Chapitre 4 Partie 2

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Un quart d'heure plus tard, je garai ma moto devant un immeuble dont le ravalement datait du siècle dernier. J'enlevai mon casque sous la curiosité d'un groupe de flics qui fumaient leur cigarette à l'entrée de la gendarmerie. Je les dépassai en ignorant leurs remarques misogynes. Je devais faire bonne figure, me montrer normale. Mettre une correction à des membres des forces de l'ordre devant leurs locaux ne m'aiderait pas question discrétion. Je soupirai et poursuivis mon chemin.

— Bonjour, madame. Le brigadier-chef Bumpkin m'attend pour une déposition, annonçai-je à l'accueil.

Une quinquagénaire aux cheveux grisonnants repoussa ses lunettes le long de son arête nasale et scruta son écran. Elle souffla, grogna, puis pesta.

— Il n'est pas fichu de mettre à jour son agenda ! Votre nom, demoiselle ?

— Je m'appelle Marion Robinsun. J'étais présente lors de la prise d'otages dans la banque.

— Oh... cela a dû être éprouvant, dit-elle en redescendant sa large monture sur le bout de ses narines.

— Merci. Pensez-vous que je puisse le voir, malgré cet oubli ?

— Je vais vous l'amener, ma jolie, quitte à aller le chercher moi-même !

Elle me fit un clin d'œil complice en attrapant le combiné gris d'un téléphone. Elle appuya sur une touche translucide.

— Bumpkin, ramène tes fesses ! Marion Robinsun est là pour sa déposition. Comme d'habitude, ton agenda ne mentionne rien. Alors, grouille-toi ! aboya-t-elle.

Ce petit bout de femme menait à la baguette cet arrogant Bumpkin. L'idée me plut.

— Asseyez-vous. Il arrive.

D'un signe de la main, elle me désigna des sièges en tissu troués. Ils étaient assortis avec le reste de la décoration d'un style trop vieux pour être considéré comme vintage. Un panneau en liège ornait le mur et rassemblait les affiches des personnes disparues. Le déséquilibre m'étonna. A priori, être une femme dans cette région accroissait le risque de volatilisation mystérieuse. Je méditai quelques secondes sur ce constat, puis sur l'insalubrité de la gendarmerie. Soudain, Bumpkin franchit des portes battantes, rouge de colère, et Carter me foudroya du regard avant qu'elles ne rompent notre contact visuel.

— Violette ! Va falloir qu'on parle ! hurla-t-il en direction de l'accueil.

Elle l'ignora et continua à traiter la paperasse. Sa désinvolture aggrava l'état de Bumpkin, qui me déversa sa contrariété dessus.

— Robinsun, suivez-moi !

Je le fixai droit dans les yeux, mon sac sur l'épaule et les bras croisés. Pour qui se prenait ce bouseux ? Il se dirigea en s'époumonant vers la jonction entre l'entrée et les bureaux des agents. Il devait avoir l'habitude que son comportement soit toléré ou que les habitants soient impressionnés et obéissent. J'avais des limites, et en agissant ainsi, il n'obtiendrait rien de moi. Une fois de l'autre côté du battant, il s'aperçut que je ne le suivais pas.

— Robinsun, qu'est-ce que vous foutez ? Je n'ai pas toute la journée !

— Je repasserai quand vous serez disponible. Je ne suis pas votre paillasson ! Bonne journée, articulai-je.

Je me dirigeai vers la sortie, sous les chuchotements des témoins.

— Mais elle se casse ! vociféra-t-il dans mon dos.

Sa rage caressa ma peau, et je souris.

— Rattrape-la et excuse-toi ! lança Violette, derrière son comptoir.

— Parle-moi meilleur...

— T'es un lourdaud, Bumpkin. Quand tu seras capable d'entendre ce qu'on te dit, je mettrai les formes, mais en attendant, je te parle de la seule manière que tu comprennes !

— Notre passé ne te permet pas tout ! Ferme-la ou j'exige ta mutation !

— Comme si tu en avais les moyens... pouffa Violette.

La conclusion de cet échange cordial ne me parvint pas. Au moment où je redressais ma moto, le rondelet Bumpkin courut dans ma direction. Écarlate, dégoulinant de sueur et haletant, il pointa son doigt potelé dans ma direction. Il s'apprêtait à beugler quelque chose, mais il se ravisa lorsqu'il aperçut un homme en complet anthracite.

— Brigadier-chef Bumpkin, que vous arrive-t-il, grand Dieu ? l'interpella-t-il.

— Monsieur Tabasco. Rien, rien. Ne vous inquiétez pas, une broutille.

— Qui peut bien vous mettre dans cet état ?

Orné d'une calvitie hippocratique, Tabasco me tendit une main manucurée.

— Pierre Tabasco, je suis le maire de Montbazin. Et vous êtes ?

— Marion Robinsun. Je viens d'emménager. La ville est charmante et les forces de l'ordre...

— Un peu bourrues, parfois. Veuillez les pardonner !

Bumpkin s'étrangla en déglutissant.

— Ils veulent bien faire et ne pensent pas à mal, ajoutai-je.

Le maire sembla apprécier ma volonté d'apaisement. Quant à Bumpkin, les yeux exorbités, il essuyait son front du revers de sa manche.

— Pourriez-vous m'expliquer quel est le souci ? s'exclama-t-il, les poings sur les hanches.

— Mademoiselle Robinsun est la femme qui est intervenue lors du hold-up.

— Vous avez réussi à immobiliser les malfrats ? s'étonna Tabasco, avec un rictus, en me dévisageant.

— Enfin, c'est nous qui les avons arrêtés, monsieur le maire ! protesta Bumpkin.

— Oui, oui, brigadier, je sais. (Il soupira, et son attention se reporta sur moi.) Comment avez-vous réussi ce prodige ? Quand on vous voit, on ne s'attend pas à faire face à GI Jane.

— Je n'ai rien d'un soldat en jupette, je vous assure. J'ai simplement constaté une brèche et leur inexpérience. Je pouvais les stopper sans mettre en danger quiconque. J'ai saisi cette opportunité, et il s'est avéré que j'avais raison.

— Heureusement, car la situation aurait pu se terminer dans un bain de sang ! m'interrompit Bumpkin, les bras noués.

— Où avez-vous appris à vous défendre ? m'interrogea Tabasco en ignorant l'intervention de Bumpkin.

— Si je comprends bien, mon entretien avorté se mue en interrogatoire, ironisai-je en souriant au maire.

— Puis-je y assister ?

— Bien entendu, monsieur le maire ! s'empressa de répliquer Bumpkin.

— Bumpkin, ce n'est pas à vous que je m'adressais, mais à mademoiselle Robinsun.

— Ça ne me pose aucun problème, monsieur Tabasco. Mais je m'apprêtais à partir, car nous avions un désaccord avec l'agent Bumpkin.

— De quel ordre ?

— Rien de grave... n'est-ce pas, brigadier-chef ? lançai-je, avec condescendance.

— Non. Nous serions ravis que vous reveniez dans les locaux pour que j'enregistre votre témoignage.

Sa politesse lui coûta, mais son besoin de reconnaissance prit le dessus sur son amour propre. Finalement, il était plus à plaindre qu'à blâmer.

— Accordez-moi quelques instants afin que je me charge de ma moto, et je vous rejoins, conclus-je.

1 - DissonanceWhere stories live. Discover now