais exploser.

IL ARRIVE !

- LEÏLA !

J'ai tenté de ravaler la balle de golf montée jusqu'à ma gorge. J'ai replié mes jambes grâce aux deux muscles et demi de mes bras pour poser mon front sur mes genoux et fermer les yeux. Je n'aimais pas le silence qui m'entourait. J'étais épuisée, et ce n'était pas juste à cause de ma courte nuit.

Le stress comprimait encore ma poitrine, c'était facilement comparable à une paralysie du sommeil. Je ne souhaite ça à personne.

La douleur m'a poignardé en plein cœur et a pris le contrôle de mon système nerveux pour se promener dans mon corps en toute tranquillité.

Je regrettais d'avoir cherché à me rappeler. Maintenant que j'avais fouillé, mon cerveau m'envoyait sans cesse des vagues de souvenirs tous aussi laids les uns que les autres.

Je Vais Mourir.

Toujours plus sombres. Toujours plus profonds. Toujours plus terrifiants.

Je ne voulais pas être seule. Je ne pouvais pas affronter ça seule. Je ne pouvais pas y faire face.

Mon cœur me faisait mal. Mon ventre était noué. Ma peau me brûlait. Mon corps était trop petit pour moi. Je détestais cette sensation.

Je n'aimais pas ma peau, déformée et blessée. Je ne voulais pas garder sur moi la preuve indélébile que mes cauchemars n'étaient pas uniquement dans ma tête. Je ne voulais pas me revoir mourir. Je ne voulais pas ressentir à nouveau ce que j'ai ressenti la première fois en voyant ma peau cicatrisée.

J'étouffais. L'air était douloureux. Respirer me faisait pleurer en silence car j'étais effrayée à l'idée de faire le moindre bruit.

Je voulais oublier. Encore. Et ne plus jamais me rappeler. Ne plus dormir, si ça signifiait rêver. Ne plus me laver si ça signifiait voir ma peau.

Je voulais rentrer chez moi. Retrouver une routine normale. Revoir ma mère. Ma sœur. Mes amies. Troquer les bips de ma chambre d'hôpital pour le silence plat de ma chambre.

De la normalité. C'était tout ce que je voulais. Et laisser l'horreur derrière moi.

Je me suis rallongée en laissant mes jambes retomber n'importe comment. De toute façon c'est pas comme si ça allait me faire mal, je ne sentais rien. Et la fatigue commençait à me rattraper.

Mais je ne voulais pas dormir.

Je me suis mise à fixer le plafond la gorge nouée en laissant traîner mes pensées sur absolument n'importe quoi qui pouvait m'éloigner des dernières minutes. Ou du présent.

J'ai compté le nombre d'angles droits visibles sur le plafond. Le nombre de personnes que j'ai vu depuis que j'ai ouvert les yeux, incluant les docteurs et aides soignant(e)s. Le nombre de secondes qu'il me faut pour prendre une inspiration. Le nombre de respiration. Le nombre de battement de cil. Absolument tout ce qui peut être compté.

Et je ne sais pas quand c'est arrivé mais malgré ça le sommeil a fini par m'emporter.

Je vais dormir juste un peu, et me réveiller six mois plus tard.

Je ne veux pas me réveiller. J'ai peur.

Ils me manquent. Mais j'ai peur.

Peut-être qu'en restant ici, je finirais par décéder tranquillement.

***

?: Leïla ?

J'ai relevé la tête en continuant de fixer quelque chose devant moi, sans savoir quoi et sans prêter attention à ce qui m'entourait.

Vous savez de quoi je parle, on connaît ce genre de moment d'absence.

Kaïs: Je reviens.

Je reviens rapidement. De toute façon tu m'échapperas pas.

J'ai frissonné en entendant cette voix dans ma tête.

Parfois c'était juste mon imagination. Parfois c'était des souvenirs. Mais à chaque fois cette voix me faisait froid dans le dos.

- LEÏLA !

- Kaïs ?

J'ai fermé les yeux pour quitter ma transe en ignorant le mal de ventre qui me prenait soudainement. Il s'est arrêté juste avant de quitter ma chambre pour m'interroger du regard, sûrement pressé de partir.

Désolé de te déranger encore une fois, mais si tu es pressé réponds moi rapidement une bonne fois pour toutes.

- Pourquoi vous me parlez pas de ce que j'ai oublié ?

Son visage s'est fermé, comme à chaque fois que je lui ai posé la question qui me revenait trop de fois. J'en avais marre de les entendre bégayer à chaque fois que je le leurs demandais.

Kaïs: Tu te souviens de quelque chose ?

Répondre à une question par une autre question. C'était une de leur façon de ne pas me donner une réponse.

- Réponds moi sans esquiver ma question.

Il a prit une seconde pour réfléchir avant de répondre.

Kaïs: On m'a dit qu'il fallait pas te brusquer.

J'allais finir internée à l'asile psychiatrique s'ils continuaient à faire tant de mystères. J'avais justement besoin d'être brusquée, et peu importe si j'étais prête à l'entendre ou non.

Les questions étaient simples mais les réponses semblaient être aussi compliquées à obtenir qu'un doctorat en neurologie.

Et à ton avis pourquoi elles le sont ?

- Combien de fois je me suis retrouvée à l'hôpital ?

Ma question sortie de nulle part n'a sucité aucune réaction. Il s'est contenté de me regarder silencieusement, en me donnant l'impression au passage d'être une enfant qui lui posait une question tellement bête que ça n'en valait même pas la peine qu'il réponde.

Mais même si je venais de sortir d'un épisode comateux, j'ai vingt ans maintenant quand même. Oui j'ai oublié presque la moitié de mon âge mais ça ne veut pas dire qu'on doit m'ignorer ainsi.

- Il n'y a ni ironie ni sarcasme dans ma question. Dis moi combien de fois j'ai été amenée dans un hôpital. S'il te plaît.

Il n'a rien répondu encore une fois. J'ai eu peur qu'il ne me laisse plantée là et qu'il quitte ma chambre après avoir jugé qu'il m'avait assez fait espérer obtenir une réponse avec son grand mutisme. Mais il a enfin fini par prendre la parole.

Kaïs: C'est la quatrième fois.

Je ne m'attendais presque plus à une réponse de sa part, ni à ce que la réponse soit quatre.

Quatre ?

Et c'est comme ça qu'une petite question en a entraînée des milliers d'autre.

- Je me rappelle de l'année dernière, mais le reste ?

Nouveau silence interminable dans lequel j'imaginais tout ce qui était imaginable.

Au fond je savais déjà. Je cherchais juste une confirmation à la théorie que j'avais trouvée après avoir fait tant de cauchemars dessus. Mais je ne comprenais pas ce quatre qu'il avait sorti. Je m'attendais à un trois. Pas un quatre.

Quatre c'est déjà trop Leïla. Pourquoi ça ne te fais pas réagir ?

Je me suis laissée chasser de mes pensées par Kaïs qui a refermé la porte pour venir s'asseoir sur une chaise, l'air tourmenté. C'était si important que ça pour le mettre dans un état pareil ?

Kaïs: La première fois c'est arrivé à ***. Il y a huit ans.

Il m'a fixée sans un mot de plus, en attendant sûrement une réaction de ma part qui n'est jamais arrivée.

J'avais besoin de plus d'informations et d'explications. Pourquoi je rêvais de ça ? Pourquoi je me réveillais en sursaut à quatre heures du matin complètement terrifiée ? Qu'est ce qu'il s'est passé exactement ? Une date et un lieu ne pouvaient pas me suffire.

Je faisais des cauchemars où j'ai tellement peur que j'en perdais l'ouïe. La seule chose que j'entendais, c'était mon cœur qui explosait dans ma tête et mon prénom hurlé si fort que ma respiration se coupait toute seule.

La voix qui crie mon prénom me donnait l'impression que je fuyais une scène de meurtre. Et ça me faisait si peur que je me réveillais en sursaut en oubliant qui j'étais.

Je suis tellement terrifiée que j'en deviens folle.

Kaïs: Et la deuxième c'était il y a cinq ans, à Oran.

J'ai fait mes calculs rapidement. J'avais douze et quinze ans.

C'est pas un âge pour commencer à fréquenter des hôpitaux, tu le sais ?

- Pour quelles raisons ?

Je vous ai déjà dit que Kaïs c'est un russe déguisé en arabe ?

Si c'est pas déjà fait, maintenant vous savez. Et si je vous dis ça c'est parce qu'à cet instant là, j'avais peur de devenir l'ukrainienne sur qui il allait passer ses nerfs car mes questions devaient l'agacer au plus haut point.

J'avais conscience de jouer avec le feu mais j'avais désespérément besoin de comprendre les choses. On parlait de ma vie. Pourquoi me la cacher comme ça ?

Kaïs: T'es sûre de toi ?

Non. Oui. Sûrement. Non pas du tout mais je veux savoir.

Je dois savoir.

Il fallait que je sache.

- J'assumerai.

Peu m'importait que j'en fasse une crise cardiaque ou un malaise. Ça allait finir par passer après tout. L'essentiel c'était de connaître la cause de ces images qui perturbaient mon sommeil et savoir pourquoi je préférais mourir plutôt que de rester plus longtemps dans un hôpital.

Kaïs: La première fois, Ilyes t'a accompagné jusqu'au bloc. Il a tout vu.

Il s'est arrêté une seconde seulement, avant de reprendre les réponses à mes questions.

Kaïs: Je crois que c'est mieux si tu lui demandes à lui pour cette fois là. Il arrive dans pas longtemps si tu veux.

Je ne savais même pas qu'il venait. J'ai hoché la tête en hésitant.

Kaïs: Par contre...

Il a marqué une pause en regardant l'écran de son portable une seconde avant de le ranger dans sa poche.

Kaïs: La deuxième fois on était en vacances. T'avais quarante de fièvre à cause d'une grippe.

- Je suis allée à l'hôpital pour une grippe ?

Kaïs: Non. T'étais seule à la maison parce qu'on était allés prendre l'air vite fait, et Hussein était je sais pas où.

Ce prénom me nouait constamment l'estomac.

Allez savoir pourquoi le nom du père que je ne connais pas me faisait cet effet. D'ailleurs, c'était la seule chose que je savais sur lui. Et je ne voulais pas en savoir plus. J'avais mes priorités.

Est ce que je ne l'ai jamais connu ou est ce que je l'ai oublié avec le reste ? Je ne voulais pas avoir de réponse cette fois.

Kaïs: Bref, il est rentré ce soir là. Il y a eu une coupure de courant, alors il a allumé une bougie. Va savoir pourquoi il a pas utilisé un téléphone ce fils de pu... Bref.

J'allais lui dire qu'il pouvait ne pas retenir ses insultes car j'en n'avais rien à faire, mais ça risquait de mettre fin aux réponses qu'il était en train de m'apporter et je ne voulais pas prendre ce risque et gâcher ça.

Pour l'instant je ne voyais pas en quoi ma grippe, la coupure de courant et la bougie de Hussein ont pu m'amener à l'hôpital. Ça n'avait aucun sens.

Tu devrais avoir une petite idée pourtant. C'est pas si compliqué non ?

Est ce qu'il m'a brûlé la peau avec la bougie ? Ça expliquerait le désastre que j'ai vu sur moi.

Tu ne devrais pas réagir aussi normalement.

Kaïs: Le gaz était mal éteint.

Gaz ?

Ah... Ça explique tout.

Il a allumé une bougie, et boum. Pas vrai ?

Kaïs: Le rez-de-chaussée a explosé et le reste de la maison a prit feu au même moment. Ça a tué l'autre là.

Le plat que je n'ai pas mangé ce matin jouait les montagnes russes dans mon ventre.

