Queen Bee

By AlexiaGaia2

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Depuis quelques mois, Henri n'est plus que l'ombre de lui-même. Gendarme, il assure sans entrain ses gardes d... More

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By AlexiaGaia2

Je scrute le ticket en me mordant les lèvres. Je ne suis même pas sûr d'avoir cette somme actuellement.

— Comment ça, 287 € ?

— De Paris à ici, ça fait 287 €. Et encore, je n'ai mis le compteur en route qu'en sortant de la capitale parce qu'elle m'a fait de la peine à pleurer toutes les larmes de son corps pour la mort de son père. Si j'avais su !

La mort de son père... Monsieur Mancini est effectivement décédé. Son enterrement a eu lieu il y a quelques jours. Alors c'est bien elle... Je tente d'imaginer une explication plausible à cette situation, sans succès.

— Très bien. Attendez un instant.

Je rejoins mon casier, que je trouve grand ouvert, tout comme mon paquet de gâteaux. Éric va m'entendre ! J'attrape mon portefeuille et reviens sur mes pas.

Plus léger de 287 foutus euros alors que je n'ai jamais pris un taxi de ma vie, je conseille à la conductrice d'être prudente pour son retour. La porte se referme sur elle et le calme s'installe à nouveau autour de moi. Je sens Éric se matérialiser à mes côtés. Lorsque je le dévisage, il est plus pâle qu'à l'accoutumée.

— Si ça se trouve, elle n'avait pas sa licence, cette bonne femme, et tu viens de te faire enfler de quasi trois cents balles.

— Quel escroc se pointerait de lui-même dans une gendarmerie ? Mais y a tout de même un truc louche...

Je tends la carte bleue de la fugitive à mon collègue.

— Carrément louche, même. Cette fille est morte. Elle ne peut pas arnaquer qui que ce soit !

— Et si... Si elle n'était jamais décédée, en réalité ?

— Mon pote, on est allé à son enterrement. On a vu son cercueil. Elle est morte, point. Pour que les gendarmes de l'époque déclarent son décès, c'est qu'ils avaient des preuves solides. Ça doit être une sale blague de celle qui s'est tirée du taxi, soutient-il obstinément.

Mais qui irait faire ce genre de vanne pourrie ?

— Range ce truc dans le rapport et oublie cette histoire. T'auras perdu une belle petite somme, mais tu t'éviteras des emmerdes. Les affaires de revenants en pleine nuit, c'est pas un délire pour moi !

Je le fixe du regard deux secondes, perplexe.

— On va quand même aller faire un tour dehors, parce que si le taxi disait vrai, il y a une jeune femme saoule qui traîne dans les rues.

Éric prend une profonde bouffée d'air et finit par reculer d'un pas. Le règlement nous oblige à toujours sortir en binôme, mais ça semble mal engagé, encore une fois.

— Tu ne viens pas ?

— Non, la chasse au fantôme, c'est pas pour moi !

En deux temps, trois mouvements, j'ai enfilé mon manteau et je quitte la gendarmerie avec une lampe torche. Le silence de la nuit enveloppe tout le village. Seuls les lampadaires municipaux, qui font la fierté du maire, éclairent les trottoirs déserts. Je marche sans me presser, prendre l'air me fait du bien.

Devant chez les Morins, je croise un chat qui miaule. Je lui ouvre le portail et referme quand il est entré. Tu ne pourrais pas sauter pour escalader le mur comme tes copains ? Feignasse !

Je passe ensuite devant le cimetière. Rien à signaler ici non plus !

Après une petite vingtaine de minutes, j'ai fait un tour succin du village. Je n'ai croisé ni humain ni fantôme. Je rentre avec des questions plein la tête. À l'époque, après des semaines de recherche, Joanna Mancini a été déclarée morte. Ce qui n'était de toute évidence pas le cas. J'étais loin d'être gendarme à ce moment-là, et on n'a rien vu dans les journaux. Je ne comprends pas pourquoi personne n'a cherché à en savoir plus. Le cercueil a logiquement dû être enterré vide. Qui était au courant ? Les forces de l'ordre ? Son père ? Et puisque Joana était bien vivante pourquoi n'a-t-elle pas réapparu ? Comment a-t-elle pu vivre sans qu'on la repère jusqu'ici ? Je suis pourtant certain que la peine de son père était réelle lors des funérailles. Il a été triste tout le reste de sa vie après ça.

De retour au bercail, j'annonce à Éric qu'il n'y a pas de fantôme dans le village. Il passe la main dans ses cheveux de soulagement.

— Tant mieux. Non, parce que moi je sais élever des dinosaures de combat, mais pas attraper les fantômes !

— Et c'est tout à ton honneur, mon pote. Il me faut un café. Et toi, tu iras faire un tour tout à l'heure quand même !

