Queen Bee

By AlexiaGaia2

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Depuis quelques mois, Henri n'est plus que l'ombre de lui-même. Gendarme, il assure sans entrain ses gardes d... More

1 Joana
2 Joana
3 Joana
5 Henri

4 Henri

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By AlexiaGaia2


Bras tendus au-dessus de la tête, jambes croisées droit devant moi, le tout accompagné d'un bâillement qui me déboîte presque la mâchoire, je m'étire longuement sans quitter ma chaise, soulageant au passage quelques douleurs musculaires. Et dire que c'est moi qui aie demandé à avoir ce poste de nuit, mais qu'est-ce qui m'a pris ? J'ai bien une idée de ce qui m'a poussé à faire ce choix, mais je refuse d'y repenser.

Je me repositionne correctement, et pose mon livre sur le bureau devant moi. Alors que j'effectue un tour complet avec ma chaise, mon regard est attiré par la pendule fixée au- dessus de la porte. Il est bientôt 4 heures du matin et ma garde ne se termine que vers 8 heures, si tout va bien. L'attente va être longue... Être gendarme ici, c'est pire que la bonne planque. Il ne se passe rien, jamais. Ah ! Si. Il y a un an, la vieille Ballard qui vit en face du cimetière avec son frère Louis a perdu son chat. On l'a retrouvé à minuit dix, en train de déchiqueter la poubelle du maire.

Après le boulot, je dois filer au domaine de La Valette pour m'y farcir le discours annuel du préfet aux forces de l'ordre du département. Alors, si cette nuit il pouvait se passer un truc suffisamment grave pour que j'échappe à ça, je serais preneur ! Ce n'est pas tellement de voir mon supérieur hiérarchique le plus haut placé qui m'exaspère ni de l'entendre s'écouter parler pendant une heure, mais le fait qu'il me rappelle un moment de ma vie que je dois oublier. Je fronce les sourcils, inspire un grand coup et fais un nouveau tour sur ma chaise. J'étais loin de cette tranquillité assommante il y a six mois. Mon quotidien était cadré, rythmé. Je n'avais pas une minute à moi et mes angoisses dirigeaient tous mes actes.

La devise locale « Un gendarme n'a peur de rien, il ne fuit pas devant le danger ! », je ne m'y suis jamais identifié. Je n'ai pas peur de grand-chose sauf de moi-même. Alors, pour l'instant je me fuis, et j'y arrive plutôt bien.

— Je l'savais, tu flippes, hein ! entends-je brusquement.

Je fais un bond qui manque de me faire tomber, tandis qu'Éric, mon collègue, apparaît dans mon champ de vision, accompagné d'un bruit de chasse d'eau. Sa phrase ne m'est pas adressée. Le nez sur son portable, il sort des cabinets sans avoir reboutonné son pantalon. Je pivote pour ne pas voir ça.

— Garce... Tu dégaines un diplodocus ? Et bah moi, j'ai un T-rex de niveau 5 ! s'exclame-t-il en rejoignant sa chaise derrière le comptoir d'accueil désert.

— T'es encore sur ton jeu de combat de dinosaures ?

— Hmm... J'ai enfin un ennemi à ma hauteur. Mais elle élève que des brouteux, qu'est-ce qu'elle croit, la végane ?

— Des quoi ? demandé-je en tournant dans sa direction.

Aussi dingue que ça puisse paraître, mon besoin de distraction est si fort que cette conversation m'intéresse.

— Ben, des dinos qui bouffent que d... Quoi ? Attends, elle est sérieuse, là ? Une carte de PV ? Bouge pas !

Il approche le portable de son nez, ses deux pouces s'affolent sur l'écran. Les sourcils froncés et les lèvres pincées, il est hypnotisé par son combat virtuel. Dire qu'il a passé le cap des 35 balais et qu'il est gendarme, ça fait peur !

— Bordel, j'ai perdu... ajoute-t-il quelques secondes plus tard. J'ai perdu contre un herbivore !

Ah ! Les brouteux sont donc des herbivores... Le niveau de connerie de mon collègue m'étonnera toujours. Pour autant, j'aimerais être passionné par quelque chose, moi aussi. Même un jeu vidéo auquel je découvrirais un intérêt insoupçonné, je prends. Mon grand-père a raison, j'ai complètement arrêté de vivre.

— Et voilà, j'ai plus de batterie en plus ! s'exclame Éric avec humeur. T'as un chargeur ?

— Va fouiller dans mon casier, mais tu touches pas à mes gâteaux, OK ? préviens-je.

Il s'éloigne sans relever. De mon côté, je me reconcentre sur mon bouquin. Mes yeux distinguent les lignes, les phrases et les mots, mais mon cerveau n'arrive plus à analyser quoi que ce soit. Il me faut un café si je ne veux pas m'endormir ! Je m'extrais de ma chaise pour rejoindre une pièce au fond du poste. C'est une cuisine, pas très grande, mais avec l'essentiel. Même si le frigo est trop petit au goût d'Éric qui estime que trois packs de cannettes de soda devraient pouvoir y être stockés pour être serein.

Je lave ma tasse, en prenant soin d'éviter d'éclabousser ma tenue puis m'apprête à la remplir quand une sonnerie retentit. Mais qui sonne à cette heure-là ? Éric commence à paniquer. Je suis sûr que son fute n'est toujours pas attaché.

— C'est une inspection ! Je suis pas prêt !

Tu ne l'as jamais été, mon ami ! Lorsque j'arrive vers l'accueil, il tourne et vire en brassant de l'air.

— T'as checké le matos ? Et, attends, on a rempli le rapport, hier ? Et les extincteurs, ils ont été vérifiés ? Merde, j'ai une bière dans mon casier ! Je vais la boire comme ça pas de preuve ! s'affole-t-il, toujours pas correctement habillé. Ça sonne à nouveau. J'avance vers la porte en répondant à Éric.

— J'ai tout fait, calme-toi. Et non, surtout tu ne bois pas la bière, mec ! Tu vas la poser sur le bord extérieur de la fenêtre des chiottes et tu refermes. N'importe qui aura pu la foutre là. Et rhabille-toi, bon sang !

Si c'est une inspection, ma coupe de cheveux va me causer des problèmes... Mais tant pis, il est trop tard pour y faire quoi que ce soit. Je déverrouille la première porte du sas d'entrée avant d'activer la caméra de l'interphone. Une silhouette apparaît sur l'écran de ce dernier. Une femme, la quarantaine, patiente dans la nuit. Le village est assez petit pour que tout le monde se connaisse, et, cette femme, je ne l'ai jamais vue. J'actionne un autre bouton et je parle :

— Bonsoir, que se passe-t-il ?

— Je suis taxi, j'ai déposé une gamine juste à côté. Elle est partie en courant, sans payer !

Quoi ? Mais qui a eu besoin d'un taxi ici ? À cette heure, en plus.

— Ah ! Un taxi basket ? s'étonne Éric dans mon dos.

Attends, elle a dit une gamine ? Mais qui ? Du coin de l'œil, je devine qu'il arrête de mettre ses vêtements en ordre, presque déçu. Je m'éclaircis la voix et enchaîne :

— Entrez, madame, on va voir ce qu'on peut faire.

Je déverrouille la porte. Un court instant plus tard, la femme se trouve en face de nous, de l'autre côté du comptoir.

— Elle m'a laissé sa carte bleue, il y a son nom dessus, je souhaiterais donc porter plainte.

Je saisis la carte qu'elle me tend. Qui laisse ce genre de chose derrière lui pour faire un taxi basket ?

— Ah ? Vous savez, on va peut-être la retrouver avant de devoir porter plainte. Ici tout le monde se co...

Le nom que je découvre me coupe la parole. Je le relis pour être sûr, en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que...

— Un problème ? interroge la femme en face de moi.

— Hum... Non, non, du tout. C'est juste que...

Joana Mancini ? Mon regard dérive un quart de seconde sur le tableau des annonces qui est fixé au mur non loin de la porte d'entrée depuis des années. À côté de la photo du tracteur du vieux Guy, qu'on n'a jamais retrouvé, il y a celle d'une fille de 15 ans. Une fille qui a fugué un jour et qu'on a cherchée partout pendant des semaines... jusqu'à l'annonce de son décès. D'ailleurs, n'est-ce pas un peu glauque d'avoir gardé le portrait d'une morte affiché au poste ? J'imagine qu'il a été placardé là et que tout le monde l'a oublié.

J'accuse de longues secondes sans savoir comment finir ma phrase, mon regard passant du portrait à la carte que je tiens. C'est peut-être une jeune femme qui s'appelle comme elle. Ici dans ce même village ? Le hasard serait trop gros, Henri !

— Vous pouvez me dire à quoi elle ressemble ?

— Pas épaisse, brune, la peau métisse, et habillée comme si elle revenait de soirée. Ah ! Et elle était totalement saoule, elle a ronflé pendant tout le trajet.

— D'accord.

Ça correspond à la description de Joana Mancini, mais ça pourrait tout aussi bien être quelqu'un d'autre. Éric se pointe à côté de moi, vise la carte bleue à son tour avant de me l'arracher de la main.

— Oh ! Waouh... OK. Non, souffle-t-il en la reposant comme si elle lui brûlait les doigts.

La femme ouvre de grands yeux étonnés. Je me racle la gorge, mal à l'aise. Elle va nous prendre pour des fous. Éric tourne les talons en continuant de marmonner dans sa barbe. Il n'a pas changé... toujours aussi courageux !

— Bon, vous savez quoi, je vais régler la note pour elle, on ne va pas lancer une plainte pour ça. Ça vous convient si on s'arrange de cette façon ?

Éberluée, elle me dévisage un instant, puis acquiesce d'un signe de tête. Depuis quand les gendarmes règlent-ils les notes des fuyards ? Elle a de quoi être étonnée. Même moi, je le suis d'avoir proposé ça. Mais il est trop tard pour faire marche arrière. Et puis, ça nous évitera certainement un paquet d'emmerdes et une enquête insoluble.

— Ça me va ! Vous me devez donc...

Elle sort un papier que je devine être sa facture.

— 287 euros.

Quoi ? Éric, qui n'a rien manqué de la conversation, s'étouffe dans la pièce voisine. Mais comment on peut en avoir pour autant de taxi ? Elle sort d'où, cette nana ? J'avais un doute, mais il semblerait qu'elle revienne effectivement d'entre les morts !

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