Partie 1.

41 1 0
                                    



            Novembre 1792. Paris est en ébullition, le procès du roi se prépare. On sait bien dans la capitale que ce n'est que pour la forme. Après la découverte de l'armoire de fer et des documents compromettants qu'elle contenait, le procès paraissait inévitable. Car pour condamner la monarchie, pour tirer un trait sur cet ignoble passé politique, il fallait condamner le roi, supprimer la personne qui incarnait ce régime illégitime. Partout dans la ville, des faubourgs aux plus grandes places, l'on ne parlait que de cela. Les Parisiens raillaient déjà ce petit bonhomme qui n'était plus rien, on l'imaginait tout bouffi et penaud au milieu de la salle d'audience, écoutant l'accusation sans dire un mot. Les hommes gambergeaient sur le déroulement de l'audience, les femmes cherchaient déjà la tenue idéale pour l'exécution. Cela allait être un bel évènement ça, une exécution royale. Il y allait en avoir du monde, sur la place de la Révolution.


C'était une belle période pour la France. Enfin à certains égards. Il faisait froid, les conditions de vie de la majorité de la population restaient toujours difficiles, le peuple avait faim, le prix du blé avait flambé, l'on était en guerre avec l'Autriche, la violence régnait partout. Il ne faisait pas bon d'être soupçonné d'être anti-république aujourd'hui. Mais au moins, la monarchie, le tyran, étaient tombés, la République proclamée. Un nouveau jour s'était levé sur le pays, un jour plus brillant mais assombri par l'existence de la famille royale déchue. Le procès allait bientôt s'ouvrir, et avec lui, une nouvelle ère pour la France.


Dans la taverne des citoyens Trudeaux fleurissaient les cocardes révolutionnaires. Les clients pouvaient se restaurer en écoutant une fois par semaine des chants patriotiques. Dans cet établissement populaire, on avait fêté la révolution, scandé les valeurs républicaines, applaudi les discours des Robespierre, Danton et autres Marat.


La famille Trudeaux était une authentique famille révolutionnaire. La mère avait marché sur Versailles en 1788, le père avait pris la Bastille. Ils prévoyaient, si cela était possible, d'assister au procès ou du moins de se tenir aux abords du tribunal. Ils frémissaient d'impatience à l'idée de voir le jugement de Louis Capet, de participer à un tel évènement historique. Et puis, ils voulaient le voir ce roi, cet homme trainé au rang de criminel. Ils voulaient voir la puissance s'effondrer, voir le tyran être humilié comme lui et sa cour avaient humilié le peuple depuis bien trop longtemps. Ils n'attendaient que cela pour que la vie change, pour que l'Etat soit gouverné justement et que les richesses soient distribuées entre tous les Français ; pour qu'enfin le pouvoir, l'or et la douceur de la vie n'appartiennent plus seulement à une poignée de privilégiés.


**


L'ameublement de la chambre du roi à la prison du Temple était succinct. Dans la pièce se côtoyaient une cheminée surmontée d'une glace, ainsi que deux lits, l'un pour le roi, l'autre pour son fils. L'enfant était dans l'antichambre. Assis sur son dur matelas, Louis savait qu'au dehors on débattait de son sort. Fallait-il exécuter le roi ou au contraire agir autrement ? Louis n'avait qu'un maigre espoir, il savait au fond de lui qu'on voulait le voir être condamné.


L'esprit du roi déchu se perdait dans son passé. Il avait fait ce qu'il avait pu mais il n'avait pas été un grand monarque. Pourtant il avait toujours eu ce désir de donner du bonheur à son peuple. Mais incapable d'imposer véritablement sa volonté ni de régler les problèmes du royaume, il s'était fait destituer et traiter de maladroit, de tyran. Néanmoins, il devait bien admettre qu'il n'avait jamais vraiment tenté de faire changer les choses, vivant dans l'opulence de la cour et restant sourd et aveugle face à la misère du peuple. Perdu dans l'univers de plaisir et d'opulence qu'était Versailles, Louis, comme tous les rois de la monarchie absolue, était parfaitement déconnecté des souffrances de son peuple.


Ses ancêtres devaient se retourner dans leurs royaux tombeaux. Louis aurait tout donné pour ne pas être roi, ou alors pour être un vrai souverain, comme l'avait été son aïeul le Roi Soleil. Le Bourbon repensa à son frère, celui mort à dix ans, celui qui aurait dû régner à sa place si la maladie ne l'avait pas emporté. Louis de France, duc de Bourgogne, aurait fait un très bon gouvernant, tout le monde en était persuadé à l'époque. La mort du jeune garçon avait été une tragédie, pour la famille royale mais aussi et surtout pour la monarchie. Louis avait toujours fait pâle figure à côté de son frère, et cela s'était ressenti dans sa manière de régner. Jamais une telle situation n'aurait été possible si son frère avait été sur le trône. Il aurait eu la splendeur et la majesté requises pour ce rôle, et jamais le peuple, même avec les revendications et la colère légitimes qui l'habitaient, n'aurait eu le courage de se révolter comme il l'avait fait en 1789 contre Louis XVI.


Jusqu'au bout, le roi n'avait su faire les bons choix ; la tentative de fuite de sa famille en était la preuve la plus récente. Louis savait que c'était cet acte qui l'avait véritablement condamné. Avant cette tentative, le peuple avait encore un peu confiance en lui notamment car il avait juré fidélité à la Constitution lors de la fête de la Fédération en quatre-vingt-dix. A cette époque, les Français semblaient l'aimer encore, du moins un peu. Mais lorsqu'il avait tenté de fuir, la population s'était sentie trahie, blessée et désormais, elle n'attendait plus rien de lui, comme Louis ne pouvait plus rien attendre de ceux qui autrefois l'avaient tant aimé. 

RégicideWhere stories live. Discover now