Et tout s'est connecté. Les nœuds ont été défaits. Les questions se sont résolues. Et mon cœur a explosé comme cette maison.

Un cadenas s'est débloqué et a laissé apparaître des flammes et une maison en feu tout autour moi. Et j'ai senti ma gorge sèche tenter de hurler à l'aide en vain.

Les souvenirs... C'est juste des souvenirs. Des choses qui sont du passé.

Mais que j'ai vécu.

Kaïs: Ton ventre, tes jambes et une partie de tes bras ont été brûlées. Deuxième degré profond ils ont dit. T'as été transportée en urgence à Marseille pour te faire opérer.

Les morceaux éparpillés de mon cœurs se sont rassemblés pour se comprimer tous ensemble et former une petite boule de cendres et de bouts de verre dans ma poitrine.

J'ai eu mal comme si on comprimait mon corps dans quelque chose qui le serrait toujours plus fort. Ma voix était perdue quelque part entre mes poumons et ma gorge, complètement cisaillée et détruite.

Kaïs: Tiens.

Je n'ai vu le verre qu'il me tendait qu'une fois à trois centimètres de mes yeux. Mes doigts tremblaient pendant que j'avalais l'eau.

Kaïs: T'es sûre que tu vas assumer ?

Je ne savais pas. J'étais dans un brouillard de pensées et de sensations où je n'arrivais à rien distinguer. Mon corps et mon esprit s'emmêlaient trop profondément pour que mon cerveau puisse y mettre de l'ordre.

C'était si fort qu'une fois le verre d'eau fini, je n'ai ni pleuré, ni tremblé ni réagi à rien.

- On verra.

J'ai murmuré ces mots je crois. Ou peut-être que j'étais si déconnectée que ça me paraissait loin.

La conversation s'est arrêtée là. Il est sorti de la chambre comme il voulait le faire tout à l'heure, et je suis restée sur mon lit à mettre de l'ordre dans tout ça.

Les informations étaient éparpillées sur un sol imaginaire et mon cerveau les rangeait en essayant d'y mettre de l'ordre et de faire des liens entre elles comme dans un puzzle.

Un incendie au bled. Hussein, qui est mort en le provoquant. Le fait que j'aie peur du feu. Ma peau brûlée. Tout faisait sens. Tout était parfaitement logique.

Kaïs: Ça va ?

Quand j'ai levé la tête, il était assit à la même place où il m'expliquait un instant plus tôt mes hospitalisations précédentes. J'ai presque cru pendant une seconde qu'il n'est jamais sorti.

- Quand est-ce que je pourrai partir ?

Il a juste cligné des yeux.

Je savais que ma question est stupide. Que je tenais à peine assise, je n'arrivais pas à dormir plus de trois heures d'affiliés et je vomissais tout ce qui entrait en contact avec mon estomac.

Mais à ce qu'il paraît l'espoir fait vivre.

Il fait vivre les imbéciles.

Kaïs: Ça dépend.

Je n'ai rien ajouté.

Kaïs: Repose toi et mange. Tu dois avoir quelque chose dans l'estomac si tu veux aller un peu mieux. Compte pas sur leur truc là.

On m'avait installé un appareil pour faire passer la nourriture directement par intraveineuse, histoire que quelque chose me nourrisse puisque je n'arrivais plus à le faire normalement. Ça servait juste à me tenir en vie et me donner le stric nécessaire. C'est pour ça que j'ai perdu pas mal de poids.

- Mhmm.

Mes doigts se sont posés sur le pansement qui recouvrait ma blessure, juste sous mon haut. C'était un réflexe que j'avais souvent. Ma main venait retrouver la cicatrice qui m'a causé tant de mal quand mes pensées divaguaient.

Je n'ai pas tourné la tête quand mon frère s'est levé après que la porte se soit ouverte.

Ilyes: Selem.

J'ai reconnu sa voix sans même le vouloir. En fait j'ai su que c'était lui même sans regarder la porte.

"Ilyes t'a accompagné jusqu'au bloc. C'est mieux si tu lui demandes."

Kaïs: Selem.

Ils ont parlé de je ne sais pas quoi, puis la porte s'est ouverte et un d'entre eux s'est assit près de moi.

Ilyes: Selem.

Ma réponse s'est perdue quelque part entre mon cerveau et ma gorge. Je crois qu'il me fallait juste un peu de temps pour remettre mes idées à leur place et décider quoi faire.

Ilyes: C'est pas bien de pas répondre à un selem.

J'ai hoché la tête doucement, histoire de lui montrer que je l'avais entendu. C'est seulement au bout de quelques minutes que ma réponse lui est parvenue.

- Selem.

Il a quitté la fenêtre des yeux pour poser les poser sur moi.

Ilyes: T'es en 2g ?

J'ai haussé les épaules sans lui rendre son sourire.

- J'ai pas les sous pour passer en 3g.

Bizarrement, j'avais beau être au plus bas j'arrivais quand même à rentrer dans son jeu à chaque fois.

Il a croisé les bras et s'est appuyé contre le dossier de sa chaise.

Ilyes: Kaïs est allé déposer maman et Chahinez à l'aéroport.

Je crois que le blanc qu'il y a eu après sa phrase a duré cinq secondes, ou un truc comme ça. Je n'ai pas compris ce qu'ils allaient faire là bas. Mais il a dû lire dans mes pensées car il a reprit la parole juste après.

Ilyes: Elles vont au bled.

C'est les grandes vacances au cas où tu as oublié.

Oui j'avais oublié. Je perdais la notion du temps.

T'as vingt ans maintenant aussi. Et t'as raté tes épreuves de BTS. Et tu vas rater tes vacances parce que tu vas les passer à l'hôpital. Et tu vas pas revoir ta famille avant au moins septembre. Mais c'est juste un détail car ça fait déjà plus d'un mois que tu les as pas vus après tout.

- Elles vont bien ?

J'avais vu peu de gens jusque là. Juste mes deux cousins et mes frères. Mais je pense que c'était mieux comme ça. Je ne voulais pas voir trop du monde.

Quel monde viendra ? Personne a cherché à avoir de tes nouvelles.

Ilyes: Al hamdouliLah.

Au moins elles vont bien...

- Elles ont-

Il m'a coupée la parole.

Ilyes: Kaïs a dit que t'avais une question à me poser.

J'étais étonnée qu'il me dise ça soudainement, mais il valait mieux sauter sur l'occasion que se poser des questions.

Il avait l'air de déjà savoir. Il avait l'air plus sérieux qu'il y a une seconde. En fait, il avait la même expression que quand il était inquiet et qu'il voulait le cacher.

J'ai rassemblé tout le courage que je pouvais et toute la force qu'il me restait pour aborder le sujet.

- Je suis allée aux urgences il y a huit ans ?

Ilyes: Oui.

Sa réponse était sèche. Mais j'ai continué à parler, même si le nœud dans ma gorge ne cessait de se resserrer.

- Pourquoi ?

J'ai appris avec le temps à m'attendre à toujours tout et à imaginer toujours la pire situations possibles. Alors j'avais peur de sa réponse.

Ilyes: Je suis pas sûr que tu sois prête à entendre cette histoire.

Moi non plus, mais comme je me tuais à le dire, j'avais besoin de savoir.

Ilyes: Moi même je sais pas si j'en suis remis.

La peur s'est installée dans mon ventre et a commencé à jouer avec mes organes. Si c'était si dur que ça, est ce que moi j'en étais remise ?

Tu sais pas. T'as perdu la mémoire. T'as oublié ? Bah oui, t'as oublié.

- Dis moi.

Je n'étais sûrement pas prête à l'entendre mais c'était pas le moment de faire la peureuse. C'était une occasion à ne pas manquer.

Ilyes: Tu connais ******* ?

- Kaïs m'en a parlé.

