Point de vue de Jadde
Après avoir patiné quelques minutes, j'aperçois Clément au loin, il fait une pause et s'est assis dans les gradins. Je décide de le rejoindre, je n'ai vraiment pas apprécié qu'il me hurle dessus comme il l'a fait et je compte bien lui en parler.
— Qu'est-ce qui te prend ? lance-je une fois devant lui. Hier soir tu étais adorable et ce matin tu me cries dessus comme si j'étais une enfant.
— Arrête de crier, tu me donnes mal à la tête.
— Ta méchanceté gratuite, garde la pour toi. Je fais un pas en avant malgré le fait que j'ai juste envie de te baffer, et encore une fois tu ne fais aucun effort.
— Parce que je ne t'ai rien demandé. J'ai juste trop fumé hier soir, ça ne voulait rien dire. Fais-toi à l'idée que tu es simplement une copine de Sarah ici, rien de plus.
Cette phrase pique fortement mon ego, comme chaque mot qu'il a prononcé durant cet échange pour être honnête. Je n'ai rien fait en dehors de vouloir l'aider, et pourtant il reste froid et mauvais.
— Très bien, profite de cette sortie seul dans ton coin si ça te chante.
Je retourne voir les autres. Qu'il aille se faire voir, s'il ne veut pas s'amuser et s'exclure tout le séjour, c'est son problème. Raphaël me rejoint et patine à côté de moi.
— Laisse tomber, il est mal luné ce matin.
— Je dirais qu'il l'est tout le temps.
Je suis surprise qu'il ne reste pas avec Sarah, même s'ils ne sont pas ensemble ils sont quand même proches et ne se lâchent jamais normalement. Peut-être qu'ils veulent s'éviter devant les autres.
Point de vue de Sarah
Après le déjeuner nous rentrons au chalet. Nous passons l'après-midi chacun dans notre coin et quand le soir approche, nous nous retrouvons dans le salon.
— Ça vous dit qu'on fasse un truc ? demande Alexis.
— J'ai une idée, regardez ce que j'ai trouvé dans les placards, lance Salomé.
Elle nous montre un jeu de loup-garou. Je n'y ai pas joué depuis longtemps, mais ça peut être marrant alors j'accepte.
— Je suis meneur, avance Clem avant de s'étaler dans le canapé. Je rappelle les règles : dans le village se trouvent deux loups garous qui tuent des villageois la nuit. Grâce aux différents rôles, les villageois doivent les démasquer et les tuer pendant les votes le jour. Vous avez besoin que je rappelle tous les rôles ou vous avez un minimum de culture ?
— On devrait s'en sortir, merci pour ta bienveillance, ironise Maya.
Nous commençons une première partie, je suis cupidon. Je dois donc désigner deux amoureux qui ne feront plus partie des loups-garous ou des villageois : ils doivent gagner tous les deux contre tous les autres. Si l'un des deux est tué, l'autre mourra aussi et ils auront perdu. Lorsque mon tour vient, je décide de taper sur les têtes de Lucas et Maya, c'est légitime.
— La nuit est terminée, tout le monde se réveille. Et cette nuit quelqu'un nous a quitté : Maya qui était ... ?
— J'étais petite fille de toute façon, c'est pourri.
— Je suis désolé de vous annoncer que Lucas la suit dans la mort à cause de son chagrin en tant qu'amoureux.
— Evidemment, rit Salomé, qui d'autre.
— Tu fais chier Maya. Tu ne pouvais pas mourir demain ?
— On passe au vote, qui est suspect selon vous ? Moi je pencherais pour une jolie brune, dit Clem en regardant vers Jadde.
— Alors déjà c'est n'importe quoi, ensuite tu es meneur, alors tu n'as pas ton mot à dire.
— Je n'ai jamais dit que c'était toi, il y a encore Salomé qui joue, à vous de voir. Tu n'es pas le centre du monde.
— Tu es censé être neutre, s'impatiente Sacha.
— De toute façon je ne suis pas loup, répond Jadde, par contre j'ai entendu Sacha bouger pendant le vote cette nuit.
Puisque nous sommes des suiveurs sans aucun avis constructif, nous votons tous pour Sacha, mais il est chasseur et me tue en mourrant.
— Pourquoi moi ? C'est Jadde qui t'as accusé !
