๐‘ถ๐’ƒ๐’†๐’“๐’๐’ แฏฝ ๐’๐ž๐ฎ๐ง๐ ๐ฃ๐ข...

By cielsinverses

6.1K 1.2K 1.4K

| 2169 . SATELLITE D'OBERON, SECTEUR URANIEN. | -J'aime bien voir n'importe quoi vu d'en haut. Quand on est... More

Prologue - L'univers en haut
I - ร‰lu
II - Un aperรงu des รฉtoiles
III - Quelques notes de piano
IV - Le Poisson, la citรฉ et l'univers
V - ร‰quilibre
VI - On rรฉflรฉchit trop
VII - Le saule
VIII - Violet et bleu azur
IX - Voyager 2
X - Curiosity
XI - Quelques ciels d'aquarelle
XII - Tombรฉs
XIII - Quand les fleurs fanent
XIV - ร€ l'รฉchelle de l'univers
XV - La jungle de Miranda
XVI - Phantasia
XVII - Ciels inversรฉs
XIX - Quand le jour se lรจvera
XX - L'obscuritรฉ et le sublime
XXI - Sora
XXII - Le dernier jour commence ici
XXIII - Les tempรชtes
XXIV - Saul
XXV - L'ouragan aveugle
XXVI - L'oubli
XXVII - Autour du mรชme Soleil
ร‰pilogue - Il y a une citรฉ en bas...
Fun facts
ร€ la dรฉcouverte des OCs

XVIII - Au cล“ur de la montagne

147 39 20
By cielsinverses





« Méfie toi de ce garçon. »

La jeune femme se réveilla en sursaut, avant de se redresser en position assise, haletante. Elle ramena ses genoux contre son corps et plongea sa tête entre ses mains en prenant des grandes goulées d'air tandis que son rythme cardiaque s'affolait. Une voix avait résonné en elle, profonde, si forte qu'elle l'avait tirée du sommeil. La voix retentit à nouveau, et elle frissonna à la pensée que cette voix n'avait rien d'humain.

« Il faut se méfier du garçon. »

Quel garçon ? Lentement, elle tenta de réguler les battements de son coeur. La voix était terrifiante, mais elle n'était pas du genre à se laisser impressionner.

- Qui es-tu, et que fous-tu dans ma tête ?!

Elle passa sa main dans ses cheveux, les décollant de son visage en sueur pour les ramener derrière sa tête. Si son esprit reprenait déjà le dessus, son corps, lui, réagissait étrangement à la voix. Comme si la peur s'était inscrite dans sa chair alors même qu'elle ne la ressentait pas.

« L'Élu est d'une importance capitale, tu le sais. Ce garçon est néfaste pour lui. Tu dois le tenir éloigné. »

Les pieds de la jeune femme allèrent retrouver l'extrémité du lit et elle plongea ses mains dans les draps. L'air frais entrait par l'ouverture de la fenêtre et venait caresser son épiderme. Elle inspira lentement, expira. Ferma les yeux, les rouvrit.

- De quel garçon tu parles ?

« Fais en sorte que Kim Seungmin reste loin de lui. »

Et la voix s'en alla. Elle tourna la tête de droite à gauche comme si elle avait pu voir une trace de son passage sur les murs. Mais plus rien. La présence, sombre et effrayante, s'était envolée. Elle avait prononcé son message et s'était aussitôt effacée de son esprit. La chair de poule sur ses bras était pourtant encore bien présente.

Elle se concentra un instant sur sa respiration en tentant de mettre de l'ordre dans ses pensées, leva sa main à son front pour vérifier qu'elle n'ait pas de fièvre - mais non. Il y avait un garçon, dont elle ignorait l'identité, qui pouvait nuire à l'Élu. Il était venu la mettre en garde, pour qu'elle ouvre l'œil. Et au fond d'elle, elle savait parfaitement qui il était.
















Alkun.


















Quand la conscience de Seungmin avait retrouvé son corps, la bibliothèque s'était mise à tourner. Aaron lui avait simplement signalé que l'entraînement était terminé, il avait remballé sa pochette et quitté la pièce. Son tuteur semblait préoccupé, ces temps-ci - mais à l'instant, il ne s'en formalisa pas. Il descendit du rebord de la fenêtre et vacilla un instant, comme s'il avait ingurgité de l'alcool. Sa vision resta floue quelques secondes, puis il parvint à faire la mise au point et elle se stabilisa. Il n'avait pas mal à la tête, c'était plutôt un tournis déstabilisant, comme si tout son corps était engourdi. Il avait quitté la bibliothèque aussi sec, comme si s'éloigner lui permettrait de retrouver un état normal.

Il avait traversé les couloirs d'Oberon sans les voir, ne croisant pas âme qui vive. Il faisait encore nuit - le jour ne tarderait plus. Il commencerait bientôt à poindre par delà la masse bleutée d'Uranus. En attendant, la toile sombre du ciel s'étendait entre les colonnades. Il arriva bientôt dans le jardin, là où il avait souhaité se rendre. L'après-midi était déjà bien avancée. Des groupes de personnes furetaient de-ci de-là, le long des allées, dans les pelouses. C'était toujours aussi calme, quand dans sa nuit infinie, Oberon n'était plus qu'un chuchotement. Une quarantaine de jours où les ombres se fondaient dans un mutisme respectueux, où on se reconstruisait dans une bulle de silence. Les coins ne manquaient pas, dans la cité, pour ceux qui recherchaient de la musique et du mouvement. Chacun trouvait son bonheur, mais les jardins étaient toujours lieux de calme.

Seungmin commença à déambuler dans les allées sans trop savoir où il se dirigeait. Les forces lui manquaient. Un couple s'arrêta près de lui, deux femmes mariées assez importantes dans le palais, et à l'instant, leurs noms ne lui revenaient même pas. Elles demandèrent de ses nouvelles, et comment allait Yeji, et si tout se passait bien avec son rôle d'Élu, et il répondait, d'une voix monotone, ça va, Yeji va bien, tout se passe bien, oui, non, il ne savait plus, ça tournait un peu, il balbutiait à chacune de leurs questions, sa vue se brouillait et elles ne semblaient pas le voir, et il songea, c'est fascinant, comme les gens ne voient jamais que ce qu'ils veulent voir, ça tournait tellement et elles ne voyaient rien, il aurait pu s'écrouler à leurs pieds, elles auraient applaudi la prestation. Non, Seungmin était mauvaise langue, ces deux femmes avaient toujours été adorables avec lui, et elles n'avaient sûrement que de bonnes intentions ; mais ça tournait, il était incapable de réfléchir correctement. Bientôt il était à nouveau seul, il se remit en marche, de façon un peu robotique. Un jardinier le salua sur son passage, il lui rendit son geste, le regard maintenu droit devant lui. Il voulait s'éloigner. Alors il s'enfonça encore dans le jardin, ne se rendant même plus compte de ce pied qu'il mettait devant l'autre, de cet autre pied qui le doublerait bientôt. Les arbres étaient flous au loin, dans la pénombre les graviers blancs devenaient gris. Il avait sommeil. Engourdi. Il avait l'impression d'évoluer dans un paysage de pâte à modeler, où les arbres comme les visages étaient interchangeables. Stop motion dans sa démarche saccadée. Un plateau géant, comme si tout n'était plus que des réplicas miniatures d'un monde insaisissable. Il clignait des yeux et le monde se découpait en diapositives enchaînées, jardin de carton en image-par-image muet. La bande-son avait dû se perdre au mixage, il n'entendait plus que des murmures évaporés. Bientôt, il avait parcouru une distance convenable sans même s'être aperçu du sol qu'il avait foulé. En levant la tête, il aperçut le banc sous le saule, et sans savoir pourquoi, son coeur se serra. L'arbre étendait ses branches au-dessus du sol comme une entité protectrice. Seungmin se souvenait que ce saule avait toujours été là, comme un point rassurant dans le paysage. Mais aujourd'hui, il semblait plus triste. Et l'Élu n'arrivait pas à dire pourquoi. Un instant, un regard se grava en lui, des cheveux noirs, la surface inversée d'un ciel étoilé. Puis disparut. Il détourna les yeux, continua sa route. Les jardins se désertaient à mesure qu'il s'y enfonçait. Quelques silhouettes se dessinaient aux périphéries de sa vision, mais il en prenait à peine conscience. Tout léthargique qu'il était.

Bientôt, il arriva au point où les arbres se multipliaient et proliféraient, un coin éloigné des jardins où l'on ne voyait même plus le dôme, où l'on apercevait à peine les lumières du palais. La nuit semblait plus sombre ici. Il devait être cinq ou six heures du soir. L'entraînement était terminé, personne n'attendrait Seungmin au palais. C'était faux, mais il ne pensait plus correctement, parce que son corps continuait de se vider de son énergie alors qu'il n'aurait pas cru cela possible.

Il y en a eu d'autres, des Élus, avant moi. Ça ne les a pas tués !

Seungmin secoua la tête pour réorganiser ses pensées, mais celles-ci étaient bien trop éparpillées. Jamais complètes, trop éphémères. Sa propre pensée semblait lui échapper. Il trébucha sur le gravier, sans tomber pour autant. Il continua sa route, s'enfonçant dans les arbres qui bientôt devenaient forêt. Il faisait plus noir que jamais.

Où en était-on, à ce stade du processus ? Seungmin déambulait au milieu de nulle part comme une poupée sans vie. Il ne savait même plus quelle force portait son corps, et avait l'impression que ses propres mouvements n'avaient pas été guidés par son cerveau en premier lieu. Il ne pouvait pas le décrire parce-qu'il n'arrivait même plus à prendre du recul. Les exercices l'avaient fatigué, il devait dormir. Après, ça irait mieux, mais il devait dormir. Dans son élan désordonné, l'Élu finissait par ne plus savoir si ses actions étaient réelles ou bien s'il rêvait.

Il entendit un léger frottement derrière lui, n'y prêta pas attention. Quand le bruit se répéta, il se stoppa et tendit l'oreille. Même ses cinq sens semblaient engourdis - mais il était sûr de l'avoir entendu. Il n'eut même pas la force de demander s'il y avait quelqu'un. Bientôt, il sentit une présence derrière lui, ça ne l'étonna pas. Mais il n'était pas seul dans ce jardin, non ? Il n'était pas surprenant de trouver d'autres promeneurs. Et peut-être que Seungmin avait l'esprit trop embrouillé pour se rendre compte qu'il était vraiment loin du palais.

- Kim Seungmin ?

La voix n'avait été qu'un chuchotement. Seungmin ne distingua même pas s'il s'agissait d'un timbre féminin ou masculin. Il parvint à répondre :

- Oui ?

Il allait se retourner, mais la voix fut plus rapide, et Seungmin fronça légèrement les sourcils en l'entendant.

- Désolée.

Un bras apparu soudain dans son champ de vision, et quelque chose se plaqua contre sa bouche. Il n'aurait pas eu assez de force pour réagir de toute façon. Mais il ne le réalisait pas. Il tenta faiblement de se dégager de la soudaine étreinte dans laquelle il était prise ; et puis une odeur s'infiltra dans ses narines. Sur sa bouche, c'était un mouchoir en tissu humide. Dans son cerveau, un éclat de lucidité apparut, si bref. Tu es seul, loin du palais, dans la nuit, dans la forêt, personne ne peut te voir, personne ne peut te sauver. Mais qu'est-ce qui t'est passé par la tête, Kim Seungmin ? Ses pensées n'allèrent pas plus loin, car l'engourdissement qui le prit était encore différent de celui qui lui paralysait les sens jusqu'alors. Dans une dernière manifestation de bon sens, il tenta de reprendre ses esprits et voulut crier. Mais déjà son esprit sombrait. Ses paupières se fermèrent, il s'affaissa dans des bras inconnus, et tout se volatilisa au profit de l'obscurité.



Silence.
















L'image remua, c'était flou d'abord, ça bougeait beaucoup. Des couleurs se discernaient, mais rien ne parvenait vraiment à se détacher du décor, à préciser ses contours. Un son perça le silence, bourdonnant, irrégulier, et bientôt on pouvait deviner une voix, mais elle semblait gargoter dans un langage indistinct. Et soudain, Seungmin prit conscience de lui-même.

Où était-il ?

Il cligna des yeux, sa vision était encore trouble, tout comme l'était son ouïe. Les sons lui parvenaient comme filtrés et son corps était lourd. Il devait analyser la situation.

Ça sentait la forêt.

C'est la première chose qui lui vint. Ça sentait la terre fraîche, humide, les arbres, les sentiers de sous-bois. Puis il tenta d'analyser les sensations. Sous son corps, le sol était dur, froid, comme de la pierre. Il sentit qu'il était assis, le dos contre un mur, et l'image avait arrêté de bouger, comme si on l'avait posé au sol à l'instant - mais il n'en prenait conscience qu'alors. Il remua les doigts, le sol était lisse sous ses doigts, comme du marbre, ou des dalles. Sa tête tournait encore un peu, mais petit à petit, le vertige s'évaporait et il commençait à se sentir mieux.

Bientôt, il aperçut du mouvement, et une silhouette apparut soudain dans son champ de vision, juste en face de lui. Il vit de longs cheveux noirs appartenant à une personne accroupie devant lui. Sa vision commençait à s'ajuster lentement, et il entendit une voix.

- Tu... Comment... ? ... Va... Mieux... M'entends ?

Il attendit encore un peu, le décor devenant de plus en plus net, les sons de plus en plus distincts. Il leva la main, se frotta les yeux, marmonna quelque chose d'incompréhensible. La voix reprit, plus forte et cette fois parfaitement compréhensible.

- Hé ho, ça va ?!

La main de Seungmin tomba de son visage, et il aperçut, quoique encore légèrement flou, le visage d'une jeune femme, encadré de cheveux sombres. Elle était vêtue de noir, et contrairement à ce à quoi il s'était attendu, elle n'affichait pas un air hostile. Et puis il se rappela, comme un rêve qui s'échappe, de son errance dans les jardins, de la forêt dans la nuit, de la voix et du tissu.

Il avait été enlevé.

Il remua soudain, reculant contre le mur, tentant de se redresser d'un coup. Un vertige le prit et une main se posa sur son bras.

- Eh, vas-y doucement, tu vas tomber.

- Je... Qui êtes-vous... ?

Sa propre voix était imperceptible, et il se demanda combien de temps il avait été inconscient. Il leva la tête, observant le décor, et fut bouche bée.

Sa vision revenue à son état normal lui permit de se rendre compte qu'il se trouvait dans une pièce assez grande, bien que mal éclairée, et qui semblait taillée à même la pierre. Il s'agissait d'une pierre marron, un peu terreuse, mais les murs étaient polis et propres. Le sol dallé s'ajustait à la courbure des murs, qui ne connaissaient pas d'angle mais formaient un rond approximatif. Des meubles étaient posés ça et là, quelques malles, un lit. Il y avait une lampe incrustée dans le mur qui répandait une lumière diffuse. Lentement, Seungmin se redressa contre le mur, cette fois en total contrôle de ses mouvements, puis regarda à nouveau la jeune femme.

- Où je suis... ?

Elle sourit et se redressa en s'époussetant les genoux. Dans la faible lumière, ses cheveux avaient des reflets violets. Elle lui tendit la main pour l'aider à se relever.

- Je vais te faire visiter.












La pièce dans laquelle Seungmin s'était réveillé n'était rien en comparaison de celle dans laquelle il fut emmené ensuite. Là, le plafond atteignait une hauteur vertigineuse, où les murs, toujours courbés, se retrouvaient en voûte. Les lumières se multipliaient sur leurs parois, presque toutes allumées, et il distingua les motifs bleus tracés sur le dallage blanc. Au centre de la pièce, il y avait une table immense, et de rares meubles comblaient tant bien que mal le vide cet immense espace. Et puis, contre un mur, il y avait une silhouette que Seungmin reconnut.

- Hé... Je t'ai déjà rencontré, tu étais à l'Éveil, toi, non ?

Le jeune homme interpelé s'avança avec un sourire contrit, avant de tendre la main.

- Effectivement. Je suis Han Jisung d'Umbriel, heureux de vous revoir.

Seungmin ne serra pas sa main et il la ramena contre lui sans sembler se formaliser.

- J'espère que Jiu s'est bien occupée de vous.

Seungmin le regarda avec de grands yeux, l'air de se demander si on était en train de se foutre de sa gueule. Puis il eut un rire jaune.

- Oh, bien-sûr, ne vous en faites pas. Elle a du flair, je ne sais pas comment elle a deviné que j'adorais être drogué, puis enlevé et emmené dans un endroit absolument paranormal. Ma passion.

Jisung eut un rire franc et Seungmin se demanda sérieusement s'il avait atterri chez des fous. Hé ho, j'ai été kidnappé, en fait, quelqu'un s'en rappelle ?

L'habitant d'Umbriel retrouva son sérieux et reprit la parole.

- Désolé pour ces petites... Complications. On n'avait pas vraiment d'autre choix, mais on ne te veut pas de mal. Bien au contraire.

L'Élu haussa les sourcils, pas spécialement convaincu. Il ne remarqua même pas que Jisung s'était mis à le tutoyer, à vrai dire, il préférait ça. Il fit quelques pas en arrière, le nez en l'air, détaillant les lieux comme si lui-même oubliait la situation. Mais il était loin de perdre le nord.

- Et vous me voulez quoi, au juste ?

- On attend le boss et on t'explique.

Seungmin leva les yeux au ciel. Bin tiens. Ils ont un boss. Et puis des flingues, sûrement, et ils vont me lier à une chaise et demander une rançon à ma mère. Faites vite, sérieux, j'ai pas votre temps !

Finalement, il s'avança vers la table et commença à détailler tous les papiers qui s'y trouvaient. Les feuilles étaient entassées sans ordre apparent, et couvertes de notes, de cartes, de schémas. Il aperçut le mot « Élu » répété bien trop de fois et ne put s'empêcher de demander :

- C'est un complot entier contre moi, votre truc, ou c'est comment ?

Jisung s'approcha et scruta lui aussi les feuilles, avec l'air neutre de celui qui n'a rien à se reprocher et dont la seule préoccupation est son repas du soir.

- Complot, j'aime bien l'idée. C'est pas vraiment un complot, mais on pourrait renommer ça, non ?

Seungmin soupira de dépit tandis que, derrière lui, il entendait Jiu faire les cent pas sans souffler mot. Jisung souleva une feuille, regarda ce qui se trouvait dessous, la replaça correctement.

- Mais que ce soit une organisation, un complot ou un gang de ninjas, tu te trompes sur la finalité.

Seungmin leva son regard blasé vers lui, l'air de dire : « ah oui ? » Jisung sourit de manière si franche que l'Élu se demanda si cet homme n'était en fait pas simplement stupide.

- On n'agit pas contre toi. Mais pour toi.

Seungmin hocha la tête avec un air désabusé, comme s'il avait à faire à un enfant. Non, mais c'est sûr, ça ne fait aucun pli. Comment ai-je pu douter d'eux ?! Sérieusement. L'Élu commençait à perdre patience, quand des pas retentirent soudain, et Jisung redressa la tête. Jiu arrêta de piétiner sur place. Le son venait d'un couloir, et il résonnait dans la cavité de la roche. En son for intérieur, Seungmin se prépara à voir surgir un immense type couvert de muscles et de tatouages tribaux. Après tout, il s'agissait du boss d'une organisation douteuse, et qui vivait littéralement dans une... Montagne. Alors il fallait s'attendre à tout.

- Ce type, qui arrive, il va me découper en rondelles, non ? Demanda-t-il en chuchotant à Jisung, comme si soudainement ils étaient complices.

Peut-être que Seungmin commençait à réaliser qu'il était à la merci de parfaits inconnus, et souhaitait-il se raccrocher au seul visage connu alentours. Il ne savait pas qui il s'apprêtait à rencontrer et se demandait s'il était véritablement en danger. C'était peut-être le moment de réellement paniquer.

Bientôt, une silhouette émergea enfin, coupant l'Élu dans toutes ses anticipations. Jisung, à ses côtés, lâcha un « hi boss », reçut un regard noir, et Seungmin s'exclama :

- Votre boss... A quinze ans ?!

- J'EN AI SEIZE !!

Seungmin avait les yeux écarquillés, fixant le « boss » d'un air incrédule, tandis qu'à ses côtés, Jisung explosa de rire. Même Jiu sembla amusée. Le boss, lui, semblait vexé. Il avança dans la pièce avec une moue apparente, et Seungmin se détendit en réalisant qu'il était tout sauf effrayant. Sauf que Jisung reçut un regard si sombre qu'il ravala son rire, et l'Élu songea qu'il ne devrait pas juger trop rapidement.

- T'es bien insolent, pour quelqu'un qu'on enlève. Bienvenue quand même, Kim Seungmin.

Seungmin relâcha ses épaules, et enfonça ses mains dans les poches avec nonchalance comme s'il ne se sentait plus du tout en danger. C'était faux, il se méfiait de ce jeune homme plus que de n'importe qui dans la pièce - quoiqu'il n'aurait pas confronté Jiu de plein gré, il était encore sain d'esprit. La jeune femme alla d'ailleurs s'adosser contre un mur, tandis que Jisung jouait avec les cartes sur la table comme un enfant. Lui, Seungmin n'arrivait pas à en avoir peur. Autant le jeune homme avait un charisme inimaginable, autant son comportement lui donnait envie de lui donner une compote et l'envoyer faire la sieste.

Finalement, il se racla la gorge et prit la parole lui-même :

- Vous reconnaissez donc m'avoir enlevé.

- Oui.

La franchise du gosse étonna Seungmin. Ce garçon était bien plus jeune que lui, et son visage juvénile aurait été attendrissant sans son air dur - mais l'Élu sentait qu'il ne fallait pas lui marcher sur les pieds. Cependant, le boss radoucit son expression, et Seungmin se fit la même réflexion qu'avec Jiu plus tôt : il n'avait pas l'air hostile. Ces gens l'avaient kidnappé, mais se comportaient comme s'ils souhaitaient lui faire comprendre qu'il ne devait pas se méfier d'eux.

Le boss marcha un instant dans la pièce, puis s'arrêta devant la table, plantant son regard dans celui de Seungmin qui se tenait de l'autre côté. Il eut un petit rictus de sale gosse.

- Bon, je me suis bien amusé. Maintenant, on va t'expliquer.

Seungmin le regarda sans répliquer, dubitatif. Le jeune homme s'étira et parla à nouveau.

- Nous t'avons... Enlevé, car nous avons besoin que tu répondes à quelques questions.

- Une visite au palais aurait suffit.

- Je ne crois pas.

Lentement, le jeune garçon commença à trier les papiers sur la table, chose qu'il ne semblait pas faire souvent. Il ne souriait pas, il avait simplement un air nonchalant, comme s'il n'avait absolument pas enlevé l'Élu d'Oberon dans la journée.

- En fait, c'est encore plus compliqué que ça. On n'est pas trop les bienvenus, sur Oberon

- Il vient bien tout le temps, lui, répliqua Seungmin en montrant Jisung du doigt.

Celui-ci avait déniché des gâteaux il ne savait où et les mastiquait consciencieusement en les fixant sans rien dire. Seungmin le soupçonnait de le faire exprès pour qu'il baisse la garde. Il leva les yeux au ciel et retourna son attention vers son interlocuteur premier.

- Han Jisung est un visage public, alors oui. Mais c'est le seul. Et ses réelles motivations ne sont pas connues du grand public.

- Motivations que j'attends toujours de connaître.

Le boss soupira.

- J'y viens. Notre organisation, si on peut l'appeler ainsi, a été créée afin de nous occuper de l'Élu. C'est-à-dire toi.

- Je m'occupe très bien de moi tout seul.

- Mais laisse-moi finir !!

Seungmin sursauta à cet éclat de voix et rentra la tête dans les épaules, signe qu'il écoutait attentivement. Le jeune homme face à lui grommela dans sa barbe, et il l'aurait presque entendu dire : « les jeunes, de nos jours... »

- Vois-tu, malgré ton apparente capacité à t'auto-gérer (la pique était saupoudrée d'un sarcasme bien audible), tu ne peux rien faire contre ta propre nature, et le fait d'être Élu est un danger pour toi. C'est de ça que nous voulons te sauver. En f...

- Je ne vois pas en quoi être Élu est un danger. Je ne vois pas en quoi ça vous concerne, même, et en quoi m'enlever va vous aider. Et...

- Mais ferme ta gueule, putain de Seungmin !!

Cette fois, même Jisung rentra les épaules. Dans son dos, Jiu était un véritable bloc de glace, inébranlable.

