Prologue

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Par une chaude nuit de la saison des feuilles vertes, une bande de matous marchait dans les rues de la ville, silencieux ou presque. La chaleur, à la limite du supportable, les accablait, pourtant, aucun d'entre eux ne prononcèrent un mot. Ils étaient trois, en tout. Que des mâles. Celui qui marchait en tête du groupe était un chat de taille moyenne, au pelage brun clair et aux yeux bleus. Tout son "visage" était blanc, ce qui détonait avec le reste de son corps. Le deuxième, beaucoup plus grand, était un matou au poil noir comme le charbon et aux yeux cuivrés. Quant au traînard, il s'agissait du plus petit du groupe ; pourtant, il n'en était pas moins musclé et il arborait une expression provocatrice. Sa fourrure brune foncée mouchetée de brun clair était épaisse et ébouriffée, et ses yeux ambrés brillaient de moquerie. Mais ce qui attirait le plus le regard était la cicatrice qu'il exposait à tous : une longue balafre, partant de son museau, serpentait jusqu'à son flanc gauche, impressionnant héritage d'un lourd passé. Mais, après tout, ce n'était pas pire que les autres. Au bout d'un moment, le plus grand du trio prit la parole.

« - Vous pensez qu'ils se posent des questions, à la Horde ? Après tout, ça fait presque une lune que nous ne sommes pas rentrés.

Après un silence de plusieurs instants, le félin aux yeux bleus répondit à son compère :

- Peut-être bien. Mais ils doivent avoir l'habitude, ce n'est pas la première fois qu'Il nous envoie loin d'ici...

- Et puis, coupa le mâle moucheté, ils doivent bien être content de ne plus nous avoir sur le dos !

- Cœur d'Orage, ferme-là un peu. Tu nous casses les oreilles, avec tes bêtises, rétorqua le matou couleur jais.

- Bah quoi ? C'est la vérité, non ? Vous savez très bien que lorsque nous sommes absents, les autres en profitent. "Les souris dansent lorsque le chat n'est pas là", après tout.

Le chef de la petite troupe s'arrêta.

- Arrête un peu. La Horde est notre famille, même s'il existe des tensions. N'insulte pas tout ce qu'il nous reste, déclara le meneur.

- Doucement vous deux, évitez de vous entretuer comme la dernière fois ; Bourrasque n'est pas là pour vous rafistoler, dit calmement le grand félin aux yeux de cuivre.

- Je n'ai pas peur de la douleur, et puis cette cervelle de souris de Museau Pâle est incapable de me faire mal, mon cher Tornade d'Ombre, railla le petit matou avec insolence.

Ce fut la provocation de trop pour ledit Museau Pâle qui, d'un formidable saut, bondit toutes griffes dehors sur le perturbateur de service, furieux. Ce dernier, qui n'attendait que ça, esquiva son camarade, qui percuta le sol bétonné de plein fouet. Néanmoins, il se releva, la truffe en sang, qui détonnait avec ses poils blancs. Cœur d'Orage, le mâle aux yeux d'ambre, ricana, avant de sortir ses griffes, un air malsain au visage. Son adversaire, lui, feula en montrant les crocs.

- Tu veux jouer à ça ?! Viens par là, alors, que je te réduise en charpie comme le sale traitre que tu es ! cracha avec haine Museau Pâle, ses griffes raclant le sol d'impatience.

Il allait se jeter à nouveau sur l'objet de sa rage lorsqu'il fut projeté contre une palissade de bois. Le choc fut si violent qu'il en eut la respiration coupée. Lorsqu'il ouvrit les yeux, le souffle court, le matou vit deux silhouettes qui s'étaient interposées : celle d'un félin au pelage aussi obscur que celui de Tornade d'Ombre et aux yeux bleus acérés, et celle d'une chatte au poil bicolore et à l'unique œil intact vert. Tout un pan de son visage avait été comme massacré.

- Œil Fier..., marmonna Museau Pâle en se relevant, foudroyant du regard le nouveau venu.

- Ne me remercie surtout pas ; ce n'est pas comme si j'avais empêché Boulot Abattu de t'arracher la fourrure, déclara sèchement le mâle en reniflant d'un air méprisant.

- Cœur d'Orage ! miaula l'unique femelle du petit groupe en se ruant sur le félin moucheté, manquant de peu de le renverser.

Ce dernier, qui autrefois aurait été ravi et flatté de son attention, semblait en ce jour plus agacé que charmé.

- Épine de Rose...je vois que tu es en forme...

- Bien entendu ! Comment ne pas l'être quand on sait que le meilleur combattant de la Horde rentre à la maison ?

Museau Pâle faillit s'étouffer d'indignation. Quoi, Cœur d'Orage, le meilleur guerrier de la Horde des Hurlements ? C'était une blague !

- Referme la gueule, tu vas avaler des mouches, le taquina son unique ami d'un ton presqu'amical.

- Bon, au lieu de rester plantés là, nous devrions rentrer. L'aube est proche et la Troupe risque de nous tomber sur le poil, soupira Œil Fier, pressé de retourner se coucher.

- C'est vrai. En route...

- Et si on faisait la course ? proposa soudainement le matou moucheté. Le dernier arrivé à la route-aux-fleurs-empoisonnées est une cervelle de moineaux !

Et, à ses mots, il partit comme une flèche, sans même attendre le consentement des autres. Tornade d'Ombre poussa un autre soupir.

- Un vrai chaton...

- Eh ! Cœur d'Orage, attends-moi ! cria Épine de Rose en se lançant à la suite de l'amour de sa vie.

- Bon...puisque de toute façon on doit y aller, autant ridiculiser cet idiot, marmonna le meneur de la petite troupe en détalant à son tour.

Les deux autres matous noirs lui emboîtèrent le pas, et une course effrénée commença.
Si Cœur d'Orage avait beaucoup d'avance, Tornade d'Ombre lui était le plus rapide de la bande, et il ne tarda pas à rattraper son camarade, talonné de la jeune chatte rousse et blanche. Museau Pâle, lui, courait avant Œil Fier. Puis, instinctivement, les premiers ralentirent, les derniers accélèrent, et les voilà tous flanc contre flanc, dans un même mouvement, telle une vague déferlante.

Leurs coussinets, durs et gris, semblaient à peine effleurer le sol.

Libres ils étaient, unis non pas par les liens du sang, mais par les liens du cœur, malgré leurs différences, leurs différents et leur caractère.

- Les voilà ! lança soudainement une voix fluette.

Avant même de pouvoir comprendre ce qu'il se passait, de nombreuses silhouettes félines fondirent sur eux, tel un faucon chassant une proie, les serres tendues.

Et le sang se mêla à la nuit, chaude, épaisse, poisseuse.

Perdu dans l'orageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant