Lorsque mes lèvres se posèrent sur les siennes, je le sentis légèrement tressaillir, mais il ne bougea pas, ni n'entreprit un quelconque mouvement de recul. Ma main entourait toujours son cou, la sienne lâcha ma joue pour soudainement agripper mon épaule, afin que je m'approche encore un peu plus près de lui.
Lorsque nous ouvrîmes nos bouches, pratiquement dans un même mouvement, et que nos langues se mêlèrent brusquement, je me rendis compte non seulement que je n'avais jamais ressenti ses sensations si puissantes, si bouleversantes, mais également que j'étais dans l'incapacité de mettre fin à ce comportement inconsidéré.
Tout mon corps vibrait pour cet homme que je venais de rencontrer, pour cet inconnu, et je sentais clairement que ses palpitations incontrôlables qui m'envahissaient avaient anéanti chez moi toute conscience des choses.
Alors qu'une de ses mains me tenait toujours fermement par l'épaule, il posa l'autre sur ma hanche, et il n'en fallut pas plus pour que je change de position : en quelques secondes, sans détacher ma bouche de la sienne, je fis passer ma cuisse de l'autre côté de ses jambes, et je me retrouvai sur ses genoux, au plus près de lui.
Je ne savais absolument pas jusqu'où j'étais capable d'aller, dans ce salon privée d'un club bondé au beau milieu de la nuit ; mais lorsqu'il entoura ma taille de ses bras pour me coller contre son torse, je ne pus m'empêcher de m'agripper avec fureur à sa chemise, tout en bougeant langoureusement mon bassin, percevant tout de suite à quel point il était aussi excité que moi.
Notre baiser devint encore plus intense, enfin si cela était possible, et je dus décoller quelques instants mes lèvres des siennes pour reprendre mon souffle ; je vis alors très clairement qu'il en fit de même.
Nos regards se croisèrent, et lorsque je me plongeai dans ses grands yeux verts, rendus brillants par la tournure des événements, je ne pus m'empêcher de lui sourire.
Il repoussa quelques mèches de mes cheveux qui tombaient de manière désordonnée sur mon visage et m'embrassa de nouveau ; ses mains palpaient maintenant fougueusement mes cuisses, comme s'il souhaitait y laisser des traces, et je me laissai aller sous ses caresses.
Je ne perçus pas toute suite la présence d'une tierce personne dans la pièce. En réalité, ce fut lorsque Marvin tapota l'épaule de Jared que je compris que nous n'étions plus seuls.
Je reculai instantanément, détachant mes lèvres de celles de Jared : et pourtant, je ne descendis pas de ses genoux, soudainement paralysée.
-T'as pas vu Teddy ?
J'entendis très clairement sa question, et je fus surprise par le fait qu'il ne semblait pas gêné le moins du monde de nous voir dans cette position. Jared lui fit signe que non, et Marvin s'éloigna tout en sirotant son verre, avant de sortir de la pièce. Il ne m'avait pas jeté un seul un regard : et ce fut à ce moment là que je compris.
Ce n'était sûrement pas la première fois que Jared se comportait de cette façon avec une fille, et je comprenais la réaction de ses amis qui m'avaient presque tous ignorée : pour eux, je n'étais qu'une de plus sur son tableau de chasse.
Je repensai alors à cette bimbo, qui dansait tout à l'heure dans le salon. Je m'étais moquée d'elle, pensant naturellement qu'il s'agissait d'une allumeuse. A cet instant, est-ce que je valais mieux qu'elle ? Je me trouvais à califourchon sur un acteur que je connaissais à peine, complètement ivre, me donnant en spectacle devant tous ses amis.
Lorsque Jared essaya de m'embrasser à nouveau, j'eus un véritable mouvement de recul ; je le toisai, prenant soudainement conscience de la situation.
-Un problème ?
Il me regardait, apparemment stupéfait que j'aie pu interrompre ce que nous avions commencé.
-Je ... Je ne me sens pas très bien. Je crois que c'est l'alcool ...
Sans un mot de plus, je me levai. Une fois debout, la pièce vacilla tellement que je dus fermer les yeux quelques instants pour atténuer cette impression de vertige. J'entendais vaguement la voix de Jared, mais j'étais incapable de comprendre ce qu'il me disait.
En titubant, je sortis beaucoup plus rapidement que je ne l'aurais cru de ce salon privé, à la recherche de toilettes. Il fallait que je me rafraîchisse, aussi bien le visage que les idées. Tout en balbutiant, je réussis à demander où elles se trouvaient à un des agents de sécurité, et lorsque je fus à l'intérieur, je me ruai vers le lavabo. Je me mouillai le visage à l'eau froide avant d'observer mon reflet, et j'eus un choc : j'étais incapable de me reconnaître.
Mes cheveux blonds étaient ébouriffés et des ondulations dues à la chaleur et à la transpiration s'étaient formées sur mes épaules. Le noir que j'avais mis autour des yeux avait coulé et ma peau était si blanche que je ressemblais à une espèce de cadavre ambulant. Ma robe, quant à elle, était mal agencée et on voyait le haut de mes cuisses.
J'essayai de m'arranger un peu, préférant me concentrer sur cette tâche plutôt que de penser à la façon dont j'allais agir en sortant. Je n'en avais aucune idée, l'alcool m'empêchant de réfléchir comme j'aurais pourtant dû le faire.
Quand un groupe de filles rentra, je me dirigeai vers une des cabines et m'enfermai. Je m'assis par terre, essayant du mieux que je pouvais de rassembler mes idées. Comme je n'y arrivais pas, je restai ainsi un long moment, ignorant les voix et les coups que j'entendais de l'autre côté de la porte.
Au moment où je sortis enfin, les filles discutaient vivement avec un agent de sécurité, mais je me précipitai vers la sortie avant d'entendre leurs remarques.
Alors que j'empruntais le fameux couloir du coin VIP, je sentis deux mains fermes m'attraper par les épaules. Je me retournai pour apercevoir Jared, qui semblait sur les nerfs :
-T'étais où, bordel ?
-Aux toilettes ... lui répondis-je, d'une voix toujours aussi pâteuse.
Il me dévisagea quelques instants, les sourcils froncés. Il me tenait toujours par les épaules, et malgré l'obscurité, je me perdis une nouvelle dans son regard.
Lui aussi était bien éméché, ses yeux étaient rouges et son teint également blafard.
Au bout d'un moment, il sembla se détendre, comme si son agacement était progressivement remplacé par de l'amusement :
-T'as gerbé ?
-Non, j'avais juste besoin d'un peu d'eau, répliquai-je, tout en me rendant compte que mon état s'améliorait légèrement, et que je n'étais pas si mal à l'aise que j'aurais pu le penser après ce qu'il s'était passé entre nous.
-Même bourrée, tu restes incroyablement sexy, Charlie.
Il avait parlé d'une voix grave, et lorsqu'il se pencha vers moi, prêt à m'embrasser, je reculai de quelques pas :
-Je vais rentrer.
Il sembla stupéfait :
-Pourquoi ?
Je pris une grande inspiration, prête à lui dévoiler ce que j'avais maintenant en tête, et ce qui était la meilleure chose à faire :
-Parce que je suis fatiguée, alcoolisée ... Et si je reste ici avec toi, je vais finir par faire quelque chose que je pourrais regretter ...
Je me félicitai d'être toujours aussi honnête avec lui, et surtout de pouvoir parler à peu près normalement, bien que je n'étais absolument pas dans mon état habituel.
-Et qu'est-ce que tu pourrais regretter, au juste ?
Je compris instantanément que mes propos ne lui avaient pas plu : il s'agissait peut-être de son visage qui s'était refermé, de ses yeux, plus sombres, plus intimidants.
-Tu sais très bien où je veux en venir, tentai-je de m'expliquer.
-Pas du tout
Il croisa les bras sur son torse, me toisant d'un air mauvais :
-Toi, moi ... Je crois que tu es en couple, et je ne suis pas le genre de fille à sauter sur le premier inconnu qu'elle croise !
Ma remarque le déstabilisa sans aucun doute puisqu'il écarquilla les yeux :
-Mais je ne suis pas un inconnu.
Je le regardai fixement pour essayer de déceler une trace d'humour sur son visage, mais il avait une expression arrogante que je n'appréciais pas vraiment. Et après quelques secondes, je laissais échapper un soupir, comprenant qu'il ne plaisantait pas.
Évidement, c'était un acteur adulé, il avait l'habitude que les filles tombent à ses pieds uniquement parce qu'il était célèbre, et le qualifier « d'inconnu » était quelque chose dont il ne devait pas avoir l'habitude.
-Peut-être que je connais ton nom, et que j'ai déjà vu certains de tes films, mais ce n'est pas pour autant que je te connais .
J'essayai de lui expliquer au mieux ce que j'entendais par là.
-Si je suis un inconnu pour toi, pourquoi m'as-tu suivi ? Pourquoi es-tu venue jusqu'ici avec moi ?
Il me détaillait d'une façon méprisante et je compris avec amertume que notre complicité de ce soir venait de voler en éclats.
-Je t'ai suivi parce que j'avais envie de passer du temps avec toi.
Puisqu'il continuait de m'observer sans rien dire, maintenant froid et distant, je repris :
-J'ai beaucoup apprécié notre tête à tête au gala, et je voulais prolonger ce moment, et peut-être, justement, apprendre à te connaître ! Mêmes si je suis très attirée par toi, je ne suis pas venue uniquement pour qu'on couche ensemble ...
Je n'arrivais pas à croire que je lui disais tout cela, mais l'alcool me donnait du courage.
-C'est en partie ma faute, je suis désolée ... repris-je, ne pouvant plus m'arrêter. Je n'aurai pas dû me comporter de cette façon, c'est même moi qui t'ai embrassé la première...
-Mais qu'est-ce que tu crois ? Me coupa-t-il brusquement.
Il s'était soudainement avancé vers moi, et son visage n'était qu'à quelques centimètres du mien :
-Des filles comme toi, j'en ai à la pelle, et sûrement des biens meilleures coups. Donc pas la peine de t'excuser.
Je ne savais pas vraiment si c'était ses propos méprisants ou son regard dédaigneux qui m'anéantit le plus ; je devais avoir touché sa fierté, mais ce n'était en aucun cas une raison pour me parler de cette façon.
-Je n'ai pas envie de me disputer avec toi, surtout après la soirée qu'on a passé ... Mais je refuse que tu dises ce genre de choses !
-Alors, si tu ne veux plus m'entendre, tu ferais mieux de rentrer.
Il avait parlé d'un ton cassant, et j'eus soudain la sensation d'avoir reçu un sceau d'eau glacé sur moi :
-Jared, pourquoi est-ce que ...
-Barre-toi, Charlie.
Il me regarda quelques instants, d'un regard froid et dur, puis se retourna brusquement et s'éloigna dans le couloir plongé dans l'obscurité, où la musique me devenait de plus en plus insupportable.
La colère que j'éprouvais et l'humiliation que je venais de vivre me décidèrent à quitter ce satané club : sans plus attendre, je me dirigeai vers la sortie.
***
Lorsque je montai dans le taxi que j'avais appelé, je murmurai l'adresse avant de m'installer. Machinalement, je touchai mon poignet ... et m'aperçus avec effroi qu'il avait gardé mon bracelet.
-Est-ce que vous pouvez attendre ici deux minutes ?
Le chauffeur acquiesça et je sortis précipitamment du véhicule pour revenir à l'intérieur. Je n'avais aucun envie de le voir ou de lui parler à nouveau ce soir, mais je ne pouvais pas lui laisser mon bracelet. Ce n'était pas envisageable.
Lorsque j'aperçus les videurs, j'eus soudainement peur qu'ils ne me reconnaissent pas, mais ce ne fut pas le cas ; et je me retrouvai, plus vite que je ne l'aurais cru, devant le salon privé. En espérant qu'il soit bien là, j'ouvris rapidement les rideaux.
Je mis quelques instants à comprendre ce qui se déroulait sous mes yeux. Marvin était en pleine discussion avec une fille qui le dévorait des yeux, mais en vérité ce ne fut pas cela qui attira mon attention : la fille à la robe argentée, celle qui nous avait fait part de ses talents de danseuses un peu plus tôt, était allongée sur Jared, l'embrassant à pleine bouche.
Je songeais un instant à les interrompre pour récupérer mon bracelet, mais je ne me sentais pas en état pour cela. Les vertiges revenaient, et avant de véritablement défaillir, je tournai les talons.
Lorsque je fus à nouveau dans le taxi, et que le club était dorénavant loin derrière nous, je ne pus m'empêcher de repenser au déroulement des événements : je n'aurais jamais cru vivre tout cela, ce soir.
Tout en tripotant mon poignée qui était dorénavant vide, je dus faire un effort considérable pour ne pas laisser couler quelques larmes. Et d'habitude, je ne pleurais jamais ...