Chapitre I

55 8 6
                                    




Le petit village de Donkorstäd était plongé dans le froid des matins d'automne. La brume, épaisse,
limitait grandement la vue des quelques habitants.

Un homme à la carrure imposante marchait lentement, s'éloignant de l'amas de chaume et de bois qu'était sa maison. Son regard était vide et presque dépourvu de toute émotion. Une faible lueur de tristesse et d'amertume brillait tout de même au fond de ses pupilles.

Ses pas, assurés, le menaient vers le centre de la forêt qui bordait le village.
Il boitait, trébuchant parfois sur des branches mortes en décomposition sur le sol boueux.

Il n' y avait guère besoin d'observer les cycles lunaires pour constater que l'hiver approchait. Les arbres perdaient leurs feuilles, jonchant le sol d'une couche épaisse variant du jaune à l'orange.
Les bêtes sauvages se faisaient rares et discrètes. Ainsi c'était le moment idéal pour récupérer les quelques ressources forestières nécessaires au village. Mais là n'était pas le but de l'homme.

Au coeur d'une petite clairière, éclairée par quelques rayons lumineux qui perçaient la brume avec difficulté, il y avait une souche. L'homme s'en approcha. Il constata une fois encore qu'elle était creuse. Il passa sa main dedans avec une expression de dégoût apparente. Dans un mouvement rapide il en sortit une sorte de sphère couleur bronze. Cette sphère n'arborait pas le moindre défaut visible, une sphère parfaite. Il s'en dégageait une aura étrange. On était attiré, en extase devant cet objet pourtant commun.

Une lumière brillait dans les yeux de l'homme. Il rangea rapidement l'objet dans un morceau de tissu blanc. Un bruit dans les buissons se fit entendre. L'homme tourna la tête, son coeur se mit à battre à une vitesse folle.

- Il y a quelqu'un ? gémit-il en balbutiant tel un enfant apeuré.

Il entendit cette fois un craquement venant de derrière lui. L'homme suait, sa respiration était saccadée. Il regardait autour de lui rapidement.

- Montrez-vous ! cria-t-il, apeuré.

Il entendit un murmure le temps d'une seconde. Puis son corps se figea. Plus aucune sensation ne traversa son corps. Ses yeux, révulsés, fixaient un point dans le vide. Plus un seul souffle ne sortit de sa bouche. Il jeta un regard bref vers son torse et vit la pointe de la dague qui le traversait de part en part. Quelques gouttes de sueur perlèrent de son front. Ses pensées étaient confuses. Il tomba finalement à genoux, cracha du sang et s'effondra sur le sol boueux, laissant la sphère s'échapper du bout des doigts.

Une silhouette encapuchonée se dessina au dessus de son corps, vêtue d'une fine cape de toile noire.

C'était un homme.

Il observa quelques secondes la dague métallisée enfoncée profondément dans le dos de l'innocent. Il s'agenouilla et la récupéra d'un coup sec, puis passa un linge dessus. Il la rangea ensuite avec son autre dague dans une bandoulière de cuir fermement serrée sur son dos.

Il s'approcha ensuite de la sphère qui avait roulé à quelques centimètres de la main du villageois. Il l'observa de longues secondes avant de la prendre au creux de sa main. Il la regardait d'un air à la fois interrogateur et amusé.

Un sourire s'échappa de ses fines lèvres, humidifiées par le climat particulier de la forêt. La sphère tenait dans la paume de sa main. Des traits rectilignes dégageant une lumière vive apparaissaient parfois ici et là. Il était satisfait de sa découverte. Quoiqu'elle fut étrange, elle pourrait sûrement lui rapporter de l'argent. Il ne s'attarda pas plus longtemps sur l'objet.

Il rangea rapidement l'orne dans une sacoche de cuir à sa taille, puis se dirigea vers son cheval. Il l'avait laissé à une centaine de mètres de la petite clairière.
C'était un bel étalon noir, possédant une crinière éparse flottant dans le vent qui emportait la brume.
Ses yeux fougueux et perçants jetaient des regards alertes tout autour de lui. Prêt à fuir en cas d'un quelconque danger.

L'homme monta sur la vieille selle et réfléchit durant une minute tout au plus. Il éperonna vigoureusement sa monture et partit en direction du village proche de Donkorstäd.

Les murs de pierre qui s'affaissaient ou les panneaux de bois recouverts de mousse pourrissant lentement signalaient l'approche progressive de la commune.
Le lourd brouillard se dissipait lentement, laissant le regard de l'homme planer sur les lointaines montagnes du territoire de Carmendör.

Le cheval trottait avec facilité dans la boue, éclaboussant les arbres du bord de l'allée. Un chemin carrossable fit son apparition une cinquantaine de mètres avant le village.
Une fois le centre de la commune atteint, l'homme chercha la taverne des yeux. Il perçut du bruit provenant d'un bâtiment de pierre percé d'une petite fenêtre au rez-de-chaussée.

Il descendit de son cheval d'un saut et attacha la bride à une poutre non-loin de là. L'homme rentra dans l'auberge une expression neutre parant son visage.

Un petit groupe de brigand jouait aux cartes dans un coin, laissant parfois échapper des rires malsains. Un paysan au visage ruiné par le désespoir noyait son chagrin dans l'alcool. Il était avachi sur un tabouret de chêne, au comptoir. L'aubergiste, lui, semblait en forme. Un sourire s'épanouissait sur son grossier visage. Il semblait heureux dans ce village du bout du monde, contrairement à ses concitoyens.

L'homme vêtu de la cape noire s'approcha du bar.

- Qu'est ce tu veux mon bon gars ? lança l'aubergiste, chaleureusement.

- J'imagine que tu n'as pas de vin regal ici. répondit sèchement l'homme en noir.

- Vois-tu étranger, j'en garde toujours une cruche pour les grandes occasions. Cependant, ce breuvage coûte excessivement cher comme tu dois le savoir !

- J'ai de l'argent, suffisamment pour me payer un verre de ce vin.

- Pour cinq Terres d'argent je te verse une coupe de ce délice, dit l'aubergiste en lançant un regard malicieux, certain de faire une affaire.

L'homme de noir vêtu éclata de rire.

- Ce n'est pas parce que je suis étranger que je suis idiot, nous sommes ravagés par la guerre. Les gens ont à peine assez d'argent pour des miches de pain et tu me vends ton vin à ce prix ?

- C'est bien parce que c'est la guerre qu'il me faut de l'argent... jette un coup d'œil dans mon auberge ! J'ai à peine assez de recettes pour me verser un salaire.

L'étranger dévisagea l'homme au visage heureux. Après quelques secondes de réflexion il jeta une pièce sur le comptoir. Elle roula, manquant de tomber plusieurs fois sur le sol revêtu de pierre. L'aubergiste l'attrapa d'un geste vif.
Il ouvrit la main et fixa la pièce quelques secondes. Il écarquilla les yeux et d'un air abasourdi lança :

- Mais c'est une Terre d'or !

Au son de ces mots tous les clients se retournèrent en direction du comptoir. Les bandits se mirent à chuchoter et à sourire. Le paysan jeta un regard éperdu sur la pièce qui avait plus de valeur que son élevage tout entier.

- Garde la monnaie.

- Pas question ! Le pays mettrait à feu et à sang mon auberge pour une pièce comme celle-ci. Va-t-en et je te donnerais mon pichet. Mais je t'en supplie éloigne moi de ces ennuis.

- Très bien, répondit-il simplement.

L'aubergiste sortit la cruche et l'homme la prit par l'anse dans un mouvement fluide. Il se dirigea vers la porte et avant de quitter la pièce d'un pas rapide il lança dans un dernier rictus :

- C'était une fausse !

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Oct 28, 2019 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Le Corbeau Dans l'Ombre : L'origine du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant