-Ah-ah. J'aime l'idée. Mais je suis pas gay, alors va falloir changer de nom. Désolé, chéri.

-Oh. Je vois. Hétéro curieux ? Vu l'endroit où tu te trouves...

-J'en sais foutre rien. J'aimerais connaître la réponse.

Ismaël finit son verre et s'apprêta à en redemander un, mais il se stoppa quand il se souvint des évènements avec Elliott. Mieux valait jouer la carte de la sureté.

-Prends ton temps. Les étiquettes, c'est pas si important que ça. Profite de la vie, on n'en n'a qu'une et elle est grave précieuse.

Ismaël l'écoutait parler sans broncher. Il était d'accord, et il appréciait que quelqu'un le comprenne. Même si ça l'embêtait de se confier à un inconnu.

-Comment t'as su que t'étais gay ? demanda-t-il. Il espérait que Joshua puisse l'aiguiller dans la recherche de son vrai lui intérieur.

-Quand je suis tombé amoureux de mon meilleur ami. Au début, j'étais jeune, et j'avais jamais entendu parlé d'homophobie. Je savais même pas ce que c'était, et le terme « homosexualité » m'étais entièrement inconnu. Du coup, comme un con, je lui avais dit que je l'aimais. Il m'a giflé, et ne m'a plus jamais parlé. C'est là que j'ai commencé à faire des recherches en secret. Dans ma tête, y'avait comme une pancarte qui scintillait et qui me criait avec une voix de présentateur TV : « Félicitations, vous êtes gay ! »

-Original. Si je te disais qu'il se pourrait que j'aie une attirance pour les garçons, mais aussi pour les filles, lequel serait mon drapeau ?

Il pointait le mur du doigt. Joshua se retourna, et chercha des yeux pendant quelques secondes. Puis il répondit :

-Celui-là. Rose au-dessus, bleu en-dessous, et violet au milieu. Il se pourrait, mon cher, que tu sois bi.

Il avait repris le même ton qu'Ismaël, ce qui fit rire ce dernier.

-T'es intéressant, comme mec. Fascinant, même. J'adore ton collier. Il te va bien.

-Merci. Tu complimentes toujours tout le monde ?

-Ouais ! J'aime que les gens se sentent bien dans leur peau. Donc si je peux aider, ça ne me coûte rien de les faire sourire.

Joshua plaça ses lèvres pulpeuses autour de sa paille et la suçota. Puis il plongea son regard dans celui d'Ismaël et lui offrit un sourire sincère.

-Si tu veux, on peut aller faire un tour. Il commence à y avoir un peu trop de gens, j'aime pas ça, proposa Joshua.

-Je te suis.

Ils sortirent et observèrent les alentours. Beaucoup d'étudiants occupaient les trottoirs, et l'odeur de tabac leur chatouillait les narines. Ils avancèrent un peu jusqu'à atteindre le parc communal, et déposèrent leurs affaires sur le banc un peu humide. Le réverbère illuminait le sentier dans un rayon de deux mètres, puis la lumière se mélangeait dans la noirceur de la nuit et s'y fondait complètement. Ismaël, nerveux, jouait avec les fils des trous de son jeans avec sa main droite. La gauche, elle, était profondément enfoncée dans sa poche arrière. Il sentait déjà la sueur de sa paume réchauffer sa fesse. Il n'aimait pas trop l'idée de se retrouver seul avec Joshua, éloigné de la foule, mais il devait avouer que le calme faisait un bien fou à son crâne qui n'avait cessé de le marteler depuis le matin même. Joshua sortit son téléphone, y fit danser ses doigts quelques instants, puis le remit dans la petite poche de son sac. Ils se regardèrent, et personne ne pipa mot. Joshua détacha ses cheveux, secoua la tête, et s'avança. Ismaël fit un pas en arrière.

-J'ai une idée, dit le blond.

-Oui ?

-Tu ne sais pas si t'es bi, on est d'accord ?

-Oui.

-Donc j'en conclus que t'es jamais sorti avec un mec ?

-Belle conclusion.

-Mets-moi à l'essai. On sort ensemble pendant un mois, histoire que tu voies ce que ça fait. Puis, tu me diras si t'as kiffé. C'est gagnant-gagnant. Moi, je passe du bon temps, et toi tu trouves la réponse que tu cherches tant.

-Euh...

-On peut arrêter avant, bien sûr ! Je suis pas bizarre, promis. On fera connaissance doucement, mais si tu te sens mal à l'aise, on s'oubliera. Alors ?

Ismaël se mordit l'intérieur de la joue – sale habitude qui lui avait valu plusieurs saignements intempestifs. Il pesa les pours et les contres, mais, en réalité, il ne trouva aucun inconvénient.

-Marché conclu.

-Je le savais, t'es fascinant. Envoie-moi un message quand tu rentres.

-Tu pars déjà ?

-Oui, désolé. Repas de famille demain, je dois pas me coucher tard. Bye, mon copain temporaire !

Il lui déposa un rapide baiser sur la joue avant de partir vers l'arrêt de bus, ce qui provoqua chez Ismaël un afflux d'excitation. Il sentait ses tripes se retourner, se battre entre elles, et se donner des coups de couteau. Dans sa poche, il sentit son téléphone vibrer. Il décrocha et se mit en route.

-Princesse.

-Je veux tous les détails. Il est comment ? Il est marrant, au moins ?

-Du calme, du calme ! Il ne s'est rien passé. On a bu un verre, et on a fait connaissance. Mais ça s'arrête là. Pas trop déçu ?

Il mentait. Pas question de dire quoi que ce soit à Antonin tant qu'il ne serait pas sûr de qui il était.

-Foutrement déçu. J'en attendais plus venant de toi. Mais bon, t'as relevé le défi. Bravo, mon chou ! Tu veux quoi comme trophée ?

-Fais mes devoirs pour la semaine à venir.

-T'y vas fort. C'est d'accord. T'es rentré ?

-Pas encore, j'arrive bientôt.

Il emprunta la rue Saint-Pierre qui menait à son appartement.

-Fais attention à toi. Bonne nuit.

Ismaël raccrocha, passa son badge étudiant et monta les escaliers. Il ouvrit sa porte, celle qui portait le numéro soixante-quatre, et laissa tomber son sac ainsi que sa veste sur le sol immaculé. Ce soir, il se sentait plus fort que tout. Il y avait un excès d'adrénaline qui ronronnait dans son estomac, il se savait bien trop en forme que pour pouvoir dormir. Il avait passé une bonne soirée, et il était rassuré de se savoir sur la bonne voie. Bientôt, il allait découvrir une partie de lui qu'il ne connaissait pas, et se lancer dans l'inconnu lui faisait pousser des ailes.

Il se posta devant son miroir et se contempla de longues minutes durant. Ce qu'il aimait son visage ! Il tourna la tête à droite, prit une pose, puis retira son t-shirt et apprécia sa fine anatomie. Franchement, il était loin d'être repoussant. Parfois, il se demandait même comment Antonin avait fait pour ne pas tomber amoureux de lui. Avoir un meilleur ami aussi beau, c'est pas donné, se dit-il. Il tendit le bras, attrapa son téléphone. Il ouvrit l'appareil photo et captura un cliché de son visage souriant accompagné de son torse nu. Tout fier de lui, prêt à jouer le jeu, il envoya la photo à Joshua accompagné d'un message lui disant : « Bonne nuit, bébé ! »

Le mois d'essai avait commencé, et il était déterminé à donner le meilleur de lui-même. 

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