La Chapelle

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Je n'avais jamais remarqué cette chapelle. Il fallait oser prendre ce chemin étroit qui montait vers la falaise. Il fallait vouloir franchir les barrières d'aubépine et les mûriers agressifs. Se forcer à affronter le vent marin de plus en plus fort. Lutter.

La mer n'était pas loin, on sentait son souffle salé, son haleine iodée, on entendait son grondement sourd, rauque, son appel.

Des mouettes effrayées tournoyaient autour de la courte flèche grise. Un fin crachin commençait à envahir la lande triste. La petite église n'était plus très loin, je hâtais le pas pour m'abriter sous son porche. De vilaines gargouilles me crachèrent leur venin. Je me plaquai contre la lourde porte pour échapper à leurs jets acides. C'est alors que je sentis le battant tourner difficilement sur la rouille de ses gonds. Un grincement sinistre résonna et une odeur de vieille cire me happa dans la nef sombre et glacée. Je restais un instant pétrifié. La chapelle était vide et semblait abandonnée. Quelques prie-Dieu en désordre semblaient ne plus accueillir qu'une poussière lourde et collante. Un unique vitrail aux couleurs sombres représentait, me semblait-il, une affreuse scène de torture médiévale.

J'avançais prudemment vers l'autel, que je distinguais mal dans l'obscurité. En m'approchant, je vis qu'il était recouvert d'un épais drap noir. Je ne pus réprimer un frisson.

Dehors, la pluie s'était transformée en rugissante averse. L'eau battait les murs et la toiture du bâtiment avec tant de force qu'on l'eût dit plongé, telle une épave, au fond d'un océan déchaîné.

La nuit était arrivée en avance. Je me cognai sur une chaise renversée que je remis difficilement d'aplomb. Le tintamarre des pieds crissant sur les dalles se répercuta en mille échos brisés sur la voûte. Je me sentis coupable de faire autant de bruit dans un lieu qui, normalement, appelait à la sérénité. Je retins ma respiration pour écouter le vacarme démultiplié s'éteindre peu à peu. Enfin, le silence revint, mais il m'apporta plus d'angoisse que le bruit.
Rien. Une absence totale et inquiétante de vie. Seul le chant guerrier de l'eau du ciel qui ravageait les alentours criait de vérité. Tout le reste semblait cauchemar.

Pourtant, du fond d'un recoin sombre, me parvint une sorte de plainte...

La souffrance du bois ?

Qu'y avait-il derrière l'énorme pilier ?

Je restai un moment interdit, écoutant plus attentivement. Un gémissement ? Une exhortation ?

Dans l'ombre épaisse je distinguais la masse trapue d'un confessionnal sculpté. Je m'approchais prudemment, essayant de percer les ténèbres inquiétantes. Il me semblait que le gémissement sortait de là. Un prêtre acharné devait y murmurer ses litanies... L'accès au confessionnal était fermé par une porte de bois. La voix devait provenir de la grille. Un grondement de tonnerre tapa dans mon cœur, le bousculant avec la force d'un taureau. Cet orage me mettait mal à l'aise. J'avais l'impression d'entendre un rire étouffé venant des entrailles de l'isoloir. M'avait-on vu sursauter ? Étais-je observé ?

J'étais attiré par l'antre noir, mystérieux et angoissant, comme on est attiré par le vide qui nous effraie. La tentation d'y pénétrer était la même que celle qui nous pousse vers le pécher. Résister ne fait qu'amplifier le désir de succomber.

Je n'eus même pas le temps de raisonner ma peur, j'étais déjà plié sur l'agenouilloir usé. Une odeur infâme se dégageait de la loge centrale. Une peste monstrueuse de moisi et d'animal mort me monta aux narines. Quelque chose ou quelqu'un gratta avec insistance le grillage métallique qui me séparait de l'habitacle du prêtre. Qu'avais-je à confesser ? Je réalisais que ma gorge était clouée, mon larynx paralysé. C'est alors qu'une lueur blafarde émergea de l'autre côté de la grille. Trop faible pour y voir mais assez claire pour souligner, ratatinée sur elle-même, une forme humaine...

Ou presque...

Je n'eus pas le temps de m'interroger sur ce que j'entrevoyais. La forme avait bondi sur la grille, et de longues griffes m'attrapèrent par les cheveux. Un hurlement strident s'échappa d'une gueule atroce et je me sentis mourir.

A cet instant où je croyais disparaître, happé par le noir mystère de la chapelle, dévoré par une malédiction sauvage, un carillon démesuré retentit, perçant mes tympans avec cruauté. En même temps, l'être avait jailli de sa cachette, se dressant devant moi dans une auréole rouge sang ! Les cloches assourdissantes amplifiaient leur vacarme, les murs de la chapelle commençaient à trembler. J'étais à terre. Le monstre me dominait de toute sa fureur. Je le vis avec terreur abattre sa gueule grande ouverte sur moi...

Mon radio réveil eut raison de mon sommeil à 07h15. Je me réveillais en nage, essoufflé, ravagé. Je regardais avec effroi tout autour de moi : j'étais dans ma petite chambre douillette. Ma cafetière programmée sifflait en expulsant des jets de vapeur bouillante. Une délicieuse odeur de café emplissait la pièce. Un bon petit-déjeuner et cet affreux cauchemar serait remisé aux oubliettes.

Je rejetais la couverture au pied du lit. Je me levai et m'assis pour trouver mes pantoufles. Mon pied ratissa la moquette.

Comme d'habitude, je ne retrouvais pas mes pantoufles. En soupirant, je me penchais. Là où mon pied avait tâté le sol, la moquette était déchirée, tailladée. Quatre longues balafres.
Je regardais avec effarement.

Ce que je vis m'arracha un cri : dépassant de la jambe de mon pyjama, cette horreur velue n'était pas MON pied !

La chapelleWhere stories live. Discover now