Chapitre 1 Partie 1

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J'avais besoin d'un élément déclencheur pour amorcer mon plan, et j'ignorais que mon banquier me l'offrirait sur un plateau.

— Tout le monde, les mains en l'air, c'est un hold-up ! vociféra un des braqueurs recouverts d'une cagoule noire.

Assise sur un tabouret à roulettes face à l'entrée, je distinguai leur armement, et mes muscles se détendirent. Avec un pistolet mal tenu et une voix hoquetante, le premier était ridicule. Quant à son coéquipier, il n'était guère mieux loti avec son couteau à viande et un revolver. Tous les deux se dandinaient en hurlant. Les clients, affolés, se jetèrent à terre dans un vacarme épouvantable tandis que je pivotais sur mon siège pour leur tourner le dos. Les immobiliser serait un jeu d'enfant, par contre, me contenir pour ne pas les endommager s'avérerait plus délicat. Mais bon, j'avais prévu de ne tuer personne ce jour-là à moins d'y être obligée !

— Toi, tu te tournes, et tu te fous au sol avec les autres ! me cria-t-il de loin. Règle ça ! Si elle tente de faire la maligne, tu lui règles son compte ! Moi, je m'occupe de l'argent !

Sa respiration haletait au rythme de ses pas hésitants. Nous avions tiré le gros lot, avec ces deux-là ! Sans surprise, pour ne pas avoir à me toucher, il m'enfonça le canon de son pistolet dans le dos. Grossière erreur, mon gars ! En moins de temps qu'il est nécessaire pour le formuler, je tournoyai et le désarmai d'une main. De l'autre, je lui assenai un coup dans la trachée afin de l'empêcher de crier. J'achevai mon attaque en soufflant une incantation d'endormissement au creux de son oreille. Je le retins afin qu'il glisse sur le sol en silence. L'autre type n'avait rien vu, trop occupé à hurler après les chargés de clientèle afin qu'ils remplissent un sac de sport bon marché.

— Nous ne disposons plus de liquidités en agence, je vous promets ! Un coffre-fort scellé protège les fonds... son ouverture est informatisée... elle se réalise uniquement en présence de la Brinks. (L'homme déglutit avec difficulté.) Et une seconde clé est indispensable pour la franchir, tenta de lui expliquer le dirigeant effrayé.

Son costume ajusté moulait son imposante corpulence. Une chemise violette bâillait sur son ventre bedonnant, de laquelle des poils sombres s'échappaient. Des gouttelettes de sueurs parsemaient son front et ses tempes d'un gris terne. Elles perlaient sur sa poitrine. Beurk...

— Vous foutez pas d'ma gueule ! Comment vous donnez des tunes aux vieux ? s'époumona le braqueur, en appuyant ses propos d'amples mouvements de bras.

— Nos clients doivent nous prévenir trois jours à l'avance pour que nous sortions la somme du coffre, bafouilla le directeur.

— Tu vois bien que t'en as ! Fais pas chier, gros lard, on n'a pas toute la journée. Envoie-moi ce putain de fric, et magne-toi ! pesta-t-il, braquant son revolver sur son embonpoint.

Quels minables ! Ils avaient attaqué une banque sans aucune préparation, au point d'ignorer la gestion des liquidités et de leur stockage. Autant s'en prendre à la supérette du coin, au moins, ils seraient repartis avec le fond de caisse. La peur et le stress du malfrat s'étaient mus en une rage qu'il gérait de moins en moins bien.

— Je suis vraiment désolé, mais nous n'en avons pas ! Aucun gros retrait n'était prévu. Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas, s'excusa le directeur, les mains relevées devant son visage.

Continue, mon gars, distrais-le, j'arrive. Je pris le temps de mimer un « chut » de l'index aux clients estomaqués. Le type se tenait trop loin pour que je le désarme à main nue. J'étais rapide, mais pas autant qu'une balle. N'importe quelle sorcière, si elle veut jouer sans ses pouvoirs, demeure prudente face à une arme à feu. Une fois assez proche de lui, je remontai le tissu de mon jean pour gagner un peu d'amplitude, et je m'accroupis. Fin prête, j'attaquai. La technique la plus efficace demeurait la plus simple. Dans un mouvement de ressort, je tapotai son dos du bout des doigts, et il pivota vers moi, par réflexe. Ma position me protégeait d'un éventuel accident, et en me relevant, j'appuyai mon pied sur sa rotule, qui céda. Ses bras descendirent pour enlacer son articulation douloureuse. Avec un autre coup, le pistolet s'envola sous un des bureaux, mais son couteau glissa le long de mon tibia. Rien de bien méchant. Un genou à terre, il brailla comme un gosse. Je cherchai une personne en état dans l'assistance pour contacter les secours. Je ne comprenais pas ce monde : les gens étaient vissés à leur téléphone portable, mais aucun n'avait appelé la police. Dans une petite ville comme Montbazin, les forces de l'ordre auraient déjà été présentes si un client avait usé de jugeote pour les prévenir.

— Toi ! Appelle le commissariat, ordonnai-je à la seule femme qui ne sanglotait pas et paraissait capable d'articuler deux mots.

— Bien sûr ! répliqua-t-elle dans un hochement du menton.

Je secouai la tête et soupirai en surveillant le braqueur au sol. On se serait cru dans un mauvais film comique. Il avait étendu sa jambe cassée et la maintenait d'une main. À force de pester à travers sa cagoule en maille, ses lèvres fines s'étaient couvertes de filets de bave. Les bras croisés, je me lamentai de son manque de dignité et de courage. Il ne tentait même pas de ramper pour s'échapper. Depuis mon attaque, il s'égosillait et dessinait des huit avec son couteau au manche fuchsia, issu, très certainement, du service de vaisselle de sa mère. Il aurait pu trouver mieux pour asseoir sa crédibilité. Enfin, bon... Je patientai le temps que les flics arrivent et que j'aille prendre un café.

— Tu devrais lancer ton couteau. Avec ton pote, vous avez commis une boulette, mais stoppe les choses là où elles en sont. Personne n'est encore blessé, formulai-je, pour la forme.

Quoi ? Je savais me montrer compatissante, par moments. Je vous l'accorde, pas souvent, mais c'était avant. J'ai bien changé depuis...

— Tu m'as bousillé le genou, connasse. C'est ça que t'appelles « personne de blessé » ?

De fureur, il enleva sa cagoule. Son visage cramoisi ruisselait. Je m'approchai en m'assurant de me tenir hors de la portée de la lame.

— Tu plaisantes ? Vous tentez de braquer une banque, et tu te plains parce que tu as un bobo au genou ? Ce n'est pas en taule qu'ils doivent t'enfermer, mais en hôpital psy !

Gonflé, le type !

— Tu t'prends pour qui, putain ? s'énerva-t-il en s'asseyant sur son postérieur.

— Une femme qui se trouve au mauvais endroit au mauvais moment, répliquai-je, les poings sur les hanches.

Les sirènes annonçant la brigade locale transpercèrent l'ambiance pesante. Le commissariat se situait à deux pâtés de maisons de la banque. Les flics n'étaient pas pressés : même à pied, j'aurais mis moins de temps qu'eux.

— Sortez le premier pour les prévenir que les hommes sont quasiment désarmés ! lançai-je au directeur.

— Oui, oui, c'est une excellente idée. Je sors, oui, je sors vite ! bafouilla-t-il en s'empressant d'abandonner toutes les personnes dans son établissement.

Les hommes... et dire qu'ils se considèrent comme le sexe fort ! Il se rua dehors sans même un regard vers les clients ou ses employés.

1 - DissonanceWhere stories live. Discover now