Prologue

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31 Août 1991, prison d'Azkaban

Se venger.

S'il y avait bien une chose qui le faisait tenir, depuis tant d'années, c'était cela. La vengeance était le seul alcool dont il pouvait s'abreuver sans qu'il ne le consume de douleur. Il n'y avait pas, -- il ne devait pas y avoir de place pour autre chose. Elle lui tenaillait les tripes et il se raccrochait à elle pour combler le vide que les jours laissaient. Les premiers temps, la colère et la tristesse lui faisaient un mal de chien et il en serrait les crocs en se recroquevillant pour tenter de disparaître. Il s'imaginait tailler en pièce ce rat immonde, ces puristes obsédés, et cet orphelin haineux; en somme tous ceux qui avaient fait de lui cette âme malade dans un corps qu'il ne sentait plus.

Car désormais, il n'était plus celui d'avant. A vrai dire il n'était même plus, car avec la mort de ses deux amis onze ans plus tôt, quelque chose en lui de profondément humain était parti. Les détraqueurs pouvaient bien s'acharner, essayer de vider les traces de bonheur qu'il aurait pu y avoir en lui, il avait déjà fait tout le travail. Il ne restait que l'amertume et les remords.

Ils l'avaient tous abandonnés. Tous ceux qui avaient constitué son paysage pendant les sept plus belles années de sa vie au château de Poudlard et dans "l'après" avaient changé, étaient morts ou essayaient de se rassurer en se disant que de toute façon, ce garçon avait toujours porté une tare en lui. Personne n'avait cherché à le croire.
Et ce monde était devenu fade depuis que les âmes de ceux qu'il aimait le plus s'étaient envolées dans une lumière verte. Il aurait supporté cette damnation et cette solitude avec joie si cela avait pu les sauver. Il aurait pu mourir pour eux. Et pourtant, c'était lui qui les avait laissés mourir. Comment une volonté de se sacrifier si puissante et si pure avait-elle pu être contrariée par les faits? C'était bien pour cela qu'il pensait vengeance, car elle représentait une quête à accomplir, une mission que sa stupidité avait trahie autrefois mais qu'il se devait de porter à terme; cela reportait aussi la douleur autre part, en lui inspirant une fureur de vivre, qu'aucun détraqueur ne pouvait déceler ni lui prendre, puisque ce souffle de vie contenait en lui même sa propre négation: l'envie de meurtre. Des sentiments imperceptibles par les détraqueurs car familiers à leur nature. Qu'importe le temps que cela devrait prendre, fût-ce dans trois jours ou dans 10 ans, il aurait sa vengeance, elle était actée.

Mais ces plans n'effaçaient pas la douleur, qui trop brutale, devait être chassée. Et pourtant elle n'avait jamais disparu. Tant qu'il vivrait, eux aussi, et le poids de leur perte avec. Les années n'avaient pas effacé les rires, les bêtises, les frayeurs, l'envie de se battre, le courage et les sentiments. Ses deux amis, ceux qu'il chérissait comme s'ils étaient sortis tous trois du même ventre étaient partis à cause de lui, à cause de sa lâcheté. Il avait failli aux valeurs desquelles il s'était revendiqué si ardemment. Le serpent avait rattrapé le lion.

Et pourtant jadis, il avait juré allégeance, contre son sang, contre le venin qui brûlait dans ses entrailles pour le rugissement du lion. Il avait rencontré au sein de sa maison la meilleure famille qu'il ait jamais eue. Cette famille, il l'avait choisie et elle faisait ressortir ce qu'il y avait de meilleur en lui. Durant ces années, il avait vu naître l'amour le plus simple, le plus pur, le plus inattendu et le plus antagoniste entre ces amis désormais disparus.

Mais le fruit de cet amour existait toujours, son cœur palpitait, et lui aussi vivrait ce qu'eux avaient vécu. Il y pensait en cette veille de rentrée. Il connaîtrait les joies de l'amour, de l'amitié, l'excitation d'une règle enfreinte, l'euphorie des grands soirs après une victoire de Quidditch. Sans doute même serait-il la cause de cette effervescence.

Ce soir là, il vit la lune et crut entendre un hurlement de loup, un son qu'il avait entendu tant de fois. Et comme entraîné par une force irrésistible, il fut ramené à une époque où il était encore temps de se battre ensemble pour changer les choses. Cette pensée lui serra le cœur si fort qu'il dut l'enfouir au plus profond de son être pour ne pas attirer les gardiens.

Car s'il y avait bien une chose qui faisait tenir Sirius Black depuis 11 ans, c'était aussi l'amour.



écrit le 30/12/2019, puis modifié. 

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⏰ Last updated: Dec 11, 2020 ⏰

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