Ilyes: C'est là bas qu'habitait Hussein.

Hussein était là la première fois aussi alors.

Je n'arrivais ni à me rappeler son visage, ni sa voix, ni aucun autre détail à son sujet. C'était juste vide dans ma tête quand je pensais à lui.

Ilyes: Tu te souviens pas de lui je pense.

J'ai hoché négativement la tête.

- C'est...

J'allais dire "papa".

Mais je me suis arrêtée en plein milieu de ma phrase. Comme si un réflexe de mon corps m'empêchait de le faire. Ma gorge s'est bloquée avant même que je ne le comprenne.

Ilyes: Il était marié avec maman. Et techniquement on est ses enfants. Mais c'est pas le sujet.

- Pourquoi ?

Ilyes: Tu veux parler de lui ou savoir pourquoi tu t'es retrouvée à l'hôpital ?

Son ton désagréable m'aurait irrité et j'aurais sûrement arrêté la conversation si ça avait été quelqu'un d'autre. Mais je connais Ilyes mieux que moi même. C'était juste un signe involontaire de malaise et de stress chez lui. Alors j'ai juste laissé passer.

- Raconte.

Ce qui me faisait le plus cogiter c'était qu'il avait dit qu'il ne s'en était peut-être être toujours pas remis.

À quel point cette histoire allait m'impacter ? Est ce que c'était pire que l'incendie ? Est ce que j'en ai gardé des marques ? Où ? Comment ?

Ilyes: Si tu veux le contexte... C'était presque un an après le divorce de maman.

Il était aussi mal en point que moi. Ça se voyait dans sa façon de fixer le lit, les bras fermement croisés. Je le sentais juste en l'entendant respirer.

Ilyes: Le juge a décidé que toi et moi on soit les seuls à avoir une garde alternée. Va savoir pourquoi il s'en foutait de Chahinez et Kaïs.

J'en avais aucune idée, mais j'étais contente d'avoir des informations supplémentaires. Au point où j'en étais, j'acceptais chaque micro détail de ma vie qu'on pouvait bien me donner, tel un oiseau accepte les miettes qu'on veut bien lui jeter.

Ilyes: C'était un samedi. Il habitait au quatrième. J'étais sorti acheter du pain parce qu'il y avait rien à manger. Littéralement rien du tout.

- Vraiment ?

Il a hoché la tête.

Ilyes: Il mangeait dehors en général. Je crois. Ou bien il se faisait livrer. Il y avait rien à part des cartons de pizza, des boîtes de tacos ou des emballages vides. Vraiment rien, même pas de casserole ou quelque chose pour cuisiner. C'est à peine s'il y a une assiette.

J'arrivais pas à croire ça, ou à l'imaginer. Ça existe des maisons sans casserole ou sans œuf ? Même pas des pâtes ? Des poêles ? Rien ?

Ilyes: Il dormait quand je suis sorti. Tu voulais pas que je te laisse seule, mais j'avais trop faim alors je suis sorti quand même. Pourtant t'avais vraiment insisté. T'étais morte de peur.

"Lyes s'il te plaît je ferais tout ce que tu veux. Reste s'il te plaît."

"Je vais faire vite, t'inquiète pas."

Ilyes: J'étais sorti même pas cinq minutes. Même pas. J'ai couru pour faire le plus vite possible. Et dès que je suis arrivé devant le bâtiment pour rentrer... Tu... T'as...

La peur qui jouait avec mes organes faisait un nœud avec tout ce qu'elle trouvait à proximité. Mes poumons, mon cœur, mon estomac, mon foie et mes artères s'emmêlaient. La pause qu'il marquait pour respirer m'avait l'air interminable.

Et quand elle a enfin prit fin...

Ilyes: Tu étais paniquée, et dans la précipitation et la peur...

...le nœud nouant tout ce qu'il trouvait sur son passage...

Ilyes: Tu as traversé la fenêtre du salon, et tu t'es écrasée quatre étages plus bas.

