Partie 2

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— Salut, Alexia ! C'est Lucie. J'ai entendu la nouvelle et... je sais qu'on s'est pas trop revues depuis la fin de la fac et que j'arrive un peu tard mais... J'imagine ce que tu traverses, ça doit être un vrai cauchemar. Quand je pense à ma petite, si ça m'était arrivé... Je souhaite ça à personne... Bref, si t'as besoin de parler, je suis là, tu sais ?

— C'est pas drôle, Marc...

— De quoi tu parles ?

Elle lui connaissait un certain humour noir mais là... Réaliser une telle mise en scène ? C'était malsain, de la torture mentale.

— D'où vient ce gamin ?

— Il y a bien une vidéo qui montre ça, mais c'est plutôt sanglant, plaisanta son mari.

— Bordel de merde, Marc, je rigole pas !

Silence pesant. Il afficha un mouvement de recul, comme pour protéger l'enfant.

— Je crois que tu devrais vraiment te reposer, conseilla-t-il. Tu te surmènes trop en ce moment.

Elle ouvrit la bouche sans formuler le moindre mot. Que répondre à ça ?

Elle retourna au salon, le malaise au cœur et des vertiges plein la tête.

S'assit à son poste habituel pour éviter une mauvaise chute.

Souffla et finit par ouvrir sa messagerie privée.

Évacuer la stupeur et la rage, parler de ses malheurs à une amie, de ses craintes, de la folie flagrante de Marc. S'il ne blaguait pas, à qui avait-il volé ce bébé ?

Elle arrêta son geste quand son fil d'actualité s'afficha. Des dizaines de messages, datés de quelques mois, la félicitaient ! Elle déroula plusieurs fois ces petits mots hallucinants, incapable de les croire vrais. Ils étaient donc tous dans le coup ? Même sa mère annonçait : « Hâte de revoir mon petit-fils ! »

Elle ferma cet onglet malsain et s'éloigna de l'appareil, les mains tremblantes.

Cent pas plus tard, elle s'empara du téléphone. Lucie avait laissé un message ce matin. Le répondeur ne pourrait pas mentir, lui ! Il lui prouverait qu'elle allait bien, qu'on lui faisait une blague de mauvais goût.

— Salut, Alexia ! répéta la machine. C'est Lucie. J'ai entendu la nouvelle et... je sais qu'on s'est pas trop revues depuis la fin de la fac et que j'arrive un peu tard mais toutes mes félicitations pour le petit ! Déjà deux mois, c'est ça ? Faudrait qu'on se fasse une soirée à l'occasion, je pourrais te donner quelques noms de baby-sitters vraiment géniales et...

Alexia raccrocha. Elle se souvenait très bien avoir écouté ce message à midi et... Comment avait-on pu le changer ?

Le tonnerre grondait dans ses tempes alors qu'elle rejetait les conclusions qui s'imposaient à elle. Non, elle se savait saine d'esprit. Comment aurait-elle pu inventer une fausse couche ? Et la chambre de cet Arthur était bien un chantier de bureau, non ? Marc ne l'aurait pas laissée la transformer si...

À cette idée, son envie de vomir empira. Elle se précipita dans le couloir, faillit tomber plusieurs fois tant ses jambes vacillaient. La chambre... Concentrée sur ce bébé surgi de nulle part, elle n'avait pas regardé le reste de la pièce mais il lui semblait...

Elle entra à nouveau dans l'antre de la folie. Marc se penchait sur le berceau, en plein gagatisme. Les murs affichaient des figures d'animaux colorés. Autour, plus aucune trace de chantier, plus aucune tapisserie arrachée, plus aucun pot de peinture.



Durant toute la soirée, Alexia observa Marc et le bébé en silence. L'homme agissait avec tant de naturel ! Impossible de nier l'évidence ; il ne jouait pas. Mais alors, si tout était vrai... Comment accepter... ?

L'idée de sombrer dans la démence la révoltait. D'un autre côté, c'était davantage plausible que la théorie d'un univers parallèle. Et plus rassurant. Si elle était folle, elle gardait assez de repères pour continuer une vie normale ; en surface, du moins. Personne ne saurait ce qu'elle traversait tant qu'elle se comportait comme on s'y attendait.

Et puis, peut-être que tout rentrerait dans l'ordre tôt ou tard, d'une façon aussi brutale que ce plongeon en pleine maternité ? Dans un tel cas, il lui suffirait de prendre son mal en patience...

Le plus difficile serait de vivre avec ce bébé. Elle n'osait même pas l'approcher, sa seule vue lui crevait l'estomac et le cœur. Une simple question de temps.

Elle s'y ferait tôt ou tard. Mais pas ce soir.



La nuit s'éternisa, entre malaises, insomnies et pensées en ébullition. Alexia se répétait que tout irait bien, qu'elle hallucinait, que cette nouvelle existence lui plairait sûrement. Comment savoir quelle vie elle avait rêvé au juste ? Se réveillerait-elle à l'aube dans une réalité sans enfant ? Ou, à l'inverse, avec cette fois des jumeaux ?

Un coup sec l'arracha à ses divagations. Puis des pleurs se répandirent dans la nuit.

À côté dans le lit, piégé au cœur des songes, Marc ne broncha pas. Alexia soupira, tétanisée à l'idée de vérifier l'état du bébé par elle-même. Mais comment l'homme réagirait-il si elle le réveillait pour ça ? Il s'était occupé seul de la progéniture depuis son retour du travail ; une bonne mère ne devait-elle pas assumer une partie de ces responsabilités ? Tôt ou tard, elle attirerait l'attention si elle ne se pliait pas à son rôle. Autant se lancer dans le bain dès maintenant.

Quand elle entra dans la chambre, le berceau se balançait tant le bébé devait gigoter. Elle se pencha sur la structure grinçante. Et découvrit un corps endormi et paisible.

Pourtant, les pleurs... Et le mouvement de bascule...

Un frisson lui glaça le dos. D'instinct, elle se tourna vers la fenêtre. Grandes ouvertes, les vitres tremblaient encore. Voilà qui expliquait le coup brutal. Étrange qu'un courant d'air ait pu forcer le passage mais, après tout, Alexia n'était plus à ça près.

Elle avança pour refermer les battants. Et se figea d'effroi.

Là, dans l'ombre du jardin, se dressait une vision d'horreur.

Une femme la dévisageait, perchée sur un cheval décharné et rongé de toiles d'araignée. Ses jambes se confondaient dans la soie blanchâtre de l'animal, ses bras frêles se cramponnaient à la crinière, son torse nu affichait une cage thoracique couverte de moisissure. Des cheveux noirs et hirsutes dévoraient une partie de son visage mais deux trous noirs brillaient sous le front et un sourire pâle fissurait le simulacre de peau sur les joues.

Les deux formes pâles restaient immobiles, comme une illusion prête à s'estomper au moindre geste. Mais Alexia n'en douta pas une seconde : ces choses existaient. Et elles surveillaient le bébé.

La mère sans enfantWhere stories live. Discover now