- Finalement, je vais rentabiliser cet enlèvement et te revendre sur le marché noir, ça m'évitera bien des emmerdes !

Malgré tout, Seungmin avait quand même envie de rire, parce que ce boss de seize ans était indéniablement amusant et qu'il avait même l'impression de taquiner un ami. Il fit cependant profil bas, et le boss, après s'être assuré d'avoir capté son auditoire - définitivement, il l'espérait - reprit la parole avec lassitude.

- Bon, maintenant que tu m'écoutes avec toute ton attention, espèce de mal élevé, voilà de quoi il retourne : tu es Élu, et c'est ce qui met ta vie en danger. Tu ne t'es jamais demandé ce qu'il était arrivé aux Élus avant toi ? Pourquoi on n'en faisait jamais mention, pourquoi ils étaient tous morts avant même d'avoir atteint la trentaine ?

- Je ne savais même pas à quel âge ils étaient morts

Et cette fois, Seungmin n'avait plus envie de rire. Non seulement il était en train de remettre en question l'entièreté des membres du Conseil, mais en plus ce qu'il entendait le faisait désormais s'inquiéter pour sa propre vie. C'est rarement agréable de s'entendre dire que l'on va invariablement mourir avant même d'avoir trente ans. Son cerveau parvenait tout juste à enregistrer l'information.

- Et il y a une raison pour laquelle cela a été caché. On ne doit pas savoir que les Élus sont destinés à mourir avant même d'être nés.

Seungmin ne répondit pas. Il regrettait un peu de se trouver là et d'entendre ce qu'il entendait. Il avait beau s'en douter, il ne voulait pas l'entendre. Il ne voulait pas savoir tout ça. Il avait envie de nier en bloc, de s'enfermer dans le déni et de ne jamais y revenir. Parce-que tout ce qui lui était raconté à l'instant ne pouvait définitivement pas être vrai.

Si c'était vrai, ma mère ne m'aurait pas envoyé là-dedans, se répétait-il, encore et encore. Si c'était vrai...

- Tu vois, Seungmin. Depuis tout ce temps, ce qui fait la fierté d'Oberon, c'est une tradition tout sauf saine. Les Élus, toi et les autres, êtes la pâture de l'univers. Désolé, mais je ne vois pas comment te le faire comprendre autrement.

Le regard de Seungmin s'était perdu dans les motifs bleus du sol dallé, et il se dirigea finalement à nouveau droit dans celui du boss. Qu'importe qu'il ait seize ans, au fond. Seungmin avait rarement rencontré quelqu'un de si sérieux. Il avait l'air si mature. Et c'était la première fois que quelqu'un lui parlait de son rôle sans passer par de grandes phrases enjolivées, mais en allant droit au but, et en énonçant enfin la vérité derrière tout ça. Il ne savait pas s'il voulait l'entendre, mais il sentait qu'il devait rester jusqu'à la fin.

- On fait des recherches, mais c'est difficile. Notre but est de mettre un terme à cette boucle infernale. Mais on a besoin de toi. Ton rôle est pratiquement insaisissable, on ne sait pas comment tu fais fonctionner tes pouvoirs, quel lien tu entretiens vraiment avec l'univers. On a des questions, et si tu pouvais...

- Je n'en sais rien.

Seungmin échangea un long regard avec le garçon, et il se sentit si impuissant par rapport à sa propre personne. Il avait l'impression que tout lui échappait, et lui-même en premier. Seungmin était sa propre énigme, ça ne datait pas de la veille, mais ce jour-là plus que tous les autres. Et il ne voulait pas l'accepter. Il ne voulait pas accepter que ce pouvoir pouvait avoir raison de lui.

- Je n'en sais rien. L'univers ne me dit rien. On ne me dit rien. J'exécute bêtement ce qu'on me demande, voilà. Qu'est-ce que je peux vous dire ? Je ne vois même pas en quoi exactement ce rôle peut me tuer...

- Tu sais bien ce que tu fais, quand tu utilises ton pouvoir, non ?

Il sembla quand même hésiter.

- Je... Je contrôle l'univers. Voilà ce que je fais. Et c'est tout, il n'y a pas de danger à le faire...

Sa voix faiblissait, et son interlocuteur embraya aussitôt.

- Ah oui ? Alors qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, "contrôler l'univers", Kim Seungmin ? Tu penses pouvoir tout influencer ? Avoir le pouvoir de créer et de détruire des planètes ? Intervertir les constellations, percer un trou noir ?

L'Élu ne répondit rien, les mots restaient bloqués dans sa gorge, et le boss se remit en mouvement, commençant à aller et venir dans la pièce sans but. Sa voix se faisait plus forte, son regard plus sombre. Seungmin était statufié devant sa détermination.

-Et puis, qu'est-ce que c'est, l'univers ? L'espace en lui-même, tel qu'on s'acharne à le réduire ainsi, ou chaque molécule que compte cet espace ? Tu penses pouvoir donner la vie et la reprendre ?

Les yeux de Seungmin se remplirent de larmes, et il papillonna des yeux en s'en rendant compte. Soudain, il avait peur. Il ne voulait pas savoir. Il ne comprenait ni son rôle, ni sa présence ici, ni ce qu'on attendait de lui. Ni ce qu'il voulait lui-même. Tout ce qu'il souhaitait, c'était rentrer au palais et filer sous sa couette. Mais le boss, lui, n'en avait pas terminé.

- Il y a une entité, Seungmin. Une entité qui a une emprise immense sur ce que vous appelez "univers", et qui te confère son pouvoir en suivant ce qui a été dit. Ne crois pas que cela n'ait pas de prix !

Le boss s'arrêta en constatant que l'Élu s'était mis à trembler. Il se rapprocha doucement et posa ses mains sur les épaules de son aîné. Quand sa voix s'éleva à nouveau, elle était bien plus douce.

- Hé, Seungmin. Ne panique pas. Si tu es ici, c'est pour trouver une solution avec nous. Je ferai tout mon possible pour que jamais tu ne sois victime de l'ultime conséquence de ta fonction.

La lèvre inférieure de Seungmin tremblait, il avait l'air si fragile. Il se répétait, encore, et encore, si c'était vrai, ma mère ne m'aurait pas envoyé là-dedans. Jamais.

Il parla à nouveau, d'une toute petite voix.

- Pourquoi vous voulez à ce point me sauver ? Je veux dire, c'est vrai que ça a pas l'air très moral, mais vous avez bien d'autres choses à faire, non ?

Car par-dessus tout, c'était ça qu'il ne comprenait pas. Pourquoi justement ce parfait inconnu, encore jeune, qui avait toute sa vie devant lui, était-il prêt à tout mettre en œuvre pour le sauver de sa situation ? Le boss soupira.

- Parce-qu'il y a seize ans, c'est cette même entité qui a bousculé ma vie entière et m'a séparé de mes parents à jamais. C'est le même combat, cousin.

- Cousin... ?

Le jeune homme eut un air triste, mais sourit néanmoins. Seungmin avait l'impression qu'il était passé à côté de bien trop de choses. Mais sans raison, il n'avait plus peur de ce garçon, au contraire. Sans raison, il voulait savoir la suite. Parce-que ce garçon semblait avoir plus en commun avec lui qu'il ne le pensait de prime abord, parce que sa détermination forçait l'admiration et que Seungmin voulait le connaître.

- Je ne me suis même pas présenté. Je m'appelle Yang Jeongin.

Sur son visage juvénile, un sourire pâle apparut, comme un fantôme. Il n'y avait plus trace de joie sur son visage, et Seungmin put presque anticiper la suite.



- Et je suis le fils de Kim Sora.








Continue Reading

You'll Also Like

57.1K 5.5K 62
Tous les personnages (ou presque) vivent dans le mรชme immeuble. Entre les voisins qui font du bruit toute la nuit, ceux qui ne sortent jamais de leur...
543 81 8
"Cher Beomgyu encore une journรฉe enfermรฉ dans cette petite chambre qui sent le dรฉsinfectant. L'infirmier a dit que mon รฉtat semblait s'amรฉliorer, je...
134K 7.7K 39
Parfois, un sourire ne fait pas illusion Victoria est la jeune recrue de McLaren aprรจs un an passรฉ chez Williams, elle compte bien mener son รฉquipe a...