— Je sais pas, tu parles pas c'est suspect.
— Depuis quand ? Je suis cupidon !
La partie continue, les loups garous gagnent et il s'agit bien de Jadde et Alexis. Ils se tapent dans la main avant de rire ensemble, fiers de toutes leurs manigances.
— Par contre Clément, lance-t-elle ensuite, la prochaine tes réflexions tu les gardes pour toi.
— Personne ne m'a cru.
— Même, il y a des règles alors tu les respectes.
— Si ça te fait plaisir, répond-il en l'ignorant à moitié, qui veut être meneur ?
Je me désigne, une nouvelle partie commence. Tout se déroule plutôt bien au début, mais Sacha désigne Clem et Jadde comme amoureux, ce qui n'est certainement pas une bonne idée. Ils semblent tenir le coup pour l'instant malgré leurs regards assassins. Les loups garous sont Salomé et Clem. Lors du dernier vote du village, il ne reste plus que Clem, Salomé et Jadde.
— Bon bah c'est simple, dit Jadde en votant pour Salomé.
Seulement Clem et Salomé votent contre elle, le loup garou gagne face aux amoureux.
— Tu le fais exprès ? s'énerve Jadde. Le but des amoureux c'est de gagner face à tous les autres.
— Je sais, mais je préférais donner la victoire à Salomé, quitte à perdre.
— Mais c'est quoi ton problème ? Tu ne peux pas arrêter de jouer au con deux secondes ? C'est bon, on t'a suffisamment remarqué, pas besoin d'en rajouter.
— On se calme, intervient Maya, on va arrêter le jeu, ça vaut mieux pour tout le monde.
— C'est pas ma faute s'il fait exprès de perdre, continue Jadde.
— Mauvaise joueuse, soupire Clem.
Pour essayer de détendre l'atmosphère, Lucas met de la musique et fait danser Maya. Alors nous nous levons chacun notre tour pour les rejoindre.
Je vois que Clem tend sa main à Jadde pour la provoquer une nouvelle fois. Cette dernière lui lance un regard noir qui le fait rire quand il s'éloigne d'elle. Je ne sais pas pourquoi il cherche à se faire détester, mais en tous cas c'est efficace. Mon attention est retenue par Sacha qui s'approche. Il me propose de me montrer quelques pas de danse et je tente de l'imiter, mais je suis nulle à ça.
Nous finissons par nous étaler à nouveau dans les canapés, je suis fascinée par l'ambiance qui s'est déjà créée en une journée.
— On va faire un jeu ! lance soudainement Sacha. Salomé, action ou vérité ?
— Vérité.
— Qui tu trouves le plus beau, ou la plus belle selon tes préférences, dans ce groupe.
Elle prend quelques secondes pour réfléchir, puis nous fixe un à un, ce qui nous fait doucement rire.
— Vous avez tous du charme et un style complètement différent. Et puis votre caractère joue beaucoup, hein Clem, à cause de ça tu es disqualifié.
— Ah ah, très drôle.
— Je dirais Raph, c'est évident. Désolé les gars, il vous bat tous.
Il lui répond simplement d'un clin d'œil. Je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il s'est déjà passé quelque chose entre eux. Ou bien peut être même qu'il se passe un truc actuellement, il sait être discret, après tout il l'est avec moi. J'essaie de ne pas y penser plus longtemps, ça ne me regarde pas.
Salomé reprend et interroge Maya, lui demandant d'embrasser Lucas. Tout le monde se met à crier en cœur pour les encourager, elle lève les yeux au ciel.
— Vous êtes des enfants, répond-elle.
Mais elle se tourne tout de même vers son voisin, glissant une main dans son cou avant de l'embrasser.
— On vous a juste demandé un smack, intervient Salomé, c'est vous qui avez décidé pour la galoche.
Ils nous refont face avec un sourire satisfait aux lèvres. Maya donne alors une action à Alexis qui doit boire un shot de vodka pure alors qu'il déteste ça, ce qui est compréhensible d'ailleurs. Quand vient le tour de Sacha, il se dirige vers Clem qui choisit une action.
— Lèches le cou de Jadde.
Tout le monde rit, mais pas moi. Je me tourne vers Jadde, elle est restée un peu à part toute la soirée. Je sais bien qu'elle ne supporte vraiment pas le comportement de mon frère. Il se lève en souriant et se dirige vers elle.
