Chapitre 2

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À l'orée des bois, le passage infernal irradiait encore, mais le bruit des sabots foulant le sol s'était tu. Les satyres avaient échoué et ne pouvaient pénétrer dans l'enceinte du monastère. Blasés, ils avaient regagné les Enfers peu inquiets quant à leur future punition. En apparence, aucune sentinelle observant les alentours ni aucun être maléfique tentant de se glisser par l'une des brèches des murs bien trop anciens. La Lune se retrouva fort déçue de voir sa nouvelle attraction déjà terminée. Toutefois, le Soleil la consola sans attendre, en lui assurant que ce calme apparent se dissiperait bien vite. Une succube dans un couvent... Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

Comme chaque matin, la mélodie entêtante des cloches résonna dans toute la bâtisse. Callista s'étira et se leva lentement de sa couche. Avant son arrivée ici, elle n'aurait jamais pu imaginer que dormir en toute sécurité puisse être si plaisant. Elle comprenait ainsi pourquoi cette activité était bannie chez elle... C'était tout simplement beaucoup trop agréable. La démone noua ses cheveux en un chignon serré, coiffure qui lui avait été interdite jusque-là ; et enfila les vêtements réglementaires. En Enfer, les succubes n'avaient guère le choix quant à leur apparence. Si leur peau n'était pas dévoilée au moins à quatre-vingt-dix pour cent, elles étaient fouettées. Si leur maquillage n'était pas impeccablement appliqué, elles étaient punies. Si leur corps ne se tenait pas à disposition, elles étaient torturées.

Callista ne comptait plus les fois où sa mère, Lilith, l'avait frappée, car elle avait désobéi. Lilith... Reine cruelle à la beauté parfaite, elle avait donné naissance aux succubes et aux incubes. Les autres démons n'avaient, pour la plupart, été qu'une création pure et simple de son père, Lucifer. Mais toute puissante qu'elle était, Lilith n'en restait pas moins complètement soumise à son époux.

Il décidait des lois, elle obligeait tout le monde à les appliquer.

Il régnait en maître, elle était son ombre mortelle.

Il était le Mal incarné, elle était son épée parfaite.

Bien entendu, Lilith ne ressemblait, ni de près ni de loin à une mère humaine. Son instinct maternel lui permettait seulement de localiser ses enfants, peu importait la distance. Ainsi, Callista savait que tout le monde en Enfer connaissait sa position. Toutefois, elle était persuadée que personne ne tenterait de venir la récupérer entre ces murs. Ses parents n'étaient pas du genre à perdre inutilement du temps et des ressources pour s'occuper d'une brebis égarée. Ils préféraient attendre que ladite brebis commette une erreur et devienne vulnérable.

De sa mère, Callista ne se souvenait que de ses ongles beaucoup trop longs lacérant sa joue ou des humiliations qu'elle avait subies. De son père, elle se remémorait l'extrême violence et le sadisme. Elle n'oublierait jamais ce qu'il était advenu de sa sœur qui avait eu l'outrecuidance de tomber amoureuse d'un humain ni de son frère qui avait tenté un coup d'État. Ce dont elle avait été témoin ces jours-là... Jamais elle ne pourrait effacer ces instants de sa mémoire. Et si par malheur elle venait à être récupérée... Elle subirait probablement un sort similaire. À cette pensée, la démone fut prise d'un haut-le-cœur et des larmes naquirent au coin de son regard glacé. Même en Enfer, une punition de ce genre ne devrait pas être permise. Jamais. Même là-bas, au fin fond des entrailles les plus sombres et les plus malfamées, une telle torture ne devrait pas exister. Callista ne parvenait pas à comprendre comment un être doté d'une conscience, bien que maléfique, puisse accepter de perpétrer des sévices si... Affreusement douloureux et humiliant. Le sadisme n'avait-il donc point de limites ?

Les cloches sonnèrent à nouveau, marquant le début des prières matinales. La rousse revint à la réalité et se dépêcha de quitter sa chambre. Si elle voulait demeurer longtemps entre ces murs salvateurs, elle avait tout intérêt à se montrer irréprochable. Pressant le pas dans les couloirs glacés, elle ne s'octroya pas un instant pour admirer l'aube naissante, baignant la forêt d'un feu chaleureux et protecteur. Arrivée dans la modeste chapelle, dont l'architecture lui rappelait des temps bien trop anciens, une sensation désagréable enserra son cœur, comme si sa présence dérangeait les lieux. Jusqu'à présent, elle avait réussi à ne pas faire entrer l'eau bénite en contact avec sa peau, et elle espérait bien que cela continue. Ici, il s'agissait de son seul et unique ennemi et elle n'avait guère envie d'être démasquée ainsi.

CallistaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant