Je vais ici faire une petite analyse corrélative des actes de Ymir et Eren au vu des dernières révélations du manga, et déterminer ainsi les grandes lignes de ce que je pense être la trame de SnK, pas forcément sa fin, mais au moins un des thèmes qui parcoure l'oeuvre : le cycle de la vengeance, la coopération et le pardon. Il ne s'agit que d'une meta, donc de mon ressenti. Il y aura donc des spoilers, évidemment.
Fallait-il libérer les cochons ?
J'étais dubitative sur le fait que nous aurions une énième révélation sur Ymir car il me semblait que tout avait été dit déjà sur son passé. Mais force est de constater que Isayama aime faire de la rétention d'infos pour nous les servir au moment où on s'y attend le moins lol Après nous avoir fait entrevoir la vie misérable et courte d'une fille innocente réduite en esclavage à tous les stades de son existence, Isayama nous livre une nouvelle version de cette histoire. Il nous montre l'acte de rébellion initial, celui qui a finalement enclenché tous les évènements qui ont suivi et qui a donné naissance à SnK.
Un acte anodin, qui semble si insignifiant dans le grand cours des choses, une rébellion si justifiée et attendue qu'on se prend à ne même plus y penser. Ymir a libéré les cochons.
Replantons le décor. Ymir fait partie d'un peuple opprimé et esclavagé par les Eldiens primitifs (je le rappelle puisque apparemment tout le monde ne l'a pas encore compris : Ymir n'est pas eldienne). Privée de parole depuis qu'on lui a coupé la langue, Ymir n'a eu aucun moyen du haut de son jeune âge pour exprimer sa colère et sa rancoeur envers le reste du monde. Un jour, sans doute sur un coup de sang, elle ouvre la porte des cochons d'élevage dont son peuple avait la garde et les laisse s'enfuir, libres comme elle ne le sera jamais. En représailles, le roi Fritz menace les esclaves de leur arracher un oeil à tous s'ils ne dénoncent pas un coupable. Ils désignent Ymir, la fautive. Le reste, vous le connaissez.
Cet acte de rébellion, finalement assez infantile et peu grave, peut se comprendre facilement. Qui n'aurait pas agi ainsi dans la situation d'Ymir ? Le ressentiment, la colère, la vengeance maturés pendant des années peut amener à ce type de geste, dont on ne mesure pas les conséquences. Pourtant, c'est bien de ce geste que naîtra toute la tragédie de SnK. Un acte de rébellion, de vengeance, perpétré par un enfant qui n'est pas libre mais qui ne pouvait anticiper ce que cela engendrerait.
Les doigts accusateurs pointés sur elle peuvent eux aussi se comprendre. Pourrait-on, vous et moi, accepter de se faire arracher les yeux pour une faute aussi stupide dont nous ne sommes pas coupables ? Peut-on blâmer les esclaves d'avoir abandonné Ymir, de l'avoir dénoncée ? C'est une réaction légitime au vu de la menace (et le roi Fritz est un fou capable des pires sévices). Cette enfant inconsciente a mis tous les siens dans une position compliquée et mortelle, eux qui sont déjà dans la pire des conditions, dont elle devait finalement porter seule les conséquences. C'est le martyr d'Ymir, la croix qu'elle a choisie de porter. Elle devra donc la porter seule.
A travers cet épisode douloureux, Isayama nous montre à quel point les positions peuvent être difficiles à tenir. Il ne prend pas parti. Ymir a eu tort, car elle a agit sans conscience, mais aussi raison car sa souffrance était réelle. C'est toute l'histoire de SnK, cette impossibilité à prendre un parti définitif, c'est le conflit entre Eldia et Mahr, qui risque de détruire le monde.
Fallait-il libérer les cochons ? Ou fallait-il continuer à souffrir en silence, quitte à fomenter une rébellion mieux préparée, mieux organisée contre les tortionnaires, avec l'assentiment de tous ? Ymir a agit seule et a fini seule. Tout son peuple s'est retournée contre elle. Et c'est là que sa comparaison avec Eren prend son sens.
Loin de moi l'idée de comparer leurs vies respectives. Ymir a eu une existence infiniment plus merdique qu'Eren (et elle n'est mise en concurrence à ce niveau-là qu'avec Livaï) qui justifie plus qu'amplement son pétage de plomb puéril avec les cochons. Eren a eu une enfance heureuse jusqu'à la chute de Maria, même si enfermée, comme celle de tous ses congénères. On ne peut tout de même pas nier que dès son plus jeune âge, il fait déjà preuve d'un sang froid anormal pour un enfant, et même d'une facette psychopathique que Mikasa ne réalisera que plus tard. Soyons honnêtes, si nous devions avoir affaire à un enfant à la vie apparemment sans histoire capable de tuer avec enthousiasme un adulte (pour sauver quelqu'un qu'il connaissait à peine et même pas pour se sauver lui-même) sans en récupérer aucune séquelle traumatique, nous serions tous très inquiets pour son avenir. Eren et Ymir sont tous deux des enfants instables à qui ont a confié de trop grands pouvoirs. Et il n'y a pas pire danger qu'un enfant instable auquel on donne un flingue pour tuer.
