Darius me sourit. Un verre de soda dans une main, il prit la mienne de l'autre, pour me conduire sur le balcon de l'appartement. Il faisait beau, le ciel était céruléen. La ville s'étendait en contrebas, peuplée de gens aussi minuscules que des fourmis. Tout en riant, je réajustai la bretelle de ma robe.
-Tu es incorrigible, Darius ! Fis-je en lui attrapant son verre. Tu sais très bien que nous n'avons pas choisit nos tenues !
-Je me doute ! Qui voudrait d'horreurs pareilles !? S'exclama-t-il. Quoique, je connais un petit club sm qui a quasiment les mêmes, à quelques détails prés...
-Darius !
Il éclata de rire en m'attirant à lui. Les rayons du soleil nous doraient la peau, tout était paisible. C'était si rare, dans ma vie, dans celle de Trivari. Les seuls instants de calme étaient lorsque nous nous retrouvions, dans un moment où nous pouvions prétendre être seuls sur Terre. Je me blottis contre lui, avec un soupir. J'étais si bien. Pour rien au monde j'aurais voulu me trouver ailleurs.
-Alix !
Je décollai la tête de son torse, regardai autour de moi. Qu'est-ce que...
-Un problème ?
-Non... J'ai juste cru entendre mon...
-Alix !
Cette fois-ci, le cri provenait de Darius. Je levais le visage vers lui, surprise par l'urgence, la panique perçant dans son ton... Et soudain, je ne me trouvais plus sur le balcon, dans une douceur bienheureuse.
Allongée sur le sol, j'ouvris les yeux sur une pluie de cendres, au son d'un grincement métallique.
-Attention ! Rugit-on. Le hangar s'écroule !
Le hangar ? Quoi ? Je clignai des paupières, tentai de me redresser. Une douleur atroce fusa dans tout mon corps, me coupant le souffle. Que se passait-il ? Où étais-je !? Darius... Où étais Darius ?
Oh non... Dans le brouillard du réveil, ce ne fut pas la souffrance qui me fit verser des larmes. C'était la réalité qui s'imposa à moi, le deuil du seul homme de ma vie. Non... Non, pourquoi étais-je ici !? Laissez moi retourner sur ce balcon, je...
-Alix !
Des mains empoignèrent mes épaules. Un visage apparut au dessus du mien, me prenant au dépourvu. Couvert de cendre et de sang, il laissait transparaître deux yeux verts voilés par l'inquiétude.
-Tu es réveillée ! S'exclama-t-il. Par tous les Saints de cette fichue de Terre ! Tu es vivante !
Ce choc fut de trop. Je m'évanouis de nouveau, le visage de Darius imprimé sur ma rétine.
*
A mon second réveil, je n'avais plus mal. Dans une chambre d’hôpital, environnée d'appareils émettant des sons stridents et répétitifs, je fronçais les sourcils.
Avais-je rêvé ce visage ? Là, dans le nuage de cendres... C'était si douloureux, ces illusions...
Des voix éclatèrent dans le couloir, comme un coup de tonnerre. Je me redressai dans le lit, grimaçai à une douleur dans la cuisse. Néanmoins, je m'enlevai ma perfusion, avant de poser un pied au sol. Je tenais droite. Les cris, eux, continuaient.
Claudiquant tant bien que mal, je parvins à atteindre la porte. Je devais savoir où je me trouvais. Savoir ce qui c'était passé, savoir ce qui c'était joué pendant mes pertes de connaissance.
En faisant coulisser le battant, je ne m'attendais pas à un tel spectacle.
Aaron Cadwall avait plaqué un homme en tenue noir contre le mur. Le visage transformé par la fureur, il le secouait. Flaméne tentait de le repousser, semblant se refuser à utiliser son pouvoir. D'autres personnes se trouvaient là, mais nul ne me remarqua.
-Je n'avais pas le choix ! Rugissait l'agent contre le mur.
-Tu as toujours le choix, espèce d'enfoiré ! La prochaine fois que tu me fais un coup pareil, je t'arrache les couilles et je te les fais avaler !
-Moi, aussi je t'aime, Aaron.
-Ta gueule ! Non de... Vraiment, la ferme !
Cadwall le relâcha, avec un grondement animal.
-Je t'ai cru mort ! Je suis même allé à tes funérailles espèce de petit...
Il s’arrêta brusquement en m’apercevant. La foule parut réaliser ma présence au même instant, mais je m'en fichais. Vraiment.
Tout ce que je voyais, c'était l'homme en tenue noire. Il me fixa lui aussi, m'approcha comme si j'étais un fauve, les mains levées. Son visage était toujours couvert de cendre, le sang lui collait à la peau.
Pourtant, ces yeux verts étaient les siens. Ce demi-sourire tendu, ces cheveux en bataille... C'étaient les siens.
Ceux de Darius.
-Alix, je suis désolé. J'avais des ordres, je ne pouvais pas... Je le voulais, mais...
-Je m'en fiche, gargouillai-je en chancelant. Je m'en fiche Darius, s'il te plaît...
Ma jambe se déroba sous mon poids. Il me rattrapa, me serra étroitement contre lui. Sa chaleur, son odeur m’enveloppèrent, faisant tomber mes dernières barrières.
-Cadwall...
-Dégagez, y a personne à voir ! Tonna-t-il aussitôt.
Personne n'objecta. En un clin d’œil, nous nous retrouvâmes seuls dans le couloir, mais je ne m'en aperçus pas réellement. A genoux sur le sol, je serrais Darius contre moi, aussi fort qu'il me tenait contre lui.
Vivant. Il était vivant. Ce n'était pas une hallucination.
