#3 ~ Les émissaires

Start from the beginning
                                    

Larea réfléchit quelques secondes puis répondit :

« L'idée n'est pas nouvelle, mais qu'un état veuille l'appliquer sérieusement tient du jamais-vu. Sincèrement, je serais absolument partante pour une expédition de ce genre, même si de nombreux aspects pratiques sont à régler ; mais j'ai une question : pourquoi moi ? Pourquoi moi et pas l'un des talentueux marins d'Aldrénie ?

- Nous avons demandé à de nombreux capitaines, justement. Mais la plupart ne sont pas qualifiés pour effectuer une recherche efficace ou bien refusent tout simplement, par peur ou par manque d'intérêt. Nous vous trouverons des navires, et même une flottille pour que vous soyez efficace, mais ils ne serviront à rien si personne de compétent ne les dirige. De plus, le Roi est persuadé que votre présence à la tête d'une expédition motivera et rassurera bon nombre de marins, car votre réputation est mondiale.

- La couronne Aldrénienne financerait tout et me donnerait les moyens que je demanderais pour mener mes recherches ?

- Evidemment.

- Et qu'est-ce que j'y gagnerai ?

- Si vous ne trouvez rien, un simple salaire et la beauté de l'avancée scientifique ; vous aurez prouvé qu'il n'y a rien dans l'océan ouest. Si vous trouvez quelque chose ne revanche, en plus d'une immense prime, nous serions prêt à vous offrir une parcelle du territoire découvert. Cela pourrait aller de quelques kilomètres carrés à une île entière. Tout dépend de la surface qu'il y a là-bas. Et puis surtout, vous baptiserez vous-même vos découvertes et serez la géographe qui découvrit ces terres éloignées. Pensez à la postérité ; Larea, la cartographe et l'exploratrice, qui découvrit les îles du même nom ? Votre souvenir se perpétuerait sur des siècles et des siècles, l'Aldrénie vous adulerait ainsi que des milliers de colons qui partiraient vers les nouveaux territoires. Cela ne vous fait pas rêver ?

- Si évidemment. Mais permettez-moi tout de même d'émettre quelques réserves face à ce qu'il y a à découvrir dans cet océan ; ce serait un miracle si je découvrais un petit ensemble d'îles minuscules, alors ne vous attendez pas à trouver là-bas un continent de la taille de Damanor. Chose importante, quelle distance voulez-vous que je balaye ? L'océan est peut-être infini, je ne peux me permettre d'errer sans fin. Quelles limites à cette exploration ?

- La question n'a pas été étudiée par le Roi, cependant je peux estimer qu'aux environs de deux milles kilomètres n'importe quelle terre serait trop éloignée pour être intéressante à coloniser.

- C'est un espace considérable... Quadriller une telle zone prendrait, au minimum, quatre ans. Sept ou huit en étant pessimiste. Même s'il est parfaitement possible que je trouve déjà une île habitable après quelques mois seulement, mais ce ne sera qu'une question de chance. »

Konrad acquiesça. « Cela me semble être un délai des plus raisonnables. Le Roi pense au long terme, il ne compte pas en jours mais bien en décennies s'il le faut.

Le prénommé Natho proposa alors, en sortant un parchemin vierge un encrier et un calame (= bâtonnet taillé servant de stylo) de sa sacoche :

« Bien, puisque vous semblez être d'accord, rédigeons un premier contrat.

- Que je soumettrai au gouvernement Aldrénien afin d'en établir un définitif. » précisa Konrad.

Les négociations furent longues, étant donné les nombreux détails pratiques du projet. Une heure, puis deux passèrent dans le petit bureau avant qu'enfin la géographe et l'émissaire puissent apposer leur signature au bas de cette ébauche de contrat. Ils se serrèrent la main, sortirent puis se saluèrent poliment avant de se séparer, partant chacun d'un côté différent, se fondant dans Paxet Sapeira.

Konrad, pour sa part, marcha d'un pas rapide jusqu'à chez lui, une maison en bordure du centre-ville qu'il partageait avec ses deux colocataires et amis Locarm et Elos. Ils étaient d'ailleurs déjà là lorsqu'il pénétra dans l'habitation, assez spacieuse grâce à leurs origines nobles.

