Pinocchio

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* * *

Il y a plus d'un siècle dans un petit village italien, un homme nommé Gepetto tenait une boutique de jouets en bois. Chaque objet était soigneusement créé à la main puis mis en vente. Les étagères étaient remplies de toupies, de poupées et même de jeux de société. Cet endroit paraissait chaleureux et magique à quiconque s'y aventurait.

Gepetto avait hérité de ce commerce à l'âge de trente-trois ans.

Avant la mort de son père, il lui avait promis de continuer à faire vivre le monde qu'il avait créé de ses mains. Son destin était donc déjà tracé, il devait marcher dans les pas de son géniteur.

Seulement, Gepetto avait une profonde aversion pour les enfants. Contrairement au fondateur de son commerce, il ne supportait pas les voir jouer au ballon devant sa vitrine et encore moins de les entendre chahuter. La jeunesse et la joie le rendait malade.

La solitude lui suffisait amplement.

Depuis la reprise de l'entreprise familiale, l'aspect et l'ambiance qui régnaient n'étaient pas les mêmes. Tout était plus sombre, l'atmosphère était pesante et une fine odeur de poussière flottait dans l'air.

Chaque jour, il était assis à son comptoir, la tête reposant sur sa main. Sa manière désagréable de parler ainsi que ses expressions faciales mêlant dégoût et rage faisaient fuir les enfants et leurs parents.


Les années passaient et rares étaient ceux qui avaient le courage de pousser cette porte. Ils étaient souvent traités "d'inconscients" par des regards avertis qui observaient la scène de loin.

Un matin d'été, la solitude avait incité Gepetto à fabriquer un nouveau jouet avec une simple bûche prise dans le tas de bois à brûler. C'était un pantin.
Ce pantin de bois avait été fait à l'image de son créateur : sombre et froid. Sa salopette était noire et ses cheveux bruns étaient coiffés d'un étrange chapeau haut de forme. Son corps sans âme contrastait avec ses yeux menaçants qui semblait vous suivre du regard. Un sourire malsain affiché sur son visage pouvait mettre mal à l'aise n'importe quel marionnettiste. Pinocchio, tel était le nom qui lui avait été attribué. Il voulait signifier "petit pignon" dans la langue de son époque ou bien "petit crevard" selon d'autres.

L'homme -qui commençait à se faire vieux- l'avait placé sur une chaise à l'entrée de son magasin, comme une vraie personne scrutant la ruelle. Depuis ce jour, les enfants évitaient de s'approcher de la devanture pour le plus grand bonheur de Gepetto. Certains juraient avoir vu le pantin bouger et les rumeurs se multipliaient dans la cour de récréation du petit village.


Les années défilaient rapidement et le magasin était en déficit. Après avoir puisé dans ses ressources, l'âme fatiguée de l'homme s'en alla pour rejoindre un autre monde, laissant un corps sans vie un matin frais d'automne.
Certains ressentaient de la peine en apprenant la disparition de l'homme qui était posté au même endroit depuis des années, mais nombreux étaient ceux qui se réjouissaient de cette nouvelle. Il ne ferait plus peur à leurs enfants.

La banque avait renoncé à lancer des procédures de récupération de biens, le magasin restait donc à l'abandon, Gepetto n'ayant aucune famille.

Tout semblait figé. Les étagères restaient remplies, la porte était toujours fermée et le parquet ne grinçait plus sous les pas lourds du vieil homme. Pinocchio était toujours assis au même endroit.

La seule différence était la prolifération des toiles d'araignées qui avaient envahis chaque recoin. Les vieilleries des mois passés, qui dormaient là, étaient sous une grosse épaisseur de poussière et d'arantèles.

* * *

Des dizaines d'années après, les enfants du village avaient bien grandi. Beaucoup étaient partis faire leurs études ou travailler dans les grandes villes des alentours, d'autres avaient fondé une famille. Il arrivait que des adolescents s'approchent de l'ancien atelier.
Au crépuscule d'un jour de septembre, un petit groupe d'entre eux allait à jamais déclencher l'inarrêtable.

Le PantinWhere stories live. Discover now