— Tu n'es pas sérieux j'espère ? lance-t-elle. Maintenant tu fais le malin devant tes potes ? Qu'est-ce que tu cherches à prouver ?
— C'est le jeu, je ne vais pas refuser.
— D'un coup les règles importent ?
— Passe à autre chose, c'était juste un loup garou.
Elle le fixe pendant un long moment qui semble en dire beaucoup. On dirait qu'il n'y a pas que le jeu qui pose problème. Il a l'air de le savoir d'ailleurs, je connais Clément, et le fait qu'il fasse semblant doit encore plus la mettre sur les nerfs. Si des balles pouvaient sortir de ses yeux, je n'aurais plus de frère depuis longtemps.
— Tu sais quoi ? La copine débile de ta sœur va aller se coucher, ça vaut mieux pour tout le monde.
Elle se lève et, une fois devant lui, se rapproche en continuant de le tuer du regard.
— Et va bien te faire voir, souffle-t-elle simplement.
Elle traverse ensuite le salon pour monter rapidement les escaliers.
— Pourquoi tu la cherches comme ça ? s'impatiente Maya. Tu vois bien qu'elle ne rigole pas depuis tout à l'heure.
— J'en ai rien à faire, répond Clem.
Il s'assoit comme si de rien était et le jeu reprend normalement. Il garde les yeux dans le vague un long moment et soupire finalement avant de partir à l'étage.
— Bon, reprend Alexis, puisque c'est comme ça, Sach ? Embrasse Sarah pendant 10 secondes.
— Je n'ai même pas choisi entre action ou vérité, s'indigne son ami, mais j'accepte mon sort.
Je n'hésite pas une seconde et l'embrasse, je sais que ça ne signifie rien alors peu importe. Mais en retournant à ma place je jette quand même un coup d'œil à Raph. Je n'arrive pas à savoir si ce que j'ai fait le dérange, j'ai parfois peur qu'on ne soit plus sur la même longueur d'onde. Il n'a pas l'air de réagir et continue de rire avec Salomé. La soirée continue, les gages s'enchaînent et l'alcool finit par intervenir aussi.
— Attendez, lance Salomé, j'ai une idée.
Elle change la musique et met celle de Dirty Dancing alors nous retournons tous danser. Raph arrive vers moi et me propose de tenter le porté, je ne peux pas m'empêcher de rire à cette idée.
— Il est impossible.
— Allez vient ! Je suis sûr que je peux y arriver.
Mais l'alcool me donne envie de tenter le coup. On s'éloigne et je cours dans ses bras. Il commence à me porter mais bascule légèrement en arrière et s'effondre complètement. Nous explosons de rire en même temps.
— Pas mal la chute, se moque Alexis.
— Ça va ? Tu t'es pas fait mal ? me demande Raph.
— T'as amorti toute ma chute, c'est plutôt à moi de te demander.
— Rien de cassé.
Il m'aide à me relever et nous continuons de danser. Je me mets dos à lui et me déhanche en rythme, il me fait tourner sur moi-même et nous nous improvisons danseurs. On essaie ensuite d'imiter un rock, mais je ne suis pas sûre que ça y ressemble vraiment de l'extérieur. À force de tourner je commence à avoir sérieusement mal à la tête. Je décide donc d'aller me reposer sur le canapé pendant qu'ils continuent de s'amuser.
***
— Sarah ?
La voix de Salomé me tire de mon sommeil, j'ouvre doucement les yeux. Je me suis assoupie, il n'y a plus de musique et très peu de lumière désormais.
— Tout le monde est parti se coucher, lance-t-elle. J'y vais aussi mais je me suis dit que tu préférerais finir ta nuit dans un lit.
— Merci, baille-je.
Elle monte se coucher pendant que j'essaie de me lever doucement. Je suis à moitié endormie et l'alcool tape encore dans ma tête. Alors que j'allais monter, je vois que c'est la lumière de la cuisine qui est allumée. J'y vais pour l'éteindre et tombe sur Raph.
— Tu ne dors pas ? m'étonne-je.
— J'étais avec Salomé, explique-t-il. Je me réchauffe le reste de quiche, tu en veux ?
Je lui fais signe que non et le regarde mettre sa part au micro-onde. Je m'appuie contre le plan de travail en soupirant.
— On fait quoi demain? l'interroge-je.
— On n'a rien de prévu je crois, répond-il en s'approchant.
— Tant mieux, je n'aurais jamais la force de bouger.
Le silence prend place, il avance un peu plus et attrape délicatement ma main pour admirer chacune de mes bagues en détail. Je lève ma tête pour admirer son air concentré. C'est plutôt rare de le voir aussi sérieux, normalement son sourire mesquin ne le quitte jamais. Il est tard et il est plutôt décoiffé, alors ses cheveux bruns tombent devant ses yeux, l'empêchant presque de bien voir.
— Raph ?
— Mmh ?
— Tout à l'heure, quand j'ai embrassé Sacha-
— Pas besoin d'en parler, me coupe-t-il, tu as tout à fait le droit.
— Vraiment ?
— C'est clair entre nous, il n'y a rien, on est libres de faire nos vies de notre côté. Aucun engagement, aucune attache, c'est bien ce qu'on a dit ?
— Absolument, m'empresse-je de répondre.
Je ne veux pas non plus qu'il commence à penser que je cherche plus, mais cette situation me terrifie. Je n'ai pas envie que l'un de nous change d'avis et finisse par être blessé.
— C'est juste que ... parfois on est tellement proches que j'ai peur de mal me faire comprendre. Je ne veux pas que tu te fasses de faux espoirs ou quoi.
Je sais ce que c'est de penser être unique et exceptionnel aux yeux de quelqu'un alors qu'en fait il s'en fiche, et je ne veux pas faire subir ça à qui que ce soit.
— Si je commençais à m'imaginer des trucs avec toutes les filles que je vois, je ne m'en sortirais plus. On s'est mis d'accord, tu ne me fais rien croire du tout.
Il rit légèrement, comme si ce que je venais de dire était insensé. Même si je m'en doutais, ça me rassure de l'entendre. Il s'approche doucement et m'embrasse, je pose mes mains sur son visage pendant qu'il me soulève pour m'asseoir sur la table. Il caresse lentement mes cuisses au rythme de notre baiser.
Seulement, je m'éloigne à contrecœur quand le micro-onde sonne. Il lève la tête en soupirant. Son air exaspéré me fait légèrement rire et je descends de la table pendant qu'il récupère sa quiche.
— Je vais me coucher, lance-je en baillant à nouveau.
— Tu m'abandonnes ?
Je lui envoie un léger sourire désolé avant de monter les escaliers. Mais une fois devant ma porte il m'est impossible de l'ouvrir. Je réessaie mais rien à faire, c'est fermé à clé. Je n'ai même pas la force de taper sur la porte ou de m'énerver, je veux juste dormir.
Je reste immobile dans le couloir quelques minutes. J'hésite un instant à aller dans le dortoir des garçons, il y a un lit en trop là-bas, mais ça risque d'être bizarre et je ne veux pas réveiller tout le monde. Alors je vais dans la chambre de Raph, ce n'est pas comme si c'était la première fois. En plus, je pourrais lui piquer un t-shirt en guise de pyjama.
Je m'étale dans son lit et après toutes ces péripéties, je vais enfin pouvoir m'endormir. Quelques minutes plus tard, le sommeil m'envahit enfin et je sens que je commence à partir. Seulement, Raph entre d'un coup en allumant la lumière.
Il l'éteint directement quand il voit que je suis assoupie dans son lit. Je n'ai pas la force de bouger ou de parler alors je ne réagis pas. Il s'installe doucement derrière moi et se rapproche de mon oreille en chuchotant :
— Je crois que tu t'es trompée de chambre, à moins que tu sois vraiment somnambule ?
Je tente tant bien que mal de lui murmurer une réponse audible :
— Jadde ... fermé à clé.
— Si elle a voulu te virer, c'est que tu dois ronfler.
Étonnement je trouve la force de lui donner un léger coup de coude. Il rit doucement et s'allonge avant de glisser son bras sur ma taille. Je me laisse complètement faire, après tout je ne vais pas me plaindre. Son odeur est réconfortante, j'ai l'impression d'y trouver un refuge. Je me surprends à vouloir arrêter le temps et rester ici le plus longtemps possible pour retrouver la force d'affronter le monde extérieur.