Queen Bee

By AlexiaGaia2

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Depuis quelques mois, Henri n'est plus que l'ombre de lui-même. Gendarme, il assure sans entrain ses gardes d... More

1 Joana
2 Joana
4 Henri
5 Henri

3 Joana

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By AlexiaGaia2


Immobile devant les grilles d'un autre âge du cimetière, mes pieds refusent d'aller plus loin. J'ai pourtant renfilé mes chaussures, là n'est pas le problème. J'ai mal à la gorge et au cœur. Est-ce que ce dernier essaie de sortir de ma poitrine ? C'est sûr ! En même temps, qui voudrait affronter ça ? Je tangue légèrement, comme s'il y avait trop de vent. Je prends une grande bouffée d'air et me force à avancer, l'anse de mon sac dans une main et ma bouteille de tequila vide dans l'autre. Allez, ce sera bien la première fois que tu pourras parler à ton père sans qu'il te coupe la parole...

Mes talons hauts s'enfoncent dans les gravillons, je me tords les chevilles. Et l'alcool ne m'aide pas à conserver l'équilibre. D'ailleurs, je dois m'activer, parce que d'ici vingt minutes je ne serai plus en pleine possession de mes moyens. La tequila aura fini son œuvre majestueuse, et je serai bourrée pour de bon. 

Avant même de tenter d'abaisser la poignée, je remarque qu'une chaîne lie fermement les deux battants d'acier.

— Eh merde ! Je vais devoir escalader.

Sur ma droite, j'analyse la robustesse d'un arbuste. Ça devrait faire l'affaire ! Je pose ma bouteille dans la pelouse et accroche mon sac à une branche un peu plus loin. Il n'est pas question que ce truc hors de prix finisse dans l'herbe ! Je m'assure que personne ne me voit faire, mais il n'y a déjà pas un chat dans ce bled en plein jour, alors en pleine nuit... j'ai le champ libre. J'entreprends de grimper dans le feuillage en attrapant le haut du mur du bout des doigts. Je m'en sors plutôt bien, jusqu'à ce qu'une branche plie sous mon poids. J'arrive de justesse à hisser mon visage au-dessus de l'obstacle en vieilles pierres, mais une de mes chaussures reste coincée. Je mouline des pieds dans le vide puis, après un effort surhumain pour enjamber le mur, un déchirement sonore annonce la fin de vie de ma robe. Je me laisse lamentablement couler de l'autre côté.

C'est une stèle qui me réceptionne. Je pose un pied dessus, puis l'autre, et je m'accroupis en guettant autour de moi. Le sol n'est plus très loin. Je me penche un peu en arrière, et avant que j'aie le temps de comprendre ce qui se passe, tout mon corps bascule. La stèle est en train de chuter. N'ayant pas de prise pour me retenir, je saute dans l'herbe sans parvenir à garder mon équilibre et m'étale lamentablement. J'ai tout de même réussi l'exploit de conserver mon deuxième talon, mais un de mes faux ongles s'est fait la malle. Saloperie !

Après quelques secondes à reprendre mon souffle, je me redresse. La stèle est brisée en plusieurs gros morceaux et recouvre la pierre tombale qu'elle surplombait il y a un instant.

— Je suis vraiment désolée, monsieur... ou madame.

Je me ressaisis et avance sur une allée de graviers en boitant. Sous mes yeux défilent les silhouettes angoissantes de stèles et de pots de fleurs. Les inscriptions sur quelques marbres sont réfléchies par le vieux lampadaire merdique de l'entrée, mais les noms que je distingue me sont inconnus.

Un frisson me remonte brusquement dans le dos lorsque quelque chose bondit de derrière un caveau pour disparaître sur ma gauche. Je ne parviens pas à retenir un cri. Qu'est-ce que c'était ? Un zombie affamé ? Un feulement m'apporte une réponse. Les yeux d'un chat scintillent dans le noir.

— Oh ! La vache, il a failli me tuer de peur !

Je sors mon portable de sa cachette, soit le bonnet droit de mon soutien-gorge, et allume la lampe torche. Ce qui m'entoure apparaît si soudainement que je sursaute bêtement en poussant un petit cri. C'est un cimetière, Joana !

J'éclaire les stèles devant lesquelles je passe jusqu'à découvrir la sienne, tout au fond, près du vieux mur en pierre qui donne sur les champs. Tu dois être bien ici, papa... Ma gorge se noue, et je secoue la tête. Alors que je me penche pour toucher le prénom gravé dans le marbre, mon unique talon se plante dans la pelouse et m'entraîne vers l'avant. Un de mes coudes percute le sol, s'enfonce dans les graviers, et sans que je ne puisse rien faire, ma joue s'écrase tout près de la tombe de mon père. Je me mets à jurer. Ce n'est pas possible, ça fait déjà deux fois en quelques minutes que je me ramasse ! De l'herbe mouillée, de la boue et des cailloux se sont incrustés dans la peau de ma jambe droite. Alors que je me redresse, percluse de douleurs, un prénom me saute aux yeux.

— Hein ?

Sur une plaque en pierre perdue au milieu de la pelouse, comme si elle était là depuis longtemps et qu'elle s'enfonçait lentement, mon prénom me nargue. Je m'accroupis au- dessus et dégage la mousse qui la recouvre en partie.

