Les Clans

By 2fillesdecemonde

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Dans un monde où les quatre éléments s'affrontent sans relâche, des adolescents sont poussés à la guerre cont... More

Prologue
Chapitre 1 ➪ Océane | L'Atlantide
Chapitre 2 ➪ Brasier | Ma vie, mes choix
Chapitre 3 ➪ Céleste | Une paysanne parmi les nobles
Chapitre 4 ➪ Gaïa | La Tellurique

Chapitre 5 ➪ Gaïa | L'Épreuve

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By 2fillesdecemonde

— Je demande que Gaïa passe l'Épreuve.

Cette phrase tournait et retournait dans ma tête, encore et encore, tandis que je m'enfonçais dans l'obscurité. Daear me haïssait. Il connaissait les règles de l'Épreuve.

J'enrageai. Pourquoi, pourquoi, lorsque quelqu'un était Juge, il ne pouvait être mis sur le côté même s'il avait un passif avec le candidat ? Et pourquoi si un Juge demandait l'Épreuve, c'était obligatoire ?

« Les règles de l'Épreuve sont simples », m'avait expliqué la femme de gauche. J'étais sensé entrer dans la grotte de l'Épreuve et ressortir de l'autre côté. Mais la grotte n'était pas uniquement un long boyau souterrain. Ç'aurait été trop facile. Plusieurs centaines de chemins, véritable labyrinthe souterrain, s'étendaient dans tous les sens : gauche, droite, haut ou encore bas. Un seul chemin pour sortir, et des centaines de pièges. Trappe, pic, gaz mortel. Et dire que certains s'étonnaient du taux exorbitant de mortalité !

Le calme et le silence qui m'entouraient étaient sans aucun doute trompeurs. J'utilisai un peu mon pouvoir et sondai les alentours. Exactement comme je le pressentais, une trappe avec au fond de mortels pieux acérés était disposée devant moi.

Je soupirai. C'était bien trop simple.

Attentif au moindre bruit, je me figeai. J'analysai mon environnent, cherchant le piège sous le piège. Mes yeux ouverts ne me servaient à rien dans le noir absolu, mais je refusai de les fermer. La peur m'entourait, susurrant des promesses de morts lentes et douloureuses, dressant mes cheveux sur ma tête, faisant courir des frissons glacés le long de mon échine. C'était stupide. Immature. Inutile. Futile. Pourtant, je ne pouvais me passer de mes yeux. Combien de fois mon père m'avait-il dit d'arrêter de tant me reposer sur un seul sens ? Il était bien trop tard pour nourrir des regrets.

Lentement, je m'accroupis et posai mes paumes contre le sol de roche. Je n'en avais pas le besoin, mais cela m'aidait à canaliser mon pouvoir. Loin sous mes mains, je sentais le mouvement paresseux de la plaque tectonique. À la surface, la terre meuble était retournée par un oiseau qui tentait d'attraper un ver.

J'inspirai et contraignis la terre à m'insuffler un peu de son énergie. J'expirai et dirigeai le tout dans mes jambes. Puis je sautai. L'impulsion de mes pieds fit trembler la roche ; mes muscles semblaient soudain aussi résistants que l'acier de nos mines.

Je savourai d'autant plus l'instant que je connaissais ce qui allait suivre. C'était le contre-coup inévitable.

Alors que j'étais encore dans les airs, il se passa deux choses simultanément. Une atroce douleur remplaça le sentiment de puissance qui se dégageait de mes jambes – cela, c'était prévu. Mais mes pieds s'étaient pris dans quelque chose. Coupé dans mon élan, je fus suspendu la tête en bas.

Je déglutis difficilement. J'étais douloureusement conscient de la présence des pics sous ma tête. Puis, laborieusement, j'entrepris de contracter mes abdominaux jusqu'à pouvoir, les bras tendus, atteindre mes pieds.

Dans une pensée fugace, je remerciai ma sœur. C'était elle qui m'avait obligé à développer les muscles de mon corps, un par un.

Avec un détachement remarquable, je compris que j'étais retenu par une harborea malefica. Autrement dit, j'étais un mort en sursis.

« Courage, patience et persévérance, Gaïa.

La plante était dangereuse quel que soit l'environnement où elle se trouvait. Mais au-dessus des pics, elle était fatale. Si je bougeai trop, elle m'injecterait un venin qui me tuerait à coup sûr. Mais si je restai immobile, la plante penserait avoir attrapé un objet inanimé, impossible à manger, et me lâcherait. Droit vers les pieux.

Inquiet, je songeai aux conséquences de l'unique solution que je pouvais concevoir à mon problème. Puis je secouai la tête. Je me soucierai des conséquences plus tard... si « plus tard » il y avait.

Doucement, je décontractai tout les muscles de mon corps et fermai les yeux. Je visualisai les vaisseaux sanguins qui me parcourraient et remontai jusqu'à mon cœur. Puis, avec toute la délicatesse dont j'étais capable, j'ordonnai à la terre de venir en moi.

Ce fut comme si j'avais lâché un tremblement de terre.

Mes membres s'agitaient de manière incontrôlable, pris de spasmes ; la douleur simultanée faillit briser ma raison. À la lisière de ma conscience, je sentis la plante déverser son poison dans ma jambe droite. Puis...

Les rayons du soleil.

J'étais l'if, tendant mes feuilles au soleil. J'avais mal, mon corps de chair et de sang avait mal. Je voulu hurler ; ma voix sortit modifiée. Ce n'était plus ma voix, mais le gémissement de l'écorce et le rugissement des feuillages. Mes branches reconnaissaient la caresse glaciale ; mes racines, fermement ancrées au sol, sentaient les vers aveugles, aux corps lisses, et les taupes qui fouissaient la terre. Tout était parfait.

Je n'étais plus Gaïa. Je ne portai plus sur mon dos l'espoir du Clan. J'étais l'if. Nous étions l'if.

Plein et entier, enfin. Nous devînmes l'autre. Nous nous souvînmes de notre premier gémissement de nourrisson, de la graine que nous étions, tentant de percer la terre pour jaillir au soleil. Nous nous rappelâmes de notre première blessure : une épée au tranchant acéré contre notre écorce, lâchant un filet de sang, et les griffes d'un ours labourant notre peau. Nous passâmes en revue nos souvenirs. Notre famille. Nos enfants, déposés ci et là par le vent. Notre frère, rigide et balafré. Notre sœur, le regard doux, riant dans une pluie de pétales multicolores.

Notre sœur. Comment se nommait-elle ? Nous l'avions oublié. Ce n'était pas grave. C'était une catastrophe. Pas la peine de chercher. Il fallait que nous trouvions. Non. Oui. Non.

Oui ! Comment s'appelait notre sœur ? Comment ? Jasmine ? Non, non, non ! Pas la peine de chercher. Pas la peine. Nos souvenirs devaient rester au fond de notre mémoire. Nous devions être les juges impartiaux du monde. Silencieux.

Hors de question. Notre sœur... notre sœur se nommait... Elle s'appelait Europe.

Et c'était ma sœur.

Nous redevînmes deux. L'if, furieux, tempêtait : « Tu es notre ! Ta conscience est à nous ! Tu dois nous donner tes souvenirs ! » Derrière lui, tous les arbres bruissaient pour acquiescer.

Moi, j'étais Gaïa. L'espoir du Clan. Je ne pouvais pas les abandonner. Pas Europe. Il était de mon devoir des les sauver. La sauver. D'anéantir les autres Clans.  Alors, assemblant les miettes de mon esprit, je demandai en silence : « Prêtez-moi votre force. »

Ils rirent. Comment pouvais-je oser leur demander cela ? Ils étaient là des siècles avant ma naissance et vivraient encore longtemps après ma mort. Pour eux, je n'étais qu'un grain de poussière. Mon existence était aussi brève et éphémère, à leurs yeux, que le frémissement d'une feuille. « Tu n'es rien. » susurraient-ils. « Pourquoi donc te prêter notre force ? Nous sommes. Jamais de parti, jamais de combat. Nous sommes qu'Un. Et l'Un est nous. »

Ils attrapèrent ma conscience et la firent voyager de l'un à l'autre. Je passai de frêle bouleau en chêne majestueux. Je tentai de résister, arguant que je devais prendre leur force pour sauver les miens. Ils gloussèrent de plus belle. « Sauver les tiens ? Laisse-nous rire. Il s'agit de ton écorce, de ta propre peau que tu tentes désespérément de sauver. »

Comme une graine qu'un vent impétueux soulève et emporte au loin, impuissant, je traversai la Forêt sur une mer de voix susurrantes, passant d'ifs en houx, de jeunes plants en arbrisseaux. Je voyageai plus vivement que le bond du loup ou que le battement d'aile du corbeau.

Leurs voix se mêlèrent. « Inconscient... blasphémateur... tu nous souilles de ta présence... »

Les arbres étaient les êtres les plus mystérieux qui existaient. Ils donnaient vie à tout ce qui les entourait, alors qu'eux-mêmes ne se nourrissaient que de la lumière du soleil. Quand l'un de leurs membres se brisait, une autre branche leur poussait. Certains ne dormaient jamais, tandis que d'autres sommeillaient durant l'hiver, nus malgré un froid parfois féroce. Sans jamais dévoiler leurs pensées, ils observaient le monde s'agiter et vivre autour d'eux.

Ils étaient bien plus fort que moi. C'était un fait que j'admettais volontiers. Cependant, leur indécision profonde était une plaie ouverte. Leur puissance était grande. Mais, sans esprit adéquat, le pouvoir ne servait à rien.

Alors que moi... je pensais que rien ne pouvait ébranler mes convictions.

« Il suffit. » ordonnai-je avec force. Je plaçai toute ma force dans ces mots. « Donnez-moi votre pouvoir. Prêtez-moi votre force. Vous êtes forts face aux faibles, et faibles face aux forts. Vous êtes lâches. Vous vous estimez précieux, irremplaçables, mais vous finirez par mourir. Alors soumettez-vous, de gré ou de force. Sans vous, le Clan de la Terre n'est rien. Sans le Clan de la Terre, c'est vous qui n'êtes rien. Si nous venions à disparaître, vous serrez noyés dans des trombes d'eau, déracinés par des tempêtes ou brulés vifs. Je me répète. Donnez-moi votre pouvoir. »

Les chuchotis des arbres s'accélérèrent. J'esquissai un demi-sourire mental. Ils pesaient le pour et le contre. Un jeune houx s'écriait : « Croyons-le ! Notre sœur hêtre, à côté de nous, a brulé pendant plusieurs jours. Nous avons tous senti sa longue agonie et son esprit s'éteindre ! Nous nous voulons pas le même sort. » Moqueur, un sorbier lança : « Que la Mort vienne, nous l'accueillerons, car ainsi va la vie ! À quoi bon la craindre ? Elle nous est destinée ! »

Une voix d'une puissance à couper le souffle s'éleva alors, arrêtant le débat. « Amenez-le-moi. »

Je fus aussitôt happé par les arbres. Je coulais dans leur sève, était ballonné entre eux. Je terminai ma course dans les bras d'un saule pleureur. Celui-ci s'adressa à moi, et je reconnu celui qui avait mandé ma présence : « Comment t'appelles-tu ? »

« Je me nomme Gaïa. » Les mots étaient sortis de ma bouche spirituelle sans mon autorisation.

« Gaïa ? Je trouve que c'est un joli nom. Mais... » La voix se fit dure, furieuse. « Tu es le frère de Tellus. »

Quelque chose était étrange dans sa façon de parler.

« J'aimerai te rencontrer hors de l'esprit des arbres. Ce serait... intéressant. Oui. »

La voix utilisait le pronom « je ». Or, les arbres étaient une unique conscience, toute leurs pensées étant celles des autres, l'Un.

« À qui ai-je l'honneur ? » lançai-je.