Un long moment fut nécessaire pour me calmer. Une heure, peut être. Mais après tout, voir son amour ressusciter donnait tous les droits, non ? Finalement, je m'écartais de lui, juste assez pour voir son visage. Avec un reniflement pitoyable, je lui souris, avant de lui administrer un gifle royale.
-Tu as une bonne raison pour t’être fait passer pour mort ? Fis-je en croisant les bras, en colère.
-Je l'ai bien mérité, avoua-t-il.
Les contours de ma main se découpaient sur sa joue sale, me faisant culpabiliser. Pas longtemps. Après tout, il ne sentait rien.
-Pour faire court, commença-t-il en m'aidant à me relever, mes supérieurs m'ont interdit de te tenir au courant, sinon la mission risquait d'échouer. Ils avaient besoin de ton comportement suicidaire.
-Mon comportement suicidaire !?
Il m'adressa un sourire condescendant.
-Retourner dans le repaire des Spirits pour trouver des informations ? Aller au palais des Velvet ? Tu ne trouves pas ça suicidaire, toi ?
Je bougonnais en m'asseyant sur mon lit d’hôpital, mécontente. Il avait raison, en plus !
-Sans compter ta transformation en bombe vivante dans le hangar. Bon sang, tu as failli y passer, Alix !
-L'inhibiteur ne fonctionnait déjà plus, fis-je en roulant des yeux. Et je ne savais pas que tu étais là. Sinon les choses se seraient passées autrement !
Darius me força à me rallonger.
-Ouais, j'ai quand même du te tirer dessus. Mon rêve. Tu te rends comptes à quel point j'ai flippé !? C'était une fléchette avec du sédatif pour arrêter ta débauche d’électricité, d’accord, mais je déteste ça !
-Tu as tué Diaz.
Il cligna des paupières, un peu surpris par le brusque changement de sujet. Finalement, il s'allongea à mes cotés sur le lit, la couverture entre nous. Je l'aurais voulu en dessous.
-Effectivement. Depuis le temps que j'en avais envie.
-Moi aussi. Merci.
Ma main glissa sur sa joue piquante, en un geste que j'avais cru perdu pour toujours. Il sourit en me prenant à nouveau dans ses bras. Je pouvais sentir sa chaleur au travers de sa tenue. Cela me réchauffait plus que tout au monde. Il était vivant.
-Une explication, s'il te plaît. Mine de rien, je t'ai bien vu te prendre une balle en pleine tête.
-Oh... Ça... Koll est capable de créer des illusions. Il devient « invisible » de cette façon.
-Comment ça !? M'exclamai-je en me redressant.
-Attends, attend s! Ne me frappe pas ! C'était le plan de base ! A chaque fois, on applique la même méthode !
-Parce qu'en plus vous n’en êtes pas à votre coup d’essai !?
-Ça a marché, non ? Tout le monde y a cru, y compris toi.
Je le giflai à nouveau, au moins pour me calmer. Bon sang ! Tous des fous, chez les agents secrets ! Koll ne perdait rien pour attendre, non plus !
-Bon, je continue, marmonna-t-il en se relevant, certainement pour échapper aux coups futurs. Une fois mon corps évacué, nous devions te sortir de là. Koll est entré dans le véhicule qui te ramenait à Toulon-Sur-Air, t'a donné le bracelet et t'a jeté dehors. De cette façon, le commissaire Xax, branché sur la fréquence du GPS intégré à la montre, t'a retrouvé. Puis mise en sécurité.
Je hochais la tête, particulièrement concentrée. La douleur à ma cuisse se ravivait, me faisant un peu regretter d'avoir enlevé ma perfusion. Mais bon, je demanderai des antalgiques plus tard. Darius faisait des allés et retours dans la chambre, sa haute silhouette moulée de noir emplissant toute la pièce.
-Diaz a jeté mon faux cadavre dans mon appartement, et la suite, tu connais.
Oui. Cela ne m'enchantait pas pour autant.
-Comment as-tu fais pour l'identification du corps ?
-Oh, ça ? Je fais partie des services secrets, mon amour. Trafiquer des dossiers n'est pas bien compliqué. Bref. Où en étais-je... Ha, oui ! Avec Koll nous avons fait le ménage sur Terre, maintenant que nous n'avions plus rien à en tirer. De plus, nous t'avons soigneusement pisté. Velvet chercherait à retrouver, c'était certain. Son fils... Que se soit pour le tuer ou le garder en vie, était trop important pour lui.
Effectivement... Finalement, il aurait voulu en faire un esclave à la solde de son travail immonde. Mais je gardais ce commentaire pour moi. Darius était trop pris dans ses explications pour être interrompu.
-Miracle ! Nos plans étaient justes, puisque il t'a attrapé à mes funérailles...
Il évita le coussin de justesse.
-... et nous a dévoilé au passage l’emplacement de ses réserves ! Non seulement, grâce à la vidéo, ce porc est en disgrâce face au gratin de la société, mais plus nous avons les noms de tous ses acheteurs ! Nous avons fait une belle prise grâce à toi, Alix.
Je le fixais. D'accord. Tout ça était d'une logique douteuse, mais ça m'allait. Par contre....
-Tu étais là quand Koll m'a tiré dessus, me laissant au milieu des cadavres de Spirits.
-Heu... Oui.
-Et dans la pièce noire où Velvet voulait me torturer, Koll n'est pas intervenu. C'était toi.
Il eut au moins la décence d'avoir l'air gêné.
-Effectivement. Je ne pouvais rien dire, Alix. Surtout pas dans le hangar. J'avais peur que tu perdes tes moyens en me voyant vivant... C'était trop dangereux.
-Tu aurais pu me le dire plus tôt, crétin !
-Impossible ! Velvet te voulait ! Si on nous avait vu ensemble, c'était fichu.
-Darius Constance Trivari !
-Quoi !?
-Tu es privé de sexe pour un mois !