... a explosé et m'a fait trembler en serrant le drap dans mes mains de toutes mes forces.

C'était bien pire que l'histoire d'avant.

Il ne me regardait pas, ses yeux fixaient toujours le lit. Son cerveau revivait la scène pour lui.

Comme le mien était en train de s'activer pour déverrouiller un nouveau cadenas.

Ilyes: Quand t'as touché le sol, t'arrivais plus à respirer. Tu crachais du sang et t'avais un gros bout de verre dans l'estomac, avec plein d'autres petits bouts partout dans la peau.

Et mon cœur a cessé de battre.

J'ai peur, pourquoi j'ai si mal ? Je n'arrive pas à respirer c'est horrible.

Je ne vois rien. Mes yeux sont ouverts mais je ne vois rien. Je n'arrive pas à bouger, je suis en train de mourir.

Je m'étouffe, il y a quelque chose qui coule de mes lèvres. Je n'arrive pas à sortir le truc dans ma bouche. Je suis terrifiée.

J'y arrive plus. Mes yeux se ferment tous seuls. Je veux me reposer.

Ilyes: Tu as perdu connaissance juste avant que l'ambulance n'arrive. Ils ont dit que tu avais "trébuché malencontreusement" et que tu as "traversé la vitre par accident".

Non.

Non c'est pas possible. C'est faux.

C'est une blague. C'est pas vrai. C'est un mensonge. C'est impossible. C'est pas vraiment possible. Non..

Je vais mourir, c'est sûr. Mais c'est mieux comme ça. J'espère qu'il sera triste et qu'il aura peur.

Je refusais de croire que c'était la vérité.

Ilyes: Je sais plus combien de temps t'es restée au bloc. Kaïs est venu une heure après qu'ils aient fini avec toi. Et Chahinez et maman sont venues un peu plus tard.

Mon cœur battait très fort. Je l'entendais pulser dans mes veines à toute vitesse, et lui l'entendait à travers la machine qui s'emballait. Mais personne n'y a prêté attention parce qu'on revivait tous les deux un de nos pires cauchemar.

Ilyes: Tu t'es réveillée six mois plus tard.

"Je vais m'endormir un peu... Et me réveiller six mois plus tard."

J'ai senti chaque cellule de mon corps se tendre à la limite de l'explosion. Les cadenas tombés ont révélé des sensations indescriptibles par la parole. Et des sentiments, tous mélangés.

Peur, désespoir, honte, tristesse, déception, colère, illusions, folie, terreur, douleur, paralysie.

Je n'arrivais plus à distinguer les sensations des sentiments. Même mes pensées étaient si emmêlées que je n'en distinguais plus les mots.

Je me suis revue courir, terrifiée, et m'arrêter brusquement. Ma température a brusquement augmenté. Et avant que je ne voie la scène, je me suis sentie glacée.

J'ai compris que je venais de tomber l'instant qui a précédé l'impact. Juste avant de sentir à quoi ressemble la mort.

J'étouffe. Mes poumons me brûlent. Je n'arrive plus à bouger. Je suis tombée. Je vais mourir maintenant.

J'ai fait une chute de quatre étages à cause de Hussein. Et j'ai été coincée dans un incendie à cause de Hussein.

J'ai brûlé à cause de lui. Je suis restée six mois dans le coma à cause de lui.

J'avais beau me répéter ça en boucle, les mots m'étaient imperméables. Impossible de les comprendre. C'était du néerlandais.

Ce n'était pas possible c'est tout. C'était trop pour que ce soit vrai. Ça ne pouvait pas être vrai.

Il me regarde. Et s'il descend ? Non, il ne va pas le faire. Mais s'il le fait ? S'il le fait, je vais mourir. Je vais arrêter de respirer pour mourir.

M

a peau me picotait. Si j'avais des ongles longs, je me grifferai les bras jusqu'à ce que je ne ressente plus rien. Je suis en train de fondre.

Le corps ne meurt qu'une fois mais je crois ce jour mon âme est morte pour la première fois.

À suivre

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