Eren a agi comme Ymir. Obsédé par sa soif de vengeance, il a éliminé de son esprit les éventuelles objections des siens, les a mis en danger pour satisfaire cette soif. Le grand terrassement, ce sont les cochons d'Eren. Ymir a été ivre un instant de l'idée de pouvoir nuire à ses geôliers et a ouvert la barrière, sourde aux conséquences éventuelles, seulement heureuse de ce geste de provocation. Eren a dépassé le stade de la provocation, mais sa motivation est la même : "vous m'avez fait du mal, je vais vous le rendre en pire avec les armes dont je dispose. Et tant pis si tout le monde est contre moi, je trace ma route." Eren soulage son lui enfant par cet acte. Mais là aussi, ses "amis" se sont mis à le montrer du doigt, à le juger. Pourquoi ne pas avoir donné sa chance à une autre solution ? Pourquoi mettre tous les Eldiens en danger ? Pourquoi vouloir tuer tout le monde, y compris des innocents qui n'avaient absolument rien à voir dans ce conflit ? Pourquoi fouler ainsi au pied les idéaux du bataillon d'exploration ? Tout comme pour Ymir, ses "amis" ont lâché Eren. Car il a pris une décision qui ne lui revenait pas.
Dans les faits, Eren n'est personne. S'il est quelqu'un de spécial, c'est peut-être pour le parasite, dont il est le vaisseau idéal. Mais d'un point de vue purement humain, il n'est pas autorisé à choisir de la fin de l'humanité, pas plus que n'importe qui d'autre. Il ne peut choisir de la vie et de la mort des gens, car son sens moral n'est pas plus élevé. Il est même considérablement occulté par sa colère et son instabilité. Comme Reiner l'avait dit, Eren était la dernière personne à pouvoir disposer des pouvoirs de l'Originel. On ne donne pas un flingue à un enfant. Si on le fait, on s'attend à ce qu'il l'utilise sur quelqu'un.
En pensant se libérer, Ymir et Eren ont construit leur prison.
Soyons clair, l'empire d'Eldia était une saloperie qui devait être abattue. Il n'y a pas à y revenir. Et au vu de la biologie eldienne, il est aussi compréhensible que Mahr ait voulu les garder sous contrôle (cela ne pardonne nullement leur utilisation en temps de guerre et les barbaries individuelles qui leur ont été infligées). Le tort de Mahr est d'être passé de victime à bourreau (un autre thème important de SnK) en utilisant les titans pour son propre compte. Mais les Eldiens semblent dans une impasse qu'une seule chose pourra ouvrir : l'effacement de la malédiction. Ou, le cas échéant, l'effacement des Eldiens eux-mêmes, comme Sieg le préconisait. Car il n'a pas fallu longtemps aux Eldiens prisonniers de Mahr pour fomenter et comploter afin de ressusciter la "Grande Eldia" dont ils fantasment, et ainsi recommencer le cycle. La colère alimente la colère, et appelle la vengeance, encore et toujours. Il suffit de regarder notre propre monde pour constater que les fautes commises par les ancêtres ne peuvent pas si facilement se pardonner et alimentent également un cycle du ressentiment qui transpire partout. La vengeance transgénérationnelle, l'ethno-masochisme, sont des plaies qui nous gâchent la vie.
Mais heureusement, il existe dans SnK des personnages qui ne sont d'aucun bord, pas dans les extrêmes, mais au centre, et qui se battent pour faire valoir l'idée d'une coopération, d'une compréhension, et qui apportent peut-être une lueur d'espoir. Ceux qui actuellement combattent Eren et se sont enfin résolus à l'abattre.
Le noyau dur du bataillon d'exploration qui garde jusqu'au bout les idéaux du régiment et se bat pour eux. Et dans ce combat les ont rejoint ceux qui, conditionnés par Mahr, se sont libérés et ont regagné cette amitié initiale, si pure, du temps des brigades d'entraînement. A travers la prise de conscience de Gabi, Onyankopon, la coopération lucide de Magath et Shadis, la fascination de Hanji pour Pieck, oui, Paradis et Mahr ont trouvé un moyen de communiquer et de se pardonner. Ils ont appris, évolué et avancé, ce que Eren ne veut pas voir.
Je vais faire une petite digression ici afin de rejoindre par la suite mon propos initial.