Un long moment plus tard, ma tasse est vide. Je vais me resservir. J'ai du mal à garder les yeux ouverts, cette nuit. Éric se lève et me lance un regard étrange. Je le fixe une longue seconde.

— Je vais faire ma ronde...

— Hum... OK.

Il s'habille, fait quelques pas vers la sortie, puis s'immobilise.

— Si je ne reviens pas, dis à mes parents que je les aimais.

— OK, ce sera fait.

Il avance à nouveau, mais s'arrête et fait demi-tour.

— Je prends ma lampe torche, c'est une nuit sans lune.

— Ça marche.

— Et ma clope électronique qui fait aussi taser.

— Hein, hein.

J'arrive dans la petite cuisine. J'ai le sentiment de passer mes heures de boulot à faire ça : remplir ma tasse, la vider, la rincer, la remplir et recommencer. Je sors le filtre de la machine à café et le jette à la poubelle, avant de m'occuper du réservoir.

— Bon. J'y vais, annonce Éric.

— OK. Bonne ronde.

Du coin de l'œil, je le sens immobile. Je remets un filtre neuf et attrape la boîte de café moulu. Mon collègue n'a pas bougé d'un pouce.

— Éric, casse-toi.

— Et si y'avait un fantôme ? Je fais comment ?

— Je sais pas, prends l'aspirateur avec toi ?

— Le câble ne sera jamais assez long !

— Mec, les fantômes ça n'existe pas. OK ? Alors va patrouiller, qu'on en finisse !

Il tourne les talons, visiblement contrarié.

— Et emporte ton talkie. Si tu as trop peur, je viendrai te chercher, Princesse !

— M'appelle pas comme ça !

— C'est ton nom de famille, j'y peux rien.

Il attrape un des talkies et disparaît enfin de mon champ de vision. J'entends la porte et la grille s'ouvrirent et se refermer. S'il trouve vraiment le fantôme de cette nana, je lui file cent balles !

Quand mon nouveau café est prêt, je me sers et retourne à mon livre. Un gendarme qui lit des policiers, c'est un peu con, non ? Les pages défilent sans que mon cerveau capte grand-chose. Alors que je porte ma tasse à ma bouche, un grésillement suivi d'un son sinistre me fait tressaillir. Le liquide encore bien chaud qu'elle contenait se déverse sur mon polo en me brûlant la peau au travers du tissu. Mon livre s'étale par terre tandis que je déboutonne mon col précipitamment pour pouvoir retirer mon vêtement. Un gémissement torturé retentit de nouveau, accompagné de crépitements désagréables. Il me faut quelques secondes pour comprendre qu'Éric essaie de me joindre depuis son talkie. Ah ! Oui, tiens, il n'est pas rentré !

Je file vers le comptoir de l'accueil, attrape l'appareil et quitte la pièce pour me diriger aux toilettes, tenter de limiter les dégâts.

— Ici Minot, tu me reçois ?

Je distingue difficilement comme une forte respiration. Mais qu'est-ce qu'il fout ?

— Éric ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Elle... Elle... est so... sortie de sa tombe !

Quoi ? Je m'immobilise à la porte des cabinets, la tête penchée sur le côté comme pour mieux capter, mais il ne dit plus rien.

— Mec, de quoi tu parles ?

La connexion reprend, j'entends qu'il est essoufflé en plus de gémir, comme s'il pleurait. Mais qu'est-ce que c'est ce délire ?

— Elle... pleine de terre ! Morte vivante !

— Euuuuuh, coupe une voix de femme me glaçant le sang.

Même si ça me fait chier de l'admettre, elle semble venue d'outre-tombe. Éric se met brusquement à hurler dans une tessiture particulièrement aiguë. S'en suivent des sons incompréhensibles, comme s'il tombait ou qu'il avait lancé le talkie. J'essaie de rester lucide, mais son hurlement a fait se dresser mes cheveux dans ma nuque.

— Au secours, mec ! s'égosille-t-il, paniqué.

— J'arrive ! t'es où ? m'affolé-je soudain.

Aucune réponse ne me parvient. Je tente de retirer mon polo, mais il résiste, alors j'abandonne. Tant pis, je me changerais quand je l'aurai trouvé.

— Éric ! Où est-ce que tu es ?

Silence radio.

J'attrape mon manteau, fourre le talkie à l'emplacement prévu à cet effet et me précipite dehors. La porte vole sous l'élan que je lui donne, la grille juste après en fait de même. Je cours puis m'immobilise quelques secondes pour écouter. Silence total dans le village. Merde... Soudain, je distingue une silhouette qui déambule au loin dans la rue principale, vers le cimetière. Je reconnais mon collègue et me précipite à ses côtés.

— J'y retournerai jamais, s'exclame-t-il en s'agrippant à mon manteau.

— Où ça ? Au cimetière ?

— Oui ! Elle... elle est sortie de sa tombe, putain ! Je l'ai vue. Une saloperie de zombie !

