1 > L'ART DE BROYER DU NOIR

5 2 0
                                    

Cassiopée n'était pas vraiment quelqu'un d'optimiste. Elle avait plutôt tendance à voir le verre à moitié vide, même s'il contenait son gin préféré.

En sirotant un thé au bord de sa fenêtre, elle eut un frisson. Les quelques rayons de soleil qui caressaient sa peau laiteuse n'était pas assez forts que pour la réchauffer après sa douche glaciale. La chaudière de son immeuble était comparable à Usain Bolt. Effective très rapidement pour ensuite passer la ligne d'arrivée après 9 secondes 58. Pas suffisant pour se laver les cheveux...

La radio flamande qu'elle écoutait chaque matin pour améliorer son néerlandais cita "de quote of de dag" : see the good.

Les citations qu'ils choisissaient étaient dans la plupart des cas d'un ringard à faire jalouser une maison de repos.

C'est une des choses qu'elle prenait un malin plaisir à critiquer dans ses podcasts. 

Mélange de poésie et d'ironie, de récits tantôt cocasses, tantôt révoltants, ses petites émissions radio dépeignaient l'apologie de l'imperfection, des failles et des défauts. Ce qui rendait les gens beaux. 

En dénonçant les choses qui ne tournaient pas rond autour d'elle, elle espérait au moins aider quelqu'un. 

D'humeur grincheuse, elle attrapa son micro et déclencha une nouvelle piste sur son ordinateur.

"Dites-moi, comment suis-je censée see the good en commençant la journée par écouter les nouvelles qui sont plus négatives que la température de ma douche de ce matin ? Et dieu sait qu'elle était froide. Je vais bientôt pouvoir cultiver des stalactites. Vous excuserez mon pessimisme. Notez que si vous m'écoutez fréquemment, vous devriez être habitués maintenant. On a le droit de ne pas être d'humeur épicurienne tous les jours. 

Ce matin, par exemple, je me suis fait un bol de céréales. Quelqu'un peut m'expliquer pourquoi diable les pépites de chocolat se retrouvent systématiquement au fond du paquet? C'est irritant. Les premiers bols n'ont pas de goût et les derniers en ont trop.

Puis, seconde chose qui m'a agacée, c'est quand j'ai réalisé que je calculais le nombre de calories que j'ingurgitais. Pourquoi, nous, les femmes, sommes conditionnées à tendre vers la minceur ? 

Qu'est-ce qui ne vous dit pas que les calories sont en réalité d'infimes particules qui vivent dans nos dressings et qui s'amusent chaque nuit à découdre nos vêtements et à les recoudre plus serrés ?"

Hériter d'un ADN de Parvolle, ça venait avec la capacité à amplifier à peu près tout ce qui peut l'être. Chez eux, personne n'a jamais faim, ils crèvent la dalle, putain ! Je pourrais bouffer un cheval ! Avec toutes les écuries de la région en accompagnement !

En voyant l'heure déjà bien avancée, elle dû rassembler ses forces pour l'épreuve de la semaine. 

Les courses. 

Elle appela son chien et la rapidité avec laquelle il rappliqua et agitait sa queue témoignait de son excitation. Il n'attendait que de pouvoir se promener. Il était bien le seul. 

Dès le premier pied posé dans le supermarché, elle se maudit de n'avoir mangé qu'un maigre bol de céréales - sans pépite de chocolat, qui plus est ! - en sentant l'odeur des pâtisseries à l'entrée. C'était la règle d'or. Ne jamais faire les courses en ayant faim. Son compte en banque allait prendre cher... 

Après ce qui lui avait paru une éternité, elle sortit enfin, chargée comme un baudet et prise de nausées. Elle avait un odorat suffisamment développé pour que le mélange d'odeurs dans les magasins lui retourne l'estomac. 

Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la femme - ni sa poussette - et ne sentit pas que Max tirait pour essayer de lui épargner le choc. Un de ses sacs lui échappa et elle entendit un pot se briser. 

Faites que ce ne soit pas les cornichons... 

Cassiopée s'excusa auprès de la femme et refusa poliment l'aide qu'elle lui proposait. 

Elle se jugeait assez maladroite à elle seule, elle n'avait pas besoin qu'on l'aide. Encore moins si, en rassemblant ses courses étalées par terre, elle avait droit à un coup de coin de boite de céréales dans l'œil.

Voilà ce qui arrivait quand les gens n'en faisaient qu'à leur tête. 

Le sang afflua à son arcade et, par la même occasion, à son visage. Elle porta une main à son œil gauche en étouffant un jurement.

La maman des deux bambins aux cris assourdissants se fondit en excuses :

- Oh mon dieu, vous allez bien? Je... Lucas, les gaufres c'est à la demoiselle, pas à nous, remets ça. Désolée, je voulais bien faire !

Elle marmonna un "c'est pas grave" et lui souhaita malgré tout une bonne journée avant de trouver la poubelle la plus proche pour jeter son pot cassé. Ils voulaient toujours bien faire. Ça l'irritait encore plus. 

Le soleil d'avril qui réveillait les cordes vocales des oiseaux avait réussi à susciter sa bonne humeur mais l'Univers en avait visiblement décidé autrement. La sonnerie de son téléphone qui retentit dans son casque lui vrilla les oreilles. Elle déclina aussitôt l'appel. Maman, c'est pas le moment.

En arrivant à son studio, elle poussa un soupir de soulagement. Elle jeta ses clés sur l'îlot de sa cuisine. En fit de même avec ses provisions. Puis avec son corps dans le fauteuil.

Elle essayait d'être moins négative. C'était sa résolution de l'année. Pour l'instant, les résultats n'étaient pas glorieux puisqu'elle arrivait encore à insulter son voisin après s'être cogné le petit orteil contre sa chaise de bureau mais le tout, c'était d'y travailler. Pas vrai?

Elle prit de grandes respirations en pleine conscience comme lui avait appris son père et après une bonne vingtaine, elle trouva la force de ranger ses courses et de se faire à dîner. 

Elle se promit de rappeler sa mère après avoir mangé ses croque-monsieur. Sans cornichon. 

Clair-obscurDonde viven las historias. Descúbrelo ahora