VI. 1943 - 107ème d'Infanterie

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Afin de se détendre et d'oublier cette nouvelle, James vint se divertir dans la salle de jeux où il y retrouva Dum Dum et Jim Morita autour de verres et de dés. Une main sur l'épaule de Dungan, il vint s'asseoir entre le duo, constatant un couteau planté en plein milieu de la table de bois.

- Je vois que vous vous amusez bien.

- Et encore, c'est pas le plus drôle, rit Dum Dum en saisissant les deux dés.

- C'est pas censé se jouer sans? Au premier qui perd ses doigts? 

- C'est ma petite touche personnelle. 

Les dés furent jetés. Un total de six équivalent à six tours de couteau. Un regard de défi en saisissant l'arme, il se prépara, main à plat, doigts bien écartés, dos droit et petit reniflement avant de n'opérer ses tours. Les six parfaits. Puis, replaça fièrement la pointe dans le bois d'un mouvement sec.

- Je t'en prie.

Jim secoua la tête, le jugeant de crâneur, tomba sur un huit, prit l'arme et au bout de cinq tours, se coupa légèrement le majeur, l'arrêtant dans sa course folle.

- Putain... 

- Allez! Tu veux essayer? 

- Moi? J'ai pas envie de perdre un doigt. 

- Il en a besoin pour les jeunes filles d'Angleterre, blagua Gabe en se posant à ses côtés, fraîchement arrivé. 

- Ha. Ha. Très drôle. T'étais où toi?

- En train de vérifier l'état des radios. Vas-y maintenant! Je veux voir ça. 

- J'ai jamais dit que je le fer-

- Oh allez! Chochotte. 

Barnes haussa un sourcil à l'insulte de Dum Dum, lança les dés, tomba sur dix, saisit l'arme et souffla un coup avant de ne se lancer. Un léger silence s'était épris de leur table, Jim souhaitant ne pas être le seul à s'être lamentablement loupé au bout de cinq tours, mais James semblait ne pas avoir cette même malchance et atteint les dix tours sans une égratignure. Il lança même son couteau en l'air, le rattrapant parfaitement par le manche et le planta dans le bois. 

- Le coup de chance du débutant, nia Dungan. 

- Ne me force pas à le refaire deux fois de suite, le prévint-il en souriant.

Les rires emplirent la table. Enfin, jusqu'à ce que le sourire de Gabe ne s'estompe tristement, forçant la voix pour attirer l'attention de ses partenaires.

- J'ai pas une bonne nouvelle. Les Allemands ont repris Paris.

Aussitôt, l'ambiance vint au drame, James reliant l'absence de Jaques à l'information.

- Il a de la famille là-bas?

Gabriel haussa positivement la tête, détournant le regard. Jaques avait déjà perdu sa femme, s'il perdait quelqu'un d'autre, Bucky se doutait bien qu'il perdrait la tête une bonne fois pour toute.

- Tu sais où il est?

- Je suppose qu'il doit être dans votre cabine. Je l'ai pas croisé sur le pont.

Pas un mot de plus, Barnes se leva, se dirigeant vers leur compartiment. Il constata la porte à demi-ouverte, frappa deux coups pour le prévenir de sa présence et rentra à l'intérieur. Sur son lit, Jaques semblait pensif, ne faisant que brièvement attention à son compagnon de guerre.

- Hey. Comment tu vas?

- Comme quelqu'un qui a de la famille à la capitale. Mal. 

Bucky soupira, venant s'asseoir à ses côtés.

- Ils s'en sont certainement sortis. Ils sont de ta famille, ils sont doués comme toi. 

- Tu ne sais rien de moi. De ce que j'ai fait. De ce que je peux faire... Et de ce que j'ai été forcé de faire. 

- On a tous tué. On s'est engagés. Chacun pour des raisons différentes et à notre manière, mais on savait qu'on allait pas faire de beaux rêves après ça. Nombreux sont les débrouillards, ne te focalise pas seulement sur le mal. On sera bientôt à Paris, je te promets qu'on ira les voir. 

Jacques Dernier expira, le discours de James lui avait redonné un peu de courage. Il ne se voilait pas la face, peu étaient les chances qu'ils aient échappé aux monstres, mais peu signifiait qu'il restait encore de l'espoir. 

- J'espère simplement que tu as raison.

- J'ai toujours raison. 

- Et t'es bien trop sûr de toi! Se mit-il à rire.

- Si je ne l'étais pas, qui le serait à ma place?

Aussitôt, il pensa à Steve. C'était ce qu'il avait l'habitude de rétorquer à ses sarcasmes après une bataille de plus qu'il avait perdu entre deux murs d'une ruelle mal famée de Brooklyn. Et sa tête blonde lui manquait. James Barnes en avait vu, des horreurs, mais Bucky continuait d'espérer qu'il pourrait revoir un jour celui qu'il considérait comme son petit frère. Il espérait pouvoir reprendre une vie normale, au fin fond de son cœur et de ses espérances que son âme savait vaines. Il espérait toujours trouver une jolie fille qui saurait passer outre sa petite taille et sa santé bancale. 

Il souhaitait le meilleur pour son ami en s'oubliant lui-même. Lui qui cachait ses sentiments derrière un costume trop épais et une arme trop lourde pour ses épaules. Cet ensemble massif était son sourire, sa bonne humeur, sa bienveillance. Il pourrait se sacrifier pour ses amis, ses compagnons. Déchiré entre l'envie folle de rentrer et le devoir de servir. 

Car si cela faisait trois jours qu'ils étaient en mer, cela lui paraissait être une éternité. Le poids de la solitude océanique s'était déjà abattue et les questions fusaient jour et nuit. Sur son avenir. Incertain. Un avenir qu'il ne voyait pas. James Barnes rassurait les autres mais qui rassurait Bucky? Personne. Jamais. Il était le seul que personne ne réconfortait jamais car il ne laissait rien paraître et ce n'était pas avec Steve qu'il pouvait se laisser aller. 

Il était un roc sur lequel Rogers pouvait toujours compter, aussi bien mental que physique, mais Barnes ne pouvait faire de même. Connaissant son caractère de tête brûlée, il aurait cherché ses ennuis et se serait retrouvé une fois de plus parmi les poubelles, se protégeant d'un simple couvercle. 

Mais Bucky ne savait pas. Il ne savait que, de l'autre côté de l'Atlantique, son Steve avait réussi. Il était là. Parmi les Soldats. Il courait en se battant, non contre le temps, mais contre son propre corps trop frêle pour supporter une course d'endurance. Pourtant, il était le plus déterminé à faire ses preuves, pensant à celui qu'il considérait comme son grand frère, à Bucky, une photo abîmée dans la poche intérieure de sa veste. Celle près du cœur pour le protéger à distance des dangers menaçant le Sergent. 

Mais ce danger là, il ne pourrait rien y faire.

Past of a Soldier 彡 Bucky BarnesWhere stories live. Discover now