J'étais dans l'incapacité de savoir dans quel quartier de la ville nous étions. Il faisait nuit, et je n'avais rien pu percevoir depuis la limousine. Un vent froid me fit frissonner, et je dus ramener mes bras contre ma poitrine pour me réchauffer, tandis que je suivais Jared à travers un petit parking, surveillé par plusieurs agents de sécurité.
En chemin, j'avais appris que le club où nous allions était surtout fréquenté par des grosses fortunes de la ville, et qu'ils avaient l'habitude d'accueillir des célébrités ; ce qui expliquait que le parking soit si bien gardé.
Nous marchions en silence, aucun de nous deux ne prononçant le moindre mot. Lorsque nous arrivâmes devant les deux videurs postés devant la porte, d'où retentissait une musique sourde, ils se décalèrent rapidement, non sans jeter un regard insistant à Jared.
La musique était tellement forte qu'il semblait impossible de s'entendre. Le club était plein à craquer, et je pouvais apercevoir, un peu plus loin, la piste de danse où un nombre impressionnant de personnes se déhanchait au rythme de la musique. Le lieu était obscure et des lumières colorées balayaient régulièrement la salle.
Alors que je regardai avec attention l'endroit où je n'aurais jamais cru me retrouver ce soir, Jared m'attrapa le bras et se pencha vers moi pour presque crier à mon oreille :
-Nous, c'est de ce côté.
Il me montra d'un signe de tête un couloir, où des videurs étaient également postés.
Malgré le bruit et la foule, je pouvais très clairement sentir sa présence à mes côtés, et je fus comme paralysée lorsque je pris conscience qu'il ne lâchait plus mon avant-bras. Il marchait à grandes enjambées vers le lieu qu'il venait de me montrer, et je n'avais d'autre choix que d'accélérer l'allure pour pouvoir le suivre, puisqu'il me tirait littéralement.
En chemin, une espèce de bimbo aux cheveux décolorés lui fit un grand sourire, mais il l'ignora totalement : nous venions de pénétrer dans un endroit encore plus sombre, où je pouvais apercevoir de nombreuses salles privées camouflées par d'épais rideaux rouges. Encore une fois, les videurs nous laissèrent passer sans discuter, et je compris qu'il devait s'agir du coin VIP.
Alors que nous continuons de marcher, je vis surgir un homme aux cheveux poivre et sel, d'une cinquantaine d'années. Sans savoir réellement pourquoi, je sus tout de suite qu'il s'agissait du patron de ce club ; peut-être parce qu'il déambulait en souriant, l'air confiant, suivi de jeunes femmes légèrement dénudées qui semblaient être des serveuses.
Quand il nous aperçut, il s'avança vers nous les bras grands ouverts, un air un peu trop chaleureux sur le visage. Il murmura quelque chose à l'oreille de Jared qui acquiesça, puis il nous montra un des salons privés.
Lorsque nous pénétrâmes à l'intérieur, je ne pus m'empêcher de sourire : ces gens ressentaient le besoin de se trouver dans ce genre de salle pour montrer leur supériorité, mais en réalité, ils étaient confinés dans un espace réduit alors que la plupart des gens s'amusaient sur une vaste piste.
Une banquette en U, recouverte d'une espèce de velours rouge, entourait une grande table où trônaient de nombreuses bouteilles de champagne. Il y avait plusieurs personnes assises, et je me demandai immédiatement s'il s'agissait des amis proches de Jared.
A notre arrivée, ils levèrent tous la tête : il lâcha alors mon bras pour s'avancer vers ces personnes, serrant quelques poignées de mains, les saluant brièvement.
Il y avait trois hommes, qui devaient avoir notre âge, et qui étaient habillés d'une façon décontractée ; la fille, quant à elle, portait une robe argentée, si étroite et si entrouverte que je dus me retenir de rire en pensant qu'il s'agissait d'une des «pouffiasses de son entourage ». Ses longs cheveux auburn tombaient jusqu'à sa poitrine.
Je ne savais pas exactement quoi faire, je voulais les saluer mais ils ne faisaient plus attention à moi, ils n'avaient d'yeux que pour Jared ; j'eus soudain l'impression d'être totalement transparente.
Je fis un signe discret de la main que personne ne remarqua et je m'assis sur la banquette, à côté d'un métisse musclé qui ne me semblait pas inconnu.
Celui-ci s'aperçut enfin de ma présence et me sourit en me tendant la main :
-Comment ça va ? Tu t'appelles comment ?
Bien que la musique soit moins forte ici, il fallait tout de même qu'il se penche vers moi pour que je puisse l'entendre. Plus je le regardai et plus je me disais que je l'avais déjà vu quelque part.
-Je suis Charlie, et toi ?
Il sembla étonné de ma question, mais me répondit en riant :
-Marvin Williams.
Comment avais-je fait pour ne pas me rendre compte que c'était lui ? Je me sentis soudain extrêmement gênée.
-Je suis désolée, je ne t'avais pas reconnu.
Il était un peu moins célèbre que Jared, mais j'avais vu quelques films où il jouait. Mon préféré était sans conteste celui où il interprétait le rôle d'un jeune escroc qui tombait amoureux de la fille de celui qu'il comptait justement arnaquer. C'était sûrement l'alcool, mais je ne me rappelais plus du titre.
-C'est pas grave, me répondit-il, toujours en rigolant. ça fait du bien d'être incognito des fois.
Il me parut tout de suite sympathique, et je lui souris en retour.
Je ne m'étais pas rendue compte que Jared venait de s'approcher, et brusquement, il s'installa entre nous, ce qui nous obligeâmes à nous décaler. Ma cuisse, pendant quelques instants, avait touché la sienne, et un frisson me parcourait encore le corps.
Il se pencha alors vers moi :
-Tu ne devrais pas lui parler, c'est un con.
A son sourire, je vis qu'il ne le pensait pas réellement, et qu'il devait s'agir d'un ami à lui. Il s'installa plus confortablement, et sans véritablement le vouloir, je m'appuyai légèrement contre lui.
La sensation ressentie me stupéfia, et je pris soudainement peur en songeant à la manière dont pouvait se terminer cette soirée.
Je détachai mon regard de Jared et je me mis à observer autour de moi, regardant en détails ceux qui devaient constituer une partie de son entourage. Marvin et les deux autres hommes à ses côtés m'avaient l'air tout à fait fréquentables, mais je ne pus m'empêcher de me demander qui était la fille à la robe provocante.
Au moment où je m'interrogeais à ce sujet, elle se leva brusquement, une coupe de champagne à la main, et commença à danser, alors que je la fixais, ébahie. Pas le moins gênée du monde, elle se déhanchait de façon vulgaire au rythme de la musique, tout en regardant son propre décolleté.
-On devrait la mettre en couverture, lançai-je à Jared.
-En couverture de quoi ? Me répondit-il, ne comprenant pas où je voulais en venir.
-De notre livre sur les pouffiasses.
Je laissai échapper un ricanement qui se transforma en rire incontrôlable lorsqu'elle trébucha à cause de ses talons hauts perchés, manquant au passage de s'écrouler.
Jared me regardait attentivement pendant que je rigolais à gorge déployée. Heureusement, grâce au bruit ambiant, les autres n'avaient rien remarqué.
-Tu sais que c'est une très bonne amie à moi ?
La remarque de Jared me stoppa instantanément, et je me sentis soudain très mal à l'aise : je venais de me moquer d'elle ouvertement.
-Je suis désolée Jared, c'était vraiment pas sympa de ma part.
Ses grands yeux verts se plissèrent avant qu'il n'échappe à son tour un grand éclat de rire :
-Je rigole, je ne sais pas du tout qui c'est. T'aurais vu ta tête !
Je le fusillai du regard et lui donnai une légère tape sur l'épaule, ce qui le fit ricaner davantage. Au passage, je remarquai que ses muscles étaient particulièrement fermes, et j'essayai de masquer le trouble que j'avais ressenti soudainement en le touchant.
Au bout d'un moment, il se pencha vers la table, prit une bouteille de whisky, deux verres, et se tourna vers moi en me scrutant avec attention, un léger sourire sur les lèvres :
-Autant continuer la soirée comme on l'a commencé, non ?
***
La pièce tournait tellement que je me sentis obligée d'attraper le rebord de la banquette avec mes deux mains, ce qui était complètement ridicule. J'étais littéralement affalée, et j'essayais de me concentrer pour ne pas avoir la nausée, ce qui était plutôt difficile. Jared était toujours à mes côtés, et m'observait depuis un bon moment :
-Tu es tellement blanche, Charlie.
Je levai les yeux vers lui et je crus défaillir lorsque je me rendis compte que même dans cet état, je le trouvais toujours incroyablement beau, et que l'entendre prononcer mon prénom suffisait amplement à me faire perdre la tête.
-Et à qui la faute ? Lui répondis-je, avec une voix affreusement pâteuse.
-Tu n'as pas l'air d'être le genre de fille qui se laisse influencer par qui que ce soit, ton état, tu ne le dois qu'à toi-même.
Il avait parfaitement raison, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi. Mais étrangement, malgré mon état, je ne me reprochais rien du tout. L'avantage avec l'alcool, c'était qu'il anéantissait toute réflexion, toute remise en question. J'étais dans ce club, aux côtés de Jared, et le reste n'avait plus d'importance.
Je compris d'ailleurs que mon cerveau venait de se mettre sur « off » lorsque je me penchai légèrement vers lui pour poser ma tête contre son épaule. Je ne savais pas pourquoi je faisais cela : il s'agissait peut-être d'une manière de ne pas m'écrouler complètement sur la banquette, ou simplement de mon inconscient qui souhaitait l'avoir au plus près de moi. C'était insensé, je devenais insensée, mais plus rien ne comptait.
Je crus le sentir frémir légèrement, mais il ne dit rien, et se contenta de poser sa main sur ma cuisse nue.
Je n'aurais jamais cru ressentir ce genre de choses un jour : ce contact me foudroya sur place, et mon cœur s'accéléra à un rythme incontrôlable. Lorsque il commença à déplacer ses doigts sur le haut de ma jambe, caressant mon épiderme qui se réveillait avec violence, je me sentis perdre pied.
Ma tête toujours appuyée contre son épaule, je demeurais incapable de le regarder. Tout mon corps était en ébullition, et je me concentrai sur ma respiration pour essayer au mieux de cacher mon excitation. Puisqu'il s'agissait de cela. J'avais envie de lui comme je n'avais jamais eu envie de personne.
Je regardai rapidement autour de nous, il ne restait que Marvin et un autre individu dans le salon privé, nous tournant tous deux le dos dans l'obscurité. Je ne savais pas si c'était réellement le cas, mais il me semblait que ses doigts remontaient de plus en plus. Lorsqu'elle passa sous ma robe, et que ses doigts effleurèrent le tissu de ma lingerie, je compris que ce n'était pas mon imagination.
Avant qu'il ne soit trop tard, je lui attrapai vivement la main et la reposai sur la banquette, à côté de moi. Au même moment, Marvin et son ami se levèrent, et après nous avoir jeté un bref coup d'œil, sortirent du salon.
Ils ne pouvaient pas choisir un plus mauvais moment pour nous laisser seuls, et je les maudis intérieurement.
Je n'osai pas relever la tête pour regarder Jared, car j'étais toujours aussi troublée. J'avais envie de lui, ce qui était apparemment réciproque, j'étais dangereusement alcoolisée et clairement incapable de lui résister. Tout ceci formait une espèce de cocktail explosif qu'il valait mieux que je n'active pas.
-Charlie ?
Je perçus clairement la voix de Jared à mon oreille, mais je refusais de bouger ou de lui répondre.
-Hé, tu m'entends ?
Je devais avoir l'air complètement idiote, affalée sur la banquette, la tête toujours sur son épaule, faisant semblant de ne pas l'entendre. Et sans aucun doute, mon comportement l'irritait puisqu'il se redressa brusquement afin de pouvoir m'observer.
Malgré moi, je levai les yeux vers lui pour croiser son regard.
Il leva sa main, la posa sur ma joue et se mit à effleurer du pouce mes lèvres qui frémirent sous cette caresse. Et à cet instant, je pris conscience que je n'étais pas dans la capacité de lui résister.
Reniant tous mes principes, je l'attrapai par le cou, afin d'anéantir toute distance entre nous, et écrasai ma bouche contre la sienne.