- Ta mère voulait te récupérer, oui. Mais Doflamingo ne l’entendait pas de cette oreille. En apprenant ton existence, il a commencé à profondément te haïr, au point de vouloir ta mort. Je me suis souvent demandé s’il n’était pas jaloux.
J’ouvris des yeux ronds. Si la situation n’avait pas été aussi oppressante, j'aurais sûrement éclaté de rire. Doflamingo, jaloux ? Cela semblait relever de l’impossible, il n’était pas le genre de personnes à faire des caprices.
Après cette rapide remarque pensée, j’échangeai un regard avec mon père. Il semblait plus grave que jamais, et une pointe de surprise avait tiré ses traits. J’haussai un sourcil d’inquiétude. Malgré l’attitude nonchalante qu’il tentait tant bien que mal de se donner, je le connaissais par cœur et je voyais parfaitement cet air fautif qu’il cachait sous son allure détendue.
- Papa ?
- Hm ?
- Est-ce que tu le savais ?... Tout ça ?
- Je savais que Doflamingo avait une raison pour s’acharner autant sur toi, mais j'ignorais qu’il s’agissait de ta mère. Maintenant que j’y pense, ça semblait logique.
Il se tut. Ses sourcils s’étaient froncés sous le coup de la concentration et il se détourna vers Every qui, un peu après avoir commencé son récit, s’était stoppé dans la préparation de la viande pour adopter une position plus encline à la discussion. Mon père reprit alors la parole, chuchotant pour lui-même :
- Elle était donc en vie… Gyn était vivante…
Le jeune blond nous faisant face hocha la tête sans ajouter un mot. Il semblait un peu pâle, et encore plus grave qu’auparavant. Je le dévisageai un court instant, avant d’à mon tour prendre la parole.
- Pourtant, Doflamingo n’a essayé de me tuer que deux fois, lorsque j’avais 14 ans, et la dernière agression date d'il y a deux ans. Durant 13 ans, il aurait abandonné l’envie de me voir morte ?
- Non. Jamais il n’a cessé de vouloir te voir passer l’arme à gauche, mais il n’a pas essayé durant tout ce temps pour deux raisons. La première étant que tu étais presque tout le temps sur l’île de Marineford, et la deuxième relevant de sa vie privée. Puisqu’une de ses meilleures combattantes avait perdu toute envie de se battre pour lui, il a trouvé un nouveau jouet avec lequel s’amuser… Enfin, il ne l’a pas trouvé. Il s’est servi de ta mère pour le fabriquer.
Je sentis comme un poids me tomber sur le cœur, alors que mon interlocuteur se mura à nouveau dans le silence, regardant droit devant lui à travers ses lunettes. Un frisson d’horreur parcourut mon échine, mais pas que : un sentiment de surprise m’avait frappé de plein fouet. Je dévisageai longuement Every, avant de blêmir.
Le jour de notre rencontre sur Applenine, la première fois que je l’avais vu… Une impression de déjà-vu avait attiré mon attention. Maintenant, je comprenais mieux. Évidemment. J’étais idiote de ne pas avoir fait le lien plus tôt… Il ressemblait beaucoup à son père.
Voilà pourquoi il suivait loyalement Gyn. Voilà pourquoi il savait tellement de choses sur son compte. Voilà pourquoi il m’était venu en aide à New Marineford. Cet homme… Every… Il n’était rien de moins que mon frère.
Je courbai la tête vers le sol, jetant un regard stupéfait aux morceaux d’herbe plantés là. Je n’en revenais pas… Un soupir m’échappa. Je repris ma tête entre mes mains, le coeur battant, avant de relever les yeux vers Every.
- … On a combien d’années d’écart ?...
Je ne savais pas si j’avais réussi à parler d’un ton calme et posé, comme je l’espérais. Cela faisait trop de révélations en un coup. Gyn, ma mère, que j’avais tué… Et maintenant un frère assassin professionnel, dont le père voulait me tuer.
- 6 ans. Enchanté, grande sœur.
Il fit un vague signe de la main, ironique, en guise de salut. Un ricanement m’échappa. La situation était bien ironique, oui.
Tout ceci était fou… Et j'aurais bien cru à une plaisanterie si la personne me faisant face n’était pas aussi sérieuse.
Je me secouai mentalement. Le choc m’avait traversé, il était toujours là, mais je décidais de l’ignorer. Il y avait plus important, et j’aurai tout le temps ensuite d’accuser le coup.
- Si je décide de croire ce que tu dis, il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que ma… Notre mère a essayé de me tuer.
En relevant les yeux dans sa direction, je remarquai qu’Every avait haussé les épaules dans un geste désinvolte, comme si ma question lui paraissait dotée d’une réponse évidente.
- Elle ne vivait que pour deux choses. Toi, et sa vengeance contre le monde. Après ma naissance, sa soif de sang lui est revenue. Elle avait tourné la page mais a toujours souhaité concilier ses deux objectifs. Lorsque sur Applenine, tu as refusé de la rejoindre, ce fût sa haine qui fût plus forte que tout. Elle avait tout de même donné des ordres pour que rien ne te soit révélé. J’imagine qu’inconsciemment, elle avait honte.
Mon frère… Demi-frère se stoppa et nous retombâmes dans un silence profond. Aucune parole ne fût prononcée et le bruit du feu crépitant devenait un peu trop fort à mon goût, mais je ne savais pas quoi dire ou quoi faire. Je me sentais si mal… Si coupable. En mettant de côté cette histoire de frère… Le meurtre de ma mère était une blessure que j’allais devoir porter pour le reste de ma vie. Je me sentais souillée. Ce sang pesait trop lourd sur mes mains. Je serrai les dents, tentant de me calmer, mais rien de ce que j’avais pu me dire n’atténua la douleur, et ce sera pour toujours ainsi... Je ne pouvais plus l’ignorer… Si seulement elle me l’avait dit…
- Eh.
Je sentis une main se poser sur mon épaule. J’eus à peine le temps de sortir de mes pensées que je fus entraînée dans les bras de mon père. Je gardais les yeux ouverts de surprise alors qu’il me serrait contre lui. Je finis par fermer les paupières pour le serrer à mon tour, tandis qu’il murmurait à mon oreille quelques paroles rassurantes.
- Tout va bien. Sois forte, comme tu l’as toujours été. Je t’aime.
Et je retins mes larmes, me rendant compte qu’il était lui-même au bord des pleurs.