Origine

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Assourdie, elle vit son monde en sourdine, sa sainteté ne lui ayant offert que le luxe d'une semi-ouïe. Elle lit sur les lèvres, ou ignore la vie autour d'elle, sifflote en permanence, rien à fiche du contexte, sa bulle d'handicapée sensorielle lui permet de diffamer les normes des gens. Elle ne fait pas attention quand le barman lui dit que ça fait beaucoup, ni quand le médecin la prévient d'une cirrhose, ni quand son foi la tance. Elle siphonne en continu cette saloperie alcoolisée, sans souci de morale, elle n'entend pas le monde autour d'elle, son casque anti-bruit naturel la protège de ces stupidités. Son fief est son esprit, son royaume s'étale sous son front, sans frontières autres que le pathétique des paroles qu'elle attrapent au vol. Les repas familiaux lui semblent une perte de temps incroyable, les mots ne font que la frôler, elle pourrait lire durant ce temps. Elle a toujours des écouteurs reliés à son téléphone, avec la musique au maximum. Elle n'entend pas tout, ne saisit pas certaines notes, mais c'est le meilleur ami qu'elle ait pu se trouver. Les relations sociales lui apparaissent tellement dérisoires, si elle veut parler à des gens, elle a une connexion Internet, et n'interfère aucun problème de communication sous cet aspect. La vraie vie lui rabâche sans cesse, quand elle daigne l'écouter, que ce ne sont pas de vraies amitiés, pas de vrais liens qu'elle tisse là. Mais à son sens, ce sont des vraies âmes de l'autre côté de l'écran, que ce soit à Paris ou à Singapour. L'humain reste humain, et l'humain est très souvent con, mais le virtuel lui convient mieux. Le stress du monde réel, sans pixels, la pousserait à bout, comme au collège. Elle n'assumait alors pas vraiment sa différence, la considérant comme un handicap, comme un sacrilège vivant, comme son incapacité à se fondre dans la masse.  Aujourd'hui, elle la considère comme une amie, comme une part de sa vie, comme un cadeau de Dieu. Pour elle, c'est la preuve qu'il vaut mieux être sourd que d'entendre certaines personnes. 

Lui, il ne parle pas. Cela lui semble une incroyable perte de temps que de s'adresser aux gens, comme si ça allait réellement changer quelque chose. C'est tellement plus enrichissant de se taire et de simplement regarder la vie! Sans rien pour briser la magie de l'instant, il se ressource au creux des arbres, entre la beauté vétuste des vieux murs de sa ville, dans les briques délaissées du passé. Il profite de l'air semi-pollué, isolé dans son monde, dans cette bulle confortable qu'il s'est créée à l'abri de l'incompréhension des gens. Il ne parle que si besoin, chez lui, un peu au lycée, de temps à autres, quand l'envie se fait sentir. Il chante, souvent, pour faire passer le temps, pour dégraisser ses cordes vocales, pour agresser son mutisme quotidien. Ses amis, il les a rencontrés et les voit sur Internet, ça lui suffit. Il a peur d'être déçu si ils se voient dans la vraie vie, parce qu'il est incapable d'interagir avec les vrais gens, avec de vrais mots. Les pixels le rassure, et en cas de pépin, il sait qu'un repli serait facile. Son pseudo, c'est Aelluminé, parce qu'il s'appelle Ael. Le jeu de mots lui a semblé pertinent. 

Son pseudo, à elle, c'est Lyante. Ly, c'est la fin de son prénom, Charly. Et elle recherche des amis sur Internet, des gens à qui parler ; elle est liante.

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⏰ Last updated: Mar 20, 2019 ⏰

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Ael & CharlyWhere stories live. Discover now