Il est en sueur et a le souffle si court qu'il a du mal à parler. Mais qu'est-ce qu'il a aperçu au juste ?

Un beuglement sonore résonne brusquement non loin de nous. Je n'ai jamais entendu un animal pousser un cri pareil. Mais qu'est-ce qui se passe ici ?

— Elle arrive ! Elle va nous bouffer le... le cerveau !

Éric détale vers le poste. Un autre hurlement retentit. Je serre les dents. Henri, tu es un gendarme, tu n'as peur de rien ! Je décide de me diriger vers le cimetière pour éclaircir cette affaire. Les zombies, les fantômes, les vampires, les loups-garous, je n'y crois pas.

Les grilles sont grandes ouvertes. Éric a dû aller vérifier que personne n'y traînait. Les lieux sont normalement fermés par une chaîne et un cadenas mais celui-ci est cassé depuis des années. Il est juste là pour décorer. Le lampadaire à côté de l'entrée éclaire quelques mètres d'une allée gravillonnée mais pas plus loin. Le paysage disparaît ensuite dans l'obscurité.

Je lance un regard autour de moi. Personne. Par contre, je suis interpellé par une bouteille d'alcool, posée dans l'herbe. En m'approchant, je remarque un sac à main suspendu à une branche. Je décide de le récupérer. Je vérifierai ce qu'il y a dedans à la gendarmerie. Dans la foulée, je distingue une chaussure coincée dans un arbuste. Je la saisis et la fourre dans le sac bien assez grand pour l'accueillir. On dirait que je suis sur la bonne piste...

Je vais faire un tour dans le cimetière pour m'assurer que personne ne s'y cache. Je progresse lentement, à l'affut. Si je voulais être discret, ça serait raté parce que chacun de mes pas dans les graviers fait du bruit. Quand je ne vois plus rien autour de moi, je tire ma petite lampe torche de ma poche. Il n'y a pas plus glauque comme balade nocturne...

Un son me fait sursauter. Comme un frottement, tout près de mon oreille. Pourtant le faisceau lumineux de ma lampe n'éclaire que des tombes. Je suis seul. Je reprends mon souffle et recule doucement. Il n'y a rien, mec... C'est qu'un cimetière, OK ? C'est dans ta putain de tête.

— Éric ? C'est toi ? envoyé-je tout haut.

J'espère que ce con n'est pas en train de me faire une vanne, parce qu'il va me le payer cher ! Un nouveau frottement dans mon dos m'incite à me retourner. Toujours rien.

J'attends quelques secondes, attentif, mais il n'y a pas un bruit autour de moi. OK, il n'y a personne ici à part quelques animaux qui doivent bien se foutre de moi ! Par acquit de conscience, je continue tout de même jusqu'au bout de l'allée. Alors que j'effectue un quart de tour, je percute brusquement quelque chose d'informe. Nom de dieu !

Qu'est-ce que c'est ? En voulant reculer le plus vite possible, je perds l'équilibre. Un hurlement inhumain retentit. Mon cœur cogne dans ma poitrine si fort que j'en crie de stupeur. Ma torche vole et, quand je rouvre les yeux, j'ai le cul par terre.

— Qu'elle oùé cette jeudi de trombone ? Monsieur l'agent ? entends-je. Toubé mon phel ! t'cheule !

Je me redresse en vitesse, attrape ma lampe torche et éclaire devant moi. Le truc étrange dans lequel j'ai foncé n'est autre qu'une nana en robe à paillette avec je ne sais combien de feuilles coincées dans les cheveux. Et si je ne m'abuse, elle est bien vivante. Malgré la terre qui la recouvre en partie. Je reste à bonne distance, mais je pense que j'ai retrouvé la responsable du taxi basket de tout à l'heure.

— Ah lé où ? articule-t-elle.

— Comment ? dis-je.

— Roooh, des lutins... des mutins... des... roooh chiant là. La trombeuh, elle est où ? Paut une piccccccc tureuh. Breuve !

Je fronce les sourcils et éclaire son visage. Elle se protège comme un vampire au soleil. Stop ! Les vampires n'existent pas.

— Je ne comprends pas ce que vous dites.

— Béh retrouvé mon tétéphone d,l'herbe ! Bravo ! articule-t-elle encore.

Et elle me fixe du regard un instant sans bouger. Mais comment a-t-elle réussi à se mettre dans cet état-là ? De toute évidence, je dois la ramener au poste. La cellule de dégrisement va servir à quelqu'un d'autre qu'à Éric pour ses siestes. Cette nana n'est pas une morte vivante, elle est à deux doigts du coma éthylique !

— T'es venu me chercher ? articule-t-elle soudain plus calmement.

Euh...

— Oui ?


FIN DE L'EXTRAIT

Queen Bee disponible dans les librairie en grand format et en poche.

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