« Oh, tu as compris... Pas mal. Pas mal du tout. » La présence marqua une pose. « Pour le moment, je suis une alliée. Appelle-moi... Lavande, disons. C'est une très jolie fleur. » Elle soupira. « Tu n'as aucune raison de porter du crédit à mes paroles. Alors je vais t'en donner. Bientôt. Enfin, ça dépend de toi. Et de moi. Donc pas que de toi. On verra. »

Je la sentis sourire. « À bientôt, Gaïa. Évite de mourir, cela contrarierait mes plans. Et, un petit conseil : méfie-toi du sang. Le pouvoir des arbres t'accompagnera. »

Avec une violence inouïe, je fus projeté dans mon corps. C'était comme si le temps s'était arrêté lors de ma... discussion avec les arbres, avec l'Un. L'air siffla à mes oreilles lorsque la plante me relâcha. Sous moi, les pics acérés attendaient de me déchiqueter.

Cela n'arriva jamais. En empruntant leur pouvoir aux arbres, ma peau était devenue une écorce rugueuse. Des branches jaillirent de mes bras, mon dos et mes jambes. Mes doigts-feuilles s'enfoncèrent dans la roche avec facilité.

Mon corps subissait le contrecoup de ma fusion avec l'Un. Ma jambe droite ne répondait plus, et de la sève y coulait abondamment. Je grimaçai. Si je voulais espérer sortir vivant de ce piège, tous mes membres devaient répondre. Sinon... les rats albinos géants ou les serpents venimeux auraient raison de moi.

Je déplaçai mon corps fourbu à l'aide de mes nouveaux membres. Et, lorsque j'atteins le sol de pierre, ma jambe se déroba sous moi tandis que mon corps reprenait sa forme première. Je ne possédais pas encore assez de puissance pour maintenir cet état plus longtemps. Mais un jour... je serai enfin digne de l'espoir placé en moi.

J'attrapai ma jambe blessée et la serrai contre moi. Je ne devais pas hurler. Ce serait signer mon arrêt de mort.

Mais elle me brûlait tant... J'avais l'impression que ce n'était plus du sang ou de la sève qui coulait dans ma jambe.

C'était un flot de belladone, de ciguë, d'aconit tue-loup, d'alocazia, de bryone blanche, de chélidoine, de mandragore, de ciguë vireuse, d'œnanthe safranée, d'hellébore noir, de bryone dioïque, de nivéole de printemps, d'ivraie enivrante et de fraxinelle.

C'était un poison qui me rongeait de l'intérieur.

Je ne pus m'en empêcher. Je criai à m'en déchirer les cordes vocales.

Ce n'étaient plus des plantes toxiques qui coulaient dans mes veines, c'était un acide puissant qui creusait en moi, m'abrutissant de douleur.

C'était un mélange de suc du rose noir et de sève de violette.

C'était de la douleur à l'état pur.

Puis elle s'arrêta. Je ne sentis soudainement plus ma jambe. Une anesthésie ? Elle tombait à pic, celle-là.

Je me redressai et constatai que je pouvais marcher, à condition d'être délicat et de ne pas courir.

Les seuls mots qui me vinrent à l'esprit furent des insanités. Ma jambe allait m'handicaper. Or, mon cri involontaire avait signalé ma présence à tous les prédateurs.

Quelques feuilles marbraient le sol, vertiges de ma transformation. Je les ramassai et en fourrai une poignée dans ma bouche. Je les mâchonnais et les mélangeait à ma salive, avant d'étaler le baume ainsi obtenu sur ma plaie. Celle-ci était profonde et boursouflée. Plus inquiétant, les contours noircissaient rapidement, témoins de l'avancée du poison. J'utilisai le reste des feuilles pour confectionner un bandage serré autours de ma cuisse.

Soigné du mieux que je le pouvais actuellement, je repris mon avancée. Le plus urgent était de mettre le plus de distance possible entre moi et là où j'avais hurlé. J'étais sûr que, déjà, des créatures s'agitaient dans l'ombre, rampant vers moi.

À un embranchement, je choisi de descendre. Devant moi s'étalait un tunnel, au bout duquel un peu de lumière filtrait. Un autre chemin me proposait de monter, mais sur une pierre gisait un morceau de mue de serpent. Le chemin droit devant moi me paraissait rassurant et sécuritaire, et c'était pour cela que je ne le choisi pas. Ici, tout était trompeur.

Je m'enfonçai dans les entrailles de la terre et, remarquant un trou dans le mur, je m'y installai pour effectuer une courte prière à la terre. « Ô grande terre, protège-moi. Veille sur tes enfants, ainsi que tu l'as toujours fait. Accorde-nous la victoire contre ceux qui te souillent de leur pas. Ô déesse, entend-moi. Accepte de me guider vers la sortie pour que je pourfende tes ennemis. Ô fertile terre, ait pitié de nous, misérables mortels. »

Un crissement. Je posai ma main sur la pierre et la modelai pour former une arme tranchante. Dans la sécurité relative de ma cachette, je me préparais à bondir sur la créature. Je devais la surprendre pour la tuer.

Un glissement. Quelle qu'elle soit, la créature était maladroite. Ou alors... simulait-elle pour que les proies, convaincues d'être les prédateurs, se jettent sur elle ? Impossible de savoir.

Un long museau apparut, et ce fut à ce moment que j'attaquai. Le rat géant n'eut aucune chance : le premier mouvement consista à me glisser sous lui pour l'éventrer. Plusieurs fois, il lança ses griffes en avant. Je parai ses coups du plat de mon épée, serein. Le temps jouait en ma faveur. Plus il passait, plus mon ennemi agonisait.

Je baissai trop ma garde. Habilement, dans un sursaut de vie, le rat me griffa le torse ; je répliquai en lui transperçant le crâne. Il s'effondra au sol, raide mort. Je fis disparaître mon épée : sans ennemi à abattre, elle n'était qu'une gêne qui me ralentissait et me déséquilibrait.

Ce que j'estimai être une heure plus tard, je m'allouai une pause pour reprendre mon souffle. Hissé sur une pierre plate et haute à la force de mes bras, je pouvais surveiller le tunnel sans trop bouger. Je fis l'inventaire rapide de mes blessures. Une longue griffure me barrait le torse, et deux autres marbraient mon bras droit, cadeaux du rat géant ; de grandes ecchymoses couvraient mon torse, souvenirs d'une Étouffeuse, plante rare et souvent mortelle. Le sang tombait, goutte par goutte, de mes innombrables plaies superficielles.

Mais de toutes mes blessures, la plus grave – et potentiellement mortelle – restait le venin de l'harborea malefica. Elle m'empêchait de me mouvoir correctement. Bien sûr, je pouvais courir avec, mais je craignais d'agrandir la plaie et de répandre le venin dans mon organisme.

Je me soupirai avant de me laisser glisser de la pierre. Je devais me dépasser si je souhaitais survivre à l'Épreuve. Serrant les dents face à la douleur, j'avançai plus loin dans le tunnel.

Je marchai depuis quelques minutes lorsque, soudain, je me figeai. Le message de mon instinct était on ne pouvait plus clair.

Danger !

Je tournai sur moi-même, inquiet. J'étais au centre d'une gigantesque grotte, dont le plafond était couvert de stalactites effilées. Quelques colonnes de pierres soutenaient le plafond.

Dans un geste instinctif, je levai mon bras droit au-dessus de ma tête et créai mon épée en transformant des petits cailloux. Si je n'avais pas levé le bras, ou trop tard, je serais mort coupé en deux par le telson – la glande à venin – du scorpion géant qui me faisait face.

Son metasoma – sa queue – se recula, et il asséna à une vitesse phénoménale des coups mortels que je déviai avec difficulté. Ses yeux – médians et latéraux – me fixaient méchamment, comme si je l'avais gravement offensé.

Le scorpion chuinta avant de m'attaquer à l'aide d'une nouvelle salve de coups puissants. Je n'avais pas le temps de penser ; mon bras agissait comme doué d'une vie propre. Sans doute énervé par mes parades, l'arachnide redressa l'avant de son corps pour projeter plus vite son dard.

Mais j'esquivai encore et profitai que son telson soit légèrement incrusté dans le sol pour le couper. Mon adversaire siffla de douleur et de rage. Une ouverture ! J'enfonçai mon épée jusqu'à la garde dans son prosoma, perforant sans aucun doute plusieurs de ses huit poumons.

Il siffla de plus belle tandis que j'ôtais mon épée de son ventre. Il recula, heurta l'une des colonnes de pierre qui soutenait le plafond et s'affala, mort.

Je n'eu pas le temps de savourer ma victoire que le sol trembla, et des stalactites se détachèrent du plafond. Comme dans mon rêve...

Mais cette fois, je savais pourquoi : c'était une punition de la terre pour avoir tué un de ses enfants dans son ventre.

Ô déesse, me pardonneras-tu un jour de mon crime ?

Je courrai à en perdre haleine, ma jambe blessée traînant derrière moi, slalomant entre les stalactites qui tombaient, les bras sur ma tête en une vaine tentative de protection : de petites pierres me martelaient tout de même le crâne.

Je distinguai au loin la lumière ténue du jour. Une lueur d'espoir dans cette grotte sans fin. Avais-je réussi l'Épreuve ?

Le sol trembla, faisant tomber encore plus de stalactites aiguisées comme des rasoirs, toujours plus, à un rythme infernal. Le scorpion était-il tant aimé par la déesse-terre, pour qu'ainsi elle me bombarda d'éclats de mort ? songeai-je.

Par la grâce de la terre ! le sol se fissura devant mes pieds.

Devant, car je m'étais rappelé mon rêve. Que la terre en soit bénite !

Je bondis par-dessus le gouffre. Ma réception fut des plus hasardeuses, mais je réussis à hisser mes jambes hors de la bouche avide de ma vie.

Je courrai encore vers la lumière. Je devais sortir !

Soudain, la lumière se déversa sur moi, mon dos, mes plaies, mon visage. Elle était si intense que j'avais mal aux yeux, mais je souriais béatement.

J'étais vivant !

Et j'avais réussi l'Épreuve !

J'étais si bien, là, immobile sous le soleil. Je ne voulais pas bouger.

Mais un tissu odorant se plaqua contre mon nez et ma bouche.

Je reconnu l'odeur âcre du chloroforme avant de sombrer.

Je flottais dans un brouillard épais, entouré d'une lueur verte. Je n'avais pas mal.

Étais-je mort ? je me demandai. Bien sûr que non, répondit ma conscience. Je n'étais pas mort, j'étais dans le même brouillard que pendant le test d'entré à la Tellurique. Sauf que cette fois, ce n'était pas la lueur rouge qui dominait, mais la couleur bleue.

« Aide... moi ! » entendis-je, guère plus qu'un bruissement à la lisière de mon ouïe.

Je sentis une présence derrière moi. Je me retournai et vis un garçon, entouré d'une lueur rougeâtre. Je demandai « Qui es-tu ? » mais aucun son ne sortit de ma bouche. Le garçon sembla pourtant comprendre : il répondit de la même façon.

— Je suis Brasier ! Et toi, qui es-tu ? Où sommes-nous ?

« O... Cl... Eau. » fit un écho auquel je ne prêtai aucune attention.

J'étais bien trop surpris : Brasier n'était pas un prénom dans mon Clan.

Le mot m'évoquait de la chaleur, intense, et de la lumière, brûlante.

Puis je réalisai qu'il ne venait pas de mon Clan.

La lueur verte et la rougeâtre : tout s'expliquait. Il venait du Clan du Feu, d'où le rouge autour de lui !

Ce Clan qui a presque tué ma mère !

Ce Clan mille fois maudit !

Ce Clan... Ce Clan !

Quelle horreur !

Un cauchemar. Un simple cauchemar, je me forçai à rationnaliser.

Cauchemar ou non, ce garçon... cette chose ! me dégoûtait.

Devais-je tout de même répondre ? Mes lèvres estimèrent que oui – c'était un cauchemar, de toute façon ! –, car elles lâchèrent :

— Gaïa. Je suis Gaïa du Clan de la Terre.

Il disparut aussitôt ma phrase terminée, et la lueur rouge partit avec lui.

Bonne nouvelle !

Maintenant, c'était à moi de me sortir de ce cauchemar.

Le monde brumeux s'effaça autours de moi.

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