La brute et le piaf

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Il était une fois un chasseur d'éternités, veilleur de jours et nuits, là depuis longtemps, si longtemps qu'il en avait un peu oublié pourquoi.
Il observait.
Il avait vu bien des bêtes se glisser entre les bruyères, se caresser aux feuillages, parfois l'une attrapant l'autre, sans que l'envie lui vienne de participer au festin.
Si longtemps patient, que son corps ne l'avait attendu, devenant lourd, lent, dur et raide.

Et dans ses jumelles il avait deviné de temps à autres, un drôle d'oiseau.

Un oiseau trop éloigné, mouvant et dissimulé, pour le bien voir, mais aux belles plumes à en juger l'éclat entre verdures.
Un oiseau chanteur, dont la voix lui parvenait troublée des autres bruits de la forêt.
Un chant polyphonique, changeant, imitateur d'autres, comme s'essayant.
Il chantait par questions, voilà d'où venait la diversité de ses sons, car une question n'est véritable qu'en ce qu'elle diffère de toutes.
Chaque oiseau chante la sienne, encore et encoeur, et c'est par cela que se meut ce ciel, la Pensée, plus que par les ailes qui y nagent.
Mais ce bec ne semblait connaitre son chant, qui venait et revenait pourtant en refrain au sein de ces chants-sont.

"Si la lumière ne peut se refuser à l'obscurité, éteinte qui viendra l'éclairer ? Qui viendra l'éclairer ? Qui viendra l'éclairer ?"

Un jour il perçut une agitation là où souvent l'oiseau paraissait, puis l'oiseau ne se montra plus.
Quelle importance...
Ce n'était pas son gibier...
Pourtant le chasseur s'impatienta, ressentant une urgence revenue.

Il s'arracha, et dit /Allons, voir\.

Traverser fut difficile, il avait perdu son perçant, son mouvement, il se heurtait à tout, écartait la forêt.

Mais si le chasseur avait vieilli dans son attente, il n'avait rien perdu de sa volonté et parvint au lieu où il avait vu en dernier l'oiseau.

Là, il fit grand bruit. /S'il fuit, il donnera signe de vie\.

Là, il agita beaucoup. Et l'oiseau parut, tout retourné, comme déterré.

/Alors !\

"A Lor Koi ? J Té Cou T. Ki È Tu..."

/Petit con ! Pourquoi ne chantes-tu plus ?\

" Cé Q J Pon."

/Ah...\

Pondre...Le chasseur ne savait plus trop ce que c'était, ce qu'il avait pondu en dernier avait nourri les mouches.
Vu de près cela restait un drôle d'oiseau, une forme floue où flottaient des pattes palmés, des plumes de paons, une houppe de perroquet, un bec de rossignol d'où flûtait des melodies diverses entre caquetages.
Vu de près il voyait les plumes arrachées, les traces de crocs, une vieille blessure dont le morceau n'avait pas repoussé.

/Je reconnais la blessure, je l'ai reçu...Une Goule\

"C NéTè Pa U N GouL, Cé Tè 1 JoLi SerPen D CouLeur CoRail, Si Fine, DéLiCaT.
ÉLass El SouFrè D ConssTiPaSion"

/C'est malheureux pour un boyau...Cela ne l'a pas empêché de te mordre\

"CéTè D Ma FoT, J M Sui Tro AProChé"

/Elle a du espérer se déboucher par ton morceau\

"Tu T TronP, Èl AVè D Si JoLi Zieu. J Lé Voix EnCeuR"

/Tant que ses yeux ne te reverront plus, tu seras sauf. Car tu as tort c'était une Goule, elles prennent les formes qui les servent, mais bien qu'elle ne se découvrent qu'à la fin du repas, on peut les deviner à cette capacité de faire de leurs besoins ta nécessité\

"Tu N La Pa Conu..."

/J'en ai connu une même...Le vide est toujours même quel qu'en soit le flacon...Ce ( ) où les ailes ne peuvent vous soutenir...J'ai été oiseau aussi. Je sais c'est difficile à croire. Un jour, en mes vents ascendants j'ai entendu monter un appel, alors je suis descendu en cercles. Atterrir, je m'y refusais. Mais l'appel était si poignant que j'y suis venu lentement. Tournant, contournant, revenant autour d'une beauté triste aux cheveux noirs, aux yeux en lac, peau blanche couvrant un corps plein, sa bouche rouge me disant, j'ai besoin, je te veux, je t'aime. Et l'ai aimée sitôt, en toutes mes plumes.
Au moment où, cabrant mes ailes, j'allais me poser, cette bouche s'est ouverte comme un gouffre, et m'a avalé...
Lorsqu'elle m'a recraché, c'est elle qui pleurait, c'est moi qui avait perdu mes ailes.
Elles tuent rarement tout à fait, elles n'en ont pas le courage\

La brute et le piafWhere stories live. Discover now