Chapitre 2 - Cette personne tapie dans l'ombre

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J'observe attentivement les environs. Le quartier est aussi calme que d'habitude. La voiture autonome d'un voisin sort toute seule de son garage. La portière s'ouvre, il rentre dans l'habitacle et s'en va au travail. Madame Roch fait son jogging du matin suivie de très près par ses deux foxhound américains. Une certaine innocence plane sur les environs mais la présence de cette femme aux cheveux rose et au regard assassin ne fait que perturber ces bonnes vibrations matinales.

« Dix-neuf heures. Ce soir. Au Colony Bar. Soyez à l'heure ».

Je ne lui dis rien de plus. A cet instant ni elle ni moi n'avons besoin de rallonger la conversation. Dans les petites villes toutes calmes comme Kennebunkport les nouveaux arrivants ne passent pas inaperçus. Et à ce moment-là, je ne doute pas une seule seconde que Madame Roch, après m'avoir passé le bonjour avec son faux sourire amical, va modifier son itinéraire de jogging pour aller au salon de coiffure de Rachel et lui parler de cette femme étrange qui m'a abordé devant notre maison.

Erin accepte mon rendez-vous sans broncher. Après tout c'est dans son intérêt.

Elle repart, cette-fois en direction du Nord. Sans doute va-t-elle louer une chambre à un motel pas loin d'ici. Je finis de laver ma voiture comme si de rien ne s'était passé. Mais dans ma tête je ne fais que m'insulter. Mille questions viennent percuter mille éléments de réponse et au final je ne sais toujours pas comment cette femme à réussi à remonter ma trace. Elle n'a certainement pas pu interroger mes anciens partenaires. Ils sont tous morts. Elle n'a certainement pas trouvé des preuves compromettantes dans mon ancienne maison. La baraque a brûlé. Serait-ce Hadley ? Non. Une femme comme elle aurait préféré mettre son flingue dans la bouche et appuyer sur la gâchette plutôt que de balancer ceux et celles qui lui confiaient la gestion de leur fortune.

Je passe la matinée dans mon salon, à boire du whisky et à réfléchir. Pourquoi cette femme m'a approché d'une manière aussi directe ? Pourquoi ne pas avoir été plus subtile ? Quiconque me connaît réellement s'y serait pris autrement. Mais Erin...Erin est soit extrêmement courageuse et sûre d'elle, soit complètement inconsciente. Si son objectif était de me mettre mal à l'aise de par sa présence ici, tout près de moi, elle a bien réussi son coup. Elle s'est présentée à moi, en chair et en os, toute seule, sans arme. Pas de lettre anonyme, pas d'appel caché. Elle ne veut pas que je la considère comme une menace. Mais ce qu'elle semble savoir sur moi est déjà une menace en soi.

Quelques verres de whisky et quelques questions plus tard Rachel rentre à la maison pour sa pause du midi. Je fais les cent pas dans le salon. Elle me rejoint avec un grand sourire sur les lèvres et m'embrasse avec passion. Les parfums bon marché de toutes les femmes à qui elle a coupé les cheveux jusque là emplissent la pièce.

« J'ai envie de toi, dit-elle de sa voix douce. Au travail, j'arrête pas de m'imaginer que tu me rends visite au salon, et qu'on s'isole dans l'arrière-pièce. Ensuite on fait l'amour et tout le monde nous entend mais personne n'ose s'approcher...

— Et tu rates jamais une coupe quand tu penses à ça ?

— Jamais...»

Ça fait longtemps que Rachel a cessé de me poser des questions sur mon passé. Elle croit que j'étais un ancien flic qui s'est vu démettre de ses fonctions à la suite d'une bavure. J'ai quelques photos de mes anciens associés et moi, tous vêtus d'uniformes de police. C'était notre déguisement pour un kidnapping qu'on avait fait à l'époque. Je pense qu'eux aussi ont utilisé le même mensonge avec leurs petites amies.

