La nuit était légère comme lui avait précisé Damon qui regardait pensivement la mer cristallisée d'une belle couleur immaculé grâce à la lune pleine. Lina ferma la carte du menu en exhalant un soupir tremblant. La veille, elle avait passé sa deuxième nuit à ses côtés. Forcée de constater qu'il continuait d'agir avec respect, Lina était maintenant décidé à lui dire la vérité. La confiance n'était pas complète, elle le craignait encore plus aujourd'hui que les autres jours mais elle devait lui dire la vérité avant de s'enliser dans ce secret qu'elle ne maîtrisait plus. Mike Grivando devenait virulent, l'attaquant de messages vocaux tout aussi monstrueux que les précédents. Elle avait l'impression d'avoir affaire à un fou, alors que l'homme en face d'elle lui inspirait une puissance, une maîtrise totale de la situation et c'est ce dont elle avait besoin aujourd'hui.
Officiellement mariée à lui depuis trois jours, elle posa un regard sur son alliance puis sur la main de l'italien.
" Pour le meilleur et pour le pire "
Cette phrase avait résonné dans la petite chapelle dépourvue de public et lui l'avait prononcée avec force.
Bien qu'elle le voyait encore comme le monstre qui la retenait prisonnière d'un mariage conclu en un accord des plus odieux, Lina n'avait plus le choix que de reconnaître qu'il était un homme de parole.
Sa vie était menacé par un fou furieux et le seul qui pouvait potentiellement l'aider se trouvait à cette table.
- J'ai choisi, annonça-t-elle pour attirer son attention.
Perdu dans une torpeur indescriptible il dévia son regard sur elle, et Lina eut l'impression qu'elle venait de rompre un souvenir douloureux.
- Que vas-tu prendre ? J'espère que tu ne t'es pas résigné à prendre ce que tu as pu traduire ?
Il se moquait gentiment d'elle en pointant la vérité.
- Je prendrais les tagliatelles et en entrée je...le Carpaccio.
Il haussa un sourcil.
- Certaine ? Insista-t-il en faisant signe au serveur de s'approcher.
- Absolument.
Il prit commande alors que l'apéritif leur fut servi. Le restaurant était chic à l'ambiance feutrée. Le vend tiède qui soufflait en brises légères sur la terrasse était presque parfait pour endiguer ses bouffées de chaleur.
- D'ordinaire comment fêtes-tu ce jour si particulier ? Demanda-t-elle en sirotant un peu de vin rosé.
- Dans mon bureau, au milieu d'une pile de dossiers.
Lina reposa son verre au ralenti alors qu'il venait de s'exprimer sur ton détaché.
- Tu n'as pas...enfin je veux dire où sont tes parents ?
Ses mâchoires convulsèrent, et son regard devint ténèbres. Ainsi, son passé douloureux provenait essentiellement de ses parents, comprit-elle en baissant les yeux furtivement.
- Mon père est mort et ma mère est dans la nature depuis des années, répondit-il d'une voix qui ne souffrait d'aucune possibilité de répliquer.
Lina garda le silence, consciente qu'il ne valait mieux pas insister en ce jour si particulier.
- Quant aux amis, je n'en ai pas ou ils se font rare car ils vivent dans des pays différents.
- Mais il y a Sergio et Maria, précisa-t-elle en gardant les yeux dans les siens.
- Et ils sont au courant que je n'ai pas forcément envie de le fêter, précisa-t-il à son tour d'une voix un peu plus amène.
Son regard d'acier devint plus doux.
- Mais ce soir j'ai envie de le fêter avec ma femme, ajouta-t-il avec un léger sourire en coin.
Lina tenta de réprimer les rougeurs qui lui montaient aux joues.
- Cependant ma femme semble nerveuse et j'aimerais savoir pour quelle raison, termina-t-il en reposant son verre.
Il lisait en elle avec une telle facilité que c'était presque une aubaine pour elle. Devait-elle en profiter pour lui dire maintenant ou attendre la fin du dîner ?
Lina le dévisagea tout comme il le faisait, mais lui la tenait prisonnière par l'intensité de son regard.
- Je suis nerveuse en effet, admit-elle en saisissant son verre pour tremper ses lèvres dedans.
- Et ce vin rosé ne t'aidera pas à te donner plus de courage, répondit le milliardaire en se redressant subitement. Écoute Lina, je sais que j'ai bousculé toute ta vie, j'ai conscience que ce n'est pas évident et qu'il te faut du temps pour apprendre à me connaître mais je ne supporte plus voir dans tes yeux toutes ces craintes inutiles car je n'ai pas l'intention de te faire du mal.
- Ce n'est pas toi qui me rend nerveuse, avoua-t-elle enfin. Du moins tu me rends nerveuse mais pour des raisons complètement opposées à cette...nervosité en particulier.
La bouche sèche Lina reprit son verre mais il la stoppa en posant sa main large sur la sienne. Les sourcils froncés il s'empara du verre à pied pour le reposer sur la nappe.
- C'est à propos de ta mère ?
- Non, ce n'est pas à propos d'elle, lui dit-elle en se raclant la gorge.
- Lina dis-moi ce qui te rend nerveuse, insista-t-il d'une voix où l'impatience semblait contrôlée mais visible.
L'arrivée du serveur lui permit de recentrer ses pensées et surtout lui faire gagner du temps quant au choix de réponses qu'elle avait en sa possession.
Bien sûr, l'italien continuait de la regarder droit dans les yeux, ignorant même la présence du serveur.
- C'est à propos d'un homme dont j'ai fait la connaissance il y a quelques mois maintenant, commença-t-elle d'une voix un peu tremblante.
À l'évidence sa réponse n'était peut-être pas celle qu'elle aurait dû sélectionner parmi les autres car le milliardaire se rembrunit aussitôt tout en gardant un silence glacial.
- Je...c'était lors d'un salon, mon père m'y avait envoyé pour présenter quelques produits et il était là. J'ai repoussé ces avances, il n'a pas apprécié mon rejet alors il m'a menacé et depuis ce jour, il n'a de cesse de me harceler.
Les traits ciselés de l'homme d'affaires s'étaient durci à mesure de son explication.
- Quel est son nom ? Demanda-t-il d'une voix dure.
- Mike Grivando, son père est...
- Je connais son père mais je n'ai pas eu la chance de rencontrer son fils, la coupa-t-il froidement. Tu aurais dû me le dire plus tôt agápi mou.
- Disons que les circonstances ne m'ont pas aidé, rétorqua Lina après une grande inspiration.
- Je te l'accorde mais tu es ma femme désormais, tout ce qui te concerne me concerne, surtout lorsqu'il s'agit de ta sécurité.
- Je ne savais pas quoi faire, jusqu'ici je me suis efforcée de l'ignorer mais...
- Dès ce soir, il apprendra par la presse que la femme qui retient son attention est désormais à quelqu'un d'autre et c'est pour cette raison que tu craignais tant l'annonce de notre mariage.
Lina acquiesça en baissant les yeux, incapable de supporter plus longtemps la colère qui ruisselait dans la profondeur de ses yeux.
- Es-tu disposé à me donner ton téléphone portable pour que je puisse me charger de ce problème ? Je te le rendrai dès que possible.
Toutes les menaces de Mike Grivando étaient encore dans son téléphone. Elle n'avait rien effacé par crainte que ce jour-là arrive. Seulement elle n'avait certainement pas imaginé qu'elle confierait son portable à son mari plutôt qu'à la police de New York.
- Merci trésor, lui dit-il en le glissant dans la poche intérieur de sa veste. Essaye de te détendre un peu maintenant, tu es en sécurité avec moi ça je t'en fais la promesse solennelle.
Le pire dans tout ça c'est qu'elle n'avait aucun doute de sa parole.
- Tu as choisi le jour de ton anniversaire pour annoncer ton mariage est-ce une simple coïncidence ?
- Non, c'est minutieusement calculé pour contrer les articles qui paraissent déjà à la une de plusieurs magazines.
- Une petite vengeance personnelle si je comprends bien ?
- Il me dessine un destin assez fataliste, " L'éternel célibataire milliardaire grec court vers la quarantaine " " Georgina Aleston va-t-elle s'aider de son père pour se rapprocher de Damon Kyovasko ? "
- Qui est Georgina Aleston ? S'enquit-elle en fronçant les sourcils.
- La fille d'un démocrate qui se présente comme le nouveau sénateur de Chicago, nous avons un jour bavardé ensemble sa fille était là. Très vite les médias ont conclu qu'ils se passaient quelque chose.
Il esquissa un faible mais authentique sourire diabolique.
- Demain matin ils auront la bonne surprise de découvrir que je suis marié, et cela s'annonce explosif.
Le cœur de Lina explosa dans sa poitrine quand il s'empara de sa main avec une délicate douceur qui contrastait avec la sombre et impitoyable vengeance qu'il préparait pour la presse.
Elle appuya son regard sur sa main virile qui enfermaient ses doigts fins et fut trahie par une myriade de sentiments contradictoires.
- Tu ne m'as pas souhaité mon anniversaire, lui fit-il remarqué en caressant l'intérieur de sa paume de main.
- J'attendais le moment opportun pour le faire.
- Tu n'es pas obligé, rien ne t'y force, déclara-t-il sans la quitter des yeux.
- Est-ce que tu es sincères ou tu cherches seulement à...
- Faire en sorte que tu plonges dans mes bras et que tu oublies la manière dont ce mariage a été scellé ? La réponse est non.
Mais ? Il semblait y avoir un mais...
- Cependant je ne te cache pas que je prends énormément sur moi, cela me demande des efforts jusqu'ici inexplorés.
- Ce n'est pas ce que je veux, s'empressa-t-elle de dire en le dévisageant. Du moins je ne suis pas dans une fiction, si ce mariage doit durer alors j'aimerai au moins savoir avec qui je suis véritablement marié.
- Trésor je doute que tu apprécies toute ma personnalité dans son ensemble, l'informa-t-il en grimaçant légèrement.
- Et moi je doute que ce mariage tienne trois semaines si je ne sais pas avec qui je vis.
- Et toi ma tendre Lina ? Ne joues-tu pas un rôle ? Ai-je devant mes yeux la véritable Lina ?
- Non, parce que je suis tendue et je ne sais pas qui j'ai devant moi. Tout me paraît si secret avec toi. Je n'arrive pas à te lire et cela m'empêche d'être totalement sereine.
Cette confidence sembla le heurter puisque son regard venait de s'assombrir légèrement.
- Que veux-tu Lina, qu'espères-tu de moi alors que tu me détestes au plus profond de ton âme ?
Oui, une partie d'elle enfoui au tréfonds de son cœur le détestait.
- Je veux savoir qui est le véritable Damon Kyovasko et me couver comme une enfant ne t'aidera pas tout comme cela ne m'aidera pas non plus. Ça ne fait que retarder l'inévitable.
- Qui est ? S'enquit-il d'une voix si rocailleuse qu'elle fut immédiatement prise au piège par une vague de frissons.
Le vaste mystère qui nimbait la vie du milliardaire devenait dangereux car cette énigme constituait un obstacle qu'elle voulait à tout prix franchir même si cela pouvait courir à sa perte.
- Ta personnalité dans son ensemble finira tôt ou tard par surgir.
- Je ne fais que te donner du temps pour t'adapter à cette nouvelle vie Lina, ma personnalité, l'homme que je suis n'a absolument rien à voir avec le temps que je t'accorde. Aurais-tu souhaité le contraire ?
- Non, mais j'ai l'impression que tu...j'ai le sentiment étrange que...
Il se leva soudain et son cœur partit dans une course à cent à l'heure.
Sans lui demander si elle était d'accord il l'invita à se lever et l'entraîna sur la piste de danse à ciel ouvert. Déstabilisée, Lina tenta de recentrer une nouvelle fois ses pensées mais lorsque sa main se glissa dans la chute de ses reins pour l'attirer à lui, l'armure bâtie pour contrer cette vague de chaleur s'effondra.
- La seule chose que je puisse te révéler ce soir agápi mou c'est que tu n'es pas entré dans ma vie par hasard, déclara-t-il d'une voix rauque, l'expression grave.
Cette révélation lui coupa le souffle en l'obligeant à rejeter la tête en arrière pour gagner son regard.
Ce dernier était profondément marqué par les abîmes d'une vérité qui n'aurait pas dû connaître le jour si tôt.
- C'est tout ce que tu obtiendras de moi ce soir, quand sonnera minuit et que le monde apprendra pour nous, notre mariage prendra un tournant réel parce que pour l'heure nous sommes prisonniers dans un secret qui n'en sera plus un.
Il se pencha juste assez pour que ses lèvres effleurent les siennes.
Lina n'arrivait plus à s'arracher de cette captivité qu'étais l'intensité de son regard si proche du sien. Une sensation jusque-là méconnue courut dans son échine, galvanisant son bas-ventre...trahissant l'effort déployé pour les réprimer avant qu'il puisse s'en apercevoir.
- Et c'est à cet instant précis que ce mariage prendra enfin tout son sens, chuchota-t-il contre à quelques millimètres de ses lèvres entrouvertes qu'il se contenta d'embrasser d'un regard percé de désirs...