« Alors ce rendez-vous ? demanda directement Locarm. Ou alors c'est encore et toujours trop secret pour nos humbles oreilles ?

- Je vous fais confiance pour ne pas trahir votre pays, répliqua Konrad d'un ton amusé, mais sachez que l'Aldrénie, à travers moi, vient de commanditer auprès de Larea une exploration complète de l'océan ouest !

- Et tu t'es encore fait passer pour un simple émissaire ? déplora Locarm.

- A part vous, personne ici ne sait qui je suis et je ne vois aucune raison que ça change. »

Elos, lui, regardait Konrad d'un air ahuri, réagissant à l'annonce d'exploration :

« L'océan ouest ? Tout entier ? Sa Majesté aurait-elle perdu la tête ? Commenta-il d'un ton ironique.

- Pas du tout, l'objectif est de peut-être découvrir de nouvelles terres : archipels, îles, voire mêmes de petits continents, qui sait. Des territoires inhabités qui deviendraient alors colonies Aldréniennes sans contestation possible de Damanor ou des ondins si nous les découvrons en premier. »

Elos sembla peu convaincu, réfléchissant certainement déjà au coût de l'opération. Mais Konrad enchaîna :

« Et vous, comment ça avance ? Vous partez demain vous lancer dans le commerce ou vous serez encore quelques mois de simples étudiants ?

- C'est... pas vraiment glorieux, répondit Elos.

- C'est surtout n'importe quoi » rétorqua Locarm, cynique. « Ils sont tous là, avec au moins 20 ans de troc stérile derrière eux, à saluer pendant deux heures leurs interlocuteurs, à enjoliver leurs phrases et à blêmir lorsqu'on leur parle d'un risque même minime pour leurs investissements. Ils ne veulent entendre parler que de petits bénéfices assurés. Alors forcément, notre projet leur fait peur et on s'est fait recaler partout.

- Et pour les cartes ?

- Beaucoup de gens qui avaient de l'argent à y mettre y ont trouvé leur compte, nous un peu moins. Même si à long terme elles seront accessibles à tous, pour l'instant ce ne sont que des produits de spéculation, et en plus des coûts énormes, les investissements pour ensuite rentabiliser leur achat est astronomique, pour nous en tout cas. »

Konrad décida de ne pas plus insister et de laisser ses deux amis tranquilles dans leurs rêves de commerce. Il se retira dans sa chambre au premier étage et se laissa tomber sur son lit, faisant le point sur sa journée et pensant déjà à celle du lendemain où il affronterait une fois de plus maître Xesa, l'un des plus grands historiens du monde, qui lui dispenserait – ou plutôt infligerait – comme toutes les semaines une matinée de cours d'histoire politique.

Il avait beau savoir que c'était important pour lui, il n'arrivait pas à s'y intéresser. Mais il n'eut pas le loisir de davantage y penser, car la cloche de la porte d'entrée de la maison sonna. Même s'il supposait qu'un de ses deux colocataires irait ouvrir, il descendit tout de même par curiosité.

Il aperçut Locarm ouvrir la porte, révélant trois hommes en armure suivis de plusieurs cavaliers. L'un deux, qui semblait être le sergent, se démarqua et se présenta.

« Désolé de vous importuner ainsi alors que le jour touche à sa fin, mais je suis un émissaire du gouvernement Aldrénien, et je cherche urgemment Sa Majesté Konrad. Est-ce bien sa résidence ? »

Alors que Locarm se retournait et répondait au sergent un simple « Oui, il est juste ici », en un instant l'intéressé vit défiler devant lui les hypothèses les plus sombres. Un détachement de l'armée Aldrénienne qui vient le chercher ainsi, chez lui, à Paxet Sapeira. Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose.

Le sergent entra dans la maison et mit un genou à terre, le poing sur le torse imité par les trois hommes restés dehors.

« Votre Majesté, je suis désolé de devoir vous annoncer cela si brusquement, mais votre père, le Roi, est mort il y a de cela onze jours. En tant que prince héritier, vous devez immédiatement rentrer à Hasaro pour être couronné. » Il ajouta, solennel : « Vous êtes désormais Konrad III, Roi d'Aldrénie. »

ESTERRA (En cours - V1)Where stories live. Discover now