Barbatos n'était pas que vierge.
Il avait une ignorance totale du champ lexical du sexe, des parades amoureuses et des noms de tous les actes se rapprochant de près ou de loin de la chose. Elles avaient été atterrées de voir qu'il était plus innocent qu'une jeune pucelle. En fait, il était dénué de pulsion sexuelle.
Tout du moins, c'était ce que lui disait.
Marie avait eu un mal de chien à retenir Madeleine, qui voulut lui sauter dessus dans la chambre, histoire de voir si c'était vrai. Elle l'envoya se faire culbuter par qui elle voulait hormis Barbatos, ce qu'elle fit en ronchonnant au sujet de l'injustice de la vie.
Elle était gonflée !
-Je ne comprends pas bien où est le problème, fit Barbatos en s'installant contre le mur de la chambre, comme les autres nuits.
Marie se délesta de son épée avec un soupir, avant de s'écrouler sur le lit.
-Il n'y a pas de problèmes à proprement parler. C'est juste que personne n'est aussi pur que toi. Et ça perturbe Madeleine.
-Pourquoi ?
-Considère qu'elle est le cul incarné, marmonna-t-elle en se glissant sous les couvertures.
Elle devait récupérer. Sans la moindre piste à leur disposition, elle allait devoir demander une sérieuse aide, cette fois-ci. Or, elle n'avait aucune envie de le revoir...
*
-Moi, je te dis qu'on est perdus.
-Sacrelote ! Jamais de la vie !
-Bien sûr que si ! Barbatos, dis-lui qu'on est perdus !
Les deux femmes se tournèrent vers l'ange, qui haussa un sourcil. Ils étaient partis vers le sud, à la recherche d'un contact de Marie susceptible de les aider à localiser celui qui avait racheté le trésor de la tombe de Barbatos. Cela faisait tout juste deux jours qu'ils marchaient, et visiblement, ils étaient égarés.
-Qu'est-ce que vous cherchez exactement ? s'enquit-il.
Le soleil était haut dans le ciel. Il devait être bientôt midi, et il commençait à avoir faim.
-Une maison romaine, marmonna Marie en croisant les bras. Perdue quelque part dans la forêt.
-Pas très précis, comme instruction.
-Ça fait des lustres que je n'y suis plus allée !
Il soupira, avant de déployer ses ailes. Ah... Ses deux seules ailes... Bah, il allait bien devoir s'y faire. Il n'était plus un Séraphin, il n'avait plus droit à ses trois paires d'ailes.
-Je reviens tout de suite, déclara-t-il en s'envolant.
Marie le regarda s'éloigner. Il était gracieux. Fendant les airs en douceur, ses plumes d'un blanc immaculé reflétaient la lumière du soleil. Comment avait-elle fait pour ne pas voir en lui un ange ? Qui plus était, un...
-Tu as déjà entendu parler d'un Séraphin portant son nom ? s'enquit-elle en se tournant vers Madeleine.
Son amie, qui avait également suivi la progression de l'ange dans les cieux, secoua la tête.
-Non, jamais. Pourtant, la Hiérarchie est plutôt stricte. Ceux de cette classe sont aussi rares que puissants. C'est Métatron leur patron, actuellement, non ?
-Oui. Ça n'a pas bougé depuis longtemps, et ce n'est pas près de bouger. De fait la vraie question est... quand est-ce que Barbatos a été déchu ?
Elles réfléchirent un instant. Il semblait fraichement tombé du ciel, mais cela ne voulait rien dire. Comment la chute d'un Séraphin aurait-elle pu être discrète, hein ? C'était impossible ! Cela avait dû secouer le ciel, la terre et les enfers...
Soudain, les démons aux trousses de Barbatos lui revinrent en mémoire.
Il y avait anguille sous roche. Surtout que ce Damabiah avait eu l'air terrifié quand...
-Morbleu ! s'exclama soudain Madeleine, le visage tourné vers le ciel.
S'attendant à revoir leur compagnon de route, Marie pâlit en découvrant les deux silhouettes. Oui, c'était bien ça. Deux anges étaient apparus au-dessus d'elles. Sacrelote...
-Ça sert à quelque chose de sourire ? souffla son amie.
-Malheureusement...
-Non, répondit-on dans leur dos.
Elles firent un bond en se retournant. Elles furent un instant éblouies par une vive lueur dorée, avant que leurs yeux ne s'en accommodent. Les bras croisés dans le dos, un autre ange les toisait de ses yeux d'un bleu céruléen. Dans son dos, trois paires d'ailes étaient déployées, comme pour attester de son rang.
-Sacrelote ! Un Séraphin !
Reculant de concert, les deux femmes manquèrent buter contre les deux autres volailles tombées des cieux. Le cœur battant la chamade, la moutarde lui montant au nez, Marie sentit Madeleine se saisir de son bras. Pour la rappeler au calme.
-De toutes les femmes susceptibles de l'accompagner, fit le Séraphin avec un soupir dégouté, pourquoi a-t-il fallu que cela tombe sur vous ?
-Pourquoi, c'est une honte d'être vu en notre compagnie ? grogna Marie.
Madeleine enfonça ses ongles dans son bras, mais elle ne réagit pas.
-Oui, c'est une honte, siffle le Séraphin. Tout comme moi, m'abaissant à vous adresser la parole...
Le fils du pute estrace ! Elle allait lui coller son poing dans la gu...
-Je suis l'Archange Gabriel. Vous vous souvenez de moi ?
-Évidemment, connard ! C'est de ta faute si nous en sommes là !
-Ma faute ? fit-il d'une voix doucereuse. Je ne prends pas de telles décisions. Vous devriez remercier le Divin pour le don qu'il vous a fait.
Plutôt crever ! Mais elle se retint de lui cracher ça au visage. Les ongles venaient de s'enfoncer un peu plus dans son bras. Calmant sa respiration, elle regarda autour d'elle, avant de reposer les yeux sur Gabriel. Les deux anges dans son dos faisaient les sentinelles.
-Tu n'es pas venu juste pour nous faire la causette, non ? Qu'est-ce que tu veux ?
-Pourquoi Barbatos est-il avec vous ?
Évidemment. Deux rencontres avec des anges en si peut de temps, c'était obligé que cela ait un rapport avec lui ! Ce type était un nid à emmerdes !
-Il est paumé, ce con.
La main de Gabriel se saisit soudain de sa gorge. Les yeux luisants de rage, il siffla :
-Ne parle jamais du plus grand d'entre nous en ces termes.
Peinant à respirer, soulevée du sol par la force de l'Archange, Marie parvint tout de même à émettre un ricanement dédaigneux.
-Ah ouais ? Le plus grand d'entre vous est un déchu ? Marrant, ça...
La pression sur sa gorge s'accentua. Il allait la tuer !
-Ça en dit long sur les raclures que vous êtes, ajouta-t-elle.
Toujours mettre son adversaire en colère pour dissimuler ses gestes.
-Espèce de sale petite...
À l'instant où il allait lui broyer la gorge, Marie avait achevé ses tracés dans les airs. Une explosion naquit entre eux, les envoyant valser chacun de leur côté. Protégée de sa propre magie, elle percuta l'ange derrière elle sans finir roussie pour autant.
En revanche, le souffle fit chuter Madeleine, qui échappa ainsi à son ange qui tentait alors de l'attraper. Pivotant au sol, elle donna aussitôt un grand coup dans les genoux de son adversaire, qui poussa un hurlement lorsque ses articulations se brisèrent.
De son côté, Marie n'eut pas l'occasion d'assister à la chute de cet ange-ci. Bondissant sur ses pieds, elle aurait donné un grand coup de talon dans la gorge de son propre opposant, si l'Archange Gabriel n'avait pas surgi de la fumée résiduelle de l'explosion. La saisissant par les cheveux, il lui aurait probablement brisé le crâne contre la roche d'à côté, si... S'il n'avait pas soudain disparu. Chancelante, stupéfaite, Marie vit, la seconde suivante, une épée s'enfoncer jusqu'à la garde pile devant elle, à l'endroit où s'était tenu Gabriel. Que... Barbatos !
Levant la tête, elle vit le déchu, qui piquait dans leur direction, les ailes rabattues dans le dos. Juste avant l'impact, il les déploya de nouveau, afin d'atterrir en douceur.
-Ils sont partis, fit-il presque d'un ton d'excuse. Désolé, je ne les ai pas perçus de suite. Il y a eu une explosion et d'un coup j'ai senti leur présence.
Ah, les salopards avaient dissimulé leur force. Ils ne voulaient pas qu'il les voie. Pourquoi ?
-Ne t'excuse pas pour ça, fit Marie en époussetant son pantalon. Si tu n'étais pas intervenu, on aurait été franchement en difficulté.
-Surtout toi, ricana Madeleine en se redressant. Gabriel a bien failli te buter !
-Gabriel ? répéta Barbatos, avant de froncer les sourcils. L'Archange Gabriel était ici ?
Elles hochèrent toutes les deux la tête. Puis, pour la première fois, elles l'entendirent pousser le juron le plus sincère de sa vie.
-Nom de Dieu ! s'exclama-t-il. Mais qu'est-ce qu'il foutait là, lui !? Qu'est-ce qu'il vous voulait !?
-Savoir pourquoi on t'accompagnait, fit Marie en haussant un sourcil.
C'était bien la première fois qu'elle voyait un ange blasphémer.
-Pourquoi vous... Mais de quoi je me mêle !? Vous lui avez répondu quoi ?
-Calme-toi ! On a juste dit que tu étais un gros paumé !
-Comment ça, je suis un paumé !?
-Tu voulais que je lui dise quoi !? Qu'on t'a volé ton épée céleste et que tu la cherches désespérément !? Je peux pas blairer Gabriel, j'allais pas lui faire ce plaisir ! Et sacrelote, baisse d'un ton, veux-tu !?
Il la considéra un instant, avant de dire :
-Vous allez bien, toutes les deux ?
-Ça va.
-Je suis désolé qu'ils soient venus vous malmener.
Marie eut un claquement de langue exaspéré.
-Si tu trouves à grailler pour midi, tu seras tout pardonné.
Il n'avait pas besoin de savoir que son contentieux avec les anges remontait à bien avant leur rencontre.
En le voyant s'éclipser rapidement, elle fronça soudain les sourcils.
-Au fait, Madeleine...
-Ouais ?
-S'il est un Séraphin... Comment se fait-il qu'il ne nous connaisse pas ?