Queen Bee

By AlexiaGaia2

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Depuis quelques mois, Henri n'est plus que l'ombre de lui-même. Gendarme, il assure sans entrain ses gardes d... More

1 Joana
3 Joana
4 Henri
5 Henri

2 Joana

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By AlexiaGaia2


Je sens qu'ouvrir les paupières va être une épreuve. J'ai mal au crâne, la gorge sèche et de la peine à déterminer ce qui a le plus de difficulté à passer : l'alcool ingurgité ou le contenu de cette lettre.

Même si ça m'a pris du temps, j'ai fini par m'endormir. Alors que je repousse encore le moment d'ouvrir les yeux, mon portable vibre. Je le cherche à tâtons et l'extirpe des plis de la couette. Regarder le message de Sonia qui s'affiche est aussi douloureux que prévu, c'est comme si la luminosité de l'appareil se répercutait directement sur mon cerveau. Mon amie m'annonce qu'elle est rentrée chez elle parce qu'elle bosse aujourd'hui, et que Karine l'a suivie. Je lui réponds avec le GIF d'un chat qui a l'air passablement ennuyé avant de vérifier mes réseaux sociaux. Mes stories d'hier ont de bonnes statistiques, mission réussie.

Il n'est pas loin de 17 heures lorsque je me traîne jusque dans la salle de bains, après une tripotée de mails envoyés. Qui a dit que c'était de tout repos d'être influenceur ? Je passe mon temps à stresser que tout s'arrête du jour au lendemain. Heureusement pour moi, j'ai des partenaires fidèles à la reine des abeilles et sa ruche.

Une fois prête, j'avale une soupe chinoise sur le pouce. Ce soir, je sors. Hors de question que je reste toute seule ici.

***

J'adore Paris la nuit, et particulièrement son silence approximatif. Le calme m'angoisse, j'ai besoin de rester en mouvement pour éviter d'être rattrapée par mes démons.

Mes copines et moi nous arrêtons à une intersection, portables en main, ouverts sur l'application Uber. Merci à la carte bleue de mon ex, toujours enregistrée dessus, qui m'offre régulièrement des trajets.

— Girls, merci d'être venues, j'ai adoré ce set du DJ, m'exclamé-je.

— Tu sais qu'on traîne avec toi juste parce que ton statut d'influenceuse nous donne

accès aux soirées les plus prisées de la capitale ? demande Karine avec un sourire en coin.

— Absolument. Et j'espère avoir votre reconnaissance à vie pour ça.

— Tu l'as, bébé ! répondent-elles à l'unisson avec Sonia.

Deux petites sonneries nous font baisser les yeux sur nos écrans respectifs.

— Ah ! C'est le mien, précisé-je en ouvrant la notification. Voilà, Jean-Philippe Mohamed.

Quel drôle de prénom !

— Raaah ! Le mien est à l'autre bout de la rue, il est sérieux ? J'ai douze centimètres de

talons, merde ! râle Sonia. Bisous, les filles ! Rentrez bien.

— Toi aussi ! N'oublie pas le SMS ! Toi non plus, Jo, qu'on ne s'inquiète pas ! Pas comme l'autre fois...

Une fois arrivée chez moi, j'actionne la lumière de l'entrée, mais elle reste plongée dans le noir complet. Je fronce les sourcils et appuie à nouveau sur le bouton. Rien. Je m'acharne un moment puis, grâce à la lampe torche de mon téléphone, j'avance dans l'appartement. Je libère mes pieds des escarpins tout neufs qui, même si chaque nana croisée ce soir me les enviait, m'ont torturé la voûte plantaire.

Dans le tiroir à couverts, je déniche une bougie chauffe-plat que je pose sur la table du salon après avoir poussé par terre ce qui traînait dessus. Ne pas avoir payé sa facture d'électricité à son marchand de sommeil et être punie n'empêche pas de passer un bon moment. Je sors mon briquet de mon sac — celui qui me sert uniquement à donner du feu aux mecs qui en demandent, parce que je ne fume pas — et je l'actionne. Quelques étincelles jaillissent, mais pas de flamme. Après plusieurs tentatives vaines, il traverse la pièce, accompagné de la bougie. Voilà comment mon appart termine sens dessus dessous, même quand je range.

— Foutue vie de merde...

Assise dans le noir, je me retrouve à devoir affronter ce que j'évite toujours parce que c'est trop dur. Ma vie. Pas celle où je sors et je ris. Celle où j'ai des dettes et où je passe mon temps à faire l'autruche.

Dans la cuisine, j'aperçois les deux bouteilles du dernier apéro. Je me lève et je vais les chercher. J'ouvre la première et je finis le fond de whisky d'une traite. Pour le vin rouge, quasi pas entamé, je me motive à prendre un verre, je ne suis pas une sauvage. Je ne trouve finalement qu'une tasse ébréchée, mais ça ira.


— Taxi ! Taaxi ! Tata ! Taxi !

Une voiture s'arrête enfin devant moi.

— Vous allez où ?

— Bah ! Chez moi... Quelle question ? Vous z'être une femme ?

— Oui, jeune fille ! Allez, monte, je te ramène chez toi. C'est pas prudent de se balader dehors dans ton état en pleine nuit.

Elle me tutoie déjà ? Peut-être qu'elle m'a reconnue, ou le fait que je sois torchée enlève certaines barrières. Bref, peu importe ! Je tire sur la poignée de la portière. Le tissu de la banquette qui m'accueille est chaud et doux. En fait, j'avais super froid.

