— Je suis de votre avis, assura la mère d'Alexia. Quand on pense que certaines avortent pour un oui ou pour un non ; c'est scandaleux ! Tout le monde a le droit à la vie. Vraiment, quelle idée de penser autrement !

— C'est sûr, approuva Marc. Et puis, une grande famille, il n'y a que ça de vrai ! D'ailleurs, on partira bientôt sur un deuxième, hein, Alexia ?

Elle ne releva même pas cette déclaration ahurissante, fascinée et horrifiée par la dame en toile d'araignées qui remuait ses lèvres en même temps que son époux. Elle lui dictait son discours ! Et lui répétait en instantané, comme le reflet d'un miroir :

— J'en veux au moins trois. Et c'est en se disant qu'on a le temps qu'on se laisse vite dépasser, alors vaut mieux se dépêcher, non ?

Le monde tangua dans la tête d'Alexia.

— Ça va pas ? s'inquiéta sa mère quand elle se leva. T'es toute pâlotte !

— Oui, oui. C'est juste que...

Elle se statufia à nouveau.

Le bébé gigotant dans les mains de la quinquagénaire... ça n'avait plus rien d'un bébé ! La forme noirâtre affichait des orbites vides, un crâne démesuré, une peau entre l'écorce d'arbre et la pourriture de la tombe, des doigts griffus, frêles, constitués de soie grise.

Alexia réprima la bile qui montait dans sa gorge et se précipita hors du salon.



Alexia se cloitra dans la chambre durant une éternité. Marc tenta de lui parler, de comprendre, de la rassurer. En vain. Cette... chose, au fond, elle avait toujours su que ce n'était pas son bébé. Que ce n'était pas même un bébé. Mais comment prétendre à une vie normale après ce qu'elle avait vu ? Et comment lutter contre cette sorcière de soie qui agençait sa vie comme un marionnettiste dans l'ombre ? Depuis quand Marc était-il tombé sous son emprise ? Qui d'autre lui servait de jouet ?

Après un siècle au bord du gouffre, Alexia se ressaisit. Comptait-elle finir sa vie dans la terreur, en proie à un monstre issu tout droit de ses cauchemars ? Sûrement pas ! Elle devait se libérer de ses chaînes.

Elle se renseigna sur le net, recueillit toutes les informations possibles sur Marr'Sric'Mhfir, les recoupa. Si elle avait inventé cette aberration à partir des légendes du web, elle trouverait dans ces mêmes légendes comment la tuer, contrant une superstition incarnée par une autre. Et si la créature existait bel et bien, les mythes qu'elle examinait lui révéleraient ses points faibles. Sorcellerie ou folie, qu'importait, en fin de compte.



Cette nuit-là, elle persuada Marc de sortir. Il se surmenait trop et méritait bien de s'amuser avec ses amis pour une fois. Si l'idée ne l'enchantait pas de prime abord, il se laissa convaincre à mesure que la journée avançait.

Alexia soupira quand elle referma la porte sur un crépuscule naissant. Seule avec la bête. Les bêtes, si on considérait le cheval, la sorcière et son poupon comme trois entités distinctes.

Un couteau en main, elle s'assit sur une chaise à côté du berceau, tournée vers la fenêtre laissée ouverte. Reprenant les informations emmagasinées plus tôt, elle récita :

— Marr'Sric'Mhfir, fantôme de soie, je sais qui tu es et je t'attends. Viens ici, et viens vite, pour éviter tout malheur à ton enfant.

Elle jeta ensuite deux cailloux devant elle, plusieurs versions de la légende s'accordant sur le sujet : la pierre ouvrait un passage vers la sorcière araignée.

La mère sans enfantWo Geschichten leben. Entdecke jetzt