« Joana Mancini. 1 er août 1997 – 2012 À ma fille tant aimée, nous ne t'oublierons jamais. »

Je cligne des paupières, les yeux rivés sur les mots qui me percutent avec une violence inouïe.

— Il n'a pas osé ? demandé-je à voix haute.

Pourquoi ma tombe est-elle à côté de celle de mon père ? Je suis pourtant bien vivante ! Je reste immobile, incapable de réagir et de trouver une explication logique à tout ça. Est-ce que c'est l'alcool qui me fait délirer ? Ça doit être ça. D'ailleurs, mes gestes sont brusquement moins précis. Mes idées aussi. Et si je creusais sous ma tombe pour découvrir si j'y suis ?

— Alors, papa, ça fait quoi de voir une morte... vivante ? Flippant, hein ! Je peux m'asseoir là ?

Je pose mes fesses sur ma tombe et me retrouve juste en face de mon cher paternel, prête pour la grande conversation.

— Après tout, y'a mon nom dessus, je peux donc même... pisser là, personne n'y trouvera d'inconvénient. Hein, qu'est-ce que tu dis ? Que je suis morte pour toi ? Ça, je sais déjà, papa, puisque c'est le dernier foutu truc que tu m'as dit en face !

J'attrape une motte de terre et la balance sur sa pierre tombale avec rage.

— Pardon, je me suis emportée. Je vais respirer un grand coup et tenter de me calmer. Je vais même respirer tout court, en fait. C'est ce que font les gens en vie.

Je laisse un silence s'installer.

— T'as pas changé, à c'que j'vois. Toujours aussi bavard qu'une pierre tombale...

Je sens monter un rire qui éclate entre mes lèvres.

— T'as saisi ? Une pierre tombale !

Évidemment, il ne me répond pas.

— Allez, marre-toi un peu, papa ! T'as jamais eu d'humour ! Pour te bidonner comme un goret quand je comprenais rien en mathématiques, t'étais là, hein, mais pour le reste...

Je ne parviens pas à contrôler le sanglot qui monte en moi.

— Ton rire... Putain, ce qu'il me manque, papa ! En fait, je ne me rappelle plus vraiment à quoi il ressemblait. Le temps efface tout... Et maintenant, je ne pourrai plus jamais savoir si tu as regretté tout ça...

Mes doigts parcourent mon prénom, juste à côté de mes fesses. La rage monte en moi et chasse la boule qui noue ma gorge. Je fais disparaître les larmes de mes joues d'un revers de main.

— Enfin, visiblement, tu avais pris ta décision ! J'espère que t'as aimé crever seul dans ta baraque de bouseux ! Parce qu'une fille morte valait mieux qu'une fille qui ne fait pas ce que tu veux, hein ! Eh bah, figure-toi que j'en ai rien à foutre !

Je me redresse pour me rapprocher de sa pierre tombale.

— Alors, papa, qu'est-ce que tu veux que je fasse, maintenant ? Parce que « être morte », c'est pas ma vocation, tu vois ! Je suis vivante et heureuse, bordel !

De rage, je tente de faire tomber sa stèle, comme celle de tout à l'heure, mais elle ne bouge pas d'un centimètre.

— C'est une blague ou quoi ?

Je tire de toutes mes forces et finis par m'étaler en arrière. Allez, trois fois que je me retrouve à terre ! Je pousse un cri qui résonne autour de moi et déclenche des aboiements dans le village.

— Qui est là ? s'exclame une voix masculine au loin.

J'aperçois une silhouette qui avance dans ma direction. Je crois reconnaître l'uniforme d'un gendarme. Eh bien, parfait, je vais pouvoir lui montrer ma tombe ! En lui faisant un signe, je laisse échapper mon portable qui, telle une tartine beurrée, semble être tombé du mauvais côté car je me retrouve plongée dans le noir ! Je le cherche à tâtons dans l'herbe, repousse mes cheveux et refoule un haut-le-cœur.

— Y'a quelqu'un ?

Oui, moi ! Je pense crier, mais je n'entends pas le son de ma voix. Le gendarme a une lampe torche, il faut qu'il m'aide pour mon téléphone ! J'aurais dû prendre cette putain de tombe en photo, pour avoir une preuve ! Je redresse la tête tant bien que mal, elle paraît peser une tonne. Est-ce que mon père a vraiment dit à tout ce village que j'étais morte ?

— Ah ! vous voilà ! m'exclamé-je quand le représentant de l'ordre arrive à ma hauteur.

Un hurlement résonne en retour.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

C'est en tout cas ce que je voulais dire, mais des syllabes qui ne semblent pas avoir de sens m'échappent. Le rayon de sa lampe m'aveugle, me volant un cri. Un beuglement sonore explose au même moment. J'agrippe la terre à mains nues pour m'aider à me relever.

— Oh ! Jésus Marie Joseph !

Non, mais qui jure encore comme ça ? C'est totalement dépassé !

— Monsieur ! Il faut que vous...

L'homme en face de moi me coupe la parole pour articuler quelque chose qui ressemble à « morte ».

— Oh ! Je suis pas morte, merde ! C'est une habitude de vouloir m'enterrer dans ce bled paumé ou quoi ?

Pourquoi il se tire en courant ?

— Mais attendez, j'ai perdu mon portable !

Il a disparu. Je jure de dépit avant de partir à sa poursuite.



J'espère que ça vous plait ! Trois autres chapitres ce weekend :) Love, Gaïa Alexia.

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