Une animosité non dissimulée pouvait se lire dans son regard sombre qui avait le don de me glacer l'échine. Il fronça ses sourcils avant de me lancer avec véhémence :
-Qu'est-ce que tu fous là toi ?
Réalisant à peine la situation, les mots restèrent bloqués à la barrière de mes lèvres alors que ses yeux se mirent soudainement à faire des aller-retour entre mon père et moi, se dernier gardant une attitude impassible face au garçon. Il n'allait même pas le remettre à sa place pour m'avoir parlé comme ça ?
Comme si l'arrogant brun commençait lentement à comprendre la situation, ses yeux s'écarquillèrent alors que sa mâchoire manqua de se décrocher. Il émit un léger mouvement de recul avant de reprendre :
-Non, me dit pas que...
Tandis qu'il laissait sa phrase en suspend, ahurie, mon père se carra dans son fauteuil et s'exclama :
-Eh bien, je vois que vous avez déjà fait connaissance tous les deux !
Interloqué, le garçon reporta son regard sur moi, se mettant alors à m'étudier d'une étrange façon, presque intimidante, comme si il me redécouvrait.
Mal à l'aise, je me retournai, m'enfonçant dans mon siège tout en foudroyant mon père des yeux.
-Si tu comptes sur cet espèce de taré pour assurer ma sécurité, autant dire que je suis déjà morte ! m'emportai-je
J'entendis les pas du garçon concerné se rapprocher avec rapidité dans mon dos alors que mon père nous fixaient toujours d'un air que je n'aurais su définir.
-Marcus, il faut qu'on cause, lança le grand brun.
Je relevais mon visage vers lui, son regard noir accrochant soudainement le miens.
-Seul à seul, reprit-il sans me lâcher des yeux.
Je redressai le menton, continuant de lui faire face et rassemblais tous l'aplomb que je possédais pour lui répondre d'un ton sans appelle:
-Si t'as quelques choses à dire, dis le. Mais moi je ne bouge pas d'ici.
Je vis ses mâchoires se contracter violemment alors qu'il m'assassinait d'avantage des yeux. Soufflant d'énervement, il se tourna vers mon père, les bras croisés contre son torse.
-Premièrement, pourquoi tu ne m'avais pas prévenu que t'as chère progéniture n'était pas une putain de gamine ? Et deuxièmement, je refuse de m'occuper de cette petite emmerdeuse, j'en ai marre de faire ton sale boulot, cracha-t-il avec hostilité.
Légèrement déroutée par le ton qu'il employait face à son chef, je posais mes yeux sur mon père afin d'étudier silencieusement sa réaction. Ses traits s'étaient considérablement assombrit, son regard devenant plus menaçant tandis qu'une veine s'était mise à battre avec ferveur contre sa tempe. L'orage grondait et menaçait d'éclater à tout moment.
Mon père se leva lentement de son fauteuil, posant sa paume contre le bois du bureau et alors qu'il ne détournait pas son attention du garçon, s'adressa à moi d'une voix grave :
-Era, laisse nous un moment s'il te plaît.
Voyant que cette fois-ci il ne valait mieux pas le contrarier, j'écoutais sagement son ordre et me levais de mon siège, non sans adresser un dernier regard meurtrier à l'intention du Bloody Reaper qui ne semblait pas le moins du monde intimidé par l'attitude glaciale de mon géniteur. Une fois la porte fermée, je ne pu résister à l'envie de coller mon oreille contre le bois de celle-ci, tentant vainement d'entendre quelques bribes de ce que je présumais être une altercation entre les deux hommes. Concentrée dans ma mission, je sursautais lorsqu'un raclement de gorge retentit derrière mon dos.
Me retournant vivement, je posais ma main sur mon cœur affolé dans ma poitrine alors que je découvrais face à moi l'auteur de ma presque-attaque mortelle. Un jeune homme à la silhouette élancé affichait un air hilare sûrement du à ma réaction. Ses cheveux en bataille et décolorés, à la limite de l'argenté, lui donnaient une apparence peu commune alors que son long visage aux traits fin se fendait en un sourire communicatif, me prouvant qu'il était fière de sa petite plaisanterie. Lorsqu'il s'arrêta finalement de rire, il essuya rapidement le coin de ses yeux avant de me lancer :
-Excuse-moi, c'est juste que la tronche que t'as tirée était hilarante !
Je me détendis légèrement, décrispant mes épaules en lui adressant un demi-sourire. Enfin une personne aimable dans ce satané gang...
-Tu sais que ce n'est pas polit d'écouter au porte jeune fille ? ricana-t-il.
-Et toi, tu sais que ce n'est pas bien de se mêler des affaires des autres ? rétorquais-je, amusée.
Il m'adressa un nouveau sourire rayonnant puis m'étudia quelques secondes avec curiosité, à l'instar d'un petit garçon découvrant son tout nouveau joujou.
-Je ne t'avais jamais vue ici, pourrais-je savoir à qui ai-je l'honneur de faire face ? me questionna-t-il alors.
-Erato. Erato Carlton. Je suis la fille de Marcus...
Ses grands yeux s'arrondirent instantanément alors qu'un air étonné s'imprégna tout à coup sur son visage.
-Non, tu veux dire que c'est toi la fille du boss ? Et dire qu'on s'attendait à voir une gamine avec deux couettes ! Putain de Caz, il a toujours une de ces chances, c'est dingue ! J'en connais qui vont être jaloux...
J'haussai un sourcil tout en ne pouvant empêcher un petit ricanement de m'échapper.
-Il n'avait pas l'air si heureux pourtant quand il a menacé de me tuer et m'a traité de « petite emmerdeuse »...
Le garçon soupira en se frappant le front dans un geste presque théâtral.
-Quel idiot celui-là ! Il est vraiment irrécupérable, se consterna-t-il. Pardonne le, il fait le gros dur toujours en colère mais dans le fond, je te promet que c'est un vrai Bisounours !
Un vrai Bisounours ? Je ne pouvais qu'en douter lorsque le souvenir de son regard sombre et de ses commentaires cinglants assiégèrent mon esprit. Nous fûmes brutalement coupé dans notre discussion quand la porte s'ouvrit à la volée sur le sujet principale de cette conversation. Quand on parle du loup...
Il m'adressa un rapide regard des plus glaciales avant de tourner son attention sur le garçon face à moi. À en juger par son expression encore plus ombrageuse qu'avant que je ne quitte la pièce, le petit tête-à-tête qu'il avait eu avec mon père n'avait pas dû réellement l'enchanter.
-Oh tiens ! On parlait justement de toi et de ton adorable caractère mon pote, s'exclama le décoloré.
-Ferme ta gueule Knox, je suis vraiment pas d'humeur, rétorqua-t-il froidement avant de se tourner vers moi et d'accrocher ses yeux noirs aux miens. Dans dix minutes à l'entrée principale. T'as pas intérêt à me faire attendre c'est clair ?
Je croisais les bras contre ma poitrine en le dévisageant avec provocation. Son petit ton autoritaire ne m'impressionnait en rien et il allait très vite le comprendre...
-Sinon quoi ? le défiais-je.
Sa mine s'assombrit instantanément lorsqu'il reprit d'une voix plus grave et basse encore:
-Je te déconseille de jouer à ce petit jeu avec moi, mon ange...
Encore ce surnom idiot qui sonnait dans sa bouche comme une douloureuse menace.
Il n'attendit pas ma réponse et nous dépassa, s'engouffrant dans le couloir sombre sans un regard supplémentaire. Les sourcils froncés, je regardai ce malade chargé de me protéger disparaître de mon champ de vision. Quelle ironie...
-Qu'est-ce que je te disais ? Un vrai Bisounours ! s'exclama alors Knox.
...
Arrivée dans l'entrée principale, je m'asseyai sur le long canapé en cuir noir qui décorait la pièce, attendant avec une certaine appréhension que mon bourreaux ne daigne venir me chercher pour me conduire jusqu'à l'échafaud. Je croisai de temps à autres quelques personnes qui me lorgnaient avec une certaine méfiance tâché de curiosité, en majorité des hommes mais également quelques femmes qui n'étaient d'ailleurs que plus intimidante. D'ordinaire c'était moi qui rendais les gens nerveux, pas le contraire. Étrangement, on aurait dit que les rôles s'étaient inversés et je n'aimais pas du tout être en position de faiblesse.
Après tout, je restais une Carlton, ils travaillaient tous pour mon père donc pourquoi devrais-je m'inquiéter de leurs regards inquisiteurs ?
Je fus arrachée à mes pensées par la silhouette qui fit soudainement irruption dans la pièce. Le Bloody Reaper, portant, d'après ce que j'avais pu comprendre le nom de Caz, se dirigea vers moi, toujours accompagné de ce regard dur qui ne semblait que très rarement le quitter. Il balança à mes pieds le gros sac contenant toutes les affaires que j'avais prise à la hâte il y a de ça à peine deux jours, quand on m'avait appris que j'embarquais dans l'heure pour la Californie. Il tenait fermement de son autre main la hanse d'un sac noir, sûrement celui où il comptait planquer mon corps une fois qu'il m'aurait tuer puis découper en petit morceaux, songeais-je alors.
-Suis-moi, me lança-t-il en partant sans attendre vers la porte d'entrée.
Je saisissais mon sac à la hâte et le rejoignis, n'ayant de toute façon d'autre choix que d'écouter ses directives.
Sur la grande place de gravier faisant face à l'entrée de la villa était garé un grand 4x4 noir aux vitres teintés de la même couleur, paraissant comme neuf de part l'éclat de sa carrosserie. Le brun se dirigea vers le coffre qu'il ouvrit pour y fourrer sans délicatesse nos affaires avant qu'il ne m'ordonne de monter dans le véhicule. J'hésitai un instant, pas vraiment certaine de vouloir me retrouver seule dans l'habitacle avec ce type franchement flippant. Et puis où m'emmenait-il ? N'étais je pas venue jusqu'en Californie pour pouvoir rester sous la surveillance de mon père ?
-Bouge, s'impatienta-t-il.
Sous l'emprise de sa voix autoritaire et ne trouvant de toute façon aucune autre issue, je me résignai et m'installai sur le siège passager. Il boucla sa ceinture et alluma le moteur alors que je me renfrognai dans le siège de cuir noir, les bras croisés et la tête tournée vers la fenêtre de la portière.
-Met ta ceinture, m'ordonna-t-il soudainement.
Je tournais mon visage vers lui pour analyser ses traits. Alors il était sérieux ? Il allait réellement me traiter comme une enfant ? J'aurais bientôt 19 ans, et certainement pas besoin d'un baby-sitter pour me dire ce que devais faire ou non ! Voyant que je ne comptais pas lui obéir, il crispa ses mains sur le volant, le serrant si fort que je vis ses jointures blanchirent.
-Attache cette putain de ceinture, redit-il alors les dents serrées.
Toujours enfermée dans mon mutisme et ne souhaitant absolument pas lui faciliter la tâche, je me tournai face au pare-brise pour fixer un point droit devant moi, bien décidée à l'ignorer.
Tout à coup, il jura avant de se pencher d'un geste brusque vers moi. Quelques peu déstabilisée par cette soudaine proximité, je me reculai dans mon siège alors que ma vue fut barrée par ses cheveux ébènes et que les effluves de son odeur étrangement enivrante venaient chatouiller mes narines. Était-ce l'Eau de Cologne ? Ou l'odeur du tabac froid ? Il attrapa d'un coup sec la ceinture à côté de mon épaule et s'écarta pour l'attacher sans délicatesse, si bien que celle-ci brûla la peau découverte de ma gorge.
-Aïe, m'exclamai-je alors qu'il se replaçait correctement en face du volant.
J'apportai une main sur ma peau pour masser légèrement l'endroit endoloris alors que le fou furieux à mes côtés sortit une cigarette et un briquet de sa poche qu'il alluma sans attendre. Tirant une taffe qu'il prit la peine de recracher par la fenêtre, il tourna son visage vers moi pour ancrer son regard sombre dans le miens.
-T'as vraiment plus intérêt à me casser les couilles, sinon je te promet que je vais faire de t'as vie un véritable enfer.
Sans plus tergiverser, il empoigna le levier de vitesse et sortit dans un dérapage bruyant de l'allée, nous engageant directement sur cette route désertique qui m'était inconnue. Alors qu'il appuyait sur l'accélérateur, je me jurais silencieusement de ne pas me laisser marcher dessus par cette brute. Il croyait pouvoir faire de ma vie un enfer ? Alors c'est ce qu'on allait voir. Que le meilleure gagne...