Le Ackerbond, un exemple pour la paix
Plus que jamais, la dynamique Ackerbond me semble un élément essentiel à la trame scénaristique de SnK, et même le symbole de ce que Isayama essaie de nous dire. Laissez-moi l'expliquer en prenant pour exemples concrets les cas de Kenny et Livaï. Surtout Kenny d'ailleurs car il est encore plus utile pour mon raisonnement.
Kenny était parti pour tuer Uri Reiss, le roi légitime des Murs dont la famille n'a cessé de persécuter celle de Kenny. Déjà, le parallèle entre Eldia et Mahr se pose là. Vous pouvez interchanger les rôles sur chacun des deux, qui est Eldia et qui est Mahr est sans importance. La guerre entre les deux semblait inévitable, mais justement, elle ne se produit pas.
Uri se prosterne devant Kenny, reconnaît les torts de ses ancêtres, demande pardon en leur nom et Kenny l'accepte. Il l'accepte et décide de le suivre pour le reste de sa vie. Saisissant. Encore plus depuis que nous savons de façon officielle que les Ackerman sont libres dans leur choix. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?
Quand Gabi s'incline elle aussi devant les Paradisiens en s'excusant et en les implorant humblement de l'aider à sauver sa famille. Reconnaître ses erreurs et s'engager à ne plus les commettre. Se montrer humble et demander l'aide de celui qui était autrefois l'ennemi. Reiner lui-même, complètement détruit par ses actes et suicidaire, s'est effondré devant Eren, demandant pardon et l'achèvement de sa vie. Eren n'était pas venu pour écouter, mais pour détruire.
Rappelez-vous de Kenny et Livaï. Uri a qualifié son amitié avec Kenny de miraculeuse. Car tout les opposait et pourtant ils se sont unis. De même, Erwin et Livaï se sont opposés en premier lieu, avant que l'humilité et le cri lancé par Erwin ne touchent Livaï au plus profond de son coeur. Ces miracles ne peuvent-ils pas se produire à l'échelle des nations qui se battent pour des motifs stupides ? Si le Ackerbond a pu lier deux individus aussi différents que Kenny et Uri, Livaï et Erwin, alors cela doit être possible. Du moins une compréhension et une coopération sont envisageables. Elles sont déjà advenues dans ce petit noyau de survivants qui se battent pour le monde.
Livaï est lui-même un exemple à suivre dans ce domaine. Sans être pour autant un agneau qui se laisse marcher dessus, loin de là, il n'a jamais cherché à faire payer qui que ce soit pour son passé, son enfance misérable et douloureuse. Il est un exemple de résilience, et de la façon dont on peut convertir sa colère et son ressentiment en actions positives pour le plus grand nombre. Même encore aujourd'hui, il regarde les idéaux du bataillon, purs et un peu naïfs, avec tendresse. S'il ne croit plus en l'humanité d'Eren, il essaie malgré tout, encore, de sauver ce qui reste de l'humanité qui se fait piétiner, qu'il ne connaît pas, mais pour laquelle il a de l'empathie (l'épisode où il sauve Ramzi), car... c'est ce qu'un explorateur doit faire. Livaï est quasiment un anti-Eren par nature. Si au départ on peut les comparer car ils sont des monstres à leur manière, l'un et l'autre se servent de cette monstruosité dans des buts bien différents... En vérité, la monstruosité de Livaï est semblable à celle d'Erwin : un coeur qui saigne sous une carapace solide qui peut finir par se fissurer, qui met au service des autres sa force et sa détermination même si ça doit le détruire.
Evidemment, tout ceci sent l'utopie. Uri lui-même ne s'y trompait pas, lui qui savait déjà tout ce que Eren ferait dans le futur. Mais cela ne vaut-il pas la peine d'essayer, comme il l'a fait ?
Qu'en est-il du Ackerbond de Mikasa ? Peut-on raisonnablement penser que cette mise en scène graphique est anodine ?
Si Mikasa ne peut pas amener Eren a oeuvrer pour cette coopération, cette compréhension, alors il sera peut-être de son devoir, en tant que Ackerman, de mettre un terme à sa vie. Car pour Mikasa, cela a toujours été clair depuis le début : le monde est cruel mais aussi très beau. Eren n'a retenu que la cruauté, elle veut encore croire à la beauté. Elle y a cru en protégeant Gabi de ceux qui voulaient la tuer. Là encore, un Ackerman, un être hybride, peut-être la somme de toutes les humanités passées et à venir, s'est posé en artisan de la paix et a accepté l'autre pour ce qu'il était. Et s'il faut pour cela tuer celui qui lui a enseigné malgré lui cette philosophie de vie, elle le fera sans doute.
Quand on y pense, si elle aime vraiment Eren, alors ce serait le meilleur (et dernier) service qu'elle pourrait lui rendre.