Rachel n'a pas besoin d'en savoir plus. Elle se sent en sécurité à mes côtés et je la laisse organiser la majeure partie de notre vie quotidienne pour lui donner le sentiment d'avoir un certain pouvoir sur son destin, et le mien. Je ne cacherai pas non plus le fait que ce qu'il me reste comme bribes d'humanité et d'amour j'ai décidé de les lui offrir. C'est une femme de trente-trois ans dont la génétique familiale l'a dotée d'une belle physionomie, de traits fins et réguliers. Elle fait dix ans de moins que son âge, chose dont elle est extrêmement fière et qui n'est pas pour me déplaire. Elle ne cherche qu'à fonder une famille et vivre une vie tranquille pas trop loin des siens. Une ambition très répandue chez les gens de Kennebunkport.

Nous faisons l'amour sur le canapé pendant une bonne demi-heure puis on se met à table et on avale les restes du repas de la veille. A aucun moment elle ne me parle de la femme aux cheveux roses. Pourtant je suis persuadé qu'elle est au courant. Je décide de jouer la carte de l'honnêteté. Enfin, semi-honnêteté. C'est évidemment ce qu'elle attend que je fasse.

« Il y a une femme qui est venue me voir ce matin.

— Ah bon ? me demande-t-elle sur le ton de la surprise. C'était qui ? ».

Je ne peux pas lui dire que je n'en ai pas la moindre idée. Avec Rachel, il vaut mieux montrer qu'on est sûr de soi, sûr de son coup. Ça lui évite d'être nerveuse, inquiète, paniquée.

« Une journaliste. Elle bosse pour le Noir York Tribune. La police à rouvert l'enquête sur le meurtre de Shelby Olsen. C'est Billy et moi qui avions été les premiers flics sur la scène du crime. Elle veut juste me poser quelques questions ».

Le dossier de Shelby Olsen, une jeune fille de quinze ans sauvagement assassinée dans une ruelle a effectivement été rouvert ce mois-ci. J'en ai entendu parler aux informations. Sur le moment, je ne pouvais offrir à Rachel un plus beau mensonge que celui-là.

« Je lui ai donné rendez-vous au Colony Bar, ce soir. Elle voulait venir chez nous mais j'ai refusé. Je voulais pas qu'un voisin se mette à propager des rumeurs et...

— C'est bon, Cash, dit-elle en me coupant la parole. Fais ce que tu as à faire ».

Elle n'aime pas le fait que je me retrouve dans un bar avec une autre femme. Ça se comprend. Surtout que Madame Roch a sans doute dû exagérer le portrait d'Erin en la décrivant comme étant une jeune femme sexy, athlétique, un poil extravagante et mystérieuse. Autant de critères qui rendraient jalouse la compagne de n'importe quel homme.

« Ça ne devrait pas prendre trop de temps, continuais-je sur le même ton calme et plein d'assurance. Je ne sais rien à propos cette gamine mis à part ce qu'il restait d'elle quand on l'a vue...

— Argh ! Épargne-moi ce genre de détails par pitié ».

Il n'en faut pas plus pour qu'on change de conversation. On fait des plans pour le week-end. Une balade en forêt. Un pic-nique dans l'herbe sous l'ombre des arbres et à treize heures trente Rachel retourne au travail.

Je passe l'après-midi dans le salon, à boire du whisky et à réfléchir. Une envie d'aller trouver le motel où crèche Erin me démange. La tuer n'est pas si difficile. Me débarrasser de son corps est un jeu d'enfant. Mais je sais pertinemment qu'il y a quelqu'un, ailleurs, qui sait qu'elle est venue me voir. Et cette personne tapie dans l'ombre ne cesse de briser mes plans, m'empêchant d'entreprendre quoi que ce soit qui me placerait en position de force. 

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⏰ Last updated: Sep 13, 2018 ⏰

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