— Alors, c'est où, chez toi ?

J'ouvre la bouche, mais j'oublie aussitôt ce que je compte dire. Je lève un index entre nous.

— 'tends... Je... j... Et il était tout seul... Je...

Je fouille dans mon sac et lui montre l'adresse que j'y trouve.

— O.K. ! Ceinture ! C'est parti.

— Y fait tout noir chez moi, expliqué-je en m'attachant. Alors j'ai sorti pour marcher, parce que j'aime pas... j'a... j'aime pas pleurer dans le noir !

— Chagrin d'amour ?

— Non. Chagrin de vie...

— Ah ! De vie ? Carrément !

— C'est beaucoup pire... parce que la vie, tu pas peux la virer quand elle te soûle. T'as pas le choix, tu dois fuivre... cuivre... truite... Non, tu dois...

— Suivre ?

— C'est ça !


— Nous y voilà !

J'ouvre un œil en sursautant. Je vois deux sièges de voiture, de dos. Qu'est-ce que... Le doux bercement qui m'apaisait s'arrête, me ramenant brusquement à la réalité. Pourquoi suis-je si lucide, d'un coup ? Je n'ai jamais dessoûlé aussi vite. Lorsque je me redresse, mon regard se pose sur le compteur d'un taxi. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

— Ça fait un sacré bout de chemin jusque chez toi, précise la conductrice en s'étirant.

Je cligne des paupières. Mais pourquoi j'ai hélé un taxi ? Je ne passe que par Uber, habituellement. Je tente de retracer le cours de ma soirée. La sortie avec les filles, puis le noir complet de mon appartement, l'alcool et... Oups ! Je me revois vaguement hurler sur des gens en pleine rue, puis cette conductrice, et moi qui lui donne... l'adresse de mon père.

Comment est-ce que j'ai pu être aussi stupide ? C'est la question à 287 €. Somme qu'elle va me demander de régler d'une seconde à l'autre. Elle se tourne justement vers moi.

— Carte bleue ? se renseigne-t-elle aimablement.

De l'oxygène entre dans mes poumons, et un sourire apparaît sur mon visage. Elle ne semble pas se douter une seconde que je ne payerai jamais. Merci au look hors de prix pour lequel je sacrifie tout et qui me donne l'air d'être quelqu'un de responsable !

— Carte bleue ! confirmé-je sur le même ton qu'elle.

Je fouille dans mon sac à la recherche de mon portefeuille. Une fois que j'ai mis la main dessus, j'en extirpe ma carte bancaire et la lui tends. Ce truc ne vaut même pas le prix du plastique qui a été utilisé pour la fabriquer.

— J'ai jamais vu quelqu'un s'endormir aussi vite ! plaisante-t-elle en se concentrant sur sa petite machine de payement. Vous avez dû sacrément forcer sur les cocktails...

— Ça, vous pouvez le dire ! D'ailleurs, je vais prendre un peu l'air avant de rendre sur votre moquette...

— Ah ! Oui, il vaut mieux !

Je quitte la voiture en embarquant mon sac où j'enfonce mes escarpins et je m'éloigne en faisant mine de faire passer la nausée. Bon, bah, ciao ! Je serre mon sac contre moi et je disparais dans la pénombre. Je fuis aussi vite que possible.

J'erre un moment, l'oreille attentive à tout bruit de moteur, mais aucun son ne me parvient. J'ai réussi à semer mon taxi aussi facilement ?

L'odeur des champs portée par le vent m'assaille, faisant remonter en moi de mauvais souvenirs que je cherche à fuir. J'avance, perdue dans mes pensées. Lorsque je relève la tête, devant moi se dresse une maison familière. Sa maison. Sinistre... J'ai les clés au fond de mon sac, je les traîne depuis toutes ces années, pourtant, maintenant que je suis là, il m'est impossible d'entrer. Je longe la bâtisse pour pénétrer dans le jardin.

Ma gorge se serre lorsque je pousse le vieux panneau en bois. Il grince, exactement comme avant. Rien n'a changé, mais tout est à la fois si différent... Je reconnais le cabanon. Ce truc est toujours là ? Je vais peut-être pouvoir dormir sur un des bains de soleil qu'il abritait autrefois. Et quand le jour se sera levé, je ferai ce que j'ai fait il y a dix ans : je fuirai.

Je retrouve en effet les matelas convoités, et même une vieille couverture. Alors que je quitte l'endroit trop petit pour m'y allonger, je repense soudain à quelque chose. Je repose mon paquetage et fais le tour du minuscule chalet. Je tente de soulever une dalle de pierre, et râle de ne pas y parvenir.

— Putain, mes ongles coûtent la peau des fesses !

Je me penche davantage, je tire de toutes mes forces, déchirant au passage légèrement ma robe, et, après avoir poussé un grognement d'impuissance, la dalle cède enfin et me livre son trésor. En dehors de son étiquette, la bouteille en verre que j'ai cachée là il y a des années est intacte.

— Victoire !

Je rejoins la terrasse, y dépose ma meilleure amie de la soirée, puis repars chercher les bains de soleil et la couverture avant de m'installer. Je dévisse le bouchon de la bouteille et bois de longues gorgées à même le goulot.

— C'est dégueulasse ! m'exclamé-je en secouant la tête.

Je laisse passer un instant, reluque cette maison qui me terrifie et approche de nouveau la